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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MOUDAKI-SOILENTAKI v. GREECE - 9743/12 (Judgment - Right to a fair trial : First Section Committee) French Text [2020] ECHR 271 (26 March 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/271.html Cite as: CE:ECHR:2020:0326JUD000974312, ECLI:CE:ECHR:2020:0326JUD000974312, [2020] ECHR 271 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MOUDAKI-SOÏLENTAKI c. GRÈCE
(Requête no 9743/12)
ARRÊT
STRASBOURG
26 mars 2020
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Moudaki-Soïlentaki c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Armen Harutyunyan, président,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
la requête susmentionnée (no 9743/12) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Eleni Moudaki-Soïlentaki (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 13 février 2012,
les observations des parties,
la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,
Notant que :
les observations de la requérante ont été envoyées par la poste dans le délai prescrit, comme prouvé par le timbre-poste, même si elles sont arrivées à la Cour tardivement,
le 30 octobre 2017, les griefs concernant la non-exécution par l’administration des arrêts no 2713/2007 du Conseil d’État et no 1958/2011 de la cour administrative d’appel, et l’absence en droit grec d’un recours leur permettant de contraindre l’administration à se conformer aux arrêts précités ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaignait du refus de l’administration d’exécuter deux arrêts rendus par des cours administratives annulant deux décisions de l’administration.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1948 et réside à Chania. Elle a été représentée par Me Ch. Chrysanthakis, avocat.
3. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure au Conseil juridique de l’État.
4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
5. La requérante travailla à Olympic Air, une compagnie aérienne, du 1er mars 1969 au 14 juin 1974, date à laquelle elle démissionna.
6. Le 21 septembre 1984, la requérante saisit pour la première fois le comité de la loi no 76/1974 (« le comité »), un organisme chargé de donner son avis sur les demandes de réintégration des personnes qui avaient été licenciées ou forcées à démissionner pendant la dictature militaire avant que le ministre compétent ne prenne de décisions quant à ces demandes. La requérante sollicita son retour au sein de la compagnie Olympic Air au motif que, à l’époque, elle avait été forcée à démissionner. Sa demande fut rejetée.
7. À la suite de deux recours en annulation formés en 1990 et en 1996 contre les avis négatifs du comité concernant la réintégration de la requérante, le 20 décembre 2000, le comité rendit un troisième avis, cette fois positif, sur la réintégration de l’intéressée dans son ancien poste (décision no 620/2000). Le 29 juin 2004, la requérante déposa une demande auprès du ministre compétent des Transports et des Communications (« le ministre ») afin qu’il rende une décision sur sa réintégration. Le ministre ne répondit pas à cette demande.
8. Le 12 octobre 2004, la requérante saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation du rejet tacite du ministre. Par l’arrêt no 2713/2007 du 27 septembre 2007, le Conseil d’État fit droit au recours de la requérante, annula le rejet précité pour absence de motivation et renvoya l’affaire à l’administration, qu’il chargea de prendre les mesures nécessaires.
9. Le 5 janvier 2009, la requérante saisit le comité de trois juges du Conseil d’État en charge du contrôle de la bonne exécution par l’administration des arrêts des juridictions administratives (« le comité du Conseil d’État »), se plaignant que l’administration ne s’était pas conformée à l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État.
10. Le 17 mars 2009, le ministre rejeta la demande de la requérante visant à obtenir sa réintégration dans son poste à Olympic Air (décision no 15512/161/2009).
11. Le 20 juillet 2009, la requérante saisit la cour administrative d’appel d’Athènes (« la cour d’appel ») d’un recours en annulation du rejet du ministre. Par l’arrêt no 1958/2011 du 29 août 2011, la cour d’appel fit droit au recours, annula le rejet précité pour absence de motivation suffisante et renvoya l’affaire à l’administration pour qu’une nouvelle décision motivée soit rendue.
