BRZEZIŃSKI v. POLAND - 47542/07 (Judgment : Article 10 - Freedom of expression-{general} : First Section Committee) French Text [2019] ECHR 590 (25 July 2019)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/590.html
Cite as: CE:ECHR:2019:0725JUD004754207, [2019] ECHR 590, ECLI:CE:ECHR:2019:0725JUD004754207

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PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BRZEZIŃSKI c. POLOGNE

( Requête no 47542/07 )

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

25 juillet 2019

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l ' article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.


En l ' affaire Brzeziński c. Pologne ,

La Cour européenne des droits de l ' homme ( première section ), siégeant en un comité composé de   :

Armen Harutyunyan, président,
Krzysztof Wojtyczek,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Renata Degener , greffière adjointe d e section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2019 ,

Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date   :

PROCÉDURE

1.     À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 47542/07) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M.   Zenon Brzeziński («   le requérant   »), a saisi la Cour le 24   octobre 2007 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales («   la Convention   »).

2.     Le requérant a été représenté par M e K. Hł ą d, avocat à Cz ę stochowa. Le gouvernement polonais («   le Gouvernement   ») a été représenté par son agente, Mme J.   Chrzanowska, remplacée ultérieurement par M. J. Sobczak, du ministère des Affaires étrangères.

3.     Le 30 juin 2008 , la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

  1. LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE
4.     Le requérant est né en 1954 et réside à Koziegłówki.

5.     En octobre 2006, au cours d ' une campagne politique en vue des élections aux conseils municipaux et de district ainsi qu ' aux assemblées provinciales ( wybory do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw ), fixées au 12   novembre 2006, le requérant, alors candidat au poste de conseiller communal, et un certain A.B. firent paraître - au nom et pour le compte du comité électoral dont ils étaient eux-mêmes membres - une brochure intitulée «   Lettre ouverte n o 5   » ( List Otwarty Nr 5 ). Dans cette brochure, le requérant et A.B. appelaient à voter pour les membres de leur comité électoral et critiquaient la gestion de la municipalité par les membres de cette équipe.

6.     Les critiques visaient essentiellement J.Ś., maire de la commune et candidat à sa propre réélection, et les membres du conseil communal alors au pouvoir. Le requérant soutenait que ceux-ci étaient restés inactifs pendant leur mandat de quatre ans et qu ' ils n ' avaient tenu aucune des promesses qu ' ils auraient faites lors des élections précédentes. Il déclarait que d ' importants problèmes concernant la collectivité locale n ' avaient pas été résolus. Il évoquait en particulier le mauvais fonctionnement du système d ' approvisionnement en eau et de celui d ' évacuation des eaux usées, l ' absence de voies publiques de bonne qualité d ' importance stratégique et faisait état de difficultés relatives au système scolaire. Dans l ' une des parties de la lettre ouverte, sous le titre «   Esclaves et bénéficiaires de l ' accord   » ( Niewolnicy i Beneficjenci Układu ), le requérant laissait entendre que les membres de la municipalité avaient formé une sorte d ' entente dans le seul but de tirer profit des fonctions qu ' ils occupaient. Il concluait que le seul moyen de briser ce réseau consistait à élire de nouveaux membres «   non contaminés   » ( nieskażeni ) de la municipalité parmi les candidats appartenant au comité électoral mentionné dans sa «   Lettre ouverte n o   5». Il ajoutait que ces candidats seraient les garants d ' une administration indépendante et équitable de la commune et qu ' ils étaient les mieux à même d ' accomplir les tâches qui s ' imposaient selon lui.

7.     Le requérant faisait également allusion aux poursuites pénales diligentées contre certains membres de la municipalité en place pour abus de pouvoir lors de la conclusion d ' accords selon lui désavantageux concernant l ' approvisionnement en eau. Il indiquait que, selon le courrier que le parquet avait fait parvenir aux membres de son comité électoral, disponible sur le site Internet de celui-ci, les poursuites, alors pendantes au moment où il écrivait, était censées s ' achever à la fin du mois de novembre 2006 par la notification à certains membres des autorités de la commune et certains gérants de la société de gestion des eaux («   la société X   ») des chefs d ' inculpation formulés contre eux.

8.     Le requérant qualifiait enfin les élections en cours de «   festival d ' adulation mutuelle et d ' autopromotion   » ( układ wzajemnej adoracji i autoreklamy ).

9.     Dans un passage intitulé «   Pourquoi un nouveau maire   ?   » le requérant imputait au maire sortant l ' inefficacité de la gestion des problèmes liés à l ' approvisionnement en eau et au manque d ' infrastructure d ' assainissement. Dans ce contexte, il stigmatisait l ' attitude du maire, selon lui trop indulgente, envers la société X, laquelle détenait le monopole de l ' approvisionnement en eau et de l ' évacuation des eaux usées de la commune. Il indiquait que les décisions que J.Ś. avait prises dans ce domaine avaient renforcé ce monopole, en conséquence de quoi le prix de l ' eau dans la commune aurait augmenté. Il soutenait que, sous la direction de J.Ś., la municipalité avait maintenu des contrats désavantageux avec la société en question. Il arguait aussi que, bien qu ' il eût annoncé publiquement avoir résilié ces contrats, le maire avait fait preuve d ' amateurisme à cet égard, de sorte que la phase de résiliation durait déjà depuis plusieurs années. Dans ce contexte, le requérant faisait notamment la déclaration suivante   :

