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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CITRARO AND MOLINO v. ITALY - 50988/13 (Judgment : Right to life : First Section Committee) French Text [2020] ECHR 403 (04 June 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/403.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2020:0604JUD005098813, [2020] ECHR 403, CE:ECHR:2020:0604JUD005098813

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PREMIÈRE SECTION

 

AFFAIRE CITRARO ET MOLINO c. ITALIE

(Requête no 50988/13)

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2020

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Citraro et Molino c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

          Armen Harutyunyan, président,

          Pere Pastor Vilanova,

          Pauliine Koskelo, juges,

et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 50988/13) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État, M. Santo Citraro et Mme Santa Molino (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 juillet 2013,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’articles 2 et 3 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

notant que le Gouvernement ne s’est pas opposé à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 avril 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La requête concerne le suicide du fils des requérants, détenu en prison au moment des faits, et les obligations positives de l’État au titre de l’article 2 de la Convention. Elle porte également, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, sur le maintien en prison du proche des requérants sans une assistance médicale adéquate.

EN FAIT

2.  Les requérants, M. Santo Citraro et Mme Santa Molino, sont deux ressortissants italiens nés respectivement en 1934 et en 1938 et résidant à Terme Vigliatore. Ils sont les parents de A.C., né le 6 mars 1970 et décédé le 16 janvier 2001. Ils ont été représentés devant la Cour par Me G. Freni, avocat à Messine.

3.  Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et son ancien coagent, Mme M. Aversano.

4.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

I. Le décès de A.C.

5.  Au moment des faits, l e fils des requérants purgeait une peine d’emprisonnement à Augusta. Il ressort du dossier qu’en 1995 il lui avait été diagnostiqué un ensemble de troubles de la personnalité (dramatic cluster [1] ), à savoir des troubles antisocial, « borderline », narcissique, histrionique, obsessionnel compulsif et paranoïde. L’existence de ces pathologies n’avait toutefois pas été jugée incompatible avec l’exécution de la peine. A.C. avait ainsi passé des périodes en prison et d’autres en hôpital psychiatrique. En 1999, il avait été placé en observation à l’hôpital psychiatrique judiciaire (« l’OPG ») de Barcellona Pozzo di Gotto, puis il avait été remis en prison. En 2000, il avait commis des actes d’automutilation, y compris des tentatives de suicide.

6.  Le 14 septembre 2000, les autorités transférèrent A.C. à la prison de Messine afin de lui permettre de participer aux audiences d’un procès qui se déroulaient à l’intérieur de la prison même. Il ressort du dossier que, au cours de son incarcération dans cet établissement, le détenu exprima des plaintes et eut un comportement antisocial, ce qui lui valut d’être soumis à des périodes d’observation psychiatrique et à des procédures disciplinaires.

7.  Le 3 janvier 2001, A.C. fut placé dans le quartier pénitentiaire « sosta » car il avait déclaré aux agents pénitentiaires qu’il craignait pour sa vie. Le même jour, il demanda à ne pas rencontrer d’autres détenus et à être transféré dans un autre établissement. Le 5 janvier 2001, A.C. revint sur ses déclarations et indiqua qu’il voulait assister aux audiences du procès mais souhaitait rester à l’écart des autres détenus. De ce fait, il fut laissé dans le quartier pénitentiaire « sosta ».

8.  Également le 5 janvier 2001, un agent pénitentiaire nota que A.C. présentait un saignement au niveau de la gorge, et il demanda en conséquence de l’aide aux médecins de la prison, lesquels constatèrent que le détenu s’était infligé une coupure au cou.

9.  Le 6 janvier 2001, A.C. commit un autre acte d’automutilation en se blessant à l’avant-bras gauche. Le médecin de la prison, qui l’examina, suggéra à la direction de l’établissement pénitentiaire de placer l’intéressé dans une cellule dépourvue d’objets et de le soumettre à une « grande surveillance » (grande sorveglianza), c’est-à-dire à une surveillance à des intervalles fréquents. Le psychiatre, qui visita lui aussi A.C., prescrivit à ce dernier une thérapie médicamenteuse et suggéra à la direction pénitentiaire de placer le détenu sous « surveillance à vue » (sorveglianza a vista), c’est‑à‑dire sous surveillance ininterrompue. A.C. refusa la thérapie.

10.  Le même jour, la directrice de la prison décida de placer A.C. sous « surveillance à vue ».

11.  Le 8 janvier 2001, le psychiatre examina à nouveau A.C. Ayant constaté la persistance des symptômes (l’intéressé se sentait persécuté et avait une tendance à tout soupçonner) et le refus du détenu de suivre la thérapie, il proposa le placement en urgence de A.C. en OPG pour une période d’observation.

12.  Le médecin de la prison transmit un rapport à la direction de l’établissement. Il y faisait état des actes d’automutilation commis par A.C. les 5 et 6 janvier 2001 et du refus de l’intéressé de se soumettre à la thérapie pharmacologique préconisée par le psychiatre. Il rappelait en outre la recommandation de transfert en urgence de A.C. en OPG, faite par le même psychiatre.

13.  Le 9 janvier 2001, la directrice de la prison demanda au juge d’application des peines (magistrato di sorveglianza) de Messine d’ordonner le transfert du requérant en OPG.

14.  Le même jour, le psychiatre revit A.C. et proposa à la direction de la prison d’abaisser le niveau de surveillance, à savoir de remplacer la « surveillance à vue » du détenu par une « grande surveillance ». La directrice de la prison décida d’annuler la « surveillance à vue » ; toutefois, elle opta pour un niveau de surveillance supérieur à celui proposé par le psychiatre, à savoir une « très grande surveillance » (grandissima sorveglianza con blindo aperto) sur 24 heures, prévoyant que la porte blindée (blindo) serait ouverte toute la nuit et la grille fermée.

15.  Le 11 janvier 2001, A.C. se mit en colère en raison d’une absence de contacts avec sa famille, à la suite de quoi une visite de ses parents fut organisée le surlendemain.

16.  Le 12 janvier 2001, la directrice de la prison de Messine adressa au ministère de la Justice la demande de placement de A.C. en OPG, accompagnée de la décision du juge d’application des peines de Messine y afférente, datée du même jour. Dans sa décision, le juge avait ordonné la soumission de A.C. à la période maximale d’observation psychiatrique, à savoir trente jours, à l’endroit que le ministère désignerait.

17.  Le 13 janvier 2001, A.C. demanda, en vain, à voir son avocat. Il s’emporta, détruisit les objets équipant sa cellule et se barricada à l’intérieur de celle-ci à l’aide de morceaux de bois provenant d’un balai, du câble du téléviseur, de lacets de chaussures, de draps et d’autres matériaux fixés à la grille de la porte. Un des gardiens du quartier « sosta » constata que le fils des requérants menaçait de se servir du pied de la table se trouvant dans sa cellule, dont il s’était emparé, contre quiconque s’approcherait de celle-ci. L’intéressé refusa d’ouvrir la porte, affirmant vouloir se protéger de toute agression venant de l’extérieur, et il dit à deux gardiens que c’était « [s]a tête qui lui faisait dire ça » (sic). Le chef des agents pénitentiaires fut informé de ces événements.

