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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PELEKI v. GREECE - 69291/12 (Judgment : No Article 6 - Right to a fair trial : First Section) French Text [2020] ECHR 202 (05 March 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/202.html Cite as: CE:ECHR:2020:0305JUD006929112, ECLI:CE:ECHR:2020:0305JUD006929112, [2020] ECHR 202 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PELEKI c. GRÈCE
(Requête no 69291/12)
ARRÊT
Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Condamnation disciplinaire d’une notaire pour le transfert d’un terrain de l’État classé comme monument • Contrôle suffisant de la procédure devant le conseil disciplinaire par un organe judiciaire de pleine juridiction • Examen du grief concernant la requalification des infractions s’inspirant de l’approche appliquée en matière pénale
STRASBOURG
5 mars 2020
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Peleki c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69291/12) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Ekaterini Peleki (« la requérante »), a saisi la Cour le 22 octobre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me I. Ktistakis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État, et Mme A. Magrippi, auditrice au Conseil juridique de l’État.
3. La requérante se plaignait d’une violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention.
4. Le 15 mai 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1965 et réside à Athènes. Elle est notaire.
6. En juillet 2006 fut publiée une décision ministérielle des ministres de l’Agriculture et des Finances prévoyant l’échange d’une part indivise du lac Vistonida, appartenant au monastère de Vatopedi, contre des biens immobiliers appartenant à l’État grec.
7. En mai 2007 et en décembre 2007, la requérante, en tant que notaire, rédigea deux contrats entre la Société hellénique immobilière (Κτηματική εταιρία του Δημοσίου) et le monastère de Vatopedi ayant pour objet l’échange mentionné ci-dessus. Ces contrats prévoyaient plus particulièrement que le monastère de Vatopedi obtiendrait la propriété d’une surface de 860,8 hectares située à Ouranoupoli, dans la région de la Chalcidique. Selon la requérante, le contrat principal incluait : a) une déclaration sur l’honneur rédigée par l’ingénieur relative au plan topographique annexé au contrat, qui aurait certifié que la propriété transférée n’incluait pas les ruines d’un fort byzantin au lieu-dit Frangokastro ni les ruines de l’église Saint-Nicolas, classés comme monuments byzantins par des décisions ministérielles datées de 1981 et 1984 respectivement ; et b) une déclaration des deux parties contractantes d’après laquelle les biens échangés ne seraient pas situés dans l’enceinte d’un site archéologique.
8. Au mois de septembre 2008, des articles de presse mentionnant l’échange des terrains entre l’État et le monastère de Vatopedi et impliquant que l’échange était en faveur du monastère furent publiés. À la suite d’une enquête disciplinaire, le 23 octobre 2008, le procureur adjoint près le tribunal de première instance d’Athènes engagea des poursuites disciplinaires contre la requérante devant le conseil disciplinaire de premier degré des notaires près le tribunal de première instance d’Athènes (Πρωτοβάθμιο Πειθαρχικό Συμβούλιο Συμβολαιογράφων Πρωτοδικείου Αθηνών) (« le conseil disciplinaire ») pour violation des articles 42 § 1, 43 § 1b-d, 44, 48 et 49 du code des notaires. La requérante fut accusée : a) d’avoir rédigé les contrats mentionnés ci-dessus alors qu’elle savait que le terrain litigieux avait été classé site archéologique et qu’il faisait partie, depuis la décision ministérielle de 1965, d’un site protégé par la loi no 3028/2002 relative « à la protection des monuments historiques et de l’héritage culturel en général » (article 59 de la loi susmentionnée) ; et b) d’avoir créé, avec son conjoint, une société à responsabilité limitée.
9. Le conseil disciplinaire, composé de trois membres, tint audience le 10 février 2009. La requérante fut représentée par ses deux avocats et proposa deux témoins, qui furent entendus. D’après le procès-verbal de l’audience, le procureur K.T., qui fut le dernier à s’exprimer, proposa de retenir la culpabilité de la requérante pour les deux infractions qui lui étaient reprochées. Les avocats de la requérante ne s’exprimèrent ni après le réquisitoire du procureur sur la culpabilité de la requérante ni après celui sur la peine. Il n’apparaît pas sur le procès-verbal que le procureur K.T. s’était retiré avant le début du délibéré.
10. Le conseil disciplinaire rendit sa décision no 3/2009 le 19 février 2009. D’après la première page de cette décision, le procureur K.T. était membre du conseil disciplinaire, ce qui portait donc à quatre le nombre des membres dudit conseil lors de l’audience du 10 février 2009. La décision ne mentionnait pas non plus que K.T. s’était retiré avant le début du délibéré.
11. Le conseil disciplinaire indiqua que le terrain litigieux avait été qualifié d’« espace constituant l’environnement de monuments historiques » («περιβάλλων χώρος αρχαίων μνημείων ») par la décision ministérielle no 5980 du 16 octobre 1965 (« la décision ministérielle de 1965 »). Il considéra en effet, conformément à ladite décision ministérielle, que la péninsule d’Athos constituait dans son intégralité un espace constituant l’environnement de monuments historiques. Par conséquent, il conclut que le terrain ne pouvait pas faire l’objet d’une transaction. En outre, selon le conseil disciplinaire, la requérante avait omis d’indiquer dans le corps du contrat que les deux monuments historiques situés sur le terrain en question étaient exclus de la transaction alors qu’elle savait que la seule référence au plan topographique annexé au contrat n’était pas suffisante. Le conseil disciplinaire décida de renvoyer l’affaire devant la cour d’appel d’Athènes en formation de cinq juges afin que celle-ci statue sur l’infliction à la requérante de l’interdiction définitive d’exercer ses fonctions.
12. Le 23 juin 2009, le président de la cour d’appel d’Athènes en formation de cinq juges détermina une date d’audience. Le 13 juillet 2009, la requérante, soutenant que l’accusation pesant sur elle avait changé, introduisit une demande de retrait (αίτηση ανάκλησης) de l’acte déterminant la date d’audience. Dans sa demande, elle exposait que le conseil disciplinaire l’accusait d’avoir dressé des contrats portant sur le transfert d’un terrain qualifié d’espace constituant l’environnement de monuments historiques et non de site archéologique, et qu’elle devait donc ajouter au dossier la présentation de sa défense concernant cette nouvelle accusation. Le 20 juillet 2009, le président de la cour d’appel rejeta la demande de la requérante au motif que cette dernière avait présenté sa défense devant le conseil disciplinaire le 28 novembre 2008 dans son mémoire en réponse.