«   Au lieu de renoncer, sans aucun risque ni frais, au désavantageux contrat d ' exploitation d ' installations hydrauliques entre la commune et la société X et d ' y mettre fin efficacement en novembre 2005, comme nous l ' avions suggéré dès le début de son mandat - le maire a choisi une voie incertaine, chère et interminable ( ś limacząca się ), celle de l ' assignation en justice. L ' information, annoncée récemment par le maire, selon laquelle il avait résilié les contrats [conclus avec la société ayant réalisé les travaux] est mensongère, car la lettre envoyée à la société était celle d ' un amateur complet, ne faisait aucune référence au contrat et a été complètement ignorée par [la société en question] .   »

10.     Dans un passage intitulé «   Pourquoi des nouveaux élus?   » le requérant critiquait certains élus locaux, dont J.K. Il s ' exprimait en ces termes   :

«   Il y a 5 ans, J.K., aujourd ' hui conseillère municipale, a témoigné contre nous au cours d ' une enquête initiée par «   l ' entente sociétaire   » ( układ spółkowy ) après notre critique publique concernant les abus commis au détriment de la commune. Aujourd ' hui, J.K. bénéficie des largesses du maire, perçoit des subventions communales non remboursables de 100   000   zlotys polonais (PLN) pour une autre société, navigue avec adresse entre différents partis politiques et, en général, prend soin de ses propres intérêts de façon excellente.   »

11.     Enfin, dans un passage intitulé «   Festival électoral   », le requérant critiquait la façon dont les travaux d ' isolation d ' un bâtiment scolaire de la commune avaient été exécutés. Il laissait entendre que ces travaux avaient été menés à la hâte et de manière contraire aux règles de l ' art en matière de construction. Il décrivait la situation en ces termes   :

«   C ' est dommage que les travaux d ' isolation des bâtiments scolaires, auxquels on a procédé à la hâte pour les achever avant le festival d ' automne, ont été mal effectués   : on a omis de mettre un filet sur la couche de polystyrène sous le plâtre et la façade ne résistera probablement pas plus d 'un an ou deux.   »

12.     À une date non précisée en octobre 2006, le requérant distribua un grand nombre d ' exemplaires de cette brochure devant une église, à la sortie de la messe du dimanche.

13.     À une date non précisée, J.Ś. et J.K. assignèrent le requérant et A.B. en justice en vertu de l ' article 72 de la loi sur les élections locales (paragraphe 28 ci-dessous).

14.     Ils sollicitaient une ordonnance interdisant la diffusion de la «   Lettre ouverte n o 5   » et obligeant le requérant et A.B. à rectifier les informations selon eux inexactes diffusées dans la brochure et à s ' excuser publiquement d ' avoir tenu de tels propos. Ils demandaient en outre que le requérant et A.B. fussent condamnés au versement de 5 000 PLN chacun au profit d ' un organisme caritatif ainsi qu ' au remboursement des frais de procédure.

15.     Le 27 octobre 2006 à 10 h 30, le requérant fut convoqué par téléphone à une audience prévue pour le même jour à 13 h 30 devant le tribunal régional de Częstochowa («   le tribunal   »).

16.     À l ' audience du 27 octobre 2006, à laquelle le requérant n ' assista pas, le tribunal entendit les témoins et examina les écritures que les parties lui avaient soumises. Par une décision rendue le même jour, il décida d ' abandonner les poursuites entamées à l ' encontre de A.B., au motif que les plaignants avaient retiré la plainte dirigée contre celui-ci. En revanche, il accueillit la plainte formulée à l ' encontre du requérant. Il interdit à l ' intéressé de continuer à diffuser la brochure et lui ordonna de présenter des excuses et de rectifier les informations inexactes en faisant paraître la déclaration suivante en première page de deux quotidiens locaux   :

«   Zenon Brzeziński présente ses excuses à J.K., candidate aux fonctions de conseillère municipale de la commune et ville de K., et à J.Ś., candidat aux fonctions de maire, pour les fausses déclarations figurant dans la «   Lettre ouverte n o 5   » et laissant entendre que   :

-     J.K. avait perçu 100   000 PLN de la part de la commune et du conseil municipal de K. au titre de subvention non remboursable   ;

-     J.Ś., en sa qualité de maire, avait aidé J.K. à percevoir cette subvention   ;

-     au cours des travaux de rénovation de l ' école primaire de C., des négligences avaient été commises en omettant de placer un filet sur la mousse de polystyrène, ce qui aurait pu causer la destruction de la façade au bout d ' un an ou deux   ;

-     J.Ś. n ' avait pas annulé le contrat d ' exploitation du système d ' approvisionnement en eau conclu avec la société B.S.

Zenon Brzeziński regrette que les informations mensongères qui précèdent aient été rendues publiques, car elles étaient de nature à induire l ' opinion publique en erreur.   »

17.     Le tribunal condamna également le requérant à verser 5   000 PLN à un organisme caritatif et 360 PLN aux plaignants pour les frais de procédure.