12. Le 5 décembre 2011, la requérante adressa par huissier une déclaration extrajudiciaire au ministre dans laquelle elle lui demandait de se conformer à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel et d’adopter une décision par laquelle elle serait réintégrée dans son ancien poste et obtiendrait des prestations de retraite.
13. Le 2 octobre 2009, la compagnie aérienne Olympic Air fut placée en liquidation spéciale par l’arrêt no 5716/2009 de la cour administrative d’appel d’Athènes.
14. Le 3 février 2015, par le procès-verbal no 13/2015, le comité du Conseil d’État examina la demande de la requérante introduite le 5 janvier 2009 et constata que l’administration s’était conformée à l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État par la décision no 15512/161/2009 du 17 mars 2009 rendue par le ministre. Le comité du Conseil d’État ajouta que l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État n’exigeait pas la réintégration de la requérante à son poste, comme le prétendait l’intéressée, mais une décision motivée relative à sa demande de réintégration. Il précisa que la légalité de la décision du ministre relative à cette demande ne pouvait pas faire l’objet d’un examen par ce comité mais pouvait, en revanche, faire l’objet d’un nouveau recours devant les juridictions administratives.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
I. LA CONSTITUTION
15. L’article 95 § 5 de la Constitution dispose que :
« L’administration est tenue de se conformer aux arrêts de justice. La violation de cette obligation engage la responsabilité de tout organe compétent, ainsi qu’il est prévu par la loi ».
II. LA LOI no 3068/2002
16. Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 sur l’exécution des arrêts de justice par l’administration est entrée en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Cette loi, telle qu’elle était applicable à l’époque des faits, prévoyait, entre autres, que l’administration a l’obligation de se conformer sans retard aux arrêts de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdits arrêts (article 1). Elle prévoit également que des comités de trois juges doivent être constitués au sein des hautes juridictions helléniques (Cour suprême spéciale, Cour de cassation, Conseil d’État et Cour des comptes) afin de contrôler la bonne exécution par l’administration, dans un délai maximum de trois mois (prorogeable une fois à titre exceptionnel), des arrêts de leurs juridictions respectives. Les comités en question peuvent notamment désigner un magistrat chargé d’assister l’administration en proposant entre autres à celle-ci des mesures appropriées pour se conformer à un arrêt. Si l’administration n’exécute pas un arrêt dans le délai fixé par un comité, elle se voit infliger des pénalités qui peuvent être renouvelées tant qu’elle ne s’y conforme pas (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l’administration responsables du défaut d’exécution d’un arrêt (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s’appliquent aux arrêts rendus après son entrée en vigueur (article 6).
III. La loi d’accompagnement du code civil
17. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit que :
« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
18. La requérante se plaint que l’administration ne s’est pas conformée aux arrêts no 2713/2007 du Conseil d’État et no 1958/2011 de la cour administrative d’appel d’Athènes. Elle invoque l’article 6 de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception tirée de l’absence de qualité de victime de la requérante
19. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la partie de la requête concernant l’allégation selon laquelle l’administration ne s’était pas conformée à l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État pour défaut de qualité de « victime » de la requérante. Il argue que l’administration s’est conformée à l’arrêt précité en adoptant la décision no 15512/161/2009 du 17 mars 2009 du ministre. Il ajoute que le comité du Conseil d’État s’est prononcé sur la question de savoir si l’administration s’était conformée à l’arrêt précité dans son procès-verbal no 13/2015 établi à la suite de la demande de la requérante.
20. La requérante réplique qu’elle a toujours la qualité de victime et qu’elle n’a pas encore réintégré son ancien poste.
21. La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 179, CEDH 2006‑V).
22. La Cour réaffirme en outre qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X). En ce qui concerne la réparation « adéquate » et « suffisante » pour remédier au niveau interne à la violation d’un droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (voir, par exemple, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010).