13. Le 21 janvier 2010, la requérante introduisit devant le conseil disciplinaire une demande de retrait de la décision no 3/2009 rendue par ce même conseil. Dans sa demande, elle arguait notamment que le procureur K.T. ne s’était pas retiré après son réquisitoire et avant le début du délibéré. Le conseil disciplinaire tint audience le 23 avril 2010.
14. Le 20 mai 2010, par sa décision no 11/2010, le conseil disciplinaire rejeta la demande de la requérante pour irrecevabilité. Il mentionna au début de sa décision que le procureur était présent à l’audience du 10 février 2009 et qu’il s’était retiré après avoir formulé son réquisitoire et avant le début du délibéré.
15. Le 25 janvier 2010, la requérante déposa son mémoire de défense devant la cour d’appel. Elle y alléguait notamment que la procédure devant le conseil disciplinaire devait être annulée à cause de la participation du procureur K.T. à la synthèse du conseil et au délibéré, et que ses droits protégés par la Convention avaient été violés en raison de la requalification des accusations portées contre elle.
16. Le 29 novembre et le 14 décembre 2010, la cour d’appel tint audience. Les avocats de la requérante présentèrent un moyen additionnel de nullité, alléguant que le président du conseil disciplinaire avait refusé de leur donner la parole à la suite du réquisitoire du procureur.
17. Par son arrêt no 8/2010 du 14 décembre 2010, la cour d’appel rejeta le premier moyen de la requérante concernant la participation du procureur à la synthèse du conseil disciplinaire et au délibéré au motif qu’il ressortait du procès-verbal que le procureur ne faisait pas partie du conseil et qu’il s’était retiré avant le délibéré. En ce qui concernait le deuxième moyen de la requérante, la cour d’appel ajourna l’audience afin que la direction générale des antiquités et de l’héritage culturel indique si le bien immobilier se trouvait sur un site archéologique ou bien s’il était situé dans un espace constituant l’environnement de monuments historiques. La cour d’appel ne fournit aucune réponse au troisième moyen présenté par la requérante.
18. Le 28 mars 2011, la direction générale des antiquités et de l’héritage culturel répondit que la décision ministérielle de 1965 incluait le terrain ayant fait l’objet du transfert. À la suite de cette réponse, la cour d’appel tint de nouveau audience les 29 mars et 5, 12 et 19 avril 2011. Par son arrêt no 7/2011 rendu le 19 avril 2011, elle estima que le terrain en question faisait partie du site protégé et qualifié de monument historique classé par la décision ministérielle de 1965.
19. La cour d’appel rappela que, selon l’article 7 de la loi no 3028/2002, les biens immobiliers antérieurs à 1453 ne pouvaient pas faire l’objet de transactions. Elle indiqua, en ce qui concernait la transaction éventuelle de biens immobiliers appartenant à l’État postérieurs à 1453, qu’il ressortait de la combinaison des dispositions visant à protéger le patrimoine culturel, dont les articles 22 § 2 et 28 de la loi no 3028/2002, mais aussi du fait que les monuments historiques appartenant à l’État étaient, par leur nature et leur destination, des biens communs ne pouvant faire l’objet de transactions, selon les articles 966 et 968 du code civil, que ces biens ne pouvaient pas non plus faire l’objet d’un transfert. La cour d’appel souligna qu’il ne ressortait pas du dossier de l’affaire que la requérante avait connaissance du fait que l’ensemble du site avait été classé monument historique lors de la signature du premier contrat, en mai 2007, mais qu’elle l’aurait su si elle avait fait preuve de plus de diligence. De toute façon, selon la cour d’appel, la requérante le savait lors de la signature du deuxième contrat, en décembre 2007.
20. La cour d’appel indiqua également que dans le bien immobilier ayant fait l’objet du transfert étaient inclues les ruines du fort byzantin situées au lieu-dit Frangokasro et les ruines de l’église Saint-Nicolas ainsi que l’espace constituant leur environnement, conformément à l’article 6 § 2 de la loi no 3028/2002. Ces ruines avaient été classées monuments historiques par des décisions ministérielles de 1981 et 1984 et elles ne pouvaient, donc, pas être transférées, conformément à l’article 7 § 1 de la loi précitée. Selon la cour d’appel, la requérante avait omis d’exclure les deux monuments historiques et l’espace constituant leur environnement du terrain transféré, étant donné que la déclaration sur l’honneur de l’ingénieur relative au plan topographique annexé au contrat n’était pas suffisante et que la requérante aurait aussi dû le déclarer dans le corps du contrat.
21. La requérante présenta ses arguments relatifs, selon elle, à la requalification des accusations, et la cour d’appel y répondit en exposant que, bien que la procédure disciplinaire concernait un site archéologique, elle aussi faisait référence à l’article 59 de la loi no 3028/2002 et à la décision ministérielle de 1965. Selon la cour d’appel, il ressortait de l’acte d’accusation que la requérante avait été accusée de transfert d’un monument classé par la décision ministérielle susmentionnée et protégé par la loi no 3028/2002, et que, par conséquent, le conseil disciplinaire n’avait pas requalifié les faits reprochés à la requérante.
22. La cour d’appel jugea la requérante coupable des deux infractions qui lui étaient reprochées, à savoir, a) le transfert d’un terrain qui ne pouvait pas faire l’objet d’un transfert car il avait été classé monument historique par la décision ministérielle de 1965 et était protégé par la loi no 3028/2002, sans avoir, en outre, ni dans le premier ni dans le deuxième contrat, exclu du transfert les deux monuments historiques byzantins qui ne pouvaient pas non plus faire l’objet d’un transfert ; et b) la création d’une société à responsabilité limitée.
23. La cour d’appel condamna la requérante à une interdiction temporaire d’exercer ses fonctions pour une durée de quatre mois pour la première infraction, celle concernant le transfert des monuments historiques, et de deux mois pour la deuxième infraction, celle relative à la création par l’intéressée d’une société à responsabilité limitée.
24. Le 28 décembre 2011, la requérante se pourvut en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, réitérant les arguments qu’elle avait avancés devant la cour d’appel.