18.     Dans les motifs de sa décision, le tribunal observa que le requérant avait laissé entendre que des fraudes avaient été commises lors de la distribution des subventions financées par des fonds publics. Or, selon lui, ces propos n ' étaient pas avérés. Le tribunal indiqua plus particulièrement qu ' il ressortait des comptes rendus financiers de la commune que lesdites subventions avaient été régulièrement octroyées à une société communale d ' aménagement des terres agricoles dont J.K. était vice-présidente - et non à J.K. elle-même - aux fins de modernisation d ' installations communales vieillissantes. Il ajouta que le fait que J.K. était membre du conseil de surveillance et également membre du conseil d ' administration de cette société n ' était pas constitutif de conflit d ' intérêts et ne corroborait pas les allégations de l ' intéressé selon lesquelles J.K. «   naviguait avec adresse entre différents partis politiques et, en général, prenait soin de ses propres intérêts de façon excellente   ».

19.     Le tribunal considéra en outre que les propos concernant J.Ś. n ' étaient pas non plus avérés. Selon lui, il ressortait des éléments du dossier de l ' affaire que J.Ś. avait bel et bien présenté à la société X une lettre de résiliation du contrat conclu entre celle-ci et la commune et que, après l ' expiration du délai de préavis, il avait assigné ladite société en justice. Le tribunal releva que la procédure ainsi engagée par le maire de la commune avait débouché sur une décision en application de laquelle la société X avait été obligée de restituer à la commune l ' ensemble des installations hydrauliques qui lui appartenaient. Il estima que, dans ces circonstances, les propos taxant J.Ś. de manque de professionnalisme étaient dénués de fondement et que ces déclarations et celles concernant J.K. portaient atteinte à l ' honneur et à la considération des plaignants. Enfin, le tribunal indiqua que les allégations de l ' intéressé relatives aux malfaçons qui auraient été commises lors des travaux de rénovation de l ' école communale avaient été contredites par des témoins, parmi lesquels le directeur de l ' école en question et l ' inspecteur des constructions.

20.     Le tribunal constata que la teneur de la lettre était malveillante et qu ' elle outrepassait les formes acceptables de propagande électorale, ce qui justifiait l ' octroi d ' une somme au profit d ' un organisme caritatif. Il ordonna que sa décision fût signifiée au requérant et que celui-ci fût informé des voies de recours dont il disposait.

21.     Le 30 octobre 2006, le requérant appela le tribunal et fut informé par un employé du greffe de la décision du 27 octobre 2006.

22.     Le même jour, le requérant forma un recours contre cette décision. Il   envoya son acte d ' appel par fax à 16 h 26, puis l ' original par courrier recommandé. Il demandait l ' annulation de la décision de première instance dans sa totalité et soutenait s ' être conformé au délai de vingt-quatre heures prévu par la loi pertinente puisqu ' il n ' avait, selon lui, eu connaissance de la décision que le 30 octobre 2006. Il indiquait qu ' il n ' avait pas pu assister à l ' audience du 27 octobre 2006 en raison de son mauvais état de santé, raison pour laquelle il aurait été convoqué le lendemain à un entretien par un collège de médecins, entretien demandé par la caisse de sécurité sociale afin de faire vérifier son droit à une prestation complémentaire en vue de sa rééducation. Il déclarait percevoir une prestation pour sa rééducation à la suite d ' une longue maladie et avoir des difficultés à conduire lui-même un véhicule. Il exposait qu ' il n ' avait pas été en mesure de trouver un moyen de transport pour se rendre au tribunal en l ' espace des trois heures séparant sa convocation à l ' audience du début de celle-ci.

Le requérant soutenait en outre que, eu égard à la manière dont on l ' avait informé de la tenue de l ' audience et de la décision prononcée à l ' issue de celle-ci, il n ' avait pas eu de possibilité suffisante de présenter ses arguments. Il indiquait de plus que la décision de première instance ne lui avait pas encore été signifiée.

23.     Le 31 octobre 2006, à 10 h 30, un exemplaire écrit de la décision accompagnée de ses motifs fut signifié au requérant.

24.     Le même jour, après avoir pris connaissance du contenu de la décision, le requérant rédigea un autre recours contre celle-ci. Il soutenait que sa cause n ' avait pas été examinée équitablement car il n ' avait selon lui pas pu assurer sa défense en raison de son absence à l ' audience. Il reprenait l ' ensemble des arguments cités dans le recours du 30 octobre 2006 et en formulait d ' autres sur le fond de l ' affaire. Dans ce contexte, il indiquait plus particulièrement avoir été m û par des considérations tenant à l ' intérêt de la communauté et n ' avoir jamais dit que J.K. avait perçu des subventions pour le compte d ' une société lui appartenant. Selon lui, il apparaissait clairement à la lecture de sa publication que, en l ' occurrence, il s ' agissait de la société communale d ' aménagement des terres agricoles dont J.K. était vice - présidente, similaire à la société X. Le requérant déclarait que ses propos, bien qu ' empreints d ' imprécision, auraient pu être aisément rectifiés sans qu ' il ne f û t nécessaire de le condamner à le faire. Enfin, il joignait à son recours un document selon lequel la plaignante aurait elle - même reconnu avoir perçu pour le compte de la société en question une aide de 100   000   PLN. Le requérant indiquait en outre que la lettre de résiliation du contrat conclu entre la commune et la société X n ' avait pas été correctement libellée, en conséquence de quoi ce contrat, très désavantageux pour les résidents de la commune, continuait à s ' appliquer dans l ' attente de l ' issue de la procédure juridictionnelle. Il exposait enfin avoir lui - même constaté, à l ' occasion de la visite du bâtiment de l ' école communale, que la technique utilisée lors des travaux d ' isolation de celui-ci était inefficace et contraire aux recommandations de la société inventrice de cette technique, d ' après lesquelles le filet de renforcement aurait dû être mis par-dessus le plâtre et non dessous.

