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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SCHWEIZERISCHE RADIO- UND FERNSEHGESELLSCHAFT AND PUBLISUISSE SA v. SWITZERLAND - 41723/14 (Judgment : No Freedom of expression-{general} : Third Section) French Text [2020] ECHR 924 (22 December 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/924.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2020:1222JUD004172314, CE:ECHR:2020:1222JUD004172314, [2020] ECHR 924

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SCHWEIZERISCHE RADIO- UND FERNSEHGESELLSCHAFT ET PUBLISUISSE SA c. SUISSE

(Requête no 41723/14)

 

 

ARRÊT

Art 34 • Locus standi • Intérêt légitime de la société ayant succédé à la seconde requérante, radiée du registre du commerce après la saisine de la Cour

Art 10 • Liberté d’expression • Obligation faite par le Tribunal fédéral aux requérantes, la société suisse de radiodiffusion et télévision et une société de commercialisation publicitaire, de diffuser un spot publicitaire préalablement refusé • Ingérence prévue par la loi • Spot touchant à un débat d’intérêt général et rôle particulier des médias audiovisuels • Refus de diffusion non justifié par la simple crainte d’une atteinte à la réputation • Première requérante tenue d’accepter des avis critiques et de leur offrir un espace sur ses canaux de diffusion nationale • Publicité manifestement sans lien avec les programmes de la première requérante • Ingérence non disproportionnée

 

STRASBOURG

22 décembre 2020

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft et publisuisse SA c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Paul Lemmens, président,
          Georgios A. Serghides,
          Helen Keller,
          Dmitry Dedov,
          Georges Ravarani,
          María Elósegui,
          Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 41723/14) dirigée contre la Confédération suisse et dont la Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft (Société suisse de radiodiffusion et télévision, ci-après « SSR » ou « la première requérante ») et publisuisse SA (« la deuxième requérante ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 28 mai 2014,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

inTRODUCTION

1.  La requête concerne, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, le refus des requérantes de diffuser un spot publicitaire au motif qu’il portait selon elles atteinte à leur réputation.

EN FAIT

2.  Les deux requérantes ont été représentées devant la Cour par Me R. Mayr von Baldegg, avocat exerçant à Lucerne.

3.  Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Alain Chablais, de l’Office fédéral de la justice.

4.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5.  La première requérante, une association de droit privé, fournit dans le domaine de la radio et de la télévision des prestations publiques au niveau national (service public) sur la base d’une concession qui lui a été octroyée par la Confédération helvétique.

6.  À l’époque des faits, l’inventaire publicitaire était commercialisé par la deuxième requérante, dont la SSR détenait 99,8 % des actions.

7.  Le 29 septembre 2011, l’association Verein gegen Tierfabriken (« l’association »), active en matière de protection des animaux et du consommateur, réserva des espaces publicitaires auprès de la deuxième requérante dans le but de diffuser un spot qu’elle avait elle-même produit.

8.  Pendant sept secondes, le spot publicitaire montrait le logo et l’adresse du site web de l’association, ainsi que le texte « Ce que les autres médias passent sous silence » (Was andere Medien totschweigen). L’adresse du site web et le texte étaient lus par une voix hors champ.

9.  Le 15 novembre 2011, l’association demanda à la deuxième requérante de diffuser une version modifiée du spot publicitaire, dans laquelle le texte initial - « Ce que les autres médias passent sous silence » - avait été remplacé par le texte suivant : « Ce que la télévision suisse passe sous silence » (Was das Schweizer Fernsehen totschweigt).

10.  Après consultation avec la première requérante et l’association, la deuxième requérante diffusa la version initiale du spot publicitaire dix-huit fois sur la période du 23 au 31 décembre 2011.

11.  La diffusion de la version modifiée du spot publicitaire fut quant à elle refusée au motif qu’elle portait atteinte aux intérêts commerciaux et à l’image (geschäfts- und imageschädigend), au sens des conditions générales de la deuxième requérante.

12.  Le 22 février 2012, l’association saisit l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (« l’AIEP ») d’une plainte contre la première requérante, alléguant que le refus de diffuser la version modifiée du spot publicitaire s’analysait en une forme de censure.

13.  Le 22 juin 2012, l’AIEP rejeta la plainte de l’association. Elle estima que le refus de diffuser le deuxième spot n’était pas illicite et que la restriction à la liberté d’expression était proportionnée puisqu’elle servait exclusivement à préserver la bonne réputation dont la première requérante jouissait. Elle ne décela en outre aucun signe de discrimination.

14.  Saisie d’un recours en matière de droit public, la deuxième Cour de droit public du Tribunal fédéral donna gain de cause à l’association dans l’arrêt de principe 2C_1032/2012 qu’elle rendit le 16 novembre 2013 et qui fut publié dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (« ATF ») sous le numéro de référence 139 I 306. L’arrêt fut notifié aux requérantes le 2 décembre 2013.

15.  Le Tribunal fédéral souligna que de la liberté des médias, de programmation et d’information ne découle en principe aucun « droit à l’antenne », c’est-à-dire aucun droit d’exiger d’un diffuseur qu’il publie, contre sa volonté ou sa ligne rédactionnelle, une information donnée ou l’opinion d’un tiers. Il releva que la première requérante ne jouissait plus du monopole de la radio- et télédiffusion en Suisse, et qu’aucune obligation particulière ne lui incombait donc à cet égard. Il ajouta qu’un droit d’accès à la partie rédactionnelle d’un programme n’est reconnu qu’exceptionnellement, lorsque le diffuseur donne directement ou indirectement la parole à certains partis politiques, personnes ou organisations et, sans justification objective, refuse de la donner à d’autres groupes comparables, les traitant ainsi de manière discriminatoire.

16.  Le Tribunal fédéral considéra donc que la première requérante pouvait agir en toute autonomie dans la partie rédactionnelle de ses programmes.