18.  Le 14 janvier 2001, deux autres gardiens de la prison constatèrent que A.C. avait mis hors service l’éclairage de la cellule, de sorte qu’il était nécessaire d’utiliser une lampe torche pour voir à l’intérieur de celle-ci.

19.  Le 15 janvier 2001, des gardiens découvrirent que A.C. avait détaché les néons de sa cellule et fermé les volets de la fenêtre. Ils constatèrent ce qui suit : l’intéressé était dans le noir absolu, et, pour vérifier ce qui se passait, il fallait éclairer la cellule avec des lampes torches ; le sol de la cellule était recouvert de liquide ; et le détenu lançait des objets et des seaux d’eau à ceux qui voulaient entrer. Le psychiatre examina à nouveau A.C. Ayant constaté son état et les conditions régnant dans la cellule, il réitéra la demande de transfert d’urgence à l’OPG.

La psychologue de la prison tenta, en vain, de parler à A.C. et en informa la directrice. Cette dernière apprit que A.C. s’était barricadé depuis le 13 janvier 2001. Elle décida de s’approcher de la cellule de A.C. et de l’autoriser exceptionnellement à s’entretenir avec son avocat en cellule.

Après avoir conversé avec son client, l’avocat de A.C. informa la direction de la prison que ce dernier était en colère et avait causé des dégâts dans la cellule en raison de son absence de transfert à l’hôpital et qu’il refusait les médicaments et la nourriture. Après le départ de son avocat, A.C. aurait vraisemblablement retiré les obstacles qui entravaient l’entrée dans sa cellule.

20.  Le même jour, et bien qu’aucun élément en ce sens n’eut été reporté dans le dossier médical de l’intéressé, ce dernier aurait repris son traitement pharmacologique.

21.  Le 16 janvier 2001, A.C. passa la journée au calme dans sa cellule. Vers 19 h 15, un gardien le retrouva pendu au moyen du drap du lit à la grille de la cellule. Lorsque le personnel de la prison réussit à pénétrer dans la cellule pour fournir les premiers soins à A.C., celui-ci ne réagit pas. Le détenu fut transporté d’urgence à l’hôpital civil, où son décès fut constaté à son arrivée.

22.  Quelques instants plus tôt, à 19 h 05, la prison de Messine avait reçu l’autorisation du ministère de la Justice de transférer A.C. à l’OPG de Barcellona Pozzo di Gotto, conformément à la décision du 12 janvier 2001 du juge d’application des peines de Messine.

II. La procédure pénale avec constitution de partie civile

A.    L’enquête pénale

23.  Immédiatement après le décès de A.C., une enquête fut ouverte par le parquet de Messine et huit personnes furent mises en examen : la directrice de la prison, le psychiatre et six gardiens de l’établissement carcéral.

24.  De même, un expert chargé de procéder à une autopsie du corps de A.C. fut aussitôt désigné par le ministère public de Messine. Le résultat de celle-ci confirma qu’il s’agissait d’un décès par pendaison, vraisemblablement d’un suicide, survenu le 16 janvier 2001 dans la cellule no 2 du quartier pénitentiaire « sosta ».

25.  En outre, il fut procédé à l’interrogatoire du chef des agents pénitentiaires. Celui-ci déclara que, le 16 janvier 2001, un agent de service avait vu A.C. vers 17 h 50 dans un état plutôt calme, qu’il avait ensuite effectué d’autres contrôles et qu’à 19 h 15 le détenu avait été retrouvé pendu.

26.  Au cours de l’enquête, différents actes furent réalisés, dont l’audition de plusieurs personnes (en particulier des membres du personnel médical et des agents pénitentiaires ; paragraphes 27 à 29 ci-dessous), ce qui ressort d’un rapport d’enquête établi par les carabinieri le 28 février 2001 (en application de l’article 373 du code de procédure pénale).

27.  Ainsi, au cours de son audition, le psychiatre remplaçant, qui avait suivi A.C. en janvier 2001, déclara avoir vu l’intéressé le 6 janvier 2001 pour la première fois, à la suite des actes d’automutilation commis par ce dernier. Il indiqua ce qui suit : A.C. n’avait pas apprécié son placement dans le quartier « sosta » car celui‑ci était réputé pour accueillir les personnes qui collaboraient avec la justice (collaboratori di giustizia) - ce que l’intéressé n’était pas –, et il s’inquiétait de la réaction des autres détenus ; il soupçonnait tout le monde et avait des pulsions auto-agressives ; et il avait refusé de se soumettre à la thérapie médicamenteuse. Le psychiatre poursuivit en précisant que, de ce fait, le 8 janvier 2001, il avait adressé à la direction une demande de transfert en urgence du détenu à l’OPG, que, le 9 janvier 2001, il avait revu A.C. et l’avait rassuré en lui disant qu’il avait demandé son transfert, et que, voyant que l’intéressé était calme et semblait satisfait, il avait alors proposé d’abaisser le niveau de surveillance. Il ajouta que le 15 janvier 2001, à 13 h 25, il avait entendu des cris de A.C., provenant de sa cellule, qu’il s’était alors approché et avait constaté des dégâts dans celle-ci, que la lumière était éteinte, que les volets de la fenêtre étaient fermés et que la grille de la porte était bloquée avec la ceinture d’un peignoir.

28.  Pour sa part, le médecin responsable de la prison déclara ce qui suit lors de son audition : le 16 janvier 2001, en fin d’après-midi, il avait entendu des cris de secours provenant du quartier « sosta » ; il s’y était immédiatement rendu, accompagné d’un autre médecin, et avait constaté que le corps de A.C. gisait sur le sol de la cellule ; son collègue et lui avaient tenté de réanimer le détenu, qui, à première vue, présentait des lésions typiques d’une pendaison ; à l’examen, A.C. était aréflexique, ses pupilles ne réagissaient pas à la lumière et son pouls périphérique était absent, ce qui laissait à penser que l’intéressé était mort ; cependant, étant donné que la température et la rigidité du corps étaient normales, il fut décidé de transférer le détenu à l’hôpital. Au cours de son interrogatoire, un autre médecin déclara qu’à l’arrivée des secours la cellule n’était pas assez éclairée et que, d’après ses estimations, les premiers secours avaient été portés dix à quinze minutes après le début du passage à l’acte suicidaire.

