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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FABRICA DE ZAHAR DIN GHINDESTI S.A. v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 54813/08 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2019] ECHR 867 (03 December 2019)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/867.html
Cite as: [2019] ECHR 867, ECLI:CE:ECHR:2019:1203JUD005481308, CE:ECHR:2019:1203JUD005481308

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DEUXIÈME SECTION

 

AFFAIRE FABRICA DE ZAHĂR DIN GHINDEŞTI S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 54813/08)

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

3 décembre 2019

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Fabrica de Zahăr Din Ghindeşti S.A. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Egidijus Kūris, président,
          Valeriu Griţco,
          Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54813/08) dirigée contre la République de Moldova et dont la société Fabrica de Zahăr din Ghindeşti S.A. (« la société requérante »), a saisi la Cour le 12 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La société requérante a été représentée par M. S. Rusu, son gérant liquidateur. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord M. V. Grosu puis M. L. Apostol.

3.  La société requérante allègue que l’annulation de l’arrêt irrévocable rendu en sa faveur a méconnu ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

4.  Le 26 avril 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5.  Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la requête par un Comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  La société requérante est une société anonyme de droit moldave, ayant son siège à Floreşti.

7.  Par un jugement du 24 septembre 1998, le tribunal économique de circonscription de Chişinău ordonna à la société requérante de verser à la banque B. la somme de 11 597 382,05 lei moldaves (MDL) (2 366 813 dollars américains (USD) au taux de change de l’époque) et 1 044 229,91 USD, constituant des crédits non remboursés et des intérêts et pénalités connexes.

8.  En vue d’exécuter le jugement en cause, la majorité des actifs de la société requérante furent transmis à la banque B. qui les vendit à des tiers.

9.  À une date non précisée, le procureur général forma un recours en annulation du jugement du 24 septembre 1998. Par un arrêt du 30 janvier 2002, la Cour suprême de justice accueillit le recours et ordonna le réexamen de l’affaire.

10.  Par un jugement du 16 octobre 2007, la cour d’appel économique estima que le montant de la dette de la société requérante envers la banque B. était moindre que celui calculé dans l’arrêt du 24 septembre 1998. Par conséquent, la cour d’appel ordonna à la banque B. de verser à la société requérante 10 516 949 MDL (644 287 EUR) au titre de trop-perçus. Les deux parties au procès formèrent des pourvois en cassation contre ce jugement.

11.  Par un arrêt définitif du 13 mars 2008, la Cour suprême de justice accueillit partiellement le pourvoi de la société requérante et ordonna à la banque B. de verser à celle-ci 25 216 042 MDL (1 504 196 EUR) au titre de trop-perçus. À la même date, la Cour suprême émit un jugement avant dire droit définitif par lequel restitua le pourvoi de la banque B. comme étant tardif en statuant que la banque B. se vit notifier le jugement le 14 novembre 2007 tandis que le pourvoi fut introduit le 7 décembre 2007.

12.  Le 5 juin 2008, la banque B. formula une demande en relevé de forclusion concernant le pourvoi en cassation formé contre le jugement de la cour d’appel du 16 octobre 2007. La société requérante sollicita le rejet de la demande en relevé de forclusion pour raison de tardiveté et défaut de fondement.

13.  Par un jugement avant dire droit du 5 juin 2008, la Cour suprême de justice releva la banque de la forclusion. Elle estima que le retard mis dans l’introduction du pourvoi était justifié par les difficultés liées à l’obtention des documents nécessaires au paiement de la taxe judiciaire. Elle ne fit référence à aucune date exacte pour justifier sa décision.

14.  Le 30 octobre 2008, la Cour suprême de justice, statuant sur le recours de la banque B., infirma son arrêt définitif du 13 mars 2008 et le jugement de la cour d’appel économique du 16 octobre 2007 et ordonna le réexamen de l’affaire. L’affaire est toujours pendante devant les tribunaux nationaux.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15.  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile du 12 juin 2003, en vigueur à l’époque des faits, se lisent comme suit:

Article 116. Le relevé de forclusion

« 1.  Les personnes ayant omis le délai pour accomplir un acte de procédure, pour des raisons valables, peuvent être relevé de forclusion par le tribunal;

(...)

3.  La demande de relevé de forclusion doit être accompagnée des preuves qui démontrent l’impossibilité d’agir dans le délai (...) ;

4.  Le relevé de forclusion ne peut être prononcé que si la partie intéressée à exercer son droit dans un délai de 30 jours à partir du moment où elle a eu connaissance, ou aurait dû en avoir, des motifs qui justifiaient le non-respect du délai de procédure ;

(...) »

Article 402. Le délai pour introduire un pourvoi en cassation/Le droit de recours

« 1.  Le pourvoi en cassation peut être introduit dans un délai de 20 jours à compter de la notification de la décision motivée (...) ;

(...)

4.  Le relevé de forclusion du délai de 20 jours peut être effectué par l’instance de recours dans les conditions prévues par l’article 116».

Article 409. La restitution du pourvoi en cassation

« 1.  Le pourvoi en cassation est restitué si :

a)  le pourvoi ne contient aucun des moyens prévus par l’article 400 ;

b)  a été introduit en dehors du délai légal et la partie ne demande pas à être relevé de la forclusion ;

c)  le pourvoi a été introduit par une personne non-autorisée ;

(...)