17.  Il estima en revanche qu’elle ne pouvait pas se prévaloir d’une telle autonomie dans la sélection de ses contenus publicitaires si elle finançait ses programmes par la publicité. Il fit observer qu’en sa qualité de concessionnaire privilégié de la Confédération, elle ne jouissait pas d’une liberté aussi importante que les entreprises privées, même si elle était liée aux annonceurs par des contrats de droit privé. Il ajouta qu’elle était tenue au respect des droits fondamentaux au sens de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 24 ci-dessous) et que ses conditions générales ne sauraient constituer une base légale propre à justifier des restrictions à ces droits. Il conclut que la première requérante jouissait en matière publicitaire d’une autonomie moins importante qu’en ce qui concerne l’accès à son programme rédactionnel, dans la mesure où il était évident pour le téléspectateur que le message diffusé émanait d’un tiers et qu’il s’agissait d’un contenu publicitaire.

18.  Le Tribunal fédéral considéra qu’étant donné qu’il assumait une tâche de l’État et diffusait des contenus publicitaires, le diffuseur était non seulement tenu de veiller au respect des principes de la protection contre l’arbitraire et de l’égalité de traitement, mais aussi de tenir compte de la dimension idéelle des libertés individuelles. Il estima que celui-ci devait mettre en balance de manière objective les intérêts en présence et prendre dûment en considération le besoin légitime de s’adresser au public. Il considéra que l’opinion du diffuseur sur la valeur ou l’importance du message en cause n’était pas pertinente. Il ajouta que le diffuseur devait s’en tenir à une attitude neutre et objective et qu’il devait aussi, dans une certaine mesure, accepter d’être lui-même critiqué.

19.  Le Tribunal fédéral estima par ailleurs que le refus de diffuser le spot litigieux s’analysait en une restriction à la liberté d’information de l’association recourante, même si les conditions générales de la deuxième requérante prévoyaient une exclusion concernant les émissions préjudiciables à ses intérêts commerciaux ou à son image. Il ajouta que la loi fédérale sur la radio et la télévision interdisait la diffusion d’émissions qui ne respectaient pas la dignité humaine ou qui étaient discriminatoires, contribuaient à la haine raciale, portaient atteinte à la moralité publique ou faisaient l’apologie de la violence (paragraphe 28 ci-dessous), ainsi que toute publicité qui attentait à des convictions religieuses ou politiques, était trompeuse ou déloyale, ou encourageait des comportements préjudiciables à la santé, à l’environnement ou à la sécurité personnelle (paragraphe 31 ci‑dessous).

20.  Le Tribunal fédéral considéra que la publicité litigieuse n’entrait dans aucune de ces catégories et que la première requérante n’avait pas démontré non plus qu’elle portait une atteinte illicite à sa personnalité (paragraphe 37 ci-dessous) ou au principe de la loyauté de la concurrence (paragraphe 38 ci-dessous). Il jugea que cette publicité s’insérait au contraire dans une campagne multimédia dans le cadre de laquelle l’association appelait le public à se rendre sur son site web et à y prendre connaissance des informations qui s’y trouvaient, celles-ci demeurant selon l’association ignorées des autres médias et, en particulier, de la télévision. Il estima qu’elle présentait certes la particularité d’attaquer directement la première requérante, mais que la simple crainte qu’elle pût nuire à la réputation de la première requérante ne suffisait pas à justifier un refus de diffusion, puisque la liberté d’expression permettait notamment de critiquer, outre les pouvoirs publics, les particuliers ou les entreprises privées assumant une tâche de l’État.

21.  Le 4 avril 2016, la société de commercialisation Admeira SA, une association de droit privé dont la première requérante était actionnaire minoritaire, reprit l’activité de la deuxième requérante qui, la même année, fut radiée du registre de commerce.

LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. Le droit interne pertinent

A.    La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« la Constitution fédérale », Recueil systématique du droit fédéral suisse (« RS ») 101)

22.  L’article 17 de la Constitution fédérale est ainsi libellé :

« 1  La liberté de la presse, de la radio et de la télévision, ainsi que des autres formes de diffusion de productions et d’informations ressortissant aux télécommunications publiques est garantie.

2  La censure est interdite.

3  Le secret de rédaction est garanti. »

23.  La liberté économique (Wirtschaftsfreiheit) consacrée dans l’article 27 recouvre aussi la liberté de publicité (Freiheit der Werbung).

24.  Concernant la réalisation des droits fondamentaux, l’article 35 est libellé comme suit :

« 1  Les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique.

2  Quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation.

3  Les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux. »

25.  Dans son Message relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996 (Feuille fédérale 1997 I 1 194-195), le Conseil fédéral exposa la dimension constitutive des droits fondamentaux comme suit :

« Le 1er alinéa exprime l’idée que les droits fondamentaux sont à la base de tout notre ordre juridique et qu’ils doivent inspirer l’ensemble de notre système étatique. Il donne le mandat général de pourvoir à la réalisation effective des droits fondamentaux, ce qui signifie que l’État doit user de tous les moyens permettant d’atteindre le but recherché. Ce mandat implique d’abord l’obligation de s’abstenir de tout comportement qui puisse nuire aux droits fondamentaux ; c’est la fonction classique de défense, qui impose un devoir d’abstention de l’État. Mais le mandat implique également à l’État l’obligation d’adopter un comportement propre à protéger et à servir les droits fondamentaux (fonction positive du mandat aux autorités). En ce sens, le 1er alinéa annonce déjà le principe de l’effet horizontal de ces droits, qui est développé au 3e alinéa du même article. (...) »

« Le 2e alinéa indique les destinataires, ou débiteurs, des droits fondamentaux et s’adresse, en ce sens, aux organes de l’ensemble des collectivités publiques (Confédération, cantons, communes) et aux personnes qui assument une tâche de l’État. Ce sont eux qui doivent respecter et réaliser ces droits, soit en s’abstenant d’un comportement nuisant aux droits fondamentaux, soit en adoptant un comportement propre à les protéger et à les servir. Certains milieux consultés auraient voulu assouplir la règle à l’égard des personnes qui assument des tâches de l’État, arguant du fait qu’elles ne sont pas détentrices de la puissance publique. Mais les délégataires de tâches publiques, quand ils exercent lesdites tâches, se présentent comme des substituts de l’État au nom duquel ils ont le droit d’agir ; en ce sens, ils sont bien investis d’une parcelle de la puissance publique et c’est en tant que tels qu’ils peuvent imposer des obligations à des particuliers. Dès lors, il n’y a pas lieu de les délier de l’obligation de respecter les droits fondamentaux. En revanche, il est tout à fait imaginable que, pour la délégation de certaines tâches étatiques particulières, il faille assouplir, sur l’un ou l’autre point, des obligations résultant d’un droit fondamental déterminé. La formulation du 2e alinéa laisse suffisamment de marge pour que le législateur ou le juge opère certaines différenciations en fonction du type de tâche déléguée ou du titulaire de celle-ci. »

26.  L’article 36 de la Constitution fédérale énonce les restrictions des droits fondamentaux. Il est ainsi libellé :

« 1 Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.