25. Le 5 juin 2012, par l’arrêt no 916/2012, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour d’appel en ce qui concernait la création par la requérante d’une société à responsabilité limitée car l’arrêt en question ne précisait pas en quoi cette création aurait été incompatible avec sa qualité de notaire. Cependant, elle rejeta le pourvoi de la requérante en ce qui concernait les autres moyens avancés par celle-ci. Plus précisément, la Cour de cassation jugea que :
« (...) [la requérante] avait rédigé les contrats en question, malgré le fait qu’il s’agissait d’un bien immobilier qui était légalement classé comme site archéologique et qui incluait en plus des monuments classés [comme monuments historiques], et qu’elle n’avait pas exclu [ces derniers] du transfert (...) »
26. En ce qui concernait le moyen soulevé par la requérante tiré de la participation alléguée du procureur à la formation et au délibéré du conseil disciplinaire, la Cour de cassation le rejeta, le considérant comme imprécis, étant donné qu’aucune nullité n’avait été soulevée et que la cour d’appel avait rejeté cette allégation comme étant mal fondée. Elle rejeta également le moyen tiré du refus allégué de donner la parole aux avocats de la requérante devant le conseil disciplinaire car il ressortait du procès-verbal de l’arrêt de la cour d’appel que la requérante n’avait pas soulevé ce moyen devant cette juridiction. Enfin, la Cour de cassation jugea qu’il n’y avait pas eu de requalification des accusations étant donné que, lors de la première formulation des chefs d’accusation, les deux contrats avaient été cités et le fait que la zone avait été classée site archéologique avait également été mentionné. Elle considéra que la décision du conseil disciplinaire n’avait fait que clarifier l’accusation en précisant le numéro du deuxième contrat ainsi que l’acte administratif par lequel la zone avait été classée site archéologique.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code des notaires
27. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code des notaires (loi no 2830/2000) sont ainsi libellées :
Article 42
«1. Chaque acte ou comportement fautif et attribuable au notaire contraire aux dispositions de ce code ou non compatible avec la charge de l’intéressé constitue une infraction disciplinaire et est puni selon les dispositions de cette loi.
2. Les obligations des notaires sont déterminées dans les dispositions générales et spéciales relatives à l’exercice de leur charge, à l’organisation et au fonctionnement des offices notariaux, et à leur statut en général.
3. Les instructions ou circulaires qui sont adressées aux notaires en vertu de la loi, ainsi que celles qui concernent l’organisation, le fonctionnement des offices notariaux et le statut des notaires créent des obligations à l’égard de ces derniers. »
Article 43
« Les infractions disciplinaires imputables aux notaires sont les suivantes :
1. a) la violation des obligations et des interdictions prescrites par la loi et par d’autres règlements ou circulaires et liées au statut de notaire ;
b) la violation des règles imposées par la loi et par le reste des dispositions réglementaires pour l’exercice des fonctions de notaire et des activités relatives [à ces fonctions] ;
c) la violation des règles régissant l’organisation, le siège et le fonctionnement des offices notariaux ;
d) tout comportement fautif, incompatible avec le statut de notaire, qui nuit de façon évidente au prestige [de l’intéressé] ou au prestige du corps notarial ;
e) la violation des règles de déontologie notariale et des directives légales des autorités publiques, du comité de coordination des associations notariales de Grèce, ainsi que des associations notariales.
2. L’activité syndicale n’est jamais qualifiée d’infraction disciplinaire. »
Article 44
« Les sanctions disciplinaires sont les suivantes : a) la réprimande écrite ; b) une amende comprise entre vingt mille et trois cent mille drachmes. L’amende peut être augmentée ou diminuée par décision du ministre de Justice ; c) l’interdiction temporaire d’exercer ses fonctions pour une durée de quinze jours à quatre mois ; d) l’interdiction définitive d’exercer ses fonctions. »
Article 56
« 1. Les juridictions disciplinaires, pour les notaires, sont les cours et les conseils disciplinaires.
2. Les cours qui exercent une juridiction disciplinaire sont les cours d’appel, composées de cinq membres.
3. Les conseils qui exercent une juridiction disciplinaire sont : a) les conseils disciplinaires composés de trois membres dans chaque cour de première instance, et b) les conseils disciplinaires composés de cinq membres dans chaque cour d’appel. »
Article 57
« 1. Les cours d’appel composées de cinq membres sont compétentes pour infliger la sanction d’interdiction définitive d’exercer leurs fonctions aux notaires en exercice dans leur région.
2. Les cours visées au paragraphe précédent sont chargées de l’adjudication des infractions disciplinaires sévères seulement après le renvoi par les conseils disciplinaires. Si la cour d’appel juge que la personne reconnue coupable de l’infraction disciplinaire doit être punie d’une sanction moins sévère que l’interdiction définitive d’exercer, elle inflige, à sa discrétion, la sanction appropriée, sans être liée par la décision de renvoi du conseil disciplinaire. »
Article 60
« 1. Les trois membres du conseil disciplinaire sont le président du conseil ou le juge en charge de la cour de première instance, un juge de première instance et un notaire, ou leurs remplaçants (...) »
Article 62
« 1. La procédure disciplinaire est indépendante et distincte de toute autre procédure.
2. La procédure pénale ne suspend pas la procédure disciplinaire. Cependant, le conseil disciplinaire peut, eu égard aux circonstances du cas traité, ordonner la suspension [de la procédure disciplinaire] jusqu’à la fin de la procédure pénale.
3. L’arrêt d’acquittement ou de condamnation rendu par une cour pénale, ainsi que l’ordre de disculpation, n’empêche pas le conseil disciplinaire de traiter la poursuite disciplinaire et celui-ci est autorisé à prendre en compte le dossier pénal. »
Article 81
« 5. Le procureur qui lance la poursuite disciplinaire est autorisé à être présent à l’audience ou de s’y faire remplacer par un autre procureur. Il se retire après la fin de l’audience et avant le début du délibéré. »
Article 94
« 2. Les arrêts disciplinaires des cours d’appel sont soumis à un pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation selon les termes et la procédure prévus les dispositions du code de procédure pénale qui sont applicables par analogie (...) »
B. La loi no 3028/2002 concernant la protection des antiquités et du patrimoine culturel en général
28. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 3028/2002 concernant la protection des antiquités et du patrimoine culturel en général se lisent ainsi :
Article 2
« (...)
b) Le terme « monuments » désigne des biens culturels qui sont des témoignages matériels appartenant au patrimoine culturel du pays et qui nécessitent une protection particulière sur la base des distinctions suivantes :
aa) les termes « monuments antiques » ou « antiquités » désignent tous les biens culturels datant de la période préhistorique, ancienne, byzantine et post-byzantine et antérieurs à 1830 (...) ;
(...)
cc) le terme « monuments immobiliers » désigne les monuments érigés sur le sol et reposant sur celui-ci ou sur les fonds marins ou au fond des lacs ou des rivières, ainsi que les monuments situés au sol ou au fond de la mer ou au fond des lacs ou des rivières, et qui ne peuvent pas être déplacés sans nuire à leur valeur en tant que témoignage. Les monuments immobiliers comprennent les installations, les structures et les éléments décoratifs et autres qui en font partie intégrante, ainsi que leur environnement immédiat (...).