29.  S’agissant des agents pénitentiaires présents au moment des faits, l’un d’entre eux déclara que les opérations de secours avaient été difficiles à cause du manque de lumière dans la cellule : selon lui, les néons, qui étaient posés dans un coin de la cellule, avaient auparavant été rendus inutilisables par le détenu lui-même. Un autre agent déclara que, le 14 janvier 2001, le proche des requérants s’était déjà barricadé dans sa cellule et que cette information était remontée jusqu’au responsable de la surveillance.

30.  En sus des actes d’enquête susmentionnés, tels que relatés dans le rapport des carabinieri, les autorités réalisèrent d’autres actes, parmi lesquels l’interrogatoire des personnes mises en examen et l’audition des requérants.

Ainsi, l’agent C - l’un des individus mis en examen - fut entendu à deux reprises, les 13 février et 30 juillet 2001. À ces occasions, il déclara ce qui suit : il avait effectué un contrôle de la cellule de A.C. vers 16 h 30 et avait vu l’intéressé allongé sur son lit ; il avait constaté qu’il n’y avait pas de lumière dans la cellule et que celle-ci présentait d’importants dégâts ; à 18 heures, A.C. lui ayant demandé un café, il s’était absenté une dizaine de minutes pour aller le lui chercher ; vers 19 h 15, il avait entendu un appel au secours provenant de l’agent en service dans le quartier pénitentiaire « sosta » ; il s’était rendu sur place et avait alors constaté que A.C. était pendu aux barres supérieures de la grille de la cellule ; après être rentrés dans la cellule, ses collègues et lui avaient allongé le détenu sur le lit ; immédiatement après, les médecins étaient arrivés et A.C. avait été transféré à l’hôpital.

31.  L’agent G, également mis en examen, déclara ce qui suit : le 16 janvier 2001, à 14 heures, à la fin de sa permanence, il avait recommandé à son collègue, l’agent C, de veiller tout particulièrement sur A.C. ; vers 17 h 50, l’agent C avait appelé un autre collègue, l’agent L - lui aussi mis en examen –, pour pouvoir faire une pause ; l’agent L était resté de 18 h 05 à 18 h 15 dans le quartier « sosta », et, dans cet intervalle, A.C. avait fumé une cigarette et demandé un café ; selon les déclarations de l’agent L, celui‑ci avait effectué un autre contrôle à 19 heures et à ce moment-là A.C. était en train de fumer une cigarette ; à 19 h 15, A.C. fut retrouvé pendu.

32.  Quant aux requérants, lors de leur audition, en date du 1er février 2001, ils déclarèrent avoir demandé à l’administration pénitentiaire, le 13 janvier 2001, le placement de leur fils dans un autre établissement car ils craignaient pour sa vie.

33.  En plus de ces interrogatoires, les autorités compétentes réalisèrent d’autres actes d’enquête.

Ainsi, sur ordre du parquet de Messine, il fut procédé, le 17 janvier 2001, à l’inspection de la cellule occupée par A.C. À l’issue de cette mesure, les deux agents pénitentiaires en charge de celle-ci indiquèrent en particulier, dans leur rapport, qu’une partie du mobilier avait été détruite, notamment le lit, le lavabo, la table à manger, le plafonnier, le plateau du téléviseur et les vitres de la fenêtre. De même, une deuxième inspection fut conduite, le 26 janvier 2001, par les carabinieri, toujours sur ordre du procureur de la République de Messine.

34.  En outre, les enquêteurs mirent la main sur les enregistrements vidéo des caméras de surveillance, dont la direction de la prison avait omis de signaler l’existence. Après une mise sur écoute des agents pénitentiaires, il s’avéra que ceux-ci avaient reçu la consigne de la directrice de la prison de ne pas mentionner l’existence de ces cassettes. Par ailleurs, il fut établi que quatre minutes d’enregistrement manquaient sur l’une des cassettes.

35.  Enfin, au cours de l’enquête, le ministère de la Justice ordonna des inspections à la prison de Messine. Une première inspection eut lieu en 2001, laquelle ne révéla aucun élément particulier. Une deuxième inspection fut mise en œuvre en 2002, dans le cadre de laquelle une commission fut mandatée et chargée de rédiger un rapport sur la prison de Messine.

Dans ce document, la commission ministérielle formulait des critiques à l’égard de la direction de la prison, en particulier le chef des agents pénitentiaires, jugé totalement incompétent par rapport au poste occupé, et la directrice de l’établissement carcéral, décrite comme inattentive aux problèmes réels de la prison, et elle proposait le remplacement de ceux-ci.

S’agissant du suicide du fils des requérants, les résultats de l’inspection indiquaient que les antécédents de A.C. avaient été sous-estimés et qu’il y avait donc eu une inattention de la part de la direction. En particulier, la commission ministérielle critiquait la décision de remplacer la « surveillance à vue », de nature permanente, par une surveillance à intervalles fréquents, tout en précisant que ce choix était peut-être justifié par un manque de personnel. De plus, elle considérait que le fait que le proche des requérants avait érigé une barricade dans sa cellule démontrait la nécessité de maintenir la « surveillance à vue » et qu’il était difficile de comprendre comment se conciliait la demande de transfert « urgent » en OPG avec la révocation de la « surveillance à vue ». Elle mentionnait que, s’il était vrai que le psychiatre avait proposé d’abaisser le niveau de surveillance, l’avis de ce spécialiste n’était pas contraignant. En outre, elle estimait que la direction de la prison aurait pu adopter une mesure exceptionnelle, consistant en le retrait des draps. Elle relevait aussi que la directrice de la prison semblait avoir examiné le dossier de A.C. seulement après sa mort.

B.     Le renvoi en jugement des personnes mises en examen

36.  Le 21 octobre 2003, le ministère public demanda le renvoi en jugement de la directrice de la prison et des agents pénitentiaires mis en examen. La directrice et l’agent L étaient soupçonnés de ne pas avoir empêché le suicide de A.C. Trois des gardiens - les agents C, G et L - étaient soupçonnés d’avoir aidé la directrice à dissimuler l’existence des enregistrements vidéo effectués dans les couloirs de la prison et à entraver le cours de la justice. L’agent L était également mis en cause pour ne pas avoir surveillé efficacement A.C.

37.  Les requérants se constituèrent parties civiles dans la procédure le 8 novembre 2004. Dans le cadre de leur demande, ils mettaient en cause le comportement des autorités, leur reprochant de ne pas avoir pris de mesures aptes à prévenir le suicide de leur fils et de l’avoir laissé sans assistance médicale en cellule alors que son état de santé aurait nécessité une hospitalisation d’urgence.

38.  Le 15 février 2005, le juge des investigations préliminaires de Messine renvoya les personnes mises en examen en jugement.

39.  Le procès du psychiatre, accusé de ne pas avoir empêché le suicide de A.C., se déroula parallèlement, dans le cadre d’une procédure abrégée (rito abbreviato).

