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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROMERO GARCIA v. SPAIN - 31615/16 (Judgment : Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2020] ECHR 616 (08 September 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/616.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2020:0908JUD003161516, [2020] ECHR 616, CE:ECHR:2020:0908JUD003161516 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ROMERO GARCIA c. ESPAGNE
(Requête no 31615/16)
ARRÊT
STRASBOURG
8 septembre 2020
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Romero Garcia c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Helen Keller, présidente,
María Elósegui,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,
Vu la requête (no 31615/16) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Luis Emilio Romero Garcia (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 18 mai 2016,
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») le 5 septembre 2017,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
1. Le requérant est né en 1967 et réside à Grenade. Il a été représenté devant la Cour par Me C. Fernández Bustos, avocat.
2. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. R.-A. León Cavero, avocat de l’État, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.
3. Le 28 décembre 2005, le requérant demanda à la mairie d’Alhendín (province de Grenade) la délivrance d’un permis pour la construction d’une cabane à outils sur un terrain agricole qui lui appartenait et qui se trouvait dans le village. Puis, sans attendre la réponse de l’administration, il commença la construction de la cabane. Destinée selon lui à être utilisée à des fins agricoles, celle-ci était d’une superficie de 50 m2 et d’une hauteur de 4 m à l’avant-toit. Elle avait extérieurement l’apparence d’un bâtiment à usage d’habitation, et elle était raccordée à l’eau, à l’électricité et à une fosse septique. En revanche, elle ne comportait pas d’équipements susceptibles de permettre le rangement d’outils, et la porte d’entrée n’était pas assez large pour permettre le passage de machines agricoles mais ressemblait plutôt à l’entrée d’un logement.
4. Le requérant n’ayant pas fourni certains documents requis pour le dossier, le personnel technique municipal rendit, le 31 janvier 2006, un premier rapport technique négatif. Le 12 juin 2006, il rendit un second rapport également négatif pour les mêmes motifs. En conséquence, le 20 octobre 2006, les autorités municipales considérèrent que le requérant s’était désisté de sa demande et décidèrent de clore la procédure. Cette décision fut notifiée à l’intéressé le 19 novembre 2006.
5. Néanmoins, le requérant acheva la construction de la cabane et sollicita un permis de première occupation auprès de la mairie. Celle-ci rejeta cette demande le 19 janvier 2007, au motif que la construction ne respectait pas le plan général d’aménagement urbain (« le PGAU ») et qu’elle allait également à l’encontre de l’article 207 de la loi d’urbanisme de l’Andalousie (loi no 7/2002 du 17 décembre 2002).
6. Par un jugement du 26 mai 2014, rendu après la tenue d’une audience publique, le juge pénal numéro 4 de Grenade (« le juge ») déclara le requérant non coupable de l’infraction aux règles d’aménagement du territoire (article 319 §§ 1 et 2 du code pénal) dont il avait été accusé. Après avoir vérifié si les éléments constitutifs de l’infraction en vertu de la loi applicable étaient réunis en l’espèce, il observa qu’au moment des faits, le PGAU, norme administrative à l’origine des poursuites engagées par le ministère public, n’était pas publié dans sa totalité au Journal officiel de la Province. Il considéra donc que ce plan n’était pas en vigueur lorsque le requérant avait suivi la conduite qui lui était reprochée et que, de ce fait, l’intéressé ne pouvait l’avoir enfreint.
7. Ayant constaté que le PGAU n’était pas applicable au cas d’espèce, le juge rendit un jugement de non-lieu sans analyser l’affaire plus avant.
8. En particulier, le juge observa ce qui suit :
« À titre préalable, le défendeur allègue une violation du principe de légalité : il soutient que, n’ayant pas été publié intégralement, le PGAU d’Alhendín ne peut servir de base légale à l’action engagée par le ministère public.
En réalité, il ne s’agit pas d’une exception préalable « stricto sensu », mais d’un argument de fond, qui, s’il est fondé, doit conduire à un jugement de non-lieu conformément à la doctrine jurisprudentielle applicable, indépendamment de toute autre considération.
(...) L’article 319 s’applique aux terres « non constructibles », qualification qui relève des décisions d’aménagement urbain (...)