c) Le terme « sites archéologiques » désigne des zones terrestres, maritimes, lacustres ou fluviales contenant ou présentant des indices selon lesquels elles contiendraient des monuments anciens ou auraient été des ensembles monumentaux, résidentiels ou funéraires entre l’Antiquité et l’année 1830. Les sites archéologiques comprennent également l’environnement libre nécessaire qui permet aux monuments subsistants de composer une unité historique, esthétique et fonctionnelle (...).
d) Le terme « sites historiques » désigne des zones terrestres, maritimes, lacustres ou fluviales qui ont été ou qui présentent des indices selon lesquels elles auraient été le site d’événements exceptionnels, historiques ou mythiques, ou des zones contenant ou présentant des indices selon lesquels elles contiendraient soit des monuments postérieurs à 1830 soit des œuvres complexes de l’homme et de la nature postérieures à 1830, qui sont des espaces caractéristiques et homogènes, qui peuvent être délimités topographiquement et qui doivent être protégés à cause de leur signification dans les domaines folklorique, ethnologique, social, technique, architectural, industriel ou, plus généralement, historique, artistique ou scientifique. »
Article 6
« 1. Les monuments immobiliers incluent a) les monuments anciens antérieurs à 1830 (...).
2. La désignation d’un bien comme monument peut également inclure des biens mobiliers liés à un usage particulier du bien, à des utilisations conformes à son caractère en tant que monument et à la zone environnante ou à des éléments de celle-ci (...).
(...)
4. Les anciens monuments immobiliers sont protégés par la loi sans qu’aucun acte administratif ne soit nécessaire (...) »
Article 7
« 1. Les monuments immobiliers anciens antérieurs à 1453 appartiennent à l’État et sont des biens qui ne peuvent pas faire l’objet de transaction ou de prescription acquisitive. »
Article 21
« 1. Les monuments mobiliers antiques antérieurs à 1453 sont la propriété de l’État et ne peuvent pas faire l’objet de prescription acquisitive ou de transaction au sens de l’article 966 du code civil. »
Article 28
« 1. La personne qui a la possession d’une antiquité mobilière antérieure à 1453 peut en transférer la possession après avoir notifié au Service son intention et les coordonnées du titulaire éventuel, lequel est tenu de demander un permis de possession qui sera délivré conformément à l’article 23.
(...)
3. Le transfert de la propriété d’un monument mobilier appartenant à une personne morale de droit public, à une autorité locale, ou à une personne morale de droit privé du secteur public au sens large, [...] est possible sur décision du ministre de la Culture, après avis du Conseil sous peine de nullité. La décision ci-dessus peut imposer des conditions à la personne à qui les monuments sont transférés. En cas de vente, l’État peut exercer son droit de préemption au même prix dans les trois (3) mois suivant le dépôt de la demande concernée. »
Article 59
« Toute personne qui transfère la propriété ou la possession d’un monument ou en acquiert la propriété ou en accepte la possession sans l’autorisation, l’approbation ou la notification prévue par la loi, est punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux (2) ans. Une peine de minimum de deux (2) ans d’emprisonnement sera infligée s’il s’agit d’un monument ancien non légalement déclaré. Ces sanctions sont infligées si l’infraction n’est pas pénalisée plus lourdement par une autre disposition. »
29. La décision ministérielle no 5980/16.10.1965 qualifie les monuments byzantins et post-byzantins et leur espace environnant, à savoir tout l’espace environnant dans la région de la péninsule d’Athos, de monuments historiques classés en raison de leur importance archéologique.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
30. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante estime que plusieurs des exigences de cette disposition ont été méconnues dans le cadre de la procédure disciplinaire et judiciaire concernant les sanctions qui lui ont été imposées. L’article 6 § 1 dispose en ses parties pertinentes en l’espèce que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Les arguments des parties
31. Le Gouvernement, renvoyant à l’affaire Durand c. France (déc.) (no 10212/07, § 56, 31 janvier 2012), soutient que les procédures disciplinaires engagées contre la requérante ne relèvent pas d’une accusation pénale. Il indique que les procédures précitées ont une nature administrative et que les infractions visées portent sur la violation des devoirs professionnels et qu’elles ne revêtent pas une nature pénale. En outre, selon le Gouvernement, la sanction appliquée – l’interdiction temporaire faite à la requérante d’exercer ses fonctions - est selon lui une sanction disciplinaire classique n’atteignant pas un niveau de gravité comparable à celui des sanctions pénales.
32. Le Gouvernement semble aussi contester implicitement l’applicabilité générale de l’article 6 de la Convention en arguant que la procédure devant le conseil disciplinaire de premier degré n’a pas abouti à une décision définitive puisque, selon lui, par la décision 3/2009, le conseil disciplinaire a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel et il n’y a donc pas eu de contestation dont l’issue aurait été déterminante pour les droits de la requérante.
33. La requérante soutient que l’article 6 de la Convention s’applique en l’espèce sous son volet pénal. Elle allègue à cet égard que la nature de l’infraction pour laquelle elle a été condamnée, notamment celle de fausse attestation lors de la rédaction des contrats, qui aurait attesté du caractère non archéologique du terrain transféré, est une infraction prévue par le code pénal. Elle ajoute que la procédure dirigée contre elle s’est déroulée, après l’enquête préliminaire, devant des juges pénaux et des procureurs, et que son pourvoi en cassation a été introduit devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Enfin, les sanctions qui auraient pu lui être infligées revêtaient, selon elle, un caractère pénal de par leur gravité.
2. L’appréciation de la Cour
34. La Cour réaffirme l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 § 1 de la Convention. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, entre autres, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30-31, CEDH 2006-XIV, et Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X).