C.    Les décisions rendues dans la procédure

40.  Par un jugement du 17 octobre 2005, le juge d’instance de Messine acquitta le psychiatre. En particulier, s’agissant de l’accusation portée contre ce dernier de ne pas avoir pris en compte de manière adéquate la situation de A.C. et d’avoir ensuite suggéré une réduction du niveau de surveillance, le juge estima, après avoir analysé le comportement du psychiatre, que l’omission alléguée n’avait pas de lien de causalité avec la mort de A.C. Il releva ainsi que le psychiatre avait rencontré A.C., d’abord le 6 janvier 2001, et suggéré la « surveillance à vue », puis le 9 janvier 2001, et alors apprécié l’amélioration des conditions de A.C. et invité en conséquence la direction de la prison à réduire le niveau de surveillance. Le juge conclut que le comportement du psychiatre ne pouvait pas être remis en cause, au motif que, entre sa dernière visite et le suicide, A.C. « aurait dû être surveillé par les gardiens sur la base des instructions que le responsable de la sécurité personnelle des détenus aurait dû donner à [ces agents] ».

41.  Par un jugement du 13 décembre 2007, le juge d’instance de Messine acquitta la directrice de la prison et les autres prévenus.

42.  S’agissant de l’heure de la découverte du corps de A.C., le juge la déduisit à partir de l’enregistrement vidéo effectué par les caméras à proximité de la cellule du détenu. Il releva ainsi que les images enregistrées montraient trois personnes apparaître à l’écran à 19 h 19 et l’une d’entre elles se mettre à courir en direction de la cellule de A.C., cette même personne revenir en courant à 19 h 23 et, enfin, plusieurs personnes, dont une en blouse blanche, apparaître à l’écran à 19 h 29. Le juge considéra qu’il était donc raisonnable d’estimer que la découverte du corps avait eu lieu vers 19 h 19, et il nota que l’autopsie avait confirmé que le décès par pendaison était survenu vers 19 heures.

43.  Le juge constata que la directrice de la prison n’avait pas mentionné l’existence du système de vidéosurveillance et que quatre minutes (entre 18 h 34 et 18 h 38) de l’enregistrement vidéo effectué par les caméras dans le couloir près de la cellule de A.C. manquaient. Il nota qu’il fallait toutefois prendre en compte le fait qu’aucune caméra de surveillance ne filmait l’intérieur des cellules et que les images concernaient uniquement le couloir extérieur à la cellule. Par conséquent, il estima que, à supposer que le film eût été complet, le moment du passage à l’acte suicidaire n’aurait de toute façon pas pu être enregistré. Il releva que, même si la directrice de la prison n’avait pas eu une conduite irréprochable et même si elle n’avait pas pleinement collaboré avec les enquêteurs, elle n’avait commis aucune infraction pénale puisqu’elle avait remis les cassettes aux autorités judiciaires à leur demande et que rien ne prouvait que les quatre minutes litigieuses avaient été effacées. Il indiqua de plus que les minutes manquantes n’étaient pas importantes car le fils des requérants avait été vu encore en vie vers 19 heures, soit après la coupure du film, par un agent pénitentiaire.

44.  Ensuite, le juge considéra que le suicide de A.C. n’était pas prévisible pour les motifs suivants : la directrice de la prison avait ordonné la levée de la « surveillance à vue » sur la base de l’avis du psychiatre, aussi cette décision ne pouvait-elle lui être reprochée ; il ne pouvait pas non plus lui être reproché de ne pas avoir ordonné le placement du détenu dans une cellule dépourvue d’objets, car les draps auraient vraisemblablement été laissés en place ; la directrice de la prison ne pouvait pas non plus être critiquée pour sa décision de ne pas intervenir par la force pour enlever la barricade que A.C. avait érigée à l’intérieur de sa cellule, car cette décision n’était pas en rapport avec le décès du jeune homme. À ce sujet, le juge nota que, étant donné l’impossibilité d’appliquer la contention physique en prison, le fils des requérants n’aurait pas pu être attaché même si le personnel pénitentiaire avait pu s’approcher de lui une fois la barricade démontée. Il nota aussi que, en tout état de cause, après avoir reçu la visite de son avocat le 15 janvier 2001, le détenu avait lui-même retiré les obstacles qui entravaient l’entrée dans la cellule et que, le lendemain, les agents pénitentiaires avaient pu librement pénétrer dans la cellule jusqu’à peu de temps avant le suicide.

45.  Quant à la question de savoir si la « surveillance à vue » aurait empêché le suicide, le juge constata que cette mesure était réservée aux personnes ayant des tendances suicidaires et que, en l’occurrence, A.C. n’avait commis que « quelques actes d’automutilation ». En outre, il rappela que, dans le cadre de la « très grande surveillance », il était prévu une observation poussée du détenu concerné tant par le personnel de sécurité que par l’équipe sanitaire, qui devait visiter fréquemment l’intéressé et avoir avec celui-ci un contact direct afin de déterminer son état et les conditions régnant dans la cellule.

46.  Le juge estima que la « très grande surveillance » à laquelle A.C. avait été soumis à compter du 9 janvier 2001 convenait parfaitement à la situation en cause. Il considéra que la fréquence des contrôles, de même que le suivi assuré par le psychiatre, qui au demeurant aurait dû être quotidien, était apte à empêcher le suicide du détenu. À cet égard, il nota que les actes d’automutilation litigieux n’étaient pas très importants et ne laissaient pas présager un danger de suicide concret et imminent, et que les 15 et 16 janvier 2001 A.C. semblait être coopératif et aurait pris ses médicaments.

47.  S’agissant des défaillances dans la surveillance du détenu qui étaient reprochées à l’agent L, le juge reconnut celui-ci non coupable au motif qu’aucune négligence n’avait été constatée. Pour se prononcer ainsi, il tint le raisonnement suivant. D’une part, la mesure de la « très grande surveillance » que l’agent L devait appliquer ne prévoyait pas l’obligation d’être en permanence à proximité de la cellule du détenu, et la fréquence des contrôles n’était pas spécifiée. D’autre part, l’assertion selon laquelle il n’y avait pas eu de contrôle dans la demi-heure qui avait précédé le suicide du détenu n’était pas vérifiable à l’aide des enregistrements vidéo des caméras de surveillance. En effet, les images avaient cessé d’être filmées dans cette partie de la prison à 18 h 47 et les enregistrements n’avaient repris qu’à 19 h 15, soit après le suicide.

48.  À la suite de l’acquittement, par le juge d’instance de Messine, de la directrice de la prison et des autres personnes mises en examen, la procédure disciplinaire qui avait été ouverte après le renvoi en jugement fut également clôturée.

49.  Les requérants interjetèrent appel du jugement susmentionné. Dans leur recours, ils alléguaient que le juge unique n’avait pas statué sur les questions civiles, relatives aux préjudices matériel et moral subis en raison du décès de leur fils. Le ministère public ne fit pas appel.