25.     Le 2 novembre 2006, le tribunal régional de Częstochowa déclara le recours du requérant irrecevable pour tardiveté. Le requérant attaqua cette décision.

26.     Le 12 janvier 2007, la cour d ' appel de Katowice («   la cour d ' appel   ») accueillit le recours du requérant, mais pour des motifs différents de ceux que l ' intéressé avait invoqués. Elle annula la décision du 2   novembre 2006, estimant que le requérant s ' était conformé au délai imparti. À cet égard, elle observa que, en application de l ' article   7 alinéa   2 de la loi sur les élections locales, la décision du tribunal était signifiée à la personne intéressée sans délai ( niezwłocznie ). Elle indiqua que, en l ' espèce, le dossier ne contenait aucune preuve de réception par l ' intéressé de la décision de première instance. Elle rappela également que, en application de la loi susmentionnée, le délai de vingt-quatre heures pour faire appel commençait à courir dès le prononcé de la décision de première instance et non dès la signification de celle - ci à la personne intéressée, surtout si cette dernière avait été informée de l ' audience du prononcé. Dès lors que, en l ' espèce, le délai de vingt-quatre heures expirait un samedi, il était prolongé jusqu ' au premier jour ouvrable suivant, qui était un lundi. La cour d ' appel considéra en outre que le tribunal de première instance avait à juste titre estimé que les allégations du requérant selon lesquelles son défaut de comparution à l ' audience était dû à des circonstances qui ne lui étaient pas imputables n ' avaient pas été prouvées. Elle nota que, lors de son entretien téléphonique avec un employé du greffe, l ' intéressé n ' avait signalé aucun obstacle rendant impossible sa comparution personnelle devant le tribunal.

27.     Le 19 avril 2007, la cour d ' appel examina l ' appel interjeté contre la décision du 27   octobre 2006 et le rejeta. Elle confirma que le requérant avait été régulièrement convoqué à l ' audience de première instance. Elle considéra de plus que les preuves dont le tribunal avait disposé corroboraient la conclusion à laquelle il avait abouti.

  1. LE DROIT INTERNE PERTINENT

La loi sur les élections locales dans sa formulation applicable à l ' époque des faits

28.     L ' article 72 de la loi du 16 juillet 1998 sur les élections aux conseils municipaux, aux conseils de district et aux assemblées régionales ( Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw - «   La loi sur les élections locales   ») est ainsi libellé   :

«   § 1. Dans le cas où des affiches, des slogans, des brochures, des déclarations ou d ' autres formes de publicité ou de matériel de campagne renferment des données ou des informations mensongères, les candidats aux élections locales ou les représentants de bureaux électoraux peuvent demander au tribunal régional de rendre une décision   :

1.     interdisant [au défendeur] de publier ces données ou informations   ;

2.     ordonnant la confiscation des supports en question   ;

3.     ordonnant de corriger les informations   ;

4.     autorisant la publication d ' une réponse aux déclarations portant atteinte aux droits personnels des intéressés   ;

5.     faisant obligation [au défendeur] de présenter des excuses à la partie lésée   ;

6.     ordonnant [au défendeur] de verser jusqu ' à 10   000 PLN à un organisme caritatif.

§ 2. Le tribunal régional, siégeant en formation de juge unique, doit examiner la demande visée au paragraphe 1 ci-dessus dans un délai de vingt-quatre heures selon la procédure non contentieuse [civile]. Le tribunal peut statuer en l ' absence justifiée des parties à la procédure à condition que celles-ci aient été régulièrement informées de la tenue de l ' audience. Il doit sans tarder ( niezw ł ocznie ) signifier à la partie concernée visée au paragraphe 1 ci-dessus, au commissaire des élections régionales et à la personne tenue d ' exécuter la décision du tribunal une décision mettant un terme à l ' affaire.

§ 3. La décision du tribunal régional est susceptible de recours devant la cour d ' appel dans les vingt-quatre heures suivant son prononcé. La cour d ' appel, siégeant en formation de trois juges, examine l ' appel dans le cadre d ' une procédure non contentieuse [civile], selon les mêmes modalités et dans le délai fixé au paragraphe   2   ci-dessus. La décision de la cour d ' appel est insusceptible de recours et est exécutoire sur-le-champ.   »

EN DROIT

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
29.     Le requérant allègue que son droit à la liberté d ' expression a été violé. Il cite l ' article 10 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l ' espèce :

«   1.     Toute personne a droit à la liberté d ' expression. (...)