2  Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui.

3  Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé.

4  L’essence des droits fondamentaux est inviolable. »

27.  Les deuxième et troisième alinéas de l’article 93 sont libellés comme suit :

« 2  La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions.

3  L’indépendance de la radio et de la télévision ainsi que l’autonomie dans la conception des programmes sont garanties. »

B.     La loi fédérale sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 (« la LRTV », RS 784.40)

28.  L’article 4 alinéa premier de la LRTV définit de la manière suivante les « exigences minimales quant au contenu des programmes » :

« Toute émission doit respecter les droits fondamentaux. Elle doit en particulier respecter la dignité humaine, ne pas être discriminatoire, ne pas contribuer à la haine raciale, ne pas porter atteinte à la moralité publique et ne pas faire l’apologie de la violence ni la banaliser. »

29.  L’article 6 sur l’autonomie des diffuseurs est ainsi libellé :

« 1  Les diffuseurs ne sont soumis à aucune directive des autorités fédérales, cantonales ou communales si le droit fédéral n’en dispose pas autrement.

2  Ils conçoivent librement leurs publications rédactionnelles et la publicité et en choisissent notamment les thèmes, le contenu ainsi que la présentation ; ils en sont responsables.

3  Nul ne peut exiger d’un diffuseur la diffusion de productions ou d’informations déterminées. »

30.  L’article 9 dispose en son alinéa premier que « [l]a publicité doit être nettement séparée de la partie rédactionnelle du programme et clairement identifiable comme telle. »

31.  L’article 10 alinéa 4 est libellé comme suit :

« 4  Est interdite toute publicité qui :

a.  attente à des convictions religieuses ou politiques ;

b.  est trompeuse ou déloyale ;

c.  encourage des comportements préjudiciables à la santé, à l’environnement ou à la sécurité personnelle. »

32.  L’article 23 se lit ainsi :

« La SSR fournit un service d’utilité publique. Son activité n’a pas de but lucratif. »

33.  L’article 24 alinéa 4 dispose que la SSR contribue notamment « à la libre formation de l’opinion en présentant une information complète, diversifiée et fidèle, en particulier sur les réalités politiques, économiques et sociales ».

34.  En vertu de l’article 25 alinéa premier, « [l]e Conseil fédéral octroie une concession à la SSR. »

35.  L’article 34 est ainsi libellé :

« La SSR est financée en majeure partie par la redevance de radio-télévision. D’autres sources de financement sont possibles, pour autant que la présente loi, l’ordonnance, la concession et le droit international applicable n’en disposent pas autrement. »

36.  Dans le Rapport d’analyse de la définition et des prestations du service public de la SSR compte tenu de la position et de la fonction des médias électroniques qu’il rendit le 17 juin 2016, le Conseil fédéral indiqua que la première requérante proposait « une offre variée, complète et de qualité, et fourni[ssai]t de nombreuses prestations non rentables au service de la société ». Selon lui, les offres des chaînes de télévision privées sans mandat de prestations ni quote-part de la redevance étaient « principalement axées sur le divertissement » et, contrairement aux offres de service public, n’accordaient qu’une « importance secondaire aux informations politiques générales ainisi au’aux émissions culturelles ou de formation » (p. ii).

C.    Le code civil du 10 décembre 1907 (RS 210)

37.  L’article 28 du Code civil est ainsi libellé :

« (...)

1  Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.

2  Une atteinte est illicite, à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi. »

D.    La loi fédérale contre la concurrence déloyale du 9 décembre 1986 (« la LCD », RS 241)

38.  L’article 3 de la LCD recense les méthodes déloyales de publicité et de vente et autres comportements illicites. Selon son point (a), agit de façon déloyale celui qui « dénigre autrui, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes. »

II. La pratique interne pertinente

39.  Dans son arrêt de principe ATF 123 II 402 du 20 août 1997, qui concernait un litige opposant l’association Verein gegen Tierfabriken (« VgT ») à la première requérante et publisuisse SA, le Tribunal fédéral souligna que la publicité pouvait relever du champ d’application de la liberté d’expression. Il précisa néanmoins que l’interdiction de publicité (en l’espèce, de la publicité politique) était admissible dans le cadre des exigences de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour ne partagea pas cet avis et conclut à une violation de l’article 10 de la Convention (VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, n24699/94, CEDH 2001‑VI).

40.  Dans son arrêt de principe ATF 136 I 158 du 4 novembre 2009, le Tribunal fédéral estima que les activités publicitaires de la première requérante relevaient certes du droit privé, mais qu’elles étaient néanmoins étroitement liées à la concession qui lui avait été octroyée pour la diffusion de programmes télévisés en vertu de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale.

41.  Dans son arrêt de principe ATF 138 I 274 du 3 juillet 2012, le Tribunal fédéral statua sur le retrait par les Chemins de fer fédéraux (« CFF ») d’affiches publicitaires qui se trouvaient dans la gare principale de Zurich, c’est-à-dire dans le domaine public. Il estima que la réglementation du droit à l’usage extraordinaire du domaine public (au sens étroit) et de son étendue constituait une tâche de l’État (Staatsaufgabe) qui commandait aux CFF de respecter les droits fondamentaux au sens de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution (grundrechtsgebunden, paragraphe 24 ci-dessus). Comme dans la présente affaire, la publicité en question servait à financer une tâche relevant du service public, à savoir le transport ferroviaire. Le Tribunal fédéral précisa que les CFF non seulement étaient tenus de respecter le principe de l’égalité, mais aussi devaient tenir compte de la portée idéelle particulière des droits fondamentaux dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence. Il considéra qu’ils devaient apprécier les intérêts concurrents selon des critères objectifs et prendre en compte de manière appropriée le besoin légitime de s’adresser au public. Il ajouta que leur décision ne saurait dépendre de ce que les messages en question leur paraissaient plus ou moins importants ou justes.