50.  Par un arrêt du 15 novembre 2010, la cour d’appel de Messine rejeta l’appel des requérants.

51.  Les requérants se pourvurent en cassation.

52.  Par un arrêt du 10 mai 2012, déposé au greffe le 11 février 2013, la Cour de cassation débouta les requérants de leur pourvoi.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

I. Le droit interne

53.  Selon les dispositions internes applicables en la matière, les soins psychiatriques peuvent être dispensés par du personnel spécialisé appartenant au service de santé de la prison (article 17 du décret du président de la République (DPR) no 230 du 30 juin 2000) ou par des médecins extérieurs à l’établissement carcéral (article 80 de la loi sur l’administration pénitentiaire).

L’article 112 du DPR no 230/2000 prévoit que le juge peut, d’office ou sur signalement du directeur de la prison, demander le dépistage d’une infirmité psychique chez un détenu. Si l’examen doit être effectué dans un établissement externe, la période d’observation ne peut pas dépasser trente jours.

54.  Les hôpitaux psychiatriques judiciaires (« les OPG ») ont été fermés définitivement le 31 mars 2015, en application des lois no 9 du 17 février 2012 et no 81 du 30 mai 2014.

II. Les textes du Conseil de l’Europe

A.    Le Comité des Ministres

55.  Le 12 février 1987, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes [2], en vigueur au moment des faits. Les Règles pénitentiaires européennes font état des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les États sont encouragés à s’inspirer de ces règles dans l’élaboration de leurs législations et de leurs politiques et à en assurer une large diffusion auprès de leurs autorités judiciaires, ainsi qu’auprès du personnel pénitentiaire et des détenus. En particulier, les règles pertinentes en l’espèce étaient ainsi libellées :

« 30. 1. Le médecin est chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus. Il doit voir, dans les conditions et suivant la fréquence qu’imposent les normes hospitalières, tous les détenus malades, tous ceux qui signalent être malades, blessés, et tous ceux sur lesquels son attention est particulièrement attirée.

2. Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale a été ou sera défavorablement affectée par la prolongation ou par une modalité quelconque de la détention.

31. (...) 2. Le directeur doit prendre en considération les rapports et conseils du médecin visés aux règles 30, paragraphe 2, et 31, paragraphe 1, et, en cas d’accord, prendre immédiatement les mesures voulues pour que ces recommandations soient suivies; en cas de désaccord ou si la matière n’est pas de sa compétence, il transmettra immédiatement ses propres commentaires et le rapport médical à l’autorité supérieure.

32. Les services médicaux de l’établissement doivent s’efforcer de dépister et de traiter toutes les maladies physiques ou mentales, ou de corriger les défauts susceptibles de compromettre la réinsertion du détenu après sa libération.

À cette fin, il doit être fourni au détenu tous les soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques nécessaires, y compris ceux qui sont dispensés à l’extérieur.

(...) »

56.  Le 8 avril 1998, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire. Le chapitre D du titre III est dédié aux symptômes psychiatriques, troubles mentaux et troubles graves de la personnalité ainsi qu’au risque de suicide. En particulier, il prévoit que :

« 55. Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La décision d’admettre un détenu dans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l’autorisation des autorités compétentes.

56. Dans les cas où l’isolement cellulaire des malades mentaux ne peut être évité, celui-ci devrait être réduit à une durée minimale et remplacé dès que possible par une surveillance infirmière permanente et personnelle.

57. Dans des situations exceptionnelles, s’agissant de malades souffrant de troubles mentaux graves, le recours à des mesures de contrainte physique peut être envisagé pendant une durée minimale correspondant au temps nécessaire pour qu’une thérapie médicamenteuse déploie l’effet de sédation attendu.

58. Les risques de suicide devraient être appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Suivant le cas, si des mesures de contrainte physique conçues pour empêcher les détenus malades de se porter préjudice à eux-mêmes ont été utilisées, une surveillance étroite et permanente et un soutien relationnel devraient être utilisés pendant les périodes de crise »

B.     Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

57.  En juin 1993, le CPT a publié son 3e Rapport général, intitulé «Les services médicaux en prison», où il préconise en particulier ce qui suit :

« 43. Un détenu malade mental doit être pris en charge et traité dans un milieu hospitalier équipé de manière adéquate et doté d’un personnel qualifié. Cette structure pourrait être soit un hôpital psychiatrique civil, soit une unité psychiatrique spécialement équipée, établie au sein du système pénitentiaire.

(...)

Quelle que soit l’option prise, la capacité d’accueil de l’unité psychiatrique doit être suffisante. Il existe trop souvent un délai d’attente prolongé lorsqu’un transfert est devenu nécessaire. Le transfert de la personne en question dans une unité psychiatrique doit être considéré comme une question hautement prioritaire. ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

58.  Sur le terrain de l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent que les autorités nationales n’aient pas pris les mesures suffisantes pour prévenir le suicide de leur fils. Toujours sur le terrain du même article, ils critiquent l’enquête menée sur les circonstances de la mort de leur fils et les responsabilités dans ce décès en ce qu’elle n’aurait pas été conforme aux obligations de nature procédurale de cette disposition, qui est ainsi libellée en ses parties pertinentes :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

59.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.    Sur la recevabilité

60.  Le Gouvernement excipe d’un défaut manifeste de fondement de la requête. Les arguments qu’il formule à ce sujet se confondent avec ses observations sur le fond.

61.  Aussi la Cour examinera-t-elle la globalité des observations du gouvernement défendeur dans son analyse sur le fond.

62.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Sur l’obligation de protéger la vie du proche des requérants

a)      Thèse des parties

63.  Les requérants soutiennent que les autorités internes ont failli, par manque de précautions et par négligence, à adopter les mesures nécessaires et adéquates propres à empêcher le suicide de leur fils. Ils renvoient, entre autres, au rapport d’inspection de la commission du ministère de la Justice de 2002 (paragraphe 35 ci-dessous), dont il résulte, selon eux, que le geste fatal de leur proche aurait pu être évité. Ils affirment que les troubles psychiques de leur fils étaient bien connus des différents acteurs concernés, ce qui, à leur avis, aurait dû inciter la direction de la prison à adopter des mesures raisonnables et appropriées à la situation. En particulier, les requérants reprochent aux autorités de ne pas avoir adapté le niveau de surveillance aux circonstances.

64.  Le Gouvernement réplique que le grief est manifestement mal fondé. Il expose que les autorités ont pris toutes les mesures envisageables pour prévenir le risque de suicide.