2.     L ' exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l ' intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l ' ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d ' autrui, pour empêcher la divulgation d ' informations confidentielles ou pour garantir l ' autorité et l ' impartialité du pouvoir judiciaire.   »

  1. Sur la recevabilité
30.     Le Gouvernement soulève une exception d ' irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant n ' a, à aucun stade de la procédure nationale, soulevé la question de la violation alléguée de son droit à la liberté d ' expression. Selon lui, l ' intéressé se serait borné à évoquer les aspects de la procédure.

31.     La Cour rappelle que la finalité de la règle prévue à l ' article   35 §   1 de la Convention est de ménager aux États contractants l ' occasion de prévenir ou de redresser - normalement par la voie des tribunaux - les violations alléguées contre eux avant qu ' elles ne lui soient soumises. Cette disposition doit s ' appliquer «   avec une certaine soupless e et sans formalisme excessif   »   ; il suffit que l ' intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu ' il entend formuler par la suite à Strasbourg ( Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], n os   17153/11et 29 autres, §§ 72 et 76, 25 mars 2014).

32.     Le grief ne peut pas être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes dès lors que la juridiction nationale s ' est prononcée, aussi brièvement f û t-il, sur le fond de l ' affaire ( Verein gegen Tierfabriken (VgT) c.   Suisse (n o 2), 32772/02, § 34, 4 octobre 2007). Par ailleurs, cette règle ne s ' accommode pas d ' une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu   ; en en contrôlant le respect, il faut examiner si, compte tenu de l ' ensemble des circonstances de la cause, le requérant a fait tout ce que l ' on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes ( D.H. c. République Tchèque [GC], n o   57325/00, §   116, 13   novembre 2007).

33.     En l ' espèce, la Cour observe que, à l ' issue de la procédure diligentée contre lui en application des dispositions de la loi électorale, le requérant a notamment été obligé de rectifier ses propos concernant les élus locaux alors au pouvoir, qui étaient en même temps candidats aux élections locales à venir, et de s ' excuser d ' avoir tenu de tels propos. Dans le délai de vingt - quatre heures qui lui était imparti, le requérant a interjeté appel contre la décision de première instance et demandé l ' annulation de celle-ci dans sa totalité. Il s ' est en outre plaint de ne pas avoir eu l ' occasion de présenter sa défense.

34.     La Cour note que la décision de première instance avec ses motifs a été signifiée au requérant le lendemain de l ' expiration du délai pour interjeter appel de la décision de première instance. Au moment de la rédaction de son recours, l ' intéressé n ' avait pas encore connaissance de la décision et ne pouvait s ' appuyer que sur ce qui lui avait été communiqué par téléphone par un employé du tribunal.

35.     La Cour rappelle avoir dit par le passé que la situation dans laquelle le délai de recours expire sans que le requérant ait pu prendre connaissance du contenu de la décision attaquée est susceptible de nuire à l ' exercice effectif par l ' intéressé de ce recours et priver celui-ci de la possibilité de présenter ses arguments (comparer avec Hadijanastassiou c.   Grèce , n o   12945/87, §§ 34-36, 16 décembre 1992). En l ' espèce, elle observe que le délai pour interjeter appel de la décision de première instance a commencé à courir dès le prononcé et non dès la signification de celle-ci au requérant. Elle est consciente qu ' il s ' agit là de l ' une des caractéristiques de la procédure prévue par la loi électorale. Elle note que le caractère sommaire et urgent de la procédure en question se justifie par la nécessité de faire en sorte que «   fake news   » et les propos qui nuisent à la réputation des candidats aux élections et qui sont susceptibles de fausser le résultat du vote soient au plus vite rectifiés. Cependant, elle rappelle avoir dit que l ' examen des litiges liés aux élections, aussi souhaitable qu ' il soit, ne devrait pas entraîner la diminution indue des garanties procédurales offertes aux parties à la procédure et en particulier aux défendeurs ( Kwiecień c. Pologne , n o   51744/99, §   55, 9 janvier 2007).

36.     La Cour relève, que, en application de l ' article 72 § 2 de la loi sur les élections locales, la décision de première instance doit être signifiée à la partie intéressée sans délai ( niezwłocznie ). En l ' espèce, cette décision a été signifiée au requérant le jour suivant l ' expiration du délai pour former un recours. Dans ces circonstances, la Cour estime que, si le requérant avait eu l ' occasion de prendre connaissance de la décision de première instance avant l ' expiration du délai de recours, cela n ' aurait pas nui à la célérité ou au but de la procédure diligentée contre lui en application de la loi électorale. Elle constate en effet que la procédure en question s ' est prolongée bien au-delà de la date du vote pour une raison imputable au tribunal national tenant à une erreur de calcul de la date d ' expiration du délai de recours contre la décision de première instance.

37.     Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que, en l ' espèce, le requérant a fait tout ce qu ' on pouvait raisonnablement exiger de lui pour épuiser les voies de recours internes.