35. La Cour s’est penchée dans différentes affaires sur l’applicabilité à des procédures disciplinaires de l’article 6 § 1 de la Convention sous son volet pénal. Elle considère de longue date que les poursuites disciplinaires ne relèvent pas, comme telles, de la « matière pénale » (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 42, série A no 43, et Durand, décision précitée, § 56, et les affaires qui y sont citées). Plusieurs catégories professionnelles ont été visées : des avocats (Brown c. Royaume-Uni (déc.), no 38644/97, 24 novembre 1998, Müller-Hartburg c. Autriche, no 47195/06, §§ 41-48, 19 février 2013, Helmut Blum c. Autriche, no 33060/10, § 59, 5 avril 2016, et Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 64735/14, §§ 51-57, 13 septembre 2016) ; des fonctionnaires (J.L. c. France (déc.), no 17055/90, 5 avril 1995, Costa c. Portugal (déc.), no 44135/98, 9 décembre 1999, Linde Falero c. Espagne (déc.), no 51535/99, 22 juin 2000, Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007, Vagenas c. Grèce (déc.), no 53372/07, 23 août 2011, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 59, 17 décembre 2013) ; des médecins (Ouendeno c. France (déc.), no 18441/91, 2 mars 1994) ; des militaires (Kaplan et Karaca c. Turquie (déc.), no 40536/98, Gökden et Karacol c. Turquie, (déc.), no 40535/98, Batur c. Turquie, (déc.), no 38604/97, Duran et autres c. Turquie (déc.), no 38925/97, Yildirim c. Turquie (déc.), no 40800/98, et Durgun c. Turquie (déc.), no 40751/98, décisions du 4 juillet 2007) ; des liquidateurs judiciaires (Galina Kostova c. Bulgarie, no 36181/05, § 52, 12 novembre 2013) ; des juges (Oleksandr Volkov, précité, §§ 92-95, Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, § 35, 9 juillet 2013, Sturua c. Géorgie, no 45729/05, § 28, 28 mars 2017, et Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§ 50-53, 31 octobre 2017) et, comme dans les circonstances de la présente affaire, des notaires (Durand, décision précitée, §§ 55-60 ; voir également Yankov c. Bulgarie (déc.), no 44768/10, 18 juin 2019). Il peut en aller différemment, bien sûr, dans certains cas précis, par exemple, lorsqu’est en jeu une privation de liberté (Engel et autres, précité, §§ 80-85).
36. La Cour rappelle aussi que le fait que des actes susceptibles de conduire à une sanction disciplinaire constituent également des infractions n’est pas suffisant pour considérer qu’une personne responsable selon le droit disciplinaire est « accusée » d’un crime (Rola c. Slovénie, nos 12096/14 et 39335/16, § 56, 4 juin 2019 ; avec référence à Müller-Hartburg c. Autriche, no 47195/06, 19 février 2013, et à Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 8162/13, 8 juillet 2014).
37. La Cour ne voit pas de raisons de s’écarter de cette approche dans la présente affaire. Elle relève tout d’abord que les textes administratifs appliqués dans le cadre des procédures litigieuses relèvent du régime disciplinaire applicable aux notaires. Les faits qui étaient reprochés à la requérante et qui, comme le soutient celle-ci, tombaient dans le champ d’application de la loi pénale, étaient également contraires à l’article 43 de la loi no 2830/2000 du code des notaires. Enfin, s’agissant du degré de sévérité de la sanction que risquait de subir l’intéressée, la Cour observe que l’interdiction définitive d’exercer ses fonctions revêt un caractère généralement disciplinaire. Elle note de plus que l’amende prévue par la loi n’atteint pas un niveau de gravité comparable à celui des sanctions pénales. Dans ces conditions, elle considère que les poursuites disciplinaires engagées contre la requérante et les procédures judiciaires subséquentes n’entrent pas dans le champ d’application du volet pénal de l’article 6 de la Convention.
38. Pour autant que le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet civil dans la procédure devant le conseil disciplinaire de premier degré, la Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet « civil », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. Enfin, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 de la Convention (voir, entre autres, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009, et Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 99, 19 septembre 2017).
39. La Cour rappelle aussi que, selon sa jurisprudence constante, un contentieux disciplinaire dont l’enjeu est, comme en l’espèce, le droit de continuer à pratiquer un métier à titre libéral, peut donner lieu à des « contestations » sur des droits civils au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Philis c. Grèce (no 2), arrêt du 27 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV, p. 1085, § 45). La Cour reconnaît donc que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer dans son volet civil non seulement quand le requérant fait l’objet d’une interdiction temporaire (Diennet c. France, arrêt du 26 septembre 1995, série A no 325‑A, pp. 8 et 13, §§ 11 et 27) ou permanente d’exercer son métier (A c. Finlande (déc.), no 44998/98, 8 janvier 2004), mais aussi dans le cas de l’imposition d’une amende pécuniaire (Hurter c. Suisse (déc.), no 53146/99, 8 juillet 2004). En effet, l’issue concrète d’une procédure n’est pas indispensable pour juger de l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention ; il peut suffire, le cas échéant, que le droit d’exercer un métier soit en jeu, du seul fait que la suspension de l’exercice de la profession figure dans le catalogue des mesures possibles à l’encontre du requérant (Damilakos c. Grèce, no 13320/03, § 16, 30 mars 2006).
40. Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce sous son volet civil.
41. Par ailleurs, constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments de la requérante
42. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de plusieurs violations de cet article au cours de la procédure disciplinaire et judiciaire menée contre elle.
43. En premier lieu, la requérante se plaint de deux aspects de la procédure devant le conseil de premier degré. Elle dénonce, d’une part, un refus du président du conseil de premier degré de donner la parole à ses avocats après le réquisitoire du procureur sur la culpabilité et après le réquisitoire de celui-ci sur la peine et, d’autre part, la participation du procureur à la synthèse et au délibéré.
44. En ce qui concerne la première partie de son grief, la requérante allègue qu’elle n’a pas pu répondre aux conclusions du procureur ni prendre la parole en dernier. En ce qui concerne la deuxième partie de son grief, elle soutient que le conseil de premier degré n’a pas été établi selon la loi conformément à l’article 6 de la Convention en raison de la participation du procureur à la synthèse. Elle considère en effet que la participation du procureur à la synthèse a porté atteinte au principe de l’égalité des armes et mettait en cause l’indépendance du conseil. Selon la requérante, la participation du procureur au délibéré ressort du procès-verbal, lequel n’indiquerait pas que le procureur s’était retiré avant le début du délibéré, et aussi de la décision no 3/2009, laquelle mentionnerait que le procureur était un membre du conseil qui « s’est réuni dans la salle du délibéré dans les locaux du tribunal de première instance ». La requérante soutient que les formulations susmentionnées du procès-verbal et de la décision no 3/2009 ne peuvent pas être attribuées à une erreur de la part du secrétaire au motif que celui-ci était le même que lors de la réunion du 23 avril 2010 concernant sa demande de retrait de la décision no 3/2009 et qu’aucune de ces formulations n’apparaît dans la décision no 11/2010 (paragraphe 14 ci‑dessus).