42.  Le Message du Conseil fédéral du 18 décembre 2002 relatif à la révision totale de la loi fédérale sur la radio et la télévision (Feuille fédérale 2003 1425-1619) contient les passages suivants :

« Bien que la LRTV ne confère à personne le droit à l’antenne, celui-ci peut exceptionnellement être déduit de la Constitution ou de la Convention européenne des droits de l’homme et les litiges y relatifs doivent être portés devant les autorités compétentes. » (p. 1517)

« La LRTV n’établit pas formellement le droit des tiers à l’accès au programme ; pourtant, le refus d’accorder cet accès peut parfois poser problème, notamment sous l’angle de la Constitution ou de la Convention européenne des droits de l’homme (...). Cela ne vaut pas seulement pour les canaux rédactionnels mais également pour l’accès à la partie publicitaire du programme. Il est probable que le refus d’un diffuseur ne sera qu’exceptionnellement jugé contraire au droit. » (p. 1583).

EN DROIT

I.        Considérations SUR LE locus standi

43.  En l’absence d’une demande du Gouvernement de déclarer la requête de la deuxième requérante irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention, la Cour observe proprio motu que cette société avait introduit sa requête le 28 mai 2014, à savoir bien avant la perte de sa personnalité juridique consécutivement à sa radiation du registre du commerce en 2016 (paragraphe 21 ci‑dessus). Elle observe également qu’Admeira SA, la société de commercialisation publicitaire qui lui a succédé, remplit les mêmes tâches pour la première requérante et a exprimé sans équivoque le souhait de maintenir la requête devant la Cour. Elle considère qu’Admeira SA a un intérêt légitime d’obtenir une détermination finale de la requête introduite par la deuxième requérante (voir également, mutatis mutandis, Uniya OOO et Belcourt Trading Company c. Russie, nos 4437/03 et 13290/03, § 263, 19 juin 2014 (avec références), et Euromak Metal Doo c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 68039/14, § 33, 14 juin 2018). Partant, la Cour accepte qu’Admeira SA a la qualité pour poursuivre la requête au nom de la deuxième requérante.

II.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

44.  Les requérantes allèguent que l’obligation qui leur a été faite de diffuser le spot litigieux a emporté violation de l’article 10 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

45.  Le Gouvernement réfute cette allégation.

A.    Sur la recevabilité

 

« [E]ntrent dans la catégorie des « organisations gouvernementales », les personnes morales qui participent à l’exercice de la puissance publique ou qui gèrent un service public sous le contrôle des autorités. Pour déterminer si tel est le cas d’une personne morale donnée autre qu’une collectivité territoriale, il y a lieu de prendre en considération son statut juridique et, le cas échéant, les prérogatives qu’il lui donne, la nature de l’activité qu’elle exerce et le contexte dans lequel s’inscrit celle-ci, et son degré d’indépendance par rapport aux autorités politiques. »

47.  Concernant la société Radio France, la Cour a relevé que si celle-ci s’était vue assigner des missions de service public et dépendait pour beaucoup de l’État pour son financement, le législateur avait mis en place un régime dont l’objectif était sans aucun doute de garantir son indépendance éditoriale et son autonomie institutionnelle. Sur ce point, elle a estimé que Radio France différait peu des sociétés exploitant des radios dites privées, lesquelles étaient elles-mêmes également soumises à diverses contraintes légales et réglementaires. Elle en a conclu que Radio France était une « organisation non gouvernementale » au sens de l’article 34 de la Convention (voir aussi Österreichischer Rundfunk c. Autriche, no 35841/02, §§ 46-53, 7 décembre 2006, et MacKay et BBC Scotland c. Royaume-Uni, no 10734/05, §§ 18-19, 7 décembre 2010).

48.  De même, rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions sont aussi remplies en l’espèce et que la première requérante a qualité pour agir devant la Cour (Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, no 34124/06, § 22, 21 juin 2012).

49.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Les thèses des parties

a)      Les requérantes

50.  Les requérantes soutiennent que l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 24 ci-dessus) n’est pas directement applicable. Elles estiment d’une part que la notion de « tâche de l’État » (Staatsaufgabe) qui figure dans cette disposition est excessivement vague et d’autre part que le cercle des destinataires concernés et les obligations que ceux-ci doivent assumer n’y sont pas définis de manière prévisible. Elles arguent que quoi qu’il en soit, l’acquisition et la diffusion de la publicité ne sont pas des tâches qui relèvent du mandat de service public et que, ne serait-ce que pour cette raison, elles ne peuvent pas constituer une tâche de l’État. Elles considèrent au contraire qu’en tant qu’activités économiques accessoires se déroulant exclusivement sur le terrain du droit privé, ces tâches constituent une source supplémentaire de financement pour les programmes de la première requérante. Elles en déduisent que la publicité ne relève pas d’un service d’utilité publique (Dienst für die Allgemeinheit) et qu’elles agissent dans ce domaine comme toute autre entité privée soumise à la libre concurrence, ce qui signifie selon elles qu’elles sont libres de choisir la publicité qu’elles diffusent ou qu’elles refusent de diffuser (elles citent à l’appui de leur thèse l’affaire Remuszko c. Pologne, n1562/10, 16 juillet 2013).

51.  Les requérantes estiment que l’obligation qui leur a été faite de diffuser le spot litigieux ne poursuit aucun but légitime. Elles allèguent que le spot litigieux avait en fait pour but de porter sur la place publique l’aversion de l’association pour la première requérante. Cette dernière soutient que la « protection de la réputation » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention est un but propre à justifier l’interdiction de pareille publicité négative sur ses chaînes.