38.     Partant, elle rejette l ' exception d ' irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

39.     Constatant que ce grief n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Thèses des parties

a)       Le requérant

40.     Le requérant soutient que l ' atteinte portée à son droit à la liberté d ' expression n ' était pas nécessaire dans une société démocratique car elle n ' aurait pas été justifiée par un besoin social impérieux. Il soutient en particulier n ' avoir été convoqué à l ' audience devant le tribunal que trois heures avant le début de celle-ci. Cette communication tardive l ' aurait empêché de préparer sa défense et d ' assister à l ' audience devant le tribunal. Par ailleurs, le requérant allègue que la cour d ' appel, dans son arrêt du 19   avril 2007, avait omis de se référer aux griefs et arguments soulevés dans son appel concernant la véracité des déclarations incriminées et qu ' elle n ' avait pris en considération aucun des éléments de preuve produits en l ' espèce.

b)      Le Gouvernement

41.     Le Gouvernement reconnaît que la sanction infligée au requérant a constitué une ingérence dans son droit à la liberté d ' expression. Il soutient que cette ingérence était cependant «   prévue par la loi   » (en particulier par l ' article 72 de la loi sur les élections locales) et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation et des droits d ' autrui ainsi que le bon déroulement de la campagne électorale pour prévenir les infractions à l ' encontre des droits personnels des candidats, qui sont susceptibles d ' affecter le résultat des élections. Le Gouvernement soutient que les motifs invoqués par les juridictions nationales étaient compatibles avec les objectifs de protection de la réputation et des droits des membres du gouvernement local qui, en tant que candidats aux élections locales, se seraient dits affectés par les fausses déclarations du requérant et auraient en conséquence assigné l ' intéressé en justice.

42.     Le Gouvernement reste également convaincu que l ' ingérence était proportionnée, dans la mesure où le tribunal régional de Częstochowa avait selon lui insisté sur la nécessité de rétablir la vérité en ordonnant la publication des excuses du requérant. Il ajoute que la somme de 5   000   PLN que le requérant avait été en définitive condamné à verser ne saurait être considérée comme excessive, sachant que les plaignants avaient sollicité le maximum prévu par les dispositions de la loi sur les élections locales, à savoir 10   000 PLN.

43.     Le Gouvernement indique que les plaignants n ' ont pas contesté l ' ensemble du texte de la brochure, mais seulement certaines déclarations de fait qui se seraient révélées mensongères. Ainsi, selon lui, la procédure nationale concernait exclusivement les déclarations relatives aux subventions communales non remboursables perçues par J.K., à la réalisation incorrecte des travaux d ' isolation des bâtiments de l ' école publique et au maintien des contrats défavorables portant sur l ' approvisionnement en eau et l ' évacuation des eaux usées de la commune.

44.     Le Gouvernement considère que les allégations susmentionnées constituaient de pures déclarations de fait et qu ' elles devaient être étayées par les preuves nécessaires. À son avis, une critique légitime ne devait certainement pas conduire à formuler des accusations de ce genre, les déclarations en question allant à ses yeux au-delà de la protection accordée par l ' article 10 de la Convention.

45.     En conclusion, selon le Gouvernement, l ' ingérence dans le droit du requérant à la liberté d ' expression était nécessaire afin de protéger les droits d ' autrui.

  1. Appréciation de la Cour
46.     La Cour note qu ' il n ' est pas contesté en l ' espèce que les décisions prononcées à l ' encontre du requérant constituent une ingérence des autorités publiques dans l ' exercice par celui-ci de sa liberté d ' expression, au sens de l ' article   10   de la Convention.

47.     Elle estime que l ' ingérence était «   prévue par la loi   », ce qui n ' a d ' ailleurs pas été contesté devant elle   ; en effet, les décisions incriminées se fondaient sur l ' article 72 de la loi sur les élections locales. Cette ingérence visait un but légitime prévu par le paragraphe 2 de l ' article 10, à savoir la protection de la réputation d ' autrui, plus particulièrement celle de J.Ś. et de J.K. en tant que candidats aux élections locales. Reste à déterminer si elle était «   nécessaire dans une société démocratique   ».

48.     La Cour renvoie à cet égard aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Lindon Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], n os   21279/02et   36448/02, §§   45 et 46, CEDH 2007 - XI , et July et Sarl Libération c.   France , n o   20893/03, §§ 60 à 64, CEDH   2008 (extraits)).

49.     Elle rappelle que, dans l ' exercice de son pouvoir de contrôle, elle n ' a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l ' angle de l ' article de la Convention concerné les décisions qu ' elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d ' appréciation ( News Verlags GmbH & Co. KG c. Autriche , n o   31457/96, §   52, CEDH 2000-I).

50.     En particulier, il lui incombe de déterminer si les motifs invoqués par les juridictions nationales pour justifier l ' ingérence apparaissent comme «   pertinents et suffisants   » et si la mesure incriminée était «   proportionnée aux buts légitimes poursuivis   » ( Chauvy et autres c.   France, n o   64915/01, §   70, CEDH 2004 - VI, et Alves da Silva c. Portugal , n o   41665/07, §   23, 20   octobre 2009). Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l ' article   10, et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents ( Zana c. Turquie , 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, §   51, et Braun c. Pologne , n o 30162/10, 4 novembre 2014, § 41).