65.  Tout d’abord, il indique que les autorités étaient conscientes des troubles de la personnalité de A.C. et qu’une prise en charge avait été assurée. Précisant que l’état de santé du proche des requérants avait été jugé compatible avec la détention, il estime que les autorités pénitentiaires ont agi avec diligence et répondu de manière adéquate aux signaux de détresse de A.C. Ainsi, les séances avec le psychiatre, l’adoption des différentes mesures de surveillance, le choix de ne pas forcer la barricade érigée par l’intéressé, de même que la célérité - alléguée par le gouvernement défendeur - dans le traitement de la demande de transfert vers l’OPG, prouveraient l’attention portée à la situation litigieuse ainsi que le respect des obligations découlant de l’article 2 de la Convention.

66.  Par ailleurs, le Gouvernement met en avant le fait que les tribunaux internes ont acquitté les prévenus, en particulier la directrice de la prison. Il expose ce qui suit : les juridictions nationales ont estimé que le comportement de l’intéressée ne dénotait pas un manque de diligence de sa part au regard de la situation ; les tribunaux ont en effet relevé que la directrice de la prison avait prescrit un suivi psychiatrique et thérapeutique de A.C., que lorsque celui-ci s’était retranché à l’intérieur de sa cellule elle avait refusé d’ordonner aux agents pénitentiaires d’en forcer l’entrée afin d’éviter des réactions impulsives de ce dernier, et qu’elle avait ensuite décidé d’abaisser le niveau de surveillance en se fondant sur l’avis du psychiatre, qui attestait une diminution des signes d’agitation du détenu.

67.  En ce qui concerne les autres aspects contestés, le Gouvernement indique que la demande d’hospitalisation a été traitée en urgence et il réfute la thèse de l’existence d’un lien de causalité entre le défaut de transfert de A.C. dans une autre cellule et son suicide. Il soutient qu’un éventuel transfert n’aurait pu empêcher le passage à l’acte.

68.  Enfin, le Gouvernement invite la Cour à ne pas prendre en compte le rapport d’inspection de la commission ministérielle de 2002, au motif qu’il avait trait à une inspection générale de la prison, et non pas au suicide de A.C.

b)      Appréciation de la Cour

69.  La Cour rappelle que la présente affaire engage la responsabilité de l’État sur le terrain de l’article 2 de la Convention dans la mesure où cette disposition astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 89, CEDH 2001‑III).

70.  Elle rappelle aussi, comme elle l’a fait dans le récent arrêt rendu en l’affaire Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC] (no 78103/14, §§ 110 et suiv., 31 janvier 2019), que l’obligation qui pèse sur les autorités de protéger la vie d’une personne privée de liberté est établie dès lors que celles-ci savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat de voir la personne concernée attenter à ses jours. Pour caractériser un manquement à cette obligation, il faut ensuite démontrer que les autorités ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute paré à ce risque.

71.  Quant à l’établissement des faits entourant la question de savoir si les autorités étaient au courant de l’existence d’un risque réel et immédiat pour la vie de l’individu concerné ou auraient dû l’être, la Cour devra prendre en compte un certain nombre de facteurs (Fernandes de Oliveira, précité, § 115), en particulier les antécédents de troubles mentaux et la gravité de la maladie affectant l’intéressé, la commission d’actes d’automutilation et de tentatives de suicide, les gestes et pensées suicidaires ou les signes de détresse physique ou mentale.

72.  En l’occurrence, la Cour note, à titre préliminaire, qu’en raison de sa privation de liberté et de ses troubles mentaux A.C. était particulièrement vulnérable (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 75, 6 décembre 2011, et Renolde c. France, no 5608/05, § 84, CEDH 2008 (extraits)).

73.  Ensuite, la Cour observe qu’avant son arrivée à la prison de Messine A.C. avait été placé à plusieurs reprises en OPG pour des périodes d’observation. Le proche des requérants avait été diagnostiqué comme souffrant d’un ensemble de troubles de la personnalité qualifié de « dramatic cluster », caractérisé entre autres par un comportement « borderline ». Toujours avant son arrivée à la prison de Messine, A.C. avait commis des tentatives de suicide et des actes d’automutilation (paragraphe 5 ci-dessus). Son dossier médical faisait ainsi état de ses troubles mentaux et de sa vulnérabilité (voir, a contrario, Isenc c. France, no 58828/13, § 38, 4 février 2016, § 39).

74.  La Cour relève d’ailleurs que le gouvernement défendeur, dans ses observations (paragraphe 65 ci-dessus), indique expressément que les autorités italiennes étaient au courant de l’état de santé du fils des requérants et qu’à partir de son arrivée à la prison de Messine elles ont mis en place une prise en charge spécifique.

75.  La Cour estime que le risque de suicide de A.C., en plus d’être réel, était aussi immédiat. Il suffit, en effet, de se référer à la dégradation progressive de l’état mental de A.C. à partir de son arrivée à la prison de Messine, notamment à compter du 3 janvier 2001 et jusqu’au jour de son décès, treize jours plus tard (paragraphes 7 et suivants ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Keenan, précité, § 96, et Ketreb c. France, no 38447/09, § 83, 19 juillet 2012).

76.  En conclusion, la Cour est convaincue que les autorités avaient connaissance qu’il y avait un risque réel et immédiat que A.C. pût commettre des actes d’auto-agression et attenter fatalement à ses jours.

77.  Reste à savoir si les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir le risque de suicide, étant entendu qu’il convient d’interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, et que, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation (voir, parmi beaucoup d’autres, Fernandes de Oliveira, précité, § 111).

78.  Concrètement, il suffit que le requérant démontre que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour la vie dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance (Isenc, précité, § 38, avec la jurisprudence citée).

79.  S’agissant des mesures adoptées par les autorités dans la présente affaire, la Cour ne saurait nier que ces dernières ont mené certaines actions pour assurer la protection de la vie de A.C.

80.  En effet, on peut noter que, le 3 janvier 2001, l’administration carcérale a répondu à la demande de transfert de A.C. lorsque celui-ci a affirmé craindre pour sa vie dans la cellule où il se trouvait. L’intéressé a alors été transféré sans délai dans une cellule individuelle dans le quartier pénitentiaire « sosta » (paragraphe 7 ci-dessus).

81.  Ensuite, lorsque les premiers épisodes d’auto-agression ont été observés, respectivement le 5 janvier 2001 (paragraphe 8 ci-dessus) et le 6 janvier 2001 (paragraphe 9 ci-dessus), A.C. a été examiné par le psychiatre de la prison, qui lui a prescrit une thérapie médicamenteuse. Ce spécialiste a aussi suggéré la mise en place d’un contrôle plus poussé du détenu, à savoir la « surveillance à vue », le niveau maximal de surveillance. Le même jour, la direction de la prison a entériné l’avis du psychiatre et appliqué ladite mesure (paragraphe 10 ci-dessus).

82.  Cela étant, la Cour remarque l’existence de plusieurs éléments témoignant d’un défaut de diligence de la part des autorités.

83.  Tout d’abord, elle relève que douze jours se sont écoulés entre les épisodes d’auto-agression et l’autorisation du transfert de A.C. vers un OPG (paragraphe 12 ci-dessus). Elle estime qu’un tel délai ne saurait passer pour compatible avec le caractère urgent du transfert en OPG, dont le rapport du médecin faisait état.

