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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MIHANCEA v. ROMANIA - 26354/14 (Judgment : Right to a fair trial : Fourth Section Committee) French Text [2020] ECHR 816 (17 November 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/816.html
Cite as: [2020] ECHR 816, ECLI:CE:ECHR:2020:1117JUD002635414, CE:ECHR:2020:1117JUD002635414

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QUATRIÈME SECTION

 

AFFAIRE MIHANCEA c. ROUMANIE

(Requête no 26354/14)

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

17 novembre 2020

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mihancea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Carlo Ranzoni, président,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Georges Ravarani, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 26354/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gheorghe Mihancea (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 22 avril 2014,

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain le 13 décembre 2018,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La requête concerne une atteinte alléguée au droit d’accès du requérant à un tribunal sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

EN FAIT

2.  Le requérant est né en 1939 et réside à Oradea. Il a été représenté par Me M. Anghel, avocate à Cluj-Napoca.

3.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, en dernier lieu Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.

4.  Par une action introduite contre une société de courtage en bourse et l’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité »), le requérant demandait la condamnation solidaire des parties défenderesses à lui restituer les sommes qu’il avait investies en bourse et que la société de courtage n’était plus en mesure de lui rembourser, puisque l’Autorité avait suspendu la licence de celle-ci.

5.  Par un arrêt du 24 avril 2013, la cour d’appel d’Oradea accueillit partiellement l’action du requérant. Elle condamna la société de courtage à lui rembourser les sommes réclamées, mais rejeta la demande pour autant qu’elle concernait l’Autorité. Le requérant forma un pourvoi.

6.  L’examen du pourvoi était soumis au droit de timbre, dont le montant s’élevait à 9 500 lei roumains (environ 1 950 euros). Le requérant s’en acquitta partiellement en versant 5 000 lei (environ 1 050 euros).

7.  Invoquant les dispositions de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 51/2008 relatives à l’aide juridictionnelle en matière civile, le requérant demanda à la Haute Cour de cassation et de justice de l’exonérer du reliquat, ou d’en échelonner les paiements. Il soutenait que, vivant de sa retraite, il n’avait plus les moyens de s’acquitter de ce droit. À titre subsidiaire, il sollicitait un ajournement de l’examen du pourvoi pour pouvoir s’acquitter du droit de timbre dans sa totalité.

8.  Par une décision du 11 octobre 2013, la Haute Cour rejeta la demande d’aide juridictionnelle au motif que le requérant n’avait pas fourni de justificatifs à l’appui de sa requête. Il était précisé dans le dispositif de la décision que l’intéressé disposait d’un délai de cinq jours suivant la notification de celle-ci pour contester le rejet de sa demande.

9.  La décision du 11 octobre 2013 fut notifiée au requérant par voie postale le 21 octobre 2013.

10.  Le 25 octobre 2013, la Haute Cour examina le pourvoi formé contre l’arrêt du 24 avril 2013 hors la présence du requérant.

11.  Elle nota que ce dernier avait été cité à comparaître à l’audience du 25 octobre 2013, qu’il n’avait pas réglé le reliquat du droit de timbre et que sa demande d’aide juridictionnelle avait été rejetée le 11 octobre 2013. Elle observa que le requérant s’était vu notifier le 21 octobre 2013 la décision par laquelle la demande d’aide avait été rejetée, et qu’il n’avait pas informé la Haute Cour d’une éventuelle demande de réexamen. Elle estima par conséquent qu’il n’y avait pas lieu d’ajourner l’examen du pourvoi et elle l’annula pour défaut de paiement du droit de timbre.