52.  Sur la question de la proportionnalité de l’ingérence, la première requérante allègue que depuis l’arrêt VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, n24699/94, CEDH 2001‑VI et l’entrée en vigueur de la LTVR, l’association a accès à la plateforme de publicité télévisée et ses spots publicitaires ont toujours été diffusés (218 diffusions entre 2013 et 2015). Elle soutient que c’est uniquement le spot litigieux, dont elle estime qu’il nuit à sa réputation, qu’elle a refusé de diffuser dans ses blocs publicitaires. Elle avance qu’elle est tenue par la loi de diffuser des informations objectives et pluralistes. Or, soutient-elle, l’association l’accuse dans le deuxième spot publicitaire de passer sous silence certaines informations, de fournir une information incomplète, de dissimuler certains faits et d’être manipulatrice (autrement dit, de diffuser des fake news). Elle considère que le spot en question nie qu’elle propose une information objective. Elle argue par ailleurs qu’en l’obligeant à diffuser ce spot publicitaire, on la contraint à « s’auto‑diffamer ». Elle s’estime donc victime d’une double atteinte à sa réputation au sens de l’article 10 § 2 de la Convention, d’une part à raison de la teneur - négative à ses yeux - des propos contenus dans le spot, et d’autre part à raison de l’humiliation que, selon elle, l’obligation de diffuser pareils propos sur ses chaînes lui infligerait.

53.  Les requérantes allèguent que l’association dispose de nombreux autres moyens de communication pour formuler ses critiques envers la première requérante, et qu’elle peut notamment le faire en diffusant sa première version de son spot (paragraphe 8 ci-dessus), ou en optant pour une diffusion sur Internet, dans des journaux ou hebdomadaires, voire sur une autre chaîne de télévision. Elles arguent que l’association a mené sa campagne sur d’autres supports principalement, en utilisant le slogan « Ce que les autres médias passent sous silence » - c’est-à-dire la version initiale du spot –, et que c’est uniquement dans le programme télévisé en langue allemande de la requérante que l’association a utilisé le slogan « Ce que la télévision suisse passe sous silence », ce qu’elles trouvent étrange. Elles affirment que dans les programmes diffusés par la première requérante pour les autres régions linguistiques de la Suisse, l’association n’a pas demandé que le spot litigieux soit diffusé.

54.  Elles en concluent que contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la différence entre la première et la deuxième version du spot publicitaire est énorme et ne pouvait que conduire au refus du spot litigieux. Elles estiment que la version initiale du spot s’adressait aux médias en général, mais que le reproche formulé dans la deuxième version s’adressait à une entreprise de médias précise, à savoir la première requérante.

55.  Les requérantes réfutent l’argument selon lequel seuls les programmes de la première requérante permettraient de « toucher l’ensemble du public suisse ». Elles reconnaissent que l’arrêt VgT (précité) renferme un tel constat en son paragraphe 77, mais elles arguent qu’il date de dix-sept ans et que la diffusion des informations a profondément changé depuis en Suisse. Elles soutiennent donc que la campagne médiatique de l’association peut être menée en dehors des chaînes de la première requérante, notamment sur d’autres chaînes de télévision privées suisses, sur des chaînes de télévision régionales suisses ayant une mission de service public, ou encore sur des chaînes de télévision privées étrangères offrant des fenêtres publicitaires suisses.

56.  Les requérantes estiment que le refus de diffuser le spot litigieux ne met pas en péril la pluralité des opinions et que la mesure litigieuse, qui selon elles les contraint à porter atteinte à leur bonne réputation, par le biais de leur propre médium de surcroît, n’est donc pas nécessaire dans une société démocratique.

b)      Le Gouvernement

57.  En ce qui concerne la base légale de l’ingérence litigieuse, le Gouvernement est d’avis que celle-ci est précise. Il avance que la première requérante, qui dispose d’une concession pour une activité relevant du service public et qui est financée dans une très large mesure par la redevance de radio-télévision, exerce une tâche de l’État au sens de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale. Il concède que dans ses activités publicitaires, la première requérante n’agit pas directement dans le cadre du mandat légal relatif à ses programmes. Il considère cependant que la publicité constitue pour elle une activité accessoire importante, destinée à financer ses programmes, et qu’elle est ainsi étroitement liée à sa tâche étatique. Il estime en outre que son mandat lui confère une position particulière dans le paysage médiatique suisse et lui assure des avantages considérables sur le marché publicitaire. Il soutient par conséquent que l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale s’applique également à l’activité publicitaire de la première requérante, et que celle-ci est donc tenue dans ce cadre de respecter les droits fondamentaux. Il déduit en outre de la pratique de la Cour et du Tribunal fédéral que l’applicabilité de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale était prévisible pour les requérantes.

58.  Sur la question de l’existence d’un but légitime, le Gouvernement soutient que l’ingérence litigieuse visait la garantie du pluralisme nécessaire au fonctionnement d’une société démocratique ainsi que la protection des droits d’autrui.

59.  Le Gouvernement est d’avis que l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique. Il considère que par la publicité litigieuse, l’association cherchait à diriger les téléspectateurs vers son site web et les informations qui s’y trouvaient, et à informer ainsi le public sur ses thèmes de prédilection et sur le fait que, selon elle, les médias ne rendaient pas suffisamment compte de ses actions. Il estime qu’elle pouvait à cette fin se prévaloir de sa liberté d’expression.

60.  Dans ce contexte, le Gouvernement soutient que la Cour, dans sa jurisprudence, accorde une grande importance au rôle fondamental que joue dans une société démocratique la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention, notamment lorsque celle-ci sert à communiquer des informations et des idées d’intérêt général, ainsi qu’au rôle particulier que jouent les médias audiovisuels à cet égard. Il estime que l’association cherchait à communiquer des opinions controversées et que la publicité litigieuse ne relevait donc pas du domaine commercial. Il considère que lorsqu’une organisation non gouvernementale cherche à attirer l’attention du public sur des sujets d’intérêt public, elle exerce un rôle de chien de garde, semblable par son importance à celui de la presse. Il soutient donc qu’en l’espèce, la liberté d’expression de l’association méritait une protection particulière.