45. La requérante indique qu’il n’a pas pu être remédié aux défauts allégués de la procédure devant le conseil disciplinaire lors de la suite de la procédure pour deux raisons. D’après elle, la première est que, selon le droit grec, la méconnaissance des droits de la défense reconnus par la Convention a pour conséquence la nullité absolue de la procédure qui peut être invoquée à tous les stades de la procédure jusqu’à la Cour de cassation. La deuxième raison concerne le rôle du procureur dans les procédures disciplinaires engagées contre les notaires ; dans l’affaire la concernant, le procureur K.T. a prononcé un réquisitoire dans lequel il réclamait un verdict de culpabilité contre la requérante et le prononcé d’une interdiction définitive d’exercer ses fonctions à l’encontre de celle-ci ; selon l’intéressée, il est donc certain que le procureur K.T. a influencé les membres du conseil.
46. En deuxième lieu, la requérante soutient que la Cour de cassation a refusé de répondre à son grief relatif au refus allégué du conseil de premier degré de donner la parole à ses avocats. Plus précisément, elle indique que la Cour de cassation a rejeté le moyen en question en répondant que, eu égard aux procès-verbaux, ce moyen n’avait pas été soulevé devant la cour d’appel et ne pouvait donc pas être invoqué devant elle. Cependant, selon la requérante, le contraire ressortait du procès-verbal de l’arrêt no 8/2010, même si la cour d’appel n’avait pas répondu au moyen soulevé. La requérante estime donc que, en rejetant ainsi son grief, la Cour de cassation a violé son droit à un procès équitable et l’obligation incombant à cette juridiction de motiver ses arrêts.
47. Enfin, la requérante soutient que les accusations portées contre elles ont été requalifiées plusieurs fois dans des conditions qui, selon elle, ont violé ses droits de la défense découlant de l’article 6 de la Convention, surtout en cassation car, à ce stade, elle ne pouvait plus produire de nouvelles preuves ni demander l’audition de nouveaux témoins. Elle expose en effet que, même si toutes les accusations portées contre elle concernaient la législation relative à l’archéologie, l’infraction qui lui était reprochée avait changé à chaque stade de la procédure et aurait nécessité, par conséquent, une nouvelle ligne de défense à chaque changement.
2. Les arguments du Gouvernement
48. Concernant le refus allégué du président du conseil de donner la parole aux avocats de la requérante, le Gouvernement déclare qu’il ne ressort pas du procès-verbal ni de la décision no 3/2009 du conseil de premier degré que les avocats de la requérante aient demandé la parole. Se tournant vers la deuxième partie du grief formulé par la requérante, le Gouvernement argue que les formulations employées dans le procès-verbal et la décision no 3/2009 sont manifestement dues à des méprises et à des erreurs de la part du secrétaire. Il soutient qu’il ressort du procès-verbal, lequel mentionnait les noms des membres du conseil ainsi que ceux du procureur et de la secrétaire et indiquait que ces derniers étaient présents, que le procureur n’était pas membre du conseil et qu’il ne s’était donc pas retiré avec le conseil lors du délibéré.
49. En ce qui concerne, d’une part, le refus allégué du président du conseil disciplinaire de donner la parole aux avocats de la requérante et, d’autre part, la motivation de la Cour de cassation pour rejeter le grief en question, le Gouvernement soutient qu’il ne ressort pas du procès-verbal de la procédure devant le conseil disciplinaire que les avocats de la requérante ont demandé la parole et que le conseil a refusé de la leur donner. Le Gouvernement indique par ailleurs qu’il ne ressort pas du procès-verbal de l’arrêt no 7/2011 de la cour d’appel, à savoir de l’arrêt définitif, que la requérante avait soulevé un moyen d’appel tiré de l’omission alléguée du conseil disciplinaire de donner la parole à ses avocats et estime donc que la Cour de cassation a correctement rejeté ce moyen de cassation. Il considère également que la Cour de cassation s’est prononcée de façon motivée sur les allégations de la requérante. De toute façon, selon le Gouvernement, puisque la cour d’appel n’examine pas les appels formés contre les décisions du conseil mais examine le dossier de nouveau sans être liée par les décisions de cette juridiction, la procédure devant cette juridiction supérieure au conseil a respecté, en l’espèce, toutes les garanties de l’article 6 de la Convention.
50. En ce qui concerne la requalification des accusations, le Gouvernement allègue que la décision no 3/2009 du conseil disciplinaire indique que le bien immobilier fait partie d’un site archéologique et précise qu’il s’agit d’un site constituant l’environnement de monuments archéologiques, qui, selon l’article 2 de la loi no 2038/2002, fait partie intégrante du site qualifié de site archéologique par la décision ministérielle de 1965. Il soutient que les accusations portées contre la requérante n’ont pas changé pendant la procédure devant les autorités nationales. Il ajoute à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, pour constater une requalification des accusations, il faut avoir noté un changement substantiel en ce qui concerne le lieu, la date et les autres circonstances ayant motivé les poursuites pénales. Pour le Gouvernement, il est évident qu’il n’y a pas eu de requalification de l’accusation en l’espèce, puisque la seule différence aurait consisté en l’ajout de la mention, par les autorités nationales, des actes administratifs par lesquels le terrain en question a été classé site archéologique.
51. Enfin, le Gouvernement argue que la requérante a eu l’occasion de se défendre en utilisant tous les moyens offerts par le droit interne et qu’elle en a fait usage. Il indique que la requérante a été représentée par ses avocats à tous les stades de la procédure, qu’elle a soumis des mémoires en défense, même après la requalification alléguée de l’accusation, et qu’elle avait eu beaucoup de temps pour préparer sa défense. Il ajoute que, de toute façon, la requérante avait connaissance du changement allégué de l’accusation et qu’elle avait donc eu le temps de préparer de nouveau sa défense. Le Gouvernement considère donc que l’ensemble de la procédure était équitable et respectait les exigences de l’article 6 de la Convention.
3. L’appréciation de la Cour
(a) Principes généraux
52. La Cour rappelle qu’elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. En particulier, elle rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004‑I), par exemple si elles peuvent s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention (De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, §§ 169-170, 23 février 2017).
53. En effet, la Cour a pour seule fonction, au regard de l’article 6 de la Convention, d’examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n’a pas garanti un procès équitable au requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 197, CEDH 2012). En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015 et les affaires qui y sont citées, ainsi que l’application de cette jurisprudence dans des arrêts plus récents : Pavlović et autres c. Croatie, no 13274/11, § 49, 2 avril 2015, Yaremenko c. Ukraine (no 2), no 66338/09, §§ 64-67, 30 avril 2015, et Tsanova‑Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, § 91, 15 septembre 2015).
54. La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (García Ruiz, précité, § 26). Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres exemples, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29‑30, série A no 303‑A, et Higgins et autres c. France, 19 février 1998, §§ 42‑43, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).