(...) Tous les rapports sur lesquels le ministère public fonde son accusation reposent sur la thèse que la construction [en cause] ne respecte pas l’article 207 de la loi d’urbanisme de l’Andalousie. Cette construction se trouve sur un terrain relevant d’une protection spéciale dans le cadre de l’aménagement territorial (...) selon le PGAU d’Alhendín, publié en partie le 21 juillet 2005 au Journal officiel de la Junta de Andalucía, numéro 141. (...)
(...) le PGAU d’Alhendín entrera en vigueur une fois son approbation définitive publiée au Journal officiel de la Province (...) En ce qui concerne la nécessité de publier dans son intégralité cette norme subsidiaire, le Tribunal suprême s’est prononcé à plusieurs reprises (...) et il est parvenu à la conclusion qu’il était nécessaire et impératif que le texte complet des normes applicables (...) soit publié (...)
Par conséquent, les normes subsidiaires du PGAU d’Alhendín n’étant pas publiées dans leur intégralité, les expertises techniques et juridiques sur lesquelles repose l’accusation, et qui sont elles-mêmes fondées sur lesdites normes subsidiaires, ont été établies au regard d’une réglementation qui n’est pas en vigueur tant qu’elle n’a pas été intégralement publiée, et qui n’est donc pas applicable au cas d’espèce (...) Il s’ensuit que le tribunal doit conclure au non-lieu. »
9. Le ministère public interjeta appel de ce jugement, arguant que le fait que le PGAU d’Alhendín ne soit pas publié ne devait pas nécessairement conduire à la prononciation d’un non-lieu étant donné que l’article 319 du code pénal était une disposition générale renvoyant aux normes administratives, en particulier aux articles 46 et 52 de la loi d’urbanisme de l’Andalousie. Or, estimait-il, la cabane construite par le requérant ne respectait pas les prescriptions de ces articles, et l’intéressé devait donc être condamné.
10. Par un arrêt du 14 mai 2015, qu’elle rendit sans avoir tenu d’audience publique, l’Audiencia Provincial de Grenade déclara le requérant coupable de l’infraction prévue à l’article 319 § 2 du code pénal et le condamna à six mois d’emprisonnement et au paiement d’une amende. Elle ordonna en outre la démolition de la cabane construite illégalement.
11. L’Audiencia Provincial retint les faits tels qu’ils avaient été établis par le juge pénal numéro 4 de Grenade. En revanche, elle estima que même si le PGAU n’était pas applicable, il y avait lieu d’appliquer la loi d’urbanisme de l’Andalousie. Ainsi, elle considéra qu’il avait été prouvé que le requérant avait érigé une construction sur un terrain non constructible, sans avoir obtenu l’approbation d’une demande de modification du plan d’urbanisme ni l’autorisation requises en vertu de la loi susmentionnée.
12. Ensuite, l’Audiencia Provincial analysa les éléments constitutifs de l’infraction, ce que n’avait pas fait le juge de première instance. Elle tint le raisonnement suivant :
« (...) le prévenu soutient que le silence de l’administration valait autorisation tacite de construire. Certes, le délai de trois mois prévu à l’article 172 de la loi d’urbanisme de l’Andalousie était largement écoulé, mais cette circonstance n’est pas suffisante pour que l’on puisse considérer que la construction du bâtiment était autorisée, car, comme indiqué précédemment, le permis de construire ne peut être accordé que si une demande de modification du plan d’urbanisme a d’abord été soumise et approuvée. Une fois la demande approuvée (...), l’intéressé dispose d’un délai d’un an pour demander le permis de construire. En l’espèce, aucune demande de modification du plan d’urbanisme n’a été déposée ni, dès lors, traitée et approuvée.
QUATRIÈMEMENT. Nous nous trouvons face à une construction qui ne pouvait être autorisée, étant donné qu’elle se trouve en zone non constructible. Il n’est pas contesté que le terrain n’est pas constructible ; cela étant, en ce qui concerne l’autorisation de construire, il faut tenir compte du fait que, la construction ayant la qualité de logement selon la norme applicable à la date des faits, à savoir la loi d’urbanisme de l’Andalousie, elle ne pouvait être érigée sans que le plan d’urbanisme ait été modifié et que, ensuite, un permis de construire ait été délivré. Comme constaté précédemment, il n’a pas été déposé de demande de modification du plan d’urbanisme (...)