61.  Le Gouvernement estime que l’autonomie de la première requérante était limitée en l’espèce. Il soutient en effet que le spot litigieux devait être diffusé dans les blocs publicitaires et, par conséquent, qu’il était sans lien avec le mandat d’intérêt public de la requérante et qu’il apparaissait clairement pour les téléspectateurs qu’il ne s’agissait pas d’un programme de la requérante mais de l’avis d’un tiers.

62.  Le Gouvernement affirme que le contenu du spot n’était pas contraire aux dispositions constitutionnelles ou légales. Il argue à cet égard que la liberté d’expression protège aussi les informations ou idées qui heurtent, choquent ou inquiètent, et qu’elle sert également à exercer une critique envers des autorités étatiques ou des tiers qui exercent des activités relevant du service public.

63.  Enfin, le Gouvernement renvoie au Rapport du Conseil fédéral du 17 juin 2016 (paragraphe 36 ci-dessus) et avance que les chaînes privées en Suisse n’accordent qu’une importance secondaire aux informations politiques générales et ne sont pas en mesure d’atteindre le même public que la première requérante, qui selon lui jouit d’une importance particulière parmi les médias disponibles en Suisse.

2.    Appréciation de la Cour

a)      Existence d’une ingérence

64 La Cour observe qu’il ne fait pas controverse entre les parties que l’obligation de diffuser le spot litigieux s’analyse en une « ingérence des autorités publiques » dans le droit des requérantes à leur liberté d’expression.

b)      Justification de l’ingérence

65.  Pareille immixtion enfreint la Convention si elle ne répond pas aux exigences du paragraphe 2 de l’article 10. La Cour doit donc déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.

i.   Sur la légalité de l’ingérence

66.  La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » contenus au deuxième paragraphe de l’article 10 imposent non seulement que la mesure incriminée ait une base légale en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (voir, parmi beaucoup d’autres, Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, § 93, 20 janvier 2020, ainsi que les références qui s’y trouvent citées).

67.  En ce qui concerne l’exigence de prévisibilité, la Cour a dit à de nombreuses reprises qu’on ne peut considérer comme une « loi » au sens de l’article 10 § 2 qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre à une personne de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, elle doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé (Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 121, CEDH 2015, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 141, CEDH 2012). Il en va spécialement ainsi des professionnels habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier ; aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Delfi AS, précité, § 122, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 145, 27 juin 2017, et Chauvy et autres c. France, no 64915/01, §§ 43-45, CEDH 2004‑VI).

68.  Vu la nature générale des dispositions constitutionnelles, le niveau de précision requis de ces dispositions peut être inférieur à celui exigé d’une autre législation (Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 34, CEDH 1999‑III).

69.  La fonction de décision confiée aux tribunaux nationaux sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes ; le pouvoir de la Cour de contrôler le respect du droit interne est donc limité, puisqu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Kudrevičius et autres c. Lituanie [GC], no 37553/05, § 110, CEDH 2015, et les références qui y sont citées). Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, sa tâche se limite à déterminer si les effets de celle-ci sont compatibles avec la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, et Cangı c. Turquie, no 24973/15, § 42, 29 janvier 2019).

70.  En l’espèce, la Cour observe que selon la loi fédérale sur la radio et la télévision, il y a lieu de refuser un spot publicitaire attentatoire à la dignité humaine ou à la moralité publique, ou incitant à la discrimination, à la haine raciale ou à la violence (paragraphe 28 ci-dessus). Sont également interdites les publicités qui attentent à des convictions politiques ou religieuses, qui sont trompeuses ou déloyales, ou qui encouragent des comportements préjudiciables à la santé, à l’environnement ou à la sécurité personnelle (paragraphes 31, 37 et 38 ci-dessus).

71.  Contrairement aux arrêts Animal Defenders International c. Royaume‑Uni ([GC], no 48876/08, CEDH 2013) et VgT Verein gegen Tierfabriken (précité), où la prohibition générale de diffuser de la publicité politique reposait sur une base légale expresse, la Cour note qu’il est incontesté entre les parties que la législation pertinente n’interdit pas en principe la diffusion du spot litigieux en question.

72.  La Cour observe également qu’en vertu de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale, quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation. Ceci est notamment le cas lorsqu’une entreprise privée se voit attribuer une concession pour une tâche relevant du service public.

73.  Les requérantes arguent que le domaine publicitaire ne relève pas du mandat de service public qui a été confié à la première requérante au niveau national et qu’elles sont donc libres, comme dans l’affaire Remuszko, précitée, de choisir la publicité qu’elles diffusent ou refusent de diffuser, notamment lorsqu’il s’agit de publicités qui portent préjudice à la bonne réputation et à la crédibilité de la première requérante.

74.  L’affaire Remuszko concernait le refus d’un journal de faire paraître une publicité payante pour un ouvrage dans lequel étaient présentés sous un jour défavorable les origines de l’un des quotidiens polonais les plus connus, ainsi que ses journalistes et les transactions financières de son éditeur. Il y était question d’une part d’un litige qui opposait des personnes privées jouissant du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention, et d’autre part de la publicité en tant qu’activité économique privée. S’y posait donc la question de savoir si l’État avait une obligation positive de protéger la liberté d’expression et de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu même dans le cadre de relations purement horizontales (Remuszko, précité, §§ 59-65, voir aussi Appleby et autres c. Royaume-Uni, no 44306/98, §§ 39‑40, CEDH 2003‑VI). La Cour a relevé que l’obligation incombant à l’État de garantir la liberté d’expression de l’individu ne donne pas aux particuliers ou aux organisations un droit illimité d’accéder aux médias afin de promouvoir leurs opinions (Remuszko, précité, § 79). Un exercice effectif de la liberté de presse présuppose le droit pour les journaux d’établir et d’appliquer leur propre politique concernant la teneur des publicités qu’ils publient (ibidem).

75.  Toutefois, la Cour observe que selon la position du Tribunal fédéral, la relation existant en l’espèce entre les parties ne relève pas d’une relation horizontale comparable à celle qui liait les parties dans l’affaire Remuszko (précitée).