12.  Le 28 octobre 2013, le requérant contesta devant la Haute Cour le rejet de sa demande d’aide juridictionnelle. Il contesta également l’arrêt du 25 octobre 2013 et sollicita son annulation, estimant que la haute juridiction avait commis une erreur en annulant son pourvoi avant l’expiration du délai imparti pour contester le rejet de sa demande d’aide juridictionnelle. Il exposa que ce délai expirait le 28 octobre 2013. Le 21 octobre 2013, étant un lundi, le délai de cinq jours pour demander le réexamen de la requête d’aide juridictionnelle, calculé selon les règles définies par l’article 181 du code de procédure civile, était automatiquement prolongé jusqu’au lundi 28 octobre.

13.  Le 12 novembre 2013, la Haute Cour rejeta la requête tendant au réexamen du rejet de la demande d’aide juridictionnelle. Elle estima que l’annulation du pourvoi avait rendu cette requête caduque.

14.  Elle rejeta également la demande d’annulation de l’arrêt du 25 octobre 2013, au motif que le requérant critiquait une « erreur de jugement », et non une « erreur matérielle ». Or, selon la Haute Cour, les « erreurs de jugement » ne pouvaient pas être rectifiées par la voie d’un recours en annulation.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

15.  La loi no 146/1997 sur les taxes judiciaires et le droit de timbre en vigueur à l’époque des faits disposait notamment ce qui suit :

Article 3

« Le non-respect de l’obligation de payer le droit de timbre dans le délai imparti est sanctionné par l’annulation de l’action ou de la demande. »

16.  L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 51/2008 (« l’OUG no 51/2008 ») sur l’aide publique juridictionnelle en matière civile, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait notamment ce qui suit :

Article 6

« L’aide publique juridictionnelle peut être accordée sous les formes suivantes :

(...)

d)  des exonérations, des réductions ou des échelonnements du paiement des taxes judiciaires prévues par la loi (...) »

Article 15

« (...)

2.  L’intéressé dispose d’un délai de cinq jours à partir de la date à laquelle la décision de rejet de sa demande d’aide juridictionnelle lui aura été notifiée pour solliciter le réexamen de celle-ci.

3.  La demande est examinée en chambre de conseil par une formation de jugement différente. La décision est définitive. »

17.  Le mode de calcul des délais de procédure prévu par le code de procédure civile en vigueur à l’époque des faits était le suivant :

Article 181

« 1.2. Lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte qui le fait courir ne compte pas. Le jour de l’échéance n’est pas décompté.

2. Si le délai obtenu après calcul se termine un jour férié, il est prolongé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. »

Article 318

« Les arrêts définitifs peuvent faire l’objet d’un recours en annulation lorsqu’ils sont entachés d’une erreur matérielle (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

18.  Le requérant se plaint d’une violation de son droit d’accès à un tribunal à raison de l’annulation de son pourvoi. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.    Sur la recevabilité

19.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

20.  Le requérant allègue que l’annulation de son pourvoi, décidée à titre de sanction avant que n’expire le délai applicable au réexamen de sa demande d’aide juridictionnelle, résultait d’une erreur commise par la Haute Cour.

21.  Le Gouvernement, pour sa part, soutient que la Haute Cour n’était pas tenue d’ajourner l’examen du pourvoi. Il considère que le requérant a fait preuve de négligence en manquant à son obligation de payer l’intégralité du droit de timbre avant l’audience du 25 octobre 2013 ou d’informer la haute juridiction de son intention de contester le rejet de sa demande d’aide juridictionnelle. Il estime qu’un ajournement aurait contribué à allonger de manière injustifiée la procédure. Dès lors, pour lui, le droit d’accès du requérant à un tribunal n’a pas été méconnu dans sa substance.

22.  La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes et que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998‑I). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. La Cour rappelle aussi que cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII). Elle réaffirme enfin que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et que les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 23, 11 avril 2002).

23.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant a payé une partie du droit de timbre exigé pour l’examen de son pourvoi (paragraphe 6 ci-dessus) et que sa demande d’aide juridictionnelle visant à couvrir le reliquat a été rejetée le 11 octobre 2013 (paragraphe 8 ci-dessus). Compte tenu de la date à laquelle cette décision lui a été notifiée et des modalités de calcul des délais de procédure prévues par les articles 15 § 2 de l’OUG no 51/2008 et 181 du code de procédure civile (paragraphes 1617 ci-dessus), le requérant disposait d’un délai expirant le 28 octobre 2013 pour demander le réexamen de sa demande d’aide.