Pour ces raisons, nous considérons que les faits établis sont constitutifs du délit défini à l’article 319 § 2 du code pénal, qui punit (...) le fait pour un maître d’ouvrage, un maître d’œuvre ou un directeur technique d’ériger sur un terrain non constructible une construction qui ne peut être autorisée.
(...) Le prévenu est propriétaire du terrain, maître d’ouvrage des travaux et avocat en exercice. Il était donc conscient de ce qu’il ne réunissait pas les conditions légales nécessaires pour l’autorisation de la construction prévue, ni quant à sa propre personne, étant donné qu’il n’est pas un professionnel de l’agriculture, ni quant à la parcelle, qui n’est pas destinée à un usage agricole. Nous considérons dès lors que l’élément intentionnel est présent car, en demandant l’autorisation de construire une cabane à outils de 50 m2, (...) [le prévenu] a dissimulé le dépassement des fondations (...) et, lorsqu’il lui a été demandé de communiquer des pièces complémentaires à l’appui de sa demande de permis de construire, il n’a pas donné suite [à cette demande]. Au lieu de cela, il a achevé sa construction, puis sollicité un permis de première occupation en affirmant que le silence de l’administration sur sa demande de permis de construire valait accord tacite (...) Au vu de ces considérations, nous estimons que le prévenu savait pertinemment qu’il ne pouvait pas bâtir sur la parcelle, puisqu’il connaissait toute la réglementation dont elle relevait, d’une part en tant qu’avocat en exercice et d’autre part en tant que propriétaire de la parcelle et intéressé, compte tenu également du fait qu’il est partie à plusieurs litiges avec sa sœur et le mari de celle-ci au sujet de ladite parcelle. (...) »
13. Le requérant introduisit devant l’Audiencia Provincial de Grenade une action en nullité de la procédure. Par une décision du 15 juin 2015, l’Audiencia Provincial déclara cette action irrecevable.
14. Invoquant l’article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence), le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 18 novembre 2015, la haute juridiction déclara le recours irrecevable pour cause d’absence de violation d’un droit fondamental susceptible de faire l’objet d’un recours d’amparo.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
15. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 319 du code pénal, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :
« (...)
2. Tout maître d’ouvrage, maître d’œuvre ou directeur technique qui réalise une construction non autorisable sur un terrain non constructible est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement et de douze à vingt-quatre mois de jours-amende, et d’une interdiction d’exercer de six mois à trois ans.
3. Dans tous les cas, les juges et tribunaux peuvent, par une décision motivée, ordonner la démolition de la construction et [la remise des lieux en leur état antérieur à la construction], aux frais de l’auteur, sans préjudice des indemnisations dues aux tiers de bonne foi (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
16. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que l’Audiencia Provincial de Grenade l’ait condamné en appel sans l’avoir entendu dans le cadre d’une audience publique, alors que la juridiction de première instance l’avait acquitté.
17. Dans sa partie pertinente en l’espèce, l’article 6 § 1 est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
18. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
19. Le requérant soutient que l’Audiencia Provincial ne s’est pas limitée à requalifier les faits mais a aussi procédé à une nouvelle appréciation des éléments de preuve déjà administrés, et que ce faisant, elle s’est prononcée sur une circonstance subjective le concernant, à savoir l’existence d’un dol, sans entendre directement son témoignage afin de vérifier la présence de cet élément subjectif de l’infraction pénale. Il considère que dans ces conditions, la tenue d’une audience publique était nécessaire et déterminante et aurait permis d’apprécier directement les preuves relatives à sa conduite.
20. Il ne s’exprime pas au sujet de l’argument du Gouvernement consistant à dire qu’il n’a pas demandé à être entendu devant l’Audiencia Provincial.
21. De son côté, le Gouvernement estime que, dans la présente affaire, une audience en appel n’était pas nécessaire, étant donné que les questions tranchées par l’Audiencia Provincial étaient purement juridiques et ne reposaient que sur des preuves documentaires.