23. La question de savoir si une personne peut encore se prétendre victime d’une violation alléguée de la Convention implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la situation de la personne concernée (Scordino (no 1), précité, § 181).
24. Dans la mesure où la requérante se plaint d’un refus de l’administration de se conformer à l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État, la Cour observe que celui-ci a annulé l’acte administratif attaqué - à savoir le rejet tacite du ministre quant à la demande de réintégration de la requérante à son poste - en se fondant sur l’absence de motivation de cet acte. Elle note que le Conseil d’État a renvoyé l’affaire à l’administration pour que celle-ci se prononçât à nouveau sur la question en motivant sa nouvelle décision (paragraphe 8 ci-dessus). Il en ressort que par son arrêt no 2713/2007, le Conseil d’État n’a pas invité l’administration à proposer le poste sollicité à la requérante (Castren-Niniou c. Grèce, no 43837/02, § 26, 9 juin 2005).
25. La Cour observe également que l’adoption par le ministre de la décision no 15512/161/2009 a marqué la mise en conformité de l’administration avec l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État. Cela a d’ailleurs été confirmé par la décision du comité du Conseil d’État, qui a considéré que l’arrêt no 2713/2007 avait été exécuté par l’administration (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour estime donc que la requérante ne saurait se plaindre d’un refus de l’administration de se conformer à l’arrêt susmentionné. Il s’ensuit que cette partie du grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Sur l’exception tirée du non-épuisement des voies des recours internes
26. Le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il argue en particulier que l’intéressée aurait pu saisir le comité compétent du Conseil d’État sur la base de la loi no 3068/2002 et se plaindre du prétendu refus de l’administration de se conformer à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel d’Athènes, comme elle l’a fait pour l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État. Le Gouvernement expose que le comité aurait pu ordonner à l’administration de verser à la requérante une indemnité s’il avait constaté que l’inexécution alléguée de l’arrêt no 1958/2011 était injustifiée.
27. Le Gouvernement ajoute que, pour tout dommage matériel ou moral subi en raison de l’inexécution alléguée des arrêts de justice en question, la requérante aurait pu saisir les juridictions administratives d’une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Il argue également que la requérante aurait dû introduire un recours en annulation devant les cours administratives internes à la suite du rejet tacite du ministre de rendre une nouvelle décision.
28. La requérante rétorque qu’elle a saisi à plusieurs reprises les juridictions administratives, en vain.
29. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, entre autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 (avec lequel elle présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI).
30. Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, notamment, les arrêts Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no 198, pp. 11-12, § 27, et Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII).
31. La Cour rappelle également qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de la convaincre que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, qu’il était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).
32. En ce qui concerne l’exception du Gouvernement tirée du non‑exercice du recours interne devant le comité de la loi no 3068/2002, la Cour a déjà eu l’occasion de se pencher sur cette exception dans des affaires soulevant le même type de grief (voir, parmi plusieurs autres, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, §§ 20-21, 21 février 2008, et Panagiotis Gikas et Giorgos Gikas c. Grèce, no 26914/07, §§ 30-31, 2 avril 2009). En l’espèce, elle ne voit pas de raisons de s’écarter des conclusions auxquelles elle est parvenue dans les affaires susmentionnées. Il convient donc de rejeter cette exception.
33. Quant à l’exception du Gouvernement tirée du non-exercice du recours prévu par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour relève que les griefs de la requérante portent sur l’inaction de l’administration, qui aurait omis de prendre les mesures nécessaires pour obtenir une décision motivée. Aux yeux de la Cour, une action en dommages-intérêts, qui aurait visé à obtenir une indemnisation, n’aurait pas pu aboutir à l’adoption par l’administration de la décision sollicitée.
34. Enfin, la Cour considère que l’exception du Gouvernement tirée du non-exercice d’un nouveau recours en annulation à la suite du rejet tacite par le ministre de la demande de la requérante après l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 6 de la Convention, et décide de la joindre au fond.
35. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
36. La requérante se plaint que, alors qu’elle a saisi les juridictions administratives à plusieurs reprises, elle n’a pas encore été réintégrée dans son ancien poste. Elle indique que les cours administratives ont fait droit quatre fois à ses demandes mais que l’administration a refusé de se conformer à ces décisions. Pour la requérante, le placement en liquidation spéciale de la compagnie aérienne Olympic Air, le 2 octobre 2009, n’a pas eu d’incidence sur sa demande de réintégration dans son poste étant donné qu’il a été proposé au personnel de cette compagnie de partir en retraite ou de continuer à travailler dans un autre service public.
37. Le Gouvernement soutient qu’aucune décision judiciaire rendue en l’espèce n’obligeait l’administration à procéder à la réintégration de la requérante à son poste. Il argue également que, eu égard au contenu de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel, l’administration n’avait pas d’obligation de s’y conformer. Il expose que, en tout état de cause, la compagnie aérienne Olympic Air a été placée en liquidation spéciale le 2 octobre 2009 et que les contrats de son personnel ont été résiliés. Par conséquent, selon le Gouvernement, la réintégration de la requérante n’était plus possible. Le Gouvernement ajoute que la situation financière du pays ne permet pas de réintégrer dans leurs fonctions des employés qui, de surcroît, travaillaient dans un service public désormais supprimé.
38. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Buyan et autres c. Grèce, no 28644/08, § 33, 3 juillet 2012). L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’État en la matière (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II). De surcroît, elle souligne l’importance particulière que revêt l’exécution des décisions de justice dans le contexte du contentieux administratif (Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005).
39. En l’espèce, la Cour relève que la requérante tente d’obtenir sa réintégration dans son poste depuis le 21 septembre 1984. Après deux recours en annulation retenues en 1990 et 1996 contre les avis négatifs du comité concernant la restitution de la requérante, le Conseil d’État a, le 27 septembre 2007, annulé pour absence de motivation le rejet tacite du ministre de réintégrer la requérante dans son ancien poste à la suite du troisième avis, positif cette fois, rendu par le comité (paragraphe 8 ci‑dessus). Ensuite, le 17 mars 2009, le ministre a adopté une décision rejetant la demande de réintégration dans son poste au sein de la compagnie Olympic Air formulée par la requérante. Cette décision du ministre a ensuite été annulée par l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel pour absence de motivation suffisante (paragraphe 11 au-dessus).
40. S’agissant de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel, la Cour note que, malgré le fait que la cour d’appel a renvoyé l’affaire à l’administration afin que le ministre se prononce sur la réintégration éventuelle de la requérante, il ressort du dossier que, à ce jour, aucune réponse n’a été donnée à la requérante, même si l’administration était tenue d’examiner de nouveau la demande de l’intéressée. La Cour prend en considération les arguments du Gouvernement selon lesquels la situation financière du pays ne permettrait pas la réintégration de la requérante et la compagnie aérienne est en liquidation spéciale depuis le 2 octobre 2009. Toutefois, elle souligne que l’obligation de l’administration de se conformer à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel n’exigeait pas que la requérante fût réintégrée dans ses fonctions mais que le ministre rendît une décision suffisamment motivée.
41. La Cour note également que rien ne démontre qu’un nouveau recours en annulation contre le rejet tacite du ministre de se conformer à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel permettrait à la requérante d’obtenir le résultat souhaité. En effet, la cour d’appel a renvoyé l’affaire devant l’autorité administrative compétente (paragraphe 11 ci-dessus) et, face à la persistance de celle-ci à ne pas répondre aux démarches répétées de la requérante, la Cour estime que l’intéressée ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’un tel recours produisît le résultat escompté. Par conséquent, la Cour considère que le Gouvernement n’a pas démontré que le recours en annulation constituait en l’espèce un recours adéquat et effectif susceptible de remédier à la situation dont se plaint la requérante.