84.  Un autre élément qu’il y a lieu de mettre en évidence concerne la décision, prise le 9 janvier 2001 par la direction de la prison, d’abaisser le niveau de surveillance (de « surveillance à vue » à « très haute surveillance »), le jour même où la demande de transfert était adressée au juge d’application des peines. Au-delà de la contradiction entre les deux décisions, prises le même jour, la Cour observe que par la suite, nonobstant une succession d’épisodes témoignant de la dégradation manifeste de l’état de santé de A.C., les autorités ne sont jamais revenues sur la décision relative au niveau de surveillance et n’ont jamais revu à la hausse celui-ci.

85.  Or il convient de rappeler que A.C. refusait, depuis le 6 janvier 2001, de suivre le traitement pharmacologique prescrit. Il semble, en effet, que c’est seulement à la veille de son suicide, le 15 janvier 2001 au soir, que A.C. aurait accepté de prendre ses médicaments, circonstance qui toutefois n’a pas été reportée dans son dossier médical (paragraphe 20 ci-dessus). À cet égard, la Cour relève également qu’aucun élément ne permet de déterminer si le personnel médical exerçait un contrôle sur la réalité de la prise des médicaments par A.C. et sur la manière dont celle-ci se déroulait.

86.  De surcroît, la Cour note que, après le 9 janvier 2001, A.C. a détruit une partie du mobilier de sa cellule, dont le lit, qu’il s’est retranché à l’intérieur de celle-ci et qu’il a également endommagé l’éclairage et fermé les volets de sa cellule (paragraphe 17 ci-dessus), en restant ainsi dans l’obscurité totale pendant les jours précédant son acte fatal.

87.  L’absence de lumière dans la cellule de A.C. est un aspect que la Cour entend souligner, à la fois pour les difficultés que celle-ci a engendrées pour les agents pénitentiaires pendant la surveillance de l’intéressé et lors de l’entrée dans la cellule après le suicide de ce dernier (paragraphe 29 ci‑dessus), mais aussi pour l’effet qu’elle a pu avoir sur l’état mental fragile du détenu.

88.  Aux yeux de la Cour, les dégradations de la cellule signalaient un état de souffrance et d’agitation particulièrement élevé. En outre, d’après les témoignages des agents pénitentiaires, A.C. tenait des propos délirants et paranoïaques (paragraphe 17 ci-dessus).

89.  La Cour prend note de la position du gouvernement défendeur, qui avance que la direction de la prison a suivi l’avis du psychiatre, lorsqu’elle a décidé d’abaisser le niveau de surveillance, et qu’elle a choisi de ne pas agir pour dégager de force l’entrée de la cellule, et ce afin d’éviter de voir la situation empirer (paragraphe 66 ci-dessus).

90.  La Cour remarque toutefois que l’avis du psychiatre n’était pas contraignant et que, selon son propre témoignage, ce médecin, qui remplaçait le psychiatre titulaire, avait vu A.C. pour la première fois le 6 janvier 2001. À cet égard, elle renvoie aux principes de la Recommandation R (98) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphe 56 ci-dessus), qui préconisent que les risques de suicide soient appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. En l’occurrence, elle observe que, au cours de la période comprise entre le 10 et le 14 janvier 2001, A.C. n’a pas été vu par le psychiatre, nonobstant son état très agité et les dégradations manifestes de sa cellule, et ce alors que des consultations psychiatriques quotidiennes auraient dû être prévues (paragraphe 46 ci-dessus).

91.  La Cour note que, certes, la direction de la prison a permis à l’avocat de A.C. de rendre visite à ce dernier directement dans sa cellule (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, cet élément ne saurait venir compenser le fait qu’aucune autre décision ou mesure raisonnable n’a été prise par les autorités pour réduire le risque de suicide, comme le transfert dans une autre cellule dotée d’un éclairage fonctionnel, le nettoyage des lieux ou la mise en place de consultations fréquentes avec le psychiatre (Çoşelav c. Turquie, no 1413/07, § 62, 9 octobre 2012).

92.  À titre surabondant, la Cour remarque que, s’agissant du régime de « très haute surveillance » - dans le cadre duquel la porte blindée devait rester ouverte et la fréquence des contrôles être conséquente –, aucun élément du dossier ne permet de savoir en quoi, plus précisément, ce régime consistait. Il ressort du dossier qu’aucune instruction concrète (ordine di servizio) n’a été donnée par la directrice de la prison ou le chef des agents pénitentiaires aux gardiens quant à la fréquence des contrôles. À ce propos, la Cour observe que, dans la décision d’acquittement du psychiatre, le juge d’instance de Messine a estimé que celui-ci ne pouvait pas être tenu pour pénalement responsable, au motif que le suicide avait eu lieu alors que A.C. était soumis à une « très haute surveillance » et qu’il aurait dû, dans ce cadre, être surveillé par les gardiens sur la base des instructions que le responsable de la sécurité personnelle des détenus aurait dû transmettre à ces agents (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour renvoie aussi au rapport d’inspection établi par la commission du ministère de la Justice, qui contenait des critiques spécifiques à propos de la gestion de la situation de A.C. D’après ce rapport, les autorités impliquées avaient sous-estimé les antécédents du proche des requérants et n’avaient pas prévu un niveau de surveillance adapté à son état (paragraphe 35 ci-dessus).

93.  Compte tenu de tous ces éléments, la Cour est convaincue que les autorités n’ont pas pris les mesures raisonnables qui s’imposaient pour assurer l’intégrité de A.C. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les autorités ont manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie de A.C.

94.  Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.

2.    Sur l’obligation procédurale de mener une enquête effective

a)      Thèses des parties

95.  Les requérants allèguent que l’enquête ayant été menée sur les causes de la mort de leur fils et ayant pour but l’identification des éventuels responsables de son décès n’a pas été effective.

96.  Le gouvernement défendeur réplique que les assertions formulées par les requérants sont sommaires, ceux-ci s’étant selon lui bornés à mentionner la jurisprudence pertinente en la matière de la Cour.

97.  En particulier, il soutient que les autorités compétentes ont ouvert l’enquête de manière rapide et diligente. Il plaide ensuite que l’enquête a été adéquate et effective, précisant à cet égard que le respect du principe du contradictoire a été garanti et qu’il a été procédé à un examen rigoureux des faits de l’espèce sur trois degrés de juridiction. Il avance aussi que, parallèlement à la procédure pénale, une procédure disciplinaire a été menée par les autorités, avant d’être clôturée à la suite de l’acquittement des personnes mises en examen.

b)      Appréciation de la Cour

98.  La Cour rappelle que les faits de la présente affaire font naître une obligation de nature procédurale envers l’État quant à la nécessité d’établir les causes de la mort de A.C. et d’examiner, une fois le suicide établi, si les autorités impliquées étaient d’une quelconque manière responsables d’un échec à l’empêcher. Les principes applicables à l’enquête ont été énoncés dans l’arrêt Mustafa Tunç et Fecire Tunç (c. Turquie [GC], n24014/05, §§ 169-182, 14 avril 2015).