2.  Après le redressement de tous les manquements et en respect de toutes les autres règles pour l’introduction d’un pourvoi, la restitution du pourvoi dans les situations prévues par le paragraphe 1 a) et c) ne fait pas défaut à l’introduction d’un nouveau pourvoi dans le délai prévu par la loi ;

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

16.  La société requérante allègue que l’annulation de l’arrêt définitif rendu en sa faveur a enfreint à son égard les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et par l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellés :

Article 6 de la Convention

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

A.    Sur la recevabilité

17.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

18.  La société requérante soutient que le pourvoi de la banque B. était tardif et le relevé de la forclusion a été effectué contrairement à la loi nationale.

19.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse et soutient que le grief de la société requérante concerne l’interprétation de la loi par les tribunaux nationaux.

20.  Les principes généraux concernant le principe de la sécurité juridique ont été déjà énoncés par la Cour dans un certain nombre d’arrêts (voir, par exemple, Roşca c. Moldova, no 6267/02, §§ 24-25, 22 mars 2005, et Oferta Plus S.R.L c. Moldova, no 14385/04, §§ 97-98, 19 décembre 2006).

21.  La Cour rappelle que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de sécurité juridique. Cest ainsi que tout relevé de forclusion entraînant la prorogation des délais pour un appel ordinaire admis après un laps de temps important et pour des motifs qui napparaissent pas particulièrement convaincants pourrait conduire à une violation du principe de sécurité juridique et être contraire au droit à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention (Magomedov et autres c. Russie, nos 33636/09 et 9 autres, §§ 87-89, 28 mars 2017).

22.  En se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note que l’arrêt définitif du 13 mars 2008 favorable à la société requérante a été annulé à la suite de l’admission du pourvoi introduit par la banque B. La loi procédurale en vigueur au moment des faits établissait un délai de vingt jours pour introduire un pourvoi en cassation à compter de la notification de la décision motivée. L’article 116 du Code de procédure civile offrait la possibilité aux parties, ayant omis ce délai, à être relevé de forclusion à condition d’introduire la demande dans un délai de trente jours et de l’appuyer par des preuves pertinentes (à voir le paragraphe 15 ci-dessus).

23.  La Cour constate que la banque B. avait introduit le pourvoi avec un retard de cinq mois. La Cour suprême de justice l’a relevé de la forclusion en estimant que le retard était justifié par des difficultés liées à l’obtention des documents nécessaires au paiement de la taxe judiciaire. La Cour observe que la banque B. avait déjà introduit un premier pourvoi qui avait été restitué pour tardiveté le 13 mars 2018 par la Cour suprême de justice, sans qu’elle ait invoqué des difficultés à ce moment-là (voir le paragraphe 11 ci-dessus). La Cour observe également qu’aux termes de l’article 409 du Code de procédure civile il n’était pas possible d’introduire un nouveau pourvoi si le pourvoi initial avait été restitué pour tardiveté (voir le paragraphe 15 ci-dessus). La Cour note enfin que la Cour suprême de justice n’a pas vérifié le respect du délai de trente jours lors de l’admission de la demande de relevé de forclusion introduite par la banque B.

24.  La Cour relève qu’elle a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Ponomaryov c. Ukraine, no 3236/03, §§ 40-47, 3 avril 2008, Melnic c. Moldova, no 6923/03, §§ 38-44, 14 novembre 2006, et Istrate c. Moldova, no 53773/00, §§ 46-61, 13 juin 2006).

25.  À la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Partant, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6  § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage matériel

27.  La société requérante réclame 69 185 988 lei moldaves (MDL) (environ 4 290 230 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi.

28.  Le Gouvernement conteste cette somme.

29.  Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver et de fixer la procédure ultérieure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et le requérant (article 75 § 1 du règlement de la Cour). À cette fin, la Cour accorde aux parties un délai de trois mois à partir de la date du présent arrêt.

B.     Dommage moral

30.  La société requérante sollicite 3 230 000 MDL (environ 200 000 EUR) au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.

31.  Le Gouvernement conteste cette somme.

32.  La Cour considère que la société requérante a forcément subi un dommage moral en raison de l’annulation de l’arrêt définitif rendu en sa faveur et lui alloue 2 000 EUR à ce titre.

C.    Frais et dépens

33.  La société requérante sollicite également 52 622 MDL (environ 3 200 EUR) au titre des frais et dépens.

34.  Le Gouvernement conteste cette somme.

35.  Compte tenu des documents dont elle dispose, de la complexité de l’affaire et de sa jurisprudence, la Cour accorde à la requérante la somme de 1 400 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3.      Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état pour le dommage matériel ; en conséquence,

a)     la réserve,

b)     invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir,

c)     réserve la procédure ultérieure et délègue au président le soin de la fixer au besoin ;

4.      Dit que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

a)     2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

b)     1 400 EUR (mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la société requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

   Hasan Bakırcı                                                                      Egidijus Kūris
  Greffier adjoint                                                                        Président

 


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