55. Enfin, les impératifs inhérents à la notion de « procès équitable » ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations en matière pénale. En témoigne l’absence, pour les premiers, de clauses détaillées semblables aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la Convention. Partant, et bien que ces dispositions aient une certaine pertinence en dehors des limites étroites du droit pénal, les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil que dans celui des poursuites pénales (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 32, série A no 274). L’article 6 § 1 de la Convention se révèle donc moins exigeant pour les contestations relatives à des droits de caractère civil que pour les accusations en matière pénale (König c. Allemagne, 28 juin 1978, § 96, série A no 27). Pour autant, lorsqu’elle examine une procédure relevant du volet civil de l’article 6 de la Convention, la Cour peut estimer nécessaire de s’inspirer de l’approche qu’elle a appliquée en matière pénale.
56. En matière pénale, la Cour a jugé que, en ce qui concerne les modifications de l’accusation, y compris celles touchant sa « cause », l’accusé doit en être dûment et pleinement informé, et il doit également disposer du temps et des facilités nécessaires pour y réagir et organiser sa défense sur la base de toute nouvelle information ou allégation (Mattoccia c. Italie, no 23969/94, § 61, CEDH 2000‑IX). À cet égard, la Convention n’interdit pas aux juridictions nationales de préciser, sur la base des éléments produits lors des débats publics et portés à la connaissance de l’accusé, les modalités d’exécution de l’infraction qui lui est reprochée (Previti c. Italie (déc.), no 45291/06, § 209, 8 décembre 2009, et Sampech c. Italie (déc.), no 55546/09, § 110, 19 mai 2015).
(b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
(i) Sur le grief relatif à une méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention dans le cadre de l’instance de premier degré
57. Quant aux doléances concernant spécifiquement la procédure devant la juridiction de premier degré, la Cour note qu’il s’agit de deux griefs séparés : en premier lieu, la requérante se plaint d’un refus du président du conseil de premier degré de donner la parole à ses avocats après le réquisitoire du procureur sur la culpabilité et sur la peine à infliger à l’intéressée. En deuxième lieu, elle dénonce une participation du procureur au délibéré : au début de la décision no 3/2009, il est indiqué que celui-ci faisait partie du conseil, et la requérante a déduit de cette mention qu’il avait participé au délibéré avec les membres du conseil.
58. La Cour note tout d’abord qu’il ne ressort pas du procès-verbal de la réunion devant le conseil disciplinaire que les avocats de la requérante ont demandé la parole et que ce droit leur a été refusé. De toute façon, la Cour rappelle que, d’après sa jurisprudence constante, lorsqu’une autorité administrative chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l’objet du contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article, c’est-à-dire si des défauts structurels ou de nature procédurale identifiés dans la procédure devant une autorité administrative sont corrigés dans le cadre du contrôle ultérieur par un organe judiciaire doté de la pleine juridiction (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 132, 6 novembre 2018 et les affaires y citées ; voir également Vera Fernández-Huidobro c. Espagne, no 74181/01, § 131, 6 janvier 2010, et les affaires y citées : Helle c. Finlande, 19 décembre 1997, § 46, Recueil 1997‑VIII, et Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 134, CEDH 2005‑XIII). Une juridiction supérieure ou suprême peut bien entendu, dans certains cas, redresser les défauts de la procédure de première instance (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 33, série A no 86).
59. En l’espèce, le Gouvernement allègue, et la requérante ne le conteste pas, que la cour d’appel avait compétence pour examiner l’affaire sans être liée par la décision de renvoi du conseil de premier degré, ce qui est en plus confirmé par l’article 57 du code des notaires. La Cour note que la cour d’appel a entendu des témoins et ajourné l’audience pour obtenir des preuves, et que la requérante a eu l’occasion de présenter les arguments qu’elle jugeait pertinents pour la défense de sa cause, lesquels ont été examinés point par point par la cour d’appel sans que celle‑ci ne se soit vue contrainte de se déclarer incompétente pour y répondre ou pour contrôler les constats de fait ou de droit établis par le conseil disciplinaire (paragraphes 16-21 dessus). La Cour constate que la requérante ne soulève aucun grief concernant la procédure qui s’est déroulée devant la cour d’appel. Il n’est donc pas contesté, dans les circonstances particulières de l’affaire et compte tenu des griefs valablement soulevés devant la Cour, que la cour d’appel est un organe judiciaire de pleine juridiction au sens de la jurisprudence de la Cour, respectant les garanties de l’article 6 de la Convention.
60. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été effectué par la cour d’appel et que celle-ci a remédié aux défauts allégués de la procédure devant le conseil disciplinaire.
(ii) Sur le grief relatif à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’une requalification des infractions reprochées à la requérante
61. La Cour rappelle que, en l’espèce, le volet civil de l’article 6 s’applique, et que l’article 6 § 3 de la Convention n’est donc pas applicable. Cependant, elle va procéder à l’examen du grief de la requérante concernant la requalification dans le contexte de l’article 6 § 1 de la Convention en s’inspirant de l’approche qu’elle a appliquée en matière pénale (paragraphe 55 ci-dessus).
62. À cet égard, la Cour note que, au stade de l’enquête disciplinaire, il a été reproché à la requérante d’avoir transféré un terrain qui avait été classé site archéologique par une décision ministérielle de 1965 et faisait partie du site protégé par la loi no 3028/2002 relative « à la protection des monuments historiques et en général de l’héritage culturel ». Dans la décision de renvoi no 3/2009 du conseil disciplinaire, il était mentionné que le terrain en question avait été qualifié « d’espace constituant l’environnement de monuments historiques » par la décision ministérielle de 1965 et qu’il ne pouvait donc pas faire l’objet d’une transaction. Le conseil disciplinaire reprochait en outre à la requérante de ne pas avoir exclu du transfert les deux monuments historiques situés sur le terrain (paragraphe 11 dessus). Par la suite, après la décision de la cour d’appel d’ajourner l’examen sur le fond en attendant la réponse de la direction générale des antiquités et de l’héritage culturel sur le classement du bien immobilier en question (paragraphe 17 ci-dessus), la cour d’appel a publié l’arrêt no 3/2011 par laquelle la requérante a été condamnée pour le transfert du terrain qui avait été classé comme monument par la décision ministérielle de 1965 et qui était protégé par la loi no 3028/2002, sans en outre exclure les deux monuments historiques byzantins, qui ne pouvaient pas non plus faire l’objet d’un transfert (paragraphes 22 ci-dessus).