22. Il indique que la juridiction d’appel s’est limitée à rectifier la décision que le juge pénal avait prise sur la base d’éléments qui n’exigeaient pas le respect du principe d’immédiateté, c’est-à-dire à procéder à une nouvelle appréciation de l’analyse légale qu’avait faite le juge a quo du caractère constructible ou non du terrain au regard de la réglementation existante et de la question de savoir si le requérant savait qu’il devait au préalable demander un permis de construire à la municipalité. À cet égard, il considère que le requérant, avocat en exercice, aurait dû savoir qu’il ne pouvait pas demander de permis de construire sans avoir obtenu une modification du plan d’urbanisme et que, par conséquent, il était forcément de mauvaise foi lorsque, après avoir demandé le permis de construire la cabane, il a sollicité un permis de première occupation en soutenant que, par son silence, l’administration lui avait tacitement octroyé un permis de construire (paragraphe 12 ci-dessus).
23. Il estime qu’après avoir examiné ces éléments, l’Audiencia Provincial est parvenue à une conclusion raisonnable, motivée et dénuée d’arbitraire, au moyen d’une appréciation strictement juridique reposant sur une interprétation et une application directe de la loi. Il indique enfin que le requérant n’a pas demandé la tenue d’une audience devant l’Audiencia Provincial.
2. Appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
24. La Cour observe que la problématique juridique soulevée dans la présente affaire correspond à celle examinée dans les arrêts Pardo Campoy et Lozano Rodríguez c. Espagne (nos 53421/15 et 53427/15, §§ 32‑41, 14 janvier 2020) et Hernández Royo c. Espagne (no 16033/12, §§ 32‑35, 20 septembre 2016). Par conséquent, elle renvoie aux principes énoncés dans ces arrêts.
b) Application de ces principes en l’espèce
25. En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que l’Audiencia Provincial de Grenade a condamné le requérant, qui avait bénéficié d’un non-lieu en première instance, sans avoir tenu d’audience publique ni, par conséquent, avoir entendu personnellement l’intéressé.
26. Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention, il échet de prendre en considération le rôle de l’Audiencia Provincial et la nature des questions qu’elle avait à examiner.
27. La Cour rappelle qu’en droit espagnol l’administration de preuves devant la juridiction de recours demeure extraordinaire et se limite aux éléments que le requérant n’a pas pu présenter en première instance, qui ont été présentés mais rejetés sans motif, ou que la juridiction de recours déclare recevables parce que, pour des raisons étrangères au requérant, il n’a pas été possible de les administrer en première instance (article 790 § 3 du code de procédure pénale). Par ailleurs, l’article 791 § 1 du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits disposait que la décision de tenir une audience publique en appel relevait, en l’absence de nouvelles preuves, du ressort exclusif de l’Audiencia Provincial, qui pouvait organiser une audience si elle l’estimait nécessaire pour une meilleure compréhension du dossier ou si une partie en faisait la demande.
28. Dans les autres affaires portant sur la même problématique qu’elle a examinées (voir, par exemple, Valbuena Redondo c. Espagne, no 21460/08, 13 décembre 2011), la Cour a estimé qu’une audience était nécessaire lorsque la juridiction d’appel « effectu[ait] une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les reconsid[érait] », cette question se situant au-delà des considérations strictement juridiques. Elle a considéré qu’en pareil cas, il était nécessaire de tenir une audience avant de parvenir à un jugement sur la culpabilité du justiciable (Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009).
29. En somme, il incombe essentiellement à la Cour de décider, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d’espèce, si la juridiction chargée de se prononcer sur l’appel a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait (Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 55, 29 avril 2008).
30. À ce propos, la Cour observe que dans le cas présent, l’Audiencia Provincial de Grenade avait, en tant que juridiction de recours, la possibilité de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 14 mai 2015. Elle pouvait alors décider soit de confirmer le non-lieu soit de déclarer le requérant coupable, après avoir examiné la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé.
31. La Cour observe que dans son jugement de non-lieu, la juridiction de première instance n’avait analysé qu’un des éléments objectifs de l’infraction : le point de savoir si la norme administrative que le ministère public estimait enfreinte était en vigueur à la date des faits. Ayant conclu que le PGAU n’était pas applicable au cas d’espèce, le juge avait prononcé un non-lieu sans analyser les autres éléments de l’infraction.