99.  En particulier, pour être qualifiée d’« effective », l’enquête doit être adéquate (Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 324, CEDH 2007‑II, et Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 301, CEDH 2011 (extraits)) et indépendante (Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, §§ 222-224), être menée avec célérité et avec une diligence raisonnable (Fountas c. Grèce, no 50283/13, § 72, 3 octobre 2019) et, enfin, être accessible à la famille de la victime (De Donder et De Clippel, précité, § 86). L’exigence d’un contrôle public est également pertinente dans ce contexte (Troubnikov c. Russie, no 49790/99, § 88, 5 juillet 2005).

100.  En l’espèce, la Cour note que l’enquête sur le suicide de A.C. a été conduite par le procureur de la République de Messine. Dans les premiers jours ayant suivi le décès de A.C., il a été ordonné une autopsie du corps du détenu, laquelle a été réalisée par un médecin tiers désigné par le parquet. Cet examen a confirmé les causes du décès par pendaison et suffocation subséquente. De plus, deux inspections de la cellule ont été réalisées, toujours sur ordre du parquet : d’abord par les agents pénitentiaires, le lendemain du décès, puis par les carabinieri, quelques jours plus tard (paragraphe 33 ci-dessus).

101.  La Cour note aussi que le parquet a auditionné les personnes mises en examen, le chef des agents pénitentiaires, le médecin responsable de la prison et les requérants, et que les enregistrements de la vidéosurveillance externe à la cellule ont été saisis et analysés.

102.  Elle note également que le 21 octobre 2003 le parquet a demandé le renvoi en jugement des personnes mises en examen, que les requérants ont pu se constituer parties civiles (paragraphe 37 ci-dessus) et que le 15 février 2005 le juge des investigations préliminaires a renvoyé les personnes mises en examen en jugement (voir, a contrario, Patsaki et autres c. Grèce, n20444/14, § 75, 7 février 2019).

103.  La Cour constate que les requérants n’ont pas mis en doute l’indépendance des enquêteurs. En tout état de cause, elle estime que les personnes chargées de l’enquête, à savoir les membres du parquet de Messine et les carabinieri, sont indépendantes des personnes impliquées dans le décès (Malik Babayev c. Azerbaïdjan, no 30500/11, § 81, 1er juin 2017).

104.  La Cour observe en outre que le parquet a procédé aux mesures raisonnables à même d’assurer la collecte des éléments de preuve concernant les faits litigieux, y compris, notamment, à l’audition des témoins et des personnes mises en examen, à l’étude des enregistrements de vidéosurveillance et à l’autopsie du corps de A.C. Ce dernier examen a permis d’obtenir un compte rendu complet sur les blessures subies par le détenu et une analyse objective des causes du décès. La Cour observe aussi qu’une procédure disciplinaire a été menée, parallèlement à la procédure pénale, dès le renvoi en jugement, et qu’elle a par la suite été clôturée après le jugement du tribunal de première instance (paragraphe 48 ci-dessus). Qui plus est, les requérants ont été associés à la procédure, dès lors qu’ils ont été entendus par le parquet, d’abord au cours des premières phases de l’enquête, puis en leur qualité de parties civiles au cours du procès, dans le cadre duquel ils ont pu dénoncer des négligences dans la prise en charge de leur fils (De Donder et De Clippel, précité, § 86).

105.  Concernant la célérité de l’enquête, et compte tenu du volume des éléments de preuve recueillis, la Cour considère que la durée de la procédure ne permet pas de douter de l’effectivité de l’enquête. En effet, l’enquête proprement dite s’est étalée sur une durée de deux ans et neuf mois (paragraphe 36 ci-dessus). De plus, à la différence de ce qui a été observé dans les affaires Fernandes de Oliveira (précité, § 139), et Patsaki et autres (précité, §§ 74 et 75), aucun défaut de l’enquête ne peut être établi en l’espèce.

106.  La Cour estime ainsi que les autorités ont soumis le cas de A.C. à un examen scrupuleux et qu’elles ont donc mené une enquête effective sur les circonstances ayant entouré son décès (Erikan Bulut c. Turquie, no 51480/99, § 45, 2 mars 2006). Par conséquent, il n’y a pas eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

107.  Les requérants se plaignent que le maintien en prison de leur fils, sans assistance médicale adéquate, ait constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

108.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

109.  La Cour constate que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et qu’il doit être déclaré recevable.

110.  Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 2 de la Convention (paragraphe 94 ci-dessus), la Cour estime qu’il est inutile d’examiner la question de savoir si, en l’espèce, il y a eu violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres précédents, De Donder et De Clippel, précité, § 91).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

111.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

112.  Les requérants demandent 8 108,35 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’ils indiquent avoir subi, pour les frais engagés pour les funérailles de leur fils, et 333 683,93 EUR au titre du dommage moral qu’ils disent avoir subi.

113.  Le Gouvernement considère que les prétentions des requérants sont dépourvues de lien de causalité avec les préjudices allégués et, en tout état de cause, manifestement excessives.

114.  La Cour ne discerne aucun lien de causalité suffisant entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. Elle estime en revanche qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants, conjointement, la somme de 32 000 EUR pour dommage moral.

B.     Frais et dépens

115.  Les requérants réclament 10 927,44 EUR au titre des frais et dépens engagés par eux dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes, et ils s’en remettent à la sagesse de la Cour quant aux frais et dépens afférents à la procédure menée devant celle-ci.

116.  Le Gouvernement conteste le montant réclamé par les requérants, auxquels il reproche de n’avoir fourni aucun document à l’appui de leur demande.

117.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des critères susmentionnés et des documents soumis par les requérants, la Cour juge raisonnable d’allouer à ceux-ci, conjointement, la somme de 900 EUR pour une partie des frais et dépens afférents à la procédure interne, et elle rejette, en l’absence de pièces justificatives, le restant de la demande présentée au titre des frais et dépens relatifs à cette procédure et à la procédure menée devant elle.

C.    Intérêts moratoires

118.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet matériel ;

3.      Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural ;

4.      Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 3 de la Convention ;

5.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes :

i.            32 000 EUR (trente-deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.          900 EUR (neuf cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens,

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.   Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Renata Degener                                                              Armen Harutyunyan
Greffière adjointe                                                                       Président

 



[1] .  Selon la définition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux - DSM-5, de l’Association américaine de psychiatrie.

[2] Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres a révisé ce texte en adoptant la Recommandation (2006) 2 sur les Règles pénitentiaires européennes.


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