63. La Cour relève que les juridictions internes ont considéré que le terrain en question était protégé par la loi no 3028/2002 pour deux raisons. Premièrement, toute la zone avait été classée monument historique par la décision ministérielle de 1965 et, deuxièmement, elle incluait deux monuments historiques, classés comme tels par les décisions ministérielles de 1981 et 1984 respectivement.
64. La Cour constate également que la dénomination précise du terrain en question en droit interne n’est pas claire et que les juridictions internes ont employé une terminologie différente à chaque étape de la procédure : site archéologique, espace constituant l’environnement de monuments historiques et monument historique. Par ailleurs, la cour d’appel a ajourné l’examen sur le fond du dossier afin d’obtenir l’avis de l’autorité responsable concernant le classement précis du terrain en question.
65. En ce qui concerne la différence entre les reproches formulés au stade de l’enquête disciplinaire et ceux formulés au stade du conseil disciplinaire, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel la décision no 3/2009 apporte des précisions quant à la nature du site archéologique en ajoutant qu’il s’agit d’un espace constituant l’environnement de monuments archéologiques. Cependant, la Cour note que, dans la loi no 3028/2002, le site archéologique et le monument, qui, selon l’article 2, b, cc) de cette loi, comprennent aussi leur environnement immédiat, sont deux termes différents (paragraphe 28 ci-dessus). D’autre part, la Cour constate que les poursuites disciplinaires faisaient déjà de référence à la décision ministérielle de 1965 qui avait classé les monuments byzantins, avec l’espace constituant leur environnement, comme étant des monuments historiques.
66. En tout état de cause, la Cour attribue une importance décisive à la procédure qui s’est déroulée ultérieurement devant la cour d’appel. Il convient de noter, en effet, que la cour d’appel s’est livrée à un examen complet de la cause de la requérante, tant au regard du droit procédural qu’au regard du droit matériel (Dallos c. Hongrie, no 29082/95, § 50, CEDH 2001‑II). Après avoir étudié le dossier de l’instance inférieure, qui, par ailleurs, n’a pas publié de décision définitive, et les observations présentées par la requérante, la cour d’appel a entendu lors d’une séance publique des observations orales de la part des avocats de la défense (paragraphes 15 ‑ 18 ci-dessus).
67. À supposer même, donc, que l’infraction ait été requalifiée, la Cour considère que la requérante a eu l’occasion de présenter devant la cour d’appel sa défense à cet égard (Dallos, précité, § 52).
68. En ce qui concerne la requalification alléguée par la cour d’appel, la Cour ne souscrit pas à l’argument de la requérante. Même si le conseil disciplinaire a employé les termes « espace constituant l’environnement de monuments historiques » et la cour d’appel les termes « monument historique », la Cour note qu’il s’agit de la terminologie utilisée dans la décision ministérielle de 1965 ayant classé les monuments byzantins, avec l’espace constituant leur environnement, en tant que monuments historiques (paragraphe 29 ci-dessus). En outre, contrairement à ce que la requérante soutient, la Cour note qu’aucune requalification des infractions reprochées à la requérante n’est intervenue devant la Cour de cassation.
69. À la lumière de ce qui précède, la Cour relève que la requérante a bénéficié d’une procédure contradictoire et que les droits de celle-ci à être informée dans le détail de la nature et de la cause des infractions reprochées dirigées contre elle et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense n’ont pas été méconnus. La Cour estime que la requérante a pu, aux différents stades de la procédure, présenter les arguments qu’elle jugeait pertinents pour la défense de sa cause.
70. En conclusion, la Cour estime que, considérée dans son ensemble, et eu égard à sa jurisprudence selon laquelle les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil qu’en matière de poursuites pénales, le caractère équitable de la procédure litigieuse n’a pas été affecté en raison des défauts indiqués par la requérante à cet égard.
(iii) Sur le grief relatif à une méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention dans le cadre de l’instance devant la Cour de cassation
71. En ce qui concerne la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation, il ressort de la jurisprudence précitée (paragraphes 52-54 dessus) qu’une décision de justice interne ne peut être qualifiée d’« arbitraire » au point de nuire à l’équité du procès que si elle est dépourvue de motivation ou si cette motivation est fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste commise par le juge national qui aboutit à un « déni de justice » (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017). Il en ressort aussi que l’obligation des autorités judiciaires de motiver leurs arrêts présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir paragraphe 54 ci-dessus).
72. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la motivation de la décision de justice rendue par la Cour de cassation a respecté les exigences de la Convention.
73. La Cour note, en particulier, que la requérante reprochait au conseil disciplinaire de ne pas avoir donné la parole à ses avocats après le réquisitoire du procureur. Dans son arrêt du 5 juin 2012, la Cour de cassation s’est bornée à déclarer que la requérante n’avait pas soulevé le moyen tiré du refus qui aurait été opposé à la demande de ses avocats de prendre la parole devant le conseil disciplinaire et que ce moyen devait donc être rejeté.
74. À cet égard, la Cour relève que cette conclusion est contredite par le procès-verbal de l’audience du 29 novembre et du 14 décembre 2010, c’est-à-dire de l’audience ayant abouti à l’arrêt no 8/2010 de la cour d’appel, aux pages 9 et 10 de laquelle ce moyen est amplement exposé. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel il ne ressort pas du procès-verbal de l’arrêt no 3/2011 de la cour d’appel que la requérante a soulevé ledit moyen. Cependant, ni le Gouvernement ni la Cour de cassation n’ont soutenu que la requérante aurait dû exposer de nouveau son argument devant la cour d’appel après l’arrêt no 8/2010, par lequel l’arrêt sur le fond a été ajourné en attendant la réponse de la direction générale des antiquités et de l’héritage culturel en ce qui concernait le classement du bien immobilier en question (paragraphe 17 ci-dessus).
75. La Cour observe, par ailleurs, que le même moyen a été soulevé devant elle et qu’elle déjà conclu que la cour d’appel a effectué un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante et a, donc, remédié les défauts allégués de la procédure devant le conseil disciplinaire, le refus prétendu du président du conseil disciplinaire de donner la parole aux avocats de la requérante inclus. Se référant à ses conclusions relatives aux griefs tirés par la procédure déroulée devant le conseil disciplinaire (voir paragraphes 57‑60 ci-dessus), la Cour estime, par conséquent, que le moyen soulevé par la requérante et rejeté par la Cour de cassation ne peut pas être considéré décisif pour l’issue de la procédure en cause.
76. Compte tenu des observations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la motivation de l’arrêt de la Cour de cassation.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Ksenija Turković
Greffier Présidente