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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SPIRIDONOV v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 41541/13 (Judgment : Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2020] ECHR 481 (23 June 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/481.html
Cite as: [2020] ECHR 481, ECLI:CE:ECHR:2020:0623JUD004154113, CE:ECHR:2020:0623JUD004154113

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DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

AFFAIRE SPIRIDONOV c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 41541/13)

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

23 juin 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Spiridonov c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Arnfinn Bårdsen, président,
          Valeriu Griţco,
          Peeter Roosma, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 41541/13) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Emelian Spiridonov (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 mai 2013,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

La requête concerne, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, l’inexécution d’une décision définitive enjoignant à la société A. de payer les arriérés de salaire au requérant.

EN FAIT

1.  Le requérant est né en 1943 et réside à Doroţcaia. Il a été représenté par M. A. Paraschiv, avocat.

2.  Le Gouvernement a été représenté par ses agents.

3.  Par un jugement définitif du 19 mai 2006, le tribunal de première instance de district Centru enjoignit à la société A. de payer au requérant la somme de 14 776, 67 lei moldaves (MDL) (environ 850 euros (EUR) à l’époque des faits), au titre des arriérés de salaire.

4.  Le jour même fut délivré un titre exécutoire et l’huissier de justice entama la procédure d’exécution. Le 24 janvier 2007, l’huissier restitua le titre exécutoire au motif qu’il était impossible d’assurer son exécution à cause de l’insolvabilité du débiteur.

5.  Le 4 octobre 2010, par une décision de la cour d’appel de Chişinău, la société A. fut liquidée et le 6 octobre 2010 elle paya au requérant une partie de la dette, à savoir le montant de 4 205 MDL (environ 254 EUR à l’époque des faits).

6.  Le 10 février 2012, le requérant engagea une action en dédommagement contre l’État sur le fondement des dispositions de la loi no 87. Il sollicita 14 776 MDL au titre du préjudice matériel et 10 000 MDL (environ 618 EUR) au titre du préjudice moral qu’il estimait avoir subi à la suite de la non-exécution du jugement du 19 mai 2006. Par une décision définitive du 15 novembre 2012, la cour d’appel de Chişinău accueillit partiellement l’action. Elle constata la violation de son droit à l’exécution d’une décision de justice dans un délai raisonnable et lui alloua 3 000 MDL (environ 180 EUR) au titre du préjudice moral.

Elle constata notamment que l’inexécution du jugement était imputable aux autorités étatiques au motif que l’huissier de justice n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires aux fins d’assurer l’exécution du jugement. Elle fit valoir que, selon un rapport de l’Inspectorat fiscal d’État du 26 mars 2008, la société débitrice détenait en propriété des terrains agricoles, des vergers et des vignobles qui auraient pu être saisis par l’huissier, ce qui ne fut pas le cas. Le 15 janvier 2007, la société débitrice vendit ses propriétés pour un montant de 935 739, 57 MDL (environ 53 600 EUR).

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

7.  Les dispositions pertinentes du nouveau recours interne introduit par la loi no 87 sont résumées dans l’arrêt Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 12, 14 avril 2015, et Cristea c. République de Moldova, n35098/12, § 21, 12 février 2019.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION et de L’ARTICLE 1 du Protocole no 1

8.  Le requérant allègue que la non-exécution du jugement irrévocable rendu en sa faveur le 19 mai 2006 a enfreint son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que son droit au respect des biens, tel que prévu par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Les passages pertinents en l’espèce des dispositions invoquées se lisent comme suit :

Article 6 de la Convention

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

(...) »

A.    Sur la recevabilité

9.  Le Gouvernement estime que le requérant ne peut plus se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. Il indique à cet égard que les tribunaux nationaux ont reconnu l’existence d’une violation dans le chef de l’intéressé et qu’ils lui ont octroyé un dédommagement moral qu’il estime suffisant. En ce qui concerne la réparation du dommage matériel, le Gouvernement soutient que l’État ne peut pas être tenu pour responsable d’une dette privée.

10.  La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 81, CEDH 2012). En l’espèce, la Cour note que la cour d’appel a constaté que le requérant a subi une violation de ses droits garantis par l’article 6 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1. En même temps, elle observe que le jugement rendu en faveur du requérant n’a pas été exécuté et le dédommagement alloué est manifestement inférieur à ce qu’elle octroie généralement dans des affaires moldaves similaires (à voir parmi d’autres Botezatu c. République de Moldova, n17899/08, § 42, 14 avril 2015, Mizernaia c. Moldova, no 31790/03, § 32, 25 septembre 2007, et Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 82, CEDH 2004-III (extraits)). Ces éléments suffisent à conclure que le requérant n’a pas obtenu un redressement suffisant au niveau national et qu’il conserve la qualité de «victime » au sens de l’article 34 de la Convention. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.

11.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

12.  La Cour note que les tribunaux nationaux ont constaté que l’inexécution du jugement rendu en faveur du requérant le 19 mai 2006 est due intégralement au manque de diligence de la part de l’huissier de justice et à l’absence de mesures adéquates et suffisantes pour garantir l’exécution (voir paragraphe 6 ci-dessus). La Cour rappelle que les États ont l’obligation positive de mettre en place un système effectif, en pratique comme en droit, qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). La responsabilité des États peut se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de la diligence requise ou encore empêchent l’exécution (Fouklev c. Ukraine, § 67).

13.  La Cour rappelle sa position, exprimée à maintes reprises dans des affaires ayant trait au défaut d’exécution, selon laquelle l’impossibilité pour un créancier de faire exécuter intégralement, et dans un délai raisonnable, une décision rendue en sa faveur constitue une violation dans son chef du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que du droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Prodan, précité, §§ 56 et 62).

14.  À la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Partant, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention à raison de l’omission des autorités d’exécuter, dans un délai raisonnable, l’arrêt définitif rendu en faveur du requérant.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

15.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

16.  Au titre du dommage matériel, le requérant demande le montant de 10 576 lei moldaves (MDL) (473 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à la date de la formulation de la prétention) correspondant à la partie de la créance non-exécutée et 1 250 EUR représentant le taux d’inflation pour la période allant de 2006 à 2015, établi selon un certificat délivré par le Bureau national de statistique. Il sollicite également 5 400  EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

17.  Le Gouvernement conteste ces sommes. Il estime que le préjudice matériel résultant d’une exécution tardive de la part d’un particulier ne peut lui être imputé.

18.  La Cour considère que l’impossibilité pour le requérant d’utiliser la somme d’argent allouée par le jugement du 19 mai 2006 lui a causé un préjudice matériel et moral. Elle rappelle avoir constaté ci-dessus que l’inexécution du jugement rendu en faveur du requérant était imputable entièrement aux autorités étatiques (paragraphe 12 ci-dessus). Eu égard à cette conclusion, la Cour accorde au requérant la somme de 2 600 EUR, tous chefs de préjudice confondus.

B.     Frais et dépens

19.  Le requérant ne réclamant rien au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée.

C.    Intérêts moratoires

20.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3.       Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, 2 600 EUR (deux mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

   Hasan Bakırcı                                                                    Arnfinn Bårdsen
  Greffier adjoint                                                                        Président

 


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