76.  À cet égard, le Tribunal fédéral a considéré que si la première requérante pouvait se prévaloir pleinement de son autonomie dans la partie rédactionnelle de son programme, elle ne pouvait le faire de la même manière en matière de publicité dès lors que cette activité visait à générer des revenus destinés à financer ses programmes. Il a considéré que cette activité économique accessoire était étroitement liée à son mandat légal. Il a soutenu qu’en tant que concessionnaire privilégié de la Confédération suisse, bénéficiant déjà d’un financement public par la redevance de radio-télévision, la première requérante ne jouissait pas de la même liberté qu’une entreprise privée, bien qu’elle fût liée aux annonceurs par des contrats de droit privé. Il a estimé que la position particulière que le mandat de la première requérante conférait à celle-ci dans le paysage médiatique suisse assurait aux deux requérantes des avantages considérables sur le marché publicitaire. Il en a conclu que les requérantes étaient aussi tenues en matière publicitaire au respect des droits fondamentaux, au sens de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 24 ci-dessus). Il a donc considéré que compte tenu de l’obligation qui était faite aux requérantes de respecter les droits fondamentaux dans le domaine publicitaire (Grundrechtsbindung) également, leurs conditions générales (paragraphes 17 et 19 ci-dessus) ne pouvaient constituer une base légale, au sens de l’article 36 de la Constitution fédérale, propre à justifier une restriction de ces droits (paragraphe 26 ci-dessus).

77.  Compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États contractants (paragraphe 69 ci-dessus), notamment dans le domaine de la publicité (Casado Coca c. Espagne, 24 février 1994, § 50, série A no 285‑A), la Cour est d’avis que les considérations du Tribunal fédéral ne sont ni manifestement mal fondées, ni arbitraires. Elle observe que d’autres solutions plus nuancées, voire un raisonnement contraire, seraient certes concevables, mais que l’argumentation formulée par le Tribunal fédéral n’est pas nouvelle et qu’elle découle de sa jurisprudence, notamment de l’arrêt de principe ATF 136 I 158. Dans cet arrêt, qui concernait une demande de révision introduite à la suite de l’arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, CEDH 2009), la juridiction suprême suisse avait déjà dit que si la première requérante agissait en vertu du droit privé dans le domaine de la publicité, son activité dans ce cadre était néanmoins étroitement liée à la concession qui lui avait été octroyée et qui faisait relever son activité de diffusion de programmes télévisés de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 40 ci‑dessus). La Cour prend également acte de l’arrêt de principe ATF 138 I 274, dans lequel le Tribunal fédéral avait retenu que les activités économiques accessoires, dont la publicité, servant à financer une tâche relevant du service public, étaient également considérées comme des « tâches de l’État » au sens de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale (paragraphe 41 ci-dessus). Enfin, elle observe qu’en 2002, déjà, à la suite de l’affaire VgT, précitée au paragraphe 52, le Conseil fédéral avait retenu dans son message relatif à la révision de la loi fédérale sur la radio et la télévision qu’un « accès à la partie publicitaire du programme » (...) « peut exceptionnellement être déduit de la Constitution » (paragraphe 42 ci‑dessus).

78.  En conséquence, eu égard à leur mandat et à leur position, la Cour est d’avis que les requérantes - qui peuvent toujours s’entourer, au besoin, de conseils éclairés et qui, de surcroît, sont des professionnels hautement spécialisés dans le domaine de la radio et de la télévision – ne peuvent raisonnablement alléguer que l’application de l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale et les conséquences juridiques en découlant étaient imprévisibles dans les circonstances de la cause.

79.  De même, vu la jurisprudence du Tribunal fédéral citée ci-dessus et eu égard au fait que le niveau de précision requis des dispositions constitutionnelles peut être inférieur à celui exigé d’une autre législation (paragraphe 68 ci-dessus), la Cour ne partage pas l’avis des requérantes qui consiste à dire que l’article 35 alinéa 2 de la Constitution fédérale est formulé en des termes vagues.

80.  Partant, la Cour considère que l’interprétation retenue par le Tribunal fédéral n’est ni arbitraire ni manifestement déraisonnable. Elle estime que l’ingérence était « prévue par la loi » aux fins du paragraphe 2 de l’article 10.

ii.   Sur la légitimité de l’ingérence

81.  La Cour souscrit à la thèse du Gouvernement qui consiste à dire que l’ingérence visait la garantie du pluralisme nécessaire au fonctionnement d’une société démocratique et ainsi la « protection des droits d’autrui » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. Partant, elle n’est pas convaincue de l’argumentation des requérantes selon laquelle l’obligation qui leur a été faite par le Tribunal fédéral de diffuser le spot litigieux ne poursuit aucun but légitime. Toutefois, dans la mesure où les requérantes se plaignent que l’ingérence porte atteinte à leur réputation la Cour est d’avis que cette question est étroitement liée à celle de la « nécessité dans une société démocratique » de la mesure litigieuse et préfère l’aborder sous cet angle-là.

iii.   Sur la proportionnalité de l’ingérence

82.  Les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence donnée dans l’exercice de la liberté d’expression ont été résumés dans l’arrêt Stoll c. Suisse ([GC], no 69698/01, § 101, CEDH 2007‑V) et rappelés dans de nombreux arrêts de Grande Chambre (voir, entre autres, Animal Defenders International, précité, § 100, Morice c. France, [GC], no 29369/10, § 124, CEDH 2015, et Pentikäinen c. Finlande [GC], no 11882/10, § 87, CEDH 2015) :

« i.  La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (...)

ii.  L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

iii.  La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (...) »

83.  Dans l’arrêt VgT (précité, § 69), la Cour a dit que les autorités suisses disposent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un « besoin social impérieux » d’ordonner la diffusion d’une publicité. Pareille marge d’appréciation est particulièrement indispensable en matière commerciale, en particulier dans un domaine aussi complexe et fluctuant que la publicité (markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, 20 novembre 1989, § 33, série A no 165, et Jacubowski c. Allemagne, 23 juin 1994, § 26, série A no 291‑A). Toutefois, il y a lieu de relativiser l’ampleur de cette marge d’appréciation, puisque l’enjeu portait non pas sur les intérêts strictement « commerciaux » de tel individu mais sa participation à un débat touchant à l’intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI).

