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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MATYUNINA v. RUSSIA - 38007/14 (Judgment : Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2020] ECHR 780 (03 November 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/780.html
Cite as: [2020] ECHR 780, ECLI:CE:ECHR:2020:1103JUD003800714, CE:ECHR:2020:1103JUD003800714

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TROISIÈME SECTION

 

 

 

AFFAIRE MATYUNINA c. RUSSIE

(Requête no 38007/14)

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

3 novembre 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Matyunina c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Darian Pavli, président,
          Dmitry Dedov,
          Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 38007/14) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Lyubov Vasilyevna Matyunina (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 28 avril 2014,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement ») le grief concernant le défaut de motivation des jugements et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La présente requête porte sur une absence de motivation des décisions de justice. Est en jeu l’article 6 de la Convention.

EN FAIT

2.  La requérante est née en 1958 et réside à Komsomolskiy (région de Krasnodar). Elle est représentée par Me Udalova, avocate.

3.  Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

4.  La requérante, chef de comptabilité d’une société de droit public, fut poursuivie au pénal pour abus de fonctions, infraction pénale intentionnelle qui consistait en production des documents falsifiés en vue de réception de crédits des budgets régional et fédéral. Le 22 mars 2013, le tribunal du district Kouschevski (région de Krasnodar) (ci-après « le tribunal ») mit fin à l’enquête pénale pour prescription. Il établit en effet que les actes incriminés avaient été commis en 2007, alors que le délai de prescription prévu par le code pénal pour cette infraction (deux ans) avait expiré le 2 août 2009. Le tribunal déclara ainsi l’action pénale prescrite.

5.  La victime de l’infraction, l’État, représenté par le ministère régional de l’agriculture et l’industrie agroalimentaire introduisit une action civile dirigée à l’encontre de la requérante et de son co-inculpé visant au recouvrement des dommages et intérêts. Lors de l’examen de la demande, la requérante opposa le moyen de prescription extinctive de l’action civile.

6.  Le 17 octobre 2013, le tribunal condamna la requérante au civil aux dommages et intérêts. Dans sa décision, il omit de répondre au moyen tiré de la prescription de l’action civile.

7.  Dans ses conclusions d’appel, la requérante se plaignit de l’absence de réponse à ce moyen. Elle souligna que ce moyen était principal pour un examen équitable de sa cause car, en vertu de l’article 199 du code civil, il serait suffisant, lui seul, pour rejeter la demande, sans discuter de son bien‑fondé.

8.  Le 17 décembre 2013, la cour régionale de Krasnodar confirma la décision en appel, sans répondre au moyen tiré de l’absence de motivation quant à la prescription extinctive.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

9.  Selon l’article 199 du code civil, la demande visant à faire valoir un droit est admise par le tribunal pour examen, indépendamment de l’expiration du délai de prescription (le paragraphe 1er du l’article 199). Le tribunal déclare l’action prescrite si une partie au litige formule une demande dans ce sens avant le prononcé de la décision. L’expiration d’un délai de prescription, si une partie au litige demande de l’appliquer, est un fondement pour un rejet de la demande (le paragraphe 2 du l’article 199).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

10.  La requérante se plaint d’un défaut de motivation des décisions de justice qui n’ont pas répondu à son moyen tiré de la prescription extinctive de la demande introduite à son encontre. La requérante invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.    Sur la recevabilité

11.  Le Gouvernement considère que le droit de la requérante à un procès équitable n’a pas été méconnu et invite la Cour à déclarer le grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3(a) et 4 de la Convention.

12.  La requérante a maintenu son grief.

13.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

14.  Les thèses des parties sont résumées dans les paragraphes 11 et 12 ci-dessus.

15.  La Cour rappelle que les garanties implicites de l’article 6 § 1 de la Convention comprennent l’obligation de motiver les décisions de justice. Cependant, si cette disposition oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, elle ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument. L’étendue de l’obligation de motivation peut varier selon la nature de la décision. Il faut, en outre, tenir compte notamment de la diversité de moyens qu’un plaideur peut soulever en justice et des différences entre les États contractants en matière de dispositions légales, de coutumes, de conceptions doctrinales, ainsi que de présentation et de rédaction des jugements et arrêts. C’est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver sa décision ne peut s’analyser qu’à la lumière des circonstances de l’espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29‑30, série A no 303‑A, et Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288).

16.  La justification de l’exigence d’un jugement motivé réside non seulement dans l’intérêt pour le justiciable de savoir que ses arguments ont été dûment examinés, mais aussi dans l’intérêt pour l’ensemble des citoyens d’une société démocratique d’exercer un droit de regard sur l’administration de la justice (Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007‑I, et Hirvisaari c. Finlande, no 49684/99, § 30, 27 septembre 2001). De plus, lorsqu’une cour d’appel se borne à reprendre les motifs étayant la décision de la juridiction de première instance pour rejeter le recours, il faut que le tribunal ou l’autorité de rang inférieur ait fourni des motifs permettant aux parties de faire un usage effectif de leur droit de recours (Hirvisaari, précité, § 30, Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 73, CEDH 2002‑IV, et Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007).

17.  En l’espèce, la Cour relève que la requérante a demandé d’appliquer la norme du code civil relatif à la prescription à deux occasions, devant le tribunal d’instance et devant la cour d’appel. À aucun moment, les juridictions n’ont répondu à ce moyen. Dans ses observations, le Gouvernement n’a pas réfuté cette allégation de la requérante.

18.  La Cour estime pourtant que ce moyen méritait d’être examiné car il pouvait, à lui seul, servir de fondement pour un rejet de la demande au civil (paragraphe 9 ci-dessus).

19.  La Cour conclut donc qu’en l’espèce, les juridictions russes ont manqué à l’obligation de motiver les décisions de justice qui découle de la garantie implicite d’un procès équitable, tel qu’elle ressort de sa jurisprudence. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

20.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

21.  La requérante réclame respectivement 349 598,51 roubles russes (RUB) et 100 000 euros (EUR) au titre des dommages matériel et moral qu’elle estime avoir subis.

22.  Le Gouvernement considère qu’il n’y a aucun lien entre le dommage matériel prétendument subi et la violation alléguée de la Convention. En ce qui concerne le dommage moral, il estime que les sommes réclamées sont excessives et que, le grief correspondant étant dénué de fondement, la demande doit être rejetée.

23.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande présentée à ce titre. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 2 000 EUR pour dommage moral.

24.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

B.     Frais et dépens

25.  La requérante réclame également 210 000 RUB au titre des frais et dépens qu’elle a engagés devant la Cour.

26.  Le Gouvernement expose que cette demande n’est pas étayée, la requérante n’ayant pas versé au dossier de justificatifs à cet égard.

27.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, la Cour rappelle que, selon l’article 60 § 2 de son règlement, toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi elle peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Negrepontis‑Giannisis cGrèce (satisfaction équitable), no 56759/08, § 34, 5 décembre 2013).

28.  S’agissant des frais d’avocat, la Cour observe que la requérante n’a pas été représentée devant elle par un avocat. En effet, le formulaire de la requête et les observations présentées par la requérante sont rédigées par elle-même. La Cour relève par ailleurs que le montant des frais de représentation indiqué par la requérante n’est pas ventilé par rubrique. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, la somme suivante, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                                                    Darian Pavli
Greffière adjointe                                                                       Président


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