32. Pour sa part, l’Audiencia Provincial a infirmé le jugement a quo sans avoir entendu personnellement le requérant dans le cadre d’une audience publique. Après avoir admis les faits que le juge pénal numéro 4 de Grenade avait déclaré prouvés, elle a réapprécié les moyens de preuve qui, à son avis, étaient essentiels pour déterminer la culpabilité du requérant, à savoir les nombreuses pièces du dossier ainsi que d’autres éléments de preuve objectifs tels que les expertises réalisées dans le cadre de l’affaire.
33. Elle a considéré que les faits déclarés prouvés par le juge de première instance accréditaient en eux-mêmes l’existence d’une infraction aux règles d’aménagement du territoire. De plus, elle a estimé qu’il n’était pas possible d’exclure le dol dans la conduite du requérant : selon elle, celui-ci étant propriétaire du terrain, maître d’ouvrage des travaux et avocat en exercice, il était forcément conscient, d’une part, de ce qu’il ne réunissait pas les conditions personnelles posées dans la loi pour l’obtention d’une autorisation de construction (étant donné qu’il n’était pas un professionnel de l’agriculture) et, d’autre part, de ce qu’il n’utilisait pas la parcelle conformément à l’usage auquel elle était destinée, à savoir un usage agricole.
34. L’Audiencia Provincial a considéré également qu’en tant qu’avocat, le requérant devait savoir qu’en vertu de la loi applicable, il n’était possible de demander un permis de construire qu’après avoir obtenu une modification du plan d’urbanisme, et en respectant un délai d’un an à compter de l’approbation de la demande de modification. Elle a constaté à cet égard qu’il n’avait présenté aucune demande de modification, de sorte qu’il ne pouvait pas obtenir un permis de construire.
35. Ainsi, c’est dans le jugement de l’Audiencia Provincial que les circonstances subjectives concernant le requérant ont été examinées pour la première fois.
36. Dans son raisonnement, l’Audiencia Provincial a modifié les fondements juridiques du jugement contesté. Contrairement à la situation examinée dans l’arrêt Bazo González c. Espagne (no 30643/04, 16 décembre 2008), où les éléments analysés par l’Audiencia Provincial étaient purement juridiques, et où les juges n’avaient pas à se prononcer sur l’intentionnalité de la conduite de l’accusé, en l’espèce l’Audiencia Provincial ne s’est pas limitée à apprécier de nouveau des éléments strictement juridiques, elle s’est prononcée sur la question de savoir si le requérant avait sciemment érigé une construction en toute illégalité. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité de l’intéressé (Igual Coll, précité, § 35).
37. Comme dans l’affaire Valbuena Redondo (arrêt précité, § 37), l’Audiencia Provincial a en l’espèce infirmé le jugement de première instance après s’être prononcée sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis de déterminer la culpabilité de l’accusé. À cet égard, la Cour rappelle que, lorsque le tribunal tire des conclusions d’éléments subjectifs (comme il l’a fait en l’espèce sur la question de l’existence d’un dol), il ne peut procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable établi la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement de vérifier si l’intéressé avait l’intention de commettre les faits qui lui sont imputés.
38. Or, en l’espèce, les questions traitées étaient en partie de nature factuelle : l’Audiencia Provincial a condamné le requérant en appel après avoir procédé à une nouvelle appréciation d’éléments tels que l’existence d’un dol, sans que l’intéressé ait eu l’occasion d’être entendu personnellement et de contester cette appréciation dans le cadre d’un débat contradictoire en audience publique. La Cour estime donc que cette condamnation n’est pas conforme aux exigences du procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (Pardo Campoy et Lozano Rodríguez, précité, § 39).
39. Pour ce qui est enfin de l’argument du Gouvernement consistant à dire que le requérant n’a pas demandé d’audience, la Cour renvoie au raisonnement qu’elle a suivi dans l’arrêt Igual Coll (précité, § 32).
40. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’étendue de l’examen effectué par l’Audiencia Provincial en l’espèce rendait nécessaire la tenue d’une audience publique. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 7 à LA CONVENTION
41. Le requérant soutient également que sa condamnation, prononcée par l’Audiencia Provincial sur la base d’éléments que la juridiction inférieure n’avait pas examinés, l’a privé de son droit à un double degré de juridiction en matière pénale. Il invoque à cet égard l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention, qui est libellé comme suit :
« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »
42. Le Gouvernement conteste cette thèse.
Sur la recevabilité
43. La Cour rappelle que les États contractants disposent en principe d’un large pouvoir d’appréciation pour décider des modalités d’exercice du droit prévu par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Ainsi, l’examen par une juridiction supérieure d’une déclaration de culpabilité ou d’une condamnation peut porter soit sur des questions de fait et de droit soit sur des points de droit seulement. Toutefois, les limitations apportées par les législations internes au droit de recours protégé par cette disposition doivent, par analogie avec le droit d’accès au tribunal consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, poursuivre un but légitime et ne pas porter atteinte à la substance même de ce droit (Krombach c. France, no 29731/96, § 96, CEDH 2001‑II, et Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 125, 15 novembre 2007).
44. Dans le cas d’espèce, la Cour constate que les accusations portées contre le requérant ont été examinées par deux degrés de juridiction. En effet, tant le juge pénal que l’Audiencia Provincial ont examiné l’affaire au fond, et il n’apparaît pas que leur raisonnement ait été arbitraire ou déraisonnable ou qu’il ait limité le droit de recours du requérant d’une façon contraire aux exigences de la disposition invoquée.
45. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
47. Le requérant demande à titre principal l’annulation du jugement de l’Audiencia Provincial. À titre subsidiaire, il réclame, pour dommage moral, 25 000 euros (EUR), et pour dommage matériel, les sommes suivantes : 1 076,90 EUR (frais de démolition), 605 EUR (déménagement de mobilier), 43 207 EUR (valeur estimée de la construction démolie) et, enfin, 4 320 EUR (montant de l’amende que lui a infligée l’Audiencia Provincial de Grenade).
48. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes.
49. La Cour observe que le montant réclamé trouve son origine dans l’arrêt de l’Audiencia Provincial, dont elle a conclu qu’il n’était pas conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle estime en principe que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l’article 6 § 1 consiste à faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue (Tétériny c. Russie, no 11931/03, § 56, 30 juin 2005, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine, no 41183/02, § 53, CEDH 2006‑XII, Mehmet et Suna Yiğit c. Turquie, no 52658/99, § 47, 17 juillet 2007, et Atutxa Mendiola et autres c. Espagne, no 41427/14, § 51, 13 juin 2017). Elle juge que ce principe trouve à s’appliquer en l’espèce. Elle observe en effet que le droit interne (article 954 § 3 du code de procédure pénale tel que modifié par la loi no 41/2015 du 5 octobre 2015) prévoit la possibilité de réviser les décisions définitives déclarées contraires aux droits reconnus dans la Convention par un arrêt de la Cour.
50. Par conséquent, elle estime que la forme la plus appropriée de redressement consisterait, pourvu que le requérant en fasse la demande, à réviser la procédure conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, en application des dispositions de l’article 954 § 3 du code de procédure pénale (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003).
B. Frais et dépens
51. Le requérant demande également 12 893,84 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés. Cette demande est ventilée comme suit : 593,26 EUR pour frais d’expertise, 185,93 EUR pour les honoraires de l’avoué (procurador) de Grenade, 350 EUR pour les honoraires de l’avoué de Madrid qui l’a représenté dans le cadre du recours d’amparo, 2 420 EUR pour les frais afférents à la procédure menée devant le Tribunal constitutionnel, 726 EUR pour les frais afférents à la procédure en nullité engagée devant l’Audiencia Provincial et 7 260 EUR pour les frais afférents à la procédure menée devant la Cour.
52. Le Gouvernement sollicite le rejet de ces prétentions.
53. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI).
54. En l’espèce, elle constate que le requérant n’a pas produit de justificatifs de paiement des sommes réclamées au titre des honoraires d’avocat. Par conséquent, elle rejette la demande présentée à cet égard.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief concernant l’article 6 § 1 recevable et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable.
Olga Chernishova Helen Keller
Greffière adjointe Président