42. Eu égard aux considérations exposées ci-dessus, la Cour estime que les autorités nationales ont omis de se conformer à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel, privant ainsi l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile. Par conséquent, elle rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut à la violation de l’article 6 de la Convention en ce qui concerne l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
43. La requérante dénonce l’absence en droit grec d’un recours pour contraindre l’administration à se conformer à l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État et à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel. Elle se plaint d’une violation de l’article 13 de la Convention, qui se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles »
44. Le Gouvernement combat cette thèse, soutenant que la requérante n’avait pas en l’espèce de grief « défendable » au sens de cette disposition. À titre accessoire, il se réfère à nouveau aux arguments soulevés dans le cadre de son exception de non-épuisement des voies des recours internes et estime que la procédure prévue par la loi no 3068/2002, un nouveau recours en annulation ou une action en dommages-intérêts étaient des recours par lesquels la requérante aurait pu dénoncer la violation alléguée de l’article 6 de la Convention et obtenir réparation de son préjudice.
45. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 de la Convention fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła, précité, § 157).
46. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle (Dactylidi c. Grèce, no 52903/99, § 47, 27 mars 2003). En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 de la Convention, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).
47. Dans le cas d’espèce, et compte tenu de ses conclusions précitées pour la partie du grief concernant l’arrêt no 2713/2007 du Conseil d’État, la Cour estime que la requérante n’a pas de grief défendable au titre de l’article 13 de la Convention.
48. Au contraire, quant à l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel, en suivant le même raisonnement que celui ayant conduit au rejet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphes 32-34 et 42 ci-dessus), la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis à la requérante d’obtenir l’exécution de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel.
III. AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
49. La requérante soutient dans ses observations qu’elle a subi une violation de ses droits découlant de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. En ce qui concerne le grief tiré de l’article 8 de la Convention, la Cour estime que celui-ci est non étayé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
50. S’agissant du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour observe que celui-ci a été déclaré irrecevable par la vice-présidente de la section siégeant en formation de juge unique et assistée d’un rapporteur, en vertu de l’article 24 § 2 de la Convention, lors de la communication de l’affaire.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
51. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
52. La requérante demande 528 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’elle estime avoir subi. Cette somme correspond selon elle aux salaires qu’elle aurait perçus si elle avait été réintégrée dans son poste. Elle réclame en outre 100 000 EUR au titre du dommage moral qu’elle aurait subi.
53. Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive, hypothétique et non justifiée compte tenu des circonstances de l’affaire, et estime qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. Il soutient que ces circonstances doivent être examinées à la lumière de la situation particulièrement difficile de la Grèce liée à la crise financière que traverse ce pays.
54. La Cour ne voit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée par la requérante à ce titre. En revanche, elle octroie à l’intéressée 5 500 EUR pour dommage moral [1].
B. Frais et dépens
55. La requérante réclame 5 000 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
56. Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et non justifiée. Il ajoute que la requérante ne produit aucun justificatif valable qui aurait prouvé le paiement de la somme en question.
57. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour observe que la requérante ne produit aucun document prouvant le paiement de la somme demandée. Il convient donc de rejeter la demande présentée au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
58. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le recours en annulation soulevée par le Gouvernement et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention concernant la non-exécution par l’administration de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention à raison de la non-exécution par l’administration de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis à la requérante d’obtenir l’exécution de l’arrêt no 1958/2011 de la cour d’appel ;
5. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Armen Harutyunyan
Greffière adjointe Président
[1]. Somme correspondant au minimum prévue par le nouveau tableau en matière de violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’une exécution tardive d’un jugement définitif (pour un retard de plus de 60 mois) multiplié par le coefficient de 65 % pour la Grèce, ainsi que par le coefficient de 0.7, étant donné que l’enjeu de l’affaire était sans connexion substantielle avec la source principale de revenus de la requérante (5460 euros).