51.     En l ' espèce, la Cour observe que, dans une brochure parue au cours d ' une campagne en vue des élections locales, le requérant, candidat au poste de conseiller municipal, a exprimé des propos critiques envers le maire candidat à sa propre réélection de la commune dont il était lui - même résident et envers certains membres du conseil municipal. Dans cette brochure, l ' intéressé faisait notamment état de l ' absence de mise en œuvre de leurs promesses électorales par les élus locaux alors au pouvoir et s ' interrogeait sur leur aptitude à diriger la commune. Parmi les questions abordées par le requérant se trouvaient notamment celle de la gestion de la municipalité et des fonds publics et celle de l ' absence de solution adéquate proposée par l ' équipe du maire aux différents problèmes des résidents de la commune.

52.     La Cour note que la gestion d ' une municipalité est incontestablement un sujet d ' intérêt général pour la collectivité, sur lequel le requérant avait droit de communiquer des informations au public. Elle estime de plus que la compagne électorale alors en cours constituait à n ' en pas douter le moment le plus opportun pour aborder ce genre de questions. Concernant les personnes visées par les propos litigieux, la Cour note qu ' il s ' agissait, notamment, du maire de la commune et d ' une conseillère communale, tous deux candidats à leur propre réélection. Ces derniers étaient visés es qualité par les propos du requérant.

53.     La Cour rappelle dans ce contexte que l ' article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d ' expression dans le domaine du discours politique ou des questions d ' intérêt général. Les limites de la critique admissible sont plus larges à l ' égard d ' un homme politique, visé en cette qualité, que d ' un simple particulier   : à la différence du second, le premier s ' expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens   ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance ( Feldek c. Slovaquie , n o 20032/95, § 74, CEDH   2001-VIII, et Lacroix c. France, n o 41519/12, § 31, 7 septembre 2017 ).

54.     La Cour souligne de plus que le requérant s ' exprimait en tant que candidat à la fonction de conseiller municipal et représentant du comité électoral distinct de celui du maire sortant. Le discours de l ' intéressé s ' analyse donc comme celui d ' un opposant politique, pour l ' encadrement duquel la marge d ' appréciation des États est très limitée ( Jean - Jacques   Morel c. France , n o 25689/10, § 39, 10 octobre 2013).

55.     La Cour partage les constatations des juridictions nationales selon lesquelles les propos incriminés avaient un lien évident avec la campagne électorale qui se déroulait alors. Elle admet qu ' il est nécessaire de lutter contre la dissémination d ' informations fallacieuses à propos des candidats aux élections afin de préserver la qualité du débat public en période préélectorale. La Cour rappelle en même temps qu ' il est particulièrement important, en cette période préélectorale, de permettre aux opinions et aux informations de tous ordres de circuler librement ( Kwiecień c.   Pologne , n o   51744/99, § 48, 9 avril 2007).

56.     La Cour rappelle qu ' il ne lui incombe pas de rechercher si le requérant en l ' espèce s ' est appuyé sur des informations suffisamment précises et crédibles ni de décider si la base factuelle sur laquelle l ' intéressé affirme s ' être fondé était en lien avec la nature et l ' ampleur de ses propos. Cette t â che revenait aux juridictions nationales, qui sont en principe mieux placées qu ' une cour internationale pour apprécier les circonstances factuelles de l ' affaire. Cela étant dit, la Cour rappelle que, en tranchant sur ces questions, les juridictions nationales étaient tenues d ' observer les principes consacrés à l ' article 10 de la Convention ( Braun précité, §   49, Kurski c. Pologne , n o 26115/10, § 55, 5 juillet 2016).

57.     En l ' espèce, il ne ressort pas des motifs des décisions des juridictions nationales que celles-ci se soient interrogées sur la question de savoir si les propos litigieux reposaient sur une base factuelle suffisamment crédible ni si le requérant avait agi avec la diligence requise. Les propos incriminés ont été sans la moindre hésitation qualifiés de mensongers et considérés comme portant atteinte à la bonne réputation et à la considération des plaignants en tant que candidats aux élections locales. La Cour note que les juridictions nationales ont estimé que les propos incriminés contenaient des imputations de malversations et de fraude dans les dépenses publiques et que leur teneur était malveillante et outrepassait les formes acceptables de propagande électorale

58.     La Cour estime qu ' en l ' espèce, il ne fait aucun doute que les déclarations incriminées ont été effectuées dans le cadre d ' un débat autour des questions importantes pour la communauté locale ( Braun précité, §   50, Kurski, précité, § 56). Cela étant dit, la Cour ne peut souscrire aux constatations des juridictions nationales selon lesquelles le requérant en l ' espèce était tenu de démontrer la véracité de ses déclarations. La Cour estime qu ' obliger le requérant à satisfaire à des exigences plus rigoureuses en la matière que celles «   de diligence requise   » ne se justifiait pas, eu égard aux principes consacrés dans sa jurisprudence et aux circonstances de l ' espèce. La Cour observe que, de par leur approche, les juridictions nationales ont privé le requérant de la protection de l ' article 10 de la Convention.