24.  Toutefois, le 25 octobre 2013, la Haute Cour a annulé le pourvoi formé par le requérant au motif que celui-ci ne l’avait pas informée de son intention de solliciter le réexamen de la demande d’aide juridictionnelle dont elle l’avait débouté (paragraphe 11 ci-dessus). La Haute Cour a ensuite rejeté la demande en annulation formée par le requérant au motif que l’« erreur » contestée par ce dernier ne pouvait pas être corrigée (paragraphe 14 ci-dessus).

25.  La Cour estime qu’il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir informé la Haute Cour de son intention de contester le rejet de sa demande d’aide dès lors que ni l’OUG no 51/2008 ni le code de procédure civile ne prévoyaient pareille obligation, ces textes se bornant à subordonner l’introduction de la demande de réexamen aux formalités et délais prescrits par la loi, formalités que le requérant a suivies sans succès, sa demande ayant été déclarée caduque (paragraphe 13 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour relève que ni la Haute Cour ni le Gouvernement dans ses observations ne se sont appuyés sur une jurisprudence qui aurait établi une pareille obligation pour le justiciable.

26.  Compte tenu du délai dont le requérant disposait pour solliciter le réexamen de sa demande d’aide pour s’acquitter du droit de timbre, force est de constater que l’annulation de son pourvoi pour défaut de paiement de ce droit était prématurée. La Cour estime en conséquence qu’en ignorant ce délai, la Haute Cour a commis une erreur manifeste qui a privé le requérant d’une voie de recours (voir, mutatis mutandis, Şega c. Roumanie, no 29022/04, § 37, 13 mars 2012, Hietsch c. Roumanie, no 32015/07, § 21, 23 septembre 2014 et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 90, 5 avril 2018 et la jurisprudence citée).

27.  La Cour ne souscrit pas à l’argument du Gouvernement selon lequel l’ajournement de l’examen du pourvoi aurait conduit à une prolongation injustifiée de la procédure. À cet égard, elle note que le délai fixé pour solliciter le réexamen de la demande d’aide expirait le 28 octobre 2013, soit trois jours après l’audience du 25 octobre 2013. Or ce délai ne saurait en aucun cas être considéré comme une prolongation injustifiée.

28.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’en annulant le pourvoi formé contre l’arrêt du 24 avril 2013 et en rejetant ensuite la demande d’annulation, la Haute Cour a privé le requérant du droit d’accès à un tribunal (voir, mutatis mutandis, Şega, § 40, et Hietsch, § 22, précités).

29.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

31.  Le requérant demande 595 750 euros (EUR) pour dommage matériel. Ce montant correspond selon lui aux sommes dont il a réclamé le remboursement devant les juridictions internes. Il demande également 10 000 EUR pour dommage moral.

32.   Il demande 4 192 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour. Il fournit un document attestant le paiement de cette somme au titre des honoraires de son avocat.

33.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage matériel prétendument subi et la violation alléguée de la Convention. Il estime également qu’un constat de violation constituerait en soi une réparation suffisante pour le dommage moral éventuellement subi.

34.  Il trouve excessive la demande de remboursement des frais et dépens, faisant remarquer que le requérant n’a pas fourni de copie du contrat d’assistance judiciaire.

35.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère que le requérant a subi un préjudice moral que le simple constat de violation n’est pas suffisant pour réparer. Compte tenu de la nature de la violation constatée et des circonstances en l’espèce, la Cour, statuant en équité, alloue au requérant 5 000 EUR au titre du dommage moral.

36.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

37.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i.            5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.          1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth                                                                        Carlo Ranzoni
Greffière adjointe                                                                       Président


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