84.  En l’espèce, la Cour note que le spot litigieux échappe au contexte commercial normal dans lequel il s’agit d’inciter le public à acheter un produit particulier (VgT, précité, § 70). Ce spot faisait en effet partie d’une campagne multi-médiale par le biais de laquelle l’association cherchait à faire connaître son site web et les informations relatives à la protection des animaux qui y étaient publiées. Estimant que ces informations n’étaient pas relayées dans les programmes des autres médias, et en particulier dans ceux de la première requérante, l’association cherchait aussi à attirer l’attention sur ce point. Dans ce contexte, la Cour partage l’avis du Tribunal fédéral qui consiste à dire que l’association pouvait pour ce faire se prévaloir de sa liberté d’expression.

85.  La Cour observe que le spot litigieux différait du spot initial - que les requérantes avaient accepté de diffuser - uniquement parce qu’au lieu d’affirmer que les médias en général taisaient les informations diffusées par l’association, il sous-entendait spécifiquement que c’était la première requérante qui taisait les informations en question. Elle considère donc que cet aspect de la campagne de l’association touchait à un débat d’intérêt général. Dans ce contexte, elle rappelle l’importance qu’elle accorde dans sa jurisprudence au rôle fondamental que joue dans une société démocratique la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention, notamment lorsqu’elle sert à communiquer des informations et des idées d’intérêt général, ainsi que le rôle particulier des médias audiovisuels à cet égard (VgT, précité, § 73). En raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l’image, ceux-ci ont des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite. La fonction de la télévision, source familière de divertissement au cœur de l’intimité du téléspectateur, renforce encore leur impact (Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, § 97, CEDH 2009 (extraits)).

86.  La Cour note en revanche que les requérantes se sentent désavouées et atteintes dans leur réputation par le spot litigieux. Elles sont d’avis que celui-ci accuse la première requérante de ne pas proposer une information objective et que l’obligation de diffuser de tels propos négatifs sur ses propres ondes est humiliante pour cette dernière. À cet égard, elles arguent que « la protection de la réputation » est aussi un but légitime reconnu par l’article 10 § 2 de la Convention.

87.  Sur ce point, la Cour rappelle que lorsqu’elle examine la nécessité dans une société démocratique d’une restriction apportée à la liberté d’expression en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », elle peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre deux valeurs garanties par la Convention qui peuvent entrer en conflit dans certaines affaires, à savoir, d’une part, la liberté d’expression protégée par l’article 10 et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 84, 7 février 2012). Si la mise en balance de ces deux droits par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (voir, à titre d’exemple, Cicad c. Suisse, no 17676/09, §§ 47-48, 7 juin 2016, et GRA Stiftung gegen Rassismus und Antisemitismus c. Suisse, no 18597/13, §§ 54-55, 9 janvier 2018, et les références qui y sont citées).

88.  La Cour observe que le Tribunal fédéral a considéré lors de son analyse détaillée des intérêts en jeu que la simple crainte que le spot litigieux puisse nuire à la réputation de la première requérante ne suffisait pas à justifier un refus de diffusion, la liberté d’expression permettant notamment de critiquer, outre les pouvoirs publics, les particuliers ou entreprises privées qui assument des tâches de l’État (paragraphe 20 ci‑dessus).

89.  La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette appréciation. Elle rappelle qu’au vu de sa position particulière dans le paysage médiatique suisse, la première requérante est tenue d’accepter des avis critiques (les limites de la critique admissible la concernant étant comparables à celles qui s’appliquent aux personnalités politiques exposées ; voir, mutatis mutandis, GRA Stiftung gegen Rassismus und Antisemitismus, précité, § 75, et Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche, no 39394/98, § 30, CEDH 2003‑XI) et de leur offrir un espace sur ses canaux de diffusion, même s’il s’agit d’informations ou d’idées qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 124, et Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 48, 29 mars 2016). De surcroît, la Cour observe qu’il était prévu que le spot litigieux serait diffusé dans les blocs publicitaires, qui, ainsi que la loi le commande, doivent être « nettement séparé[s] de la partie rédactionnelle du programme et clairement identifiable[s] comme tel[s] » (paragraphe 30 ci-dessus). Ainsi, il était évident pour les téléspectateurs qu’il s’agissait de l’avis d’un tiers, qui était certes présenté de manière très provocatrice, mais qui était manifestement une publicité sans lien avec les programmes de la première requérante.

90.  Enfin, la Cour avait effectivement constaté dans l’affaire VgT (précitée, § 77), que le seul moyen pour l’association de toucher l’ensemble du public suisse était de passer par les programmes télévisés nationaux de la première requérante, les chaînes de télévision régionales privées et les chaînes étrangères ne pouvant pas être reçues sur l’ensemble du territoire suisse. Pourtant, contrairement à ce que semblent soutenir les requérantes, il s’agissait non pas d’un critère décisif qui, à lui seul, aurait suffi à emporter violation de l’article 10 de la Convention, mais d’un facteur parmi d’autres. En l’espèce, la Cour prend acte du Rapport du Conseil fédéral du 17 juin 2016, selon lequel les offres des chaînes de télévision privées sans mandat de prestations ni quote-part de la redevance sont « principalement axées sur le divertissement » et n’accordent qu’une « importance secondaire aux informations politiques générales ainsi qu’aux émissions culturelles ou de formation » (paragraphe 36 ci-dessus). Pour la Cour, il apparaît évident que, comme le Gouvernement l’affirme à juste titre, ces chaînes privées ou les blocs publicitaires diffusés sur des chaînes étrangères ne sauraient atteindre en Suisse la même audience que la première requérante.

91.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’obligation imposée aux requérantes de diffuser le spot publicitaire litigieux ne s’analyse pas en une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté d’expression, et qu’elle était donc « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 10 de la Convention.

92.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.    Dit qu’Admeira SA a la qualité pour poursuivre la requête au nom de la deuxième requérante ;

2.      Déclare la requête recevable ;

3.      Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Milan Blaško                                                                      Paul Lemmens
        Greffier                                                                               Président

 


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