59.     Bien que le ton sur lequel le requérant s ' était exprimé était incisif, voire parfois ironique, le langage employé n ' était ni vulgaire ni injurieux. La Cour estime que les termes utilisés restent dans les limites de l ' exagération ou de la provocation admissible, au regard du ton et du registre ordinaires du débat politique au niveau local ( Jean-Jacques Morel , précité, § 42).

60.     Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère qu ' un juste équilibre n ' a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d ' expression et celle de protéger les droits et la réputation des plaignants. Les motifs fournis par les juridictions nationales pour justifier la condamnation du requérant ne pouvaient passer pour pertinents et suffisants, et ne correspondaient à aucun besoin impérieux.

61.     La Cour rappelle par ailleurs que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu ' il s ' agit de mesurer la proportionnalité d ' une atteinte au droit à la liberté d ' expression garanti par l ' article 10 de la Convention ( Skałka c. Pologne , n o 43425/98, §§   41-42, 27 mai 2003). En l ' espèce, elle observe que, en plus de l ' interdiction lui ayant été faite de continuer à diffuser la brochure, le requérant a été obligé de présenter des excuses et de rectifier les informations jugées inexactes en faisant paraître une déclaration à cet effet en première page de deux quotidiens locaux. Elle note qu ' il a en outre été condamné à verser 360   PLN aux plaignants pour les frais de procédure et 5   000 PLN à un organisme caritatif. Si le montant de cette dernière somme équivalait à la moitié de la somme maximale prévue à l ' article 72 de la loi sur les élections locales, la Cour estime que, à la suite de l ' application cumulative des mesures susmentionnées à son encontre, le requérant a subi une sanction susceptible d ' avoir un effet inhibiteur sur quelqu ' un comme lui qui, en l ' espèce, avait participé au débat politique à l ' échelon local.

62.     Pour autant que le requérant se plaint de ne pas avoir pu assurer sa défense en raison de la façon dont il a été informé de l ' audience de première instance et des circonstances ayant rendu impossible sa comparution personnelle à celle-ci, la Cour observe qu ' il ressort des motivations des décisions des juridictions nationales que le requérant a été régulièrement convoqué à l ' audience de première instance. Consciente de la brièveté du délai entre cette convocation et le début de l ' audience, la Cour note que les juridictions nationales ont établi que le requérant ne leur avait alors signalé aucun obstacle à sa comparution personnelle devant le tribunal et qu ' il n ' avait pas non plus justifié son défaut de comparution, bien qu ' il en ait eu la possibilité dans le cadre du recours qu ' il avait exercé contre la décision de première instance. Dans ces circonstances, la Cour n ' est pas convaincue que l ' absence du requérant à l ' audience de première instance et l ' impossibilité en ayant résulté pour lui de présenter ses arguments au tribunal était imputable aux seules autorités nationales.

63.     En conclusion, la Cour estime que les décisions prononcées à l ' encontre du requérant s ' analysent en une ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d ' expression et qu ' elles n ' étaient pas nécessaires dans une société démocratique.

64.     Partant, il y a eu violation de l ' article 10 de la Convention.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
65.     Invoquant l ' article 6 de la Convention, le requérant se plaint de l ' absence d ' équité de la procédure engagée sur la base de l ' article 72 de la loi sur les élections locales devant le tribunal et la cour d ' appel. Il reproche aux juridictions nationales de ne pas avoir pu assurer sa défense.

66.     Le Gouvernement conteste cette thèse.

67.     La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et qu ' il doit donc aussi être déclaré recevable.

68.     Eu égard au constat relatif à l ' article 10 de la Convention (paragraphe 64 ci-dessus), la Cour estime qu ' il n ' y a pas lieu d ' examiner s ' il y a eu, en l ' espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Kwiecień , précité, § 62).

  1. SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69.     Aux termes de l ' article 41 de la Convention,

«   Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable.   »

  1. Dommage
70.     Le req uérant réclame 10   000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu ' il aurait subi .

71.     Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

72.     La Cour considère qu ' il y a lieu d ' octroyer au requérant 9   700 EUR au titre du préjudice moral .

  1. Frais et dépens
73.     Le requérant demande également une somme raisonnable pour les honoraires de son avocat et 170,80 PLN pour les frais de traduction des documents soumis à la Cour.

74.     Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

75.     Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l ' espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 100 EUR tous frais confondus et l ' accorde au requérant.

  1. Intérêts moratoires
76.     La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,

  1. Déclare la requête recevable ;
  2. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 10 de la Convention   ;
  3. Dit qu ' il n ' y a pas lieu d ' examiner le grief tiré de l ' article 6 de la Convention   ;
  4. Dit que   :

a)     l ' État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l ' État défendeur, au taux applicable à la date du règlement   :

  1. 9   700 EUR (neuf mille sept cent euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d ' impôt, pour dommage moral,
  2. 100   EUR (cent euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d ' impôt, pour frais et dépens   ;

b)     à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ces montants seront à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage   ;

  1. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juillet 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Renata Degener Armen Harutyunyan
              Greffière adjointe Président


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