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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VENKEN AND OTHERS v. BELGIUM - 46130/14 (Judgment : Prohibition of torture : Third Section) French Text [2021] ECHR 286 (06 April 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/286.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2021:0406JUD004613014, CE:ECHR:2021:0406JUD004613014, [2021] ECHR 286

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VENKEN ET AUTRES c. BELGIQUE

(Requête no 46130/14 et 4 autres –

voir liste en annexe)

 

 

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Internement d’aliénés délinquants pendant une période significative dans l’annexe psychiatrique d’une prison sans espoir de changement et sans encadrement médical approprié

Art 34 • Perte de la qualité de victime du fait de la réparation d’un montant suffisant couvrant l’intégralité de la période de l’internement • Requérants toujours victimes en l’absence de réparation adéquate et suffisante • Mesures encourageantes des autorités suite à l’arrêt pilote W.D. c. Belgique de 2016, mais poursuite nécessaire des efforts pour résoudre définitivement le problème structurel

Art 5 § 4 et Art 13 (+ Art 3) • Effectivité ou non en pratique des recours préventifs

 

STRASBOURG

6 avril 2021

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Venken et autres c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Georgios A. Serghides, président,
          Paul Lemmens,
          Dmitry Dedov,
          Georges Ravarani,
          María Elósegui,
          Darian Pavli,
          Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 46130/14, 76251/14, 42969/16, 45455/17 et 236/19) dirigées contre le Royaume de Belgique et dont cinq ressortissants de cet État, MM. Bram Venken, Andy Rogiers, Marcel Neirynck, Patrick Clauws et Maurice Van Zandbergen (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mars 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  Les requêtes concernent l’internement des requérants dans l’aile psychiatrique de prisons ordinaires dans lesquelles ils allèguent ne pas avoir bénéficié d’une prise en charge thérapeutique adaptée à leur état de santé mentale. Ils se plaignent également de ne pas avoir eu à leur disposition un recours effectif. Ils invoquent les mêmes griefs tirés des articles 3, 5 §§ 1 et 4, et 13 de la Convention que ceux examinés dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (no 73548/13, 6 septembre 2016).

EN FAIT

2.  Les informations relatives aux requérants sont inclues dans le tableau joint en annexe. Ils sont représentés par Me P. Verpoorten, avocat.

3.  Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

I. LE CONTEXTE DES AFFAIRES

4.  Les requérants sont des délinquants ayant été reconnus pénalement irresponsables de leurs actes et pour lesquels une mesure d’internement a été prononcée en application des articles 1 et 7 de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels, telle que modifiée par la loi du 1er juillet 1964 (« loi de défense sociale » ; voir Claes c. Belgique, no 43418/09, §§ 44-45, 10 janvier 2013, et W.D. c. Belgique, précité, § 37). Ces mesures d’internement ont à chaque fois été ordonnées dans le but, d’une part, de protéger la société et, d’autre part, d’offrir un soutien thérapeutique adapté à la personne internée en vue de sa réinsertion dans la société (L.B. c. Belgique, no 22831/08, § 56, 2 octobre 2012).

II. LES FAITS PROPRES À CHAQUE AFFAIRE

5.  L’internement des requérants a fait l’objet de contrôles périodiques tels que prévus par les dispositions légales en vigueur au moment des faits. Dans le présent arrêt, seules les procédures pertinentes pour l’issue du litige sont mentionnées.

A.    Requête no 46130/14 (Venken)

6.  Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers du 28 septembre 2011, M. Venken fut interné pour des faits qualifiés de coups et blessures.

7.  Le 22 novembre 2011, la commission de défense sociale (« CDS ») d’Anvers décida, compte tenu du comportement du requérant, qu’il serait détenu à la prison de Turnhout dans l’attente d’un placement dans un établissement psychiatrique de sécurité moyenne. Le même jour, le requérant fut privé de sa liberté et placé à la prison d’Anvers.

8.  Le 9 janvier 2013, le requérant intégra la prison de Turnhout.

1.    La procédure pertinente devant les instances de défense sociale

9.  Le 30 juillet 2013, la CDS d’Anvers confirma le maintien du requérant à la prison de Turnhout. Dès qu’il fournirait une attestation qu’il pouvait être accueilli dans un établissement psychiatrique de sécurité moyenne, il pourrait, dans le délai légal, comparaître à nouveau devant la CDS.

10.  Le 8 août 2013, la commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») rejeta le recours introduit par le requérant et confirma la décision de la CDS. Elle estima notamment qu’il n’était manifestement pas question d’une violation des articles 3, 5 §§ 1 et 4 et 13 de la Convention puisque le requérant était détenu dans des conditions adaptées à son état de santé mentale dans l’attente d’un placement dans un établissement adapté. Il n’y avait donc pas lieu d’ordonner une visite des lieux. Le requérant ne pouvait être libéré définitivement ou à l’essai que si son état de santé mentale s’était suffisamment amélioré et que les conditions de son reclassement étaient réunies, ce qui n’était pas le cas, tel que cela ressortait de la décision de la CDS du 30 juillet 2013. La prolongation de la détention du requérant n’était donc pas contraire à l’article 5 § 4 de la Convention. En l’absence d’attestation de possibilité de placement dans un établissement adapté, ordonner son placement immédiat dans un tel établissement n’avait pas de sens.

11.  Par un arrêt du 24 décembre 2013 (P.13.1538.N), la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant qui soulevait un moyen unique tiré de la violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention. La Cour de cassation constata que la décision attaquée avait considéré que la mise en liberté du requérant constituerait un danger pour la société et qu’elle ne pouvait donc pas être ordonnée. Le moyen qui ne visait pas à remettre en cause cette motivation ne pouvait pas aboutir à la cassation et n’était partant pas recevable.

12.  Lors de l’introduction de sa requête le 20 juin 2014, M. Venken était détenu à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.

2.    La procédure en indemnisation devant les juridictions civiles

13.  Le 17 novembre 2014, le requérant cita l’État belge en responsabilité devant le tribunal de première instance d’Anvers en vue d’obtenir, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, l’indemnisation du dommage résultant selon lui de sa privation de liberté en prison dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il demanda une indemnisation à compter du 22 mars 2012. Il évalua provisoirement son dommage moral à la somme de 55 950 euros (EUR), correspondant à 50 EUR par jour de détention irrégulière, à majorer des intérêts à partir du 2 octobre 2013 jusqu’au jour du jugement.

14.  Le 7 novembre 2016, le tribunal de première instance d’Anvers fit partiellement droit à la demande du requérant. Le tribunal considéra qu’eu égard à l’abondante jurisprudence de la Cour, le requérant était fondé à invoquer une violation de l’article 5 de la Convention, et qu’il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner l’article 3 de la Convention. Tous les arguments soulevés par l’État avaient déjà été rejetés par la Cour. Le tribunal estima, à l’appui des éléments en sa possession qu’il était établi que l’État avait commis une faute en maintenant le requérant dans des ailes psychiatriques de prison sans avoir fait le nécessaire pour lui offrir une alternative ou une thérapie digne de ce nom. Le tribunal constata qu’il y avait bien un lien entre la faute commise et le dommage allégué. En ce qui concernait l’indemnisation, le tribunal considéra appropriée une indemnisation de 1 250 EUR par année de détention irrégulière. Il n’estima pas pertinent le parallèle fait par le requérant avec le montant de 50 EUR par jour de détention préventive inopérante dans la mesure où, en l’espèce, la privation de liberté était en soi légale. Compte tenu de la privation de liberté du requérant à compter du 22 novembre 2011, il pouvait être déduit de la jurisprudence de la Cour qu’un retard non justifié pour le placement dans un établissement approprié commençait quatre mois après, soit en l’espèce le 22 mars 2012. La période de détention en prison avait pris fin le 16 avril 2015 (paragraphe 18 ci-dessous). La période ouvrant un droit à indemnisation comptait donc trois ans et un petit mois. Sur cette base, le tribunal octroya la somme globale de 3 800 EUR au requérant, à majorer des intérêts à partir du 2 octobre 2013. Les frais de justice incombaient à l’État.

15.  L’État interjeta appel. Par un arrêt du 29 juin 2017, la cour d’appel d’Anvers donna acte au souhait exprimé par l’État de se désister de son appel, ce qui avait été accepté par le requérant.

16.  Le jugement du tribunal de première instance est donc définitif.

3.    L’évolution de la situation après l’introduction de la requête

17.  Entretemps, le 19 février 2015, la CSDS ordonna le placement du requérant au centre de psychiatrie légale de Gand dès que possible et au plus tard dans les deux mois suivant l’acquisition de l’autorité de la chose jugée de sa décision. Dans l’attente, le requérant serait maintenu à la prison de Merksplas.

18.  Le 16 avril 2015, le requérant fut placé au centre de psychiatrie légale de Gand où il est toujours interné d’après les dernières informations fournies au dossier.

B.     Requête no 76251/14 (Rogiers)

19.  Par un jugement du tribunal correctionnel de Gand du 28 juin 2007, M. Rogiers fut interné pour des faits de coups et blessures volontaires.

20.  Il fit l’objet de libérations à l’essai avec séjour au centre psychiatrique de Zelzate du 3 mars 2009 au 14 août 2009, puis du 13 août 2010 au 24 août 2010.

21.  Le 24 août 2010, il réintégra la prison de Merksplas.

1.    La procédure pertinente devant les instances de défense sociale

22.  Le 27 août 2012, la CDS de Gand ordonna le maintien du requérant à la prison de Merksplas jusqu’à ce qu’une possibilité de reclassement soit trouvée. Un traitement résidentiel semblait nécessaire mais n’était pas disponible.

23.  Le 2 décembre 2013, la CDS rejeta la demande de permission de sortie du requérant et dit pour droit que l’internement se poursuivrait provisoirement à la prison de Merksplas dans l’attente d’un reclassement.

24.  Le 19 décembre 2013, la CSDS rejeta l’appel interjeté par M. Rogiers et confirma la décision de la CDS pour les mêmes motifs que pour M. Venken (paragraphe 10 ci-dessus).

25.  Par un arrêt du 3 juin 2014 (P.14.0686.N), la Cour de cassation rejeta le pourvoi à l’appui duquel le requérant avait soulevé deux moyens tirés de la violation des articles 3, 5 §§ 1 et 4 et 13 de la Convention. Le pourvoi n’était recevable qu’en tant qu’il était dirigé contre le refus de mise en liberté du requérant. Le refus de son transfèrement et le refus de facilités de sortie constituaient des modalités d’exécution de l’internement qui n’étaient pas susceptibles d’un pourvoi en cassation. La Cour de cassation constata en premier lieu que la décision attaquée avait considéré que la mise en liberté du requérant constituerait un danger pour la société et qu’elle ne pouvait donc pas être ordonnée. Un moyen tiré de la violation de l’article 5 § 4 qui ne visait pas à mettre en cause cette motivation ne pouvait pas aboutir à la cassation, et n’était partant pas recevable. S’agissant ensuite d’un moyen tiré de la violation des articles 5 § 4 et 13 de la Convention, la Cour de cassation estima qu’une irrégularité dans l’exécution de la mesure d’internement devait être sanctionnée de manière proportionnée : une thérapie inadaptée pouvait constituer une irrégularité au sens de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention sans pour autant pouvoir justifier la mise en liberté du malade mental si la société s’en trouvait en danger, et le recours effectif visé à l’article 13 ne devait donc pas nécessairement conduire à une mise en liberté de l’intéressé. Enfin, un moyen tiré de la violation des articles 3 et 13 de la Convention fut rejeté au motif que, contrairement à ce qu’alléguait le requérant, la décision attaquée n’avait pas constaté qu’il était détenu dans des circonstances contraires à l’article 3.

26.  Lors de l’introduction de la requête le 3 décembre 2014, le requérant était détenu à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.

2.    La procédure en indemnisation devant les juridictions civiles

27.  Le 16 août 2016, le requérant cita l’État belge en responsabilité en vue d’obtenir l’indemnisation du dommage résultant selon lui de sa privation de liberté en prison dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il demanda une indemnisation à compter du 3 décembre 2007. Il évalua provisoirement son dommage moral à la somme de 148 400 EUR, correspondant à 50 EUR par jour de détention irrégulière, à majorer des intérêts à partir du 8 décembre 2011 jusqu’au jour du jugement.

28.  Le 9 octobre 2017, le tribunal de première instance d’Anvers fit partiellement droit à la demande du requérant. En ce qui concernait l’indemnisation, le tribunal considéra appropriée une indemnisation de 1 250 EUR par année de détention irrégulière. Dans l’attente d’une réponse aux questions posées à la Cour constitutionnelle dans le cadre d’autres affaires concernant la compatibilité des règles de prescription avec la Convention, le tribunal décida de ne pas se prononcer sur la période antérieure au 24 août 2010. Ainsi, tenant compte de la privation de liberté à compter de cette date, le tribunal octroya la somme de 7 250 EUR au requérant, à majorer des intérêts à partir du 17 juillet 2013. Les frais de justice incombaient à l’État. En ce qui concernait la période de détention antérieure au 24 août 2010, l’affaire fut renvoyée au rôle général dans l’attente de l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

29.  Le 31 août 2018, l’État interjeta appel du jugement en demandant à la cour d’appel de déclarer la demande irrecevable car prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2012 et pour le reste de la déclarer partiellement fondée pour un montant de 5 537,50 EUR à majorer des intérêts. Le requérant fit un appel incident.

30.  Par un arrêt du 21 octobre 2019, la cour d’appel d’Anvers réforma le jugement et fit droit aux demandes de l’État. Elle constata que l’État ne contestait plus avoir enfreint les articles 3 et 5 § 1 de la Convention et avoir commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil du fait d’avoir maintenu le requérant en prison pour la période litigieuse sans faire le nécessaire pour mettre à sa disposition une thérapie adaptée. L’État ne contestait pas non plus que le requérant avait souffert un dommage réparable du fait de l’absence d’une thérapie psychiatrique adaptée et appropriée pendant cette période et qu’il y avait un lien de causalité entre le dommage réparable et la faute établie. La discussion ne portait que sur la question de savoir si la demande était prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2012 et celle du montant de l’indemnisation.

31.  Avant la citation du 16 août 2016, le requérant n’avait pas posé d’acte interruptif de prescription. La cour d’appel en déduisit que la demande d’indemnisation pour la période antérieure au 1er janvier 2012 était prescrite en application de l’article 100, alinéa 1er des lois coordonnées sur la comptabilité de l’État. L’article 5 § 5 de la Convention invoqué par le requérant n’empêchait pas l’application des règles internes de prescription. L’existence d’un délai de prescription était en principe compatible avec l’article 6 § 1 de la Convention. Le délai de prescription ne devait par contre pas aboutir à ce qu’une personne détenue soit mise dans une situation qui l’empêchât d’introduire une citation en justice. Or le requérant avait eu la possibilité d’introduire une citation pendant toute la période de sa détention. Le curateur désigné le 27 septembre 2002 pouvait le conseiller et entreprendre les démarches nécessaires à l’introduction d’une action en responsabilité. Le requérant était également assisté par un avocat lors de chacune de ses comparutions devant la CDS avec lequel il était donc régulièrement en contact et avec qui il pouvait discuter des conditions de sa détention et de la possibilité d’introduire une action. Il avait donc eu suffisamment de possibilités pour introduire son action en responsabilité contre l’État belge en temps voulu.

32.  Partant, la cour d’appel déclara la demande du requérant prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2012 et lui octroya une somme de 5 537,50 EUR, pour la période du 1er janvier 2012 au 7 juin 2016 (paragraphe 33 ci-dessous), à majorer des intérêts à compter du 20 mars 2014. Les frais de justice relatifs à la première instance furent partagés et l’indemnité de procédure fut compensée dès lors que la citation introduite par le requérant n’était que très partiellement fondée. En tant que partie succombante, le requérant était tenu de payer les frais de justice relatifs à la procédure d’appel ainsi que l’indemnité de procédure à hauteur du montant minimum de 1 200 EUR.

3. L’évolution de la situation après l’introduction de la requête

33. Entretemps, le 27 mai 2016, la CDS décida du placement du requérant au centre de psychiatrie universitaire Saint-Camille de Bierbeek. Son transfert fut effectué le 7 juin 2016.

34.  Le 8 août 2019, la chambre de protection sociale du tribunal de l’application des peines (« CPS ») décida, selon la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (ci-après « la loi relative à l’internement »), d’accorder au requérant une libération à l’essai avec séjour dans l’établissement Huize de Veuster à Tremelo. Son transfert eut lieu le 19 août 2019.

C.    Requête no 42969/16 (Neirynck)

35. Par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Nivelles du 7 juin 2007, M. Neirynck fut interné pour des faits qualifiés de vol, faux en écritures et escroquerie.

36.  Il fut libéré à l’essai à plusieurs reprises entre le 13 novembre 2008 et le 30 décembre 2009, entre le 6 mai 2010 et le 1er août 2010, entre le 12 octobre 2010 et le 1er décembre 2010, et entre le 28 juin 2012 et le 1er décembre 2012. Il fut à chaque fois réincarcéré à l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout au motif qu’il avait commis de nouveaux faits délictuels ou qu’il ne respectait pas les conditions de sa libération.

1.     La procédure pertinente devant les instances de défense sociale

37.  Le 20 mai 2015, la CDS de Forest constata que l’état de santé mentale du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et que les centres de Rekem, Zelzate et Bierbeek avaient refusé de l’accueillir. La CDS décida par conséquent de son maintien à la prison de Turnhout.

38.  Le 1er juillet 2015, la CSDS rejeta l’appel interjeté par M. Neirynck pour des motifs similaires à ceux retenus par la CSDS dans sa décision relative à M. Venken (paragraphe 10 ci-dessus).

39.  Par un arrêt du 19 janvier 2016 (P.15.1081.N), la Cour de cassation rejeta le pourvoi à l’appui duquel était invoquée une violation des articles 3, 5 §§ 1 et 4, et 13 de la Convention. Le pourvoi n’était recevable qu’en tant qu’il était dirigé contre le refus de mise en liberté du requérant. Le refus de son transfèrement constituait une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation. La décision refusant la mise en liberté avait motivé à suffisance le rejet de l’allégation d’absence de prise en charge thérapeutique effective. Le moyen tiré de l’article 5 § 4 était irrecevable en ce qu’il exigeait une appréciation des faits pour laquelle la Cour de cassation n’était pas compétente et qu’il était tiré de la prémisse que la détention du requérant était irrégulière, ce qui n’avait pas été constaté par la CSDS. Enfin, le moyen tiré de la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ne pouvait pas être admis dès lors que la CSDS avait jugé que le requérant était détenu dans des conditions adaptées à son état de santé mentale et qui n’étaient donc pas contraires à l’article 3 de la Convention.

40.  Lors de l’introduction de la requête le 19 juillet 2016, M. Neirynck était détenu dans l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout.

2.     La procédure en indemnisation devant les juridictions civiles

41.   Le 18 juillet 2016, le requérant cita l’État belge en responsabilité en vue d’obtenir l’indemnisation du dommage résultant de sa privation de liberté en prison dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il demanda une indemnisation à compter du 7 octobre 2007. Il évalua provisoirement son dommage moral à la somme de 122 700 EUR, correspondant à 50 EUR par jour de détention irrégulière, à majorer des intérêts à partir du 4 juin 2011 jusqu’au jour du jugement. Il demanda également à être transféré vers un établissement adapté à son état de santé mentale.

42.  Le 9 octobre 2017, le tribunal de première instance d’Anvers fit partiellement droit à la demande. En ce qui concernait l’indemnisation, le tribunal considéra appropriée une indemnisation de 1 250 EUR par année de détention irrégulière. Dans l’attente d’une réponse aux questions posées à la Cour constitutionnelle dans le cadre d’autres affaires concernant la compatibilité des règles de prescription avec la Convention, le tribunal décida de ne pas se prononcer sur la période antérieure au 25 novembre 2010. Ainsi, compte tenu de la privation de liberté à compter de cette date, le tribunal octroya la somme globale de 8 027,72 EUR au requérant, à majorer des intérêts à partir du 3 octobre 2011 pour 2 100 EUR et à partir du 10 février 2015 pour 5 927,72 EUR. Les frais de justice incombaient à l’État. En ce qui concernait la période de détention antérieure au 25 novembre 2010, l’affaire fut renvoyée au rôle général dans l’attente de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. La demande du requérant d’être transféré vers un établissement adapté fut rejetée au motif que cette compétence incombait seulement à la CPS.

43.  L’État belge interjeta appel du jugement pour les mêmes motifs que dans d’autres affaires similaires (voir, par exemple, paragraphe 29 ci‑dessus). Le requérant fit un appel incident.

44.  Par un arrêt du 28 octobre 2019, la cour d’appel d’Anvers réforma le jugement dont appel et fit droit aux demandes de l’État. Pour les mêmes motifs que dans l’affaire de M. Rogiers (paragraphes 30 et suivants ci‑dessus), la cour d’appel déclara la demande de M. Neirynck prescrite pour la période antérieure au 1er janvier 2012 et lui octroya un montant de 7 912,50 EUR, pour la période du 1er janvier 2012 au 18 février 2019 (paragraphe 45 ci-dessous), à majorer des intérêts. Les frais de justice restaient à la charge de chacune des parties pour ceux qu’elles avaient engagés. L’indemnité de procédure fut compensée dès lors que chacune des parties avait partiellement succombé.

3.     L’évolution de la situation après l’introduction de la requête

45.  Entretemps, le 15 février 2019, la CPS ordonna, selon la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement, le transfèrement du requérant au centre de psychiatrie légale de Gand à la demande du directeur de la section de défense sociale de la prison de Turnhout. Le transfèrement fut effectué le 18 février 2019.

D.    Requête no 45455/17 (Clauws)

46. Par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Gand du 24 janvier 2007, M. Clauws fut interné pour des faits d’incendie criminel d’un bien immobilier. Son internement fut également ordonné le 13 avril 2007 pour des faits d’incendie criminel d’une forêt, le 4 janvier 2013 pour des faits d’incendie criminel d’un bâtiment inhabité, le 11 février 2013 pour des faits de détention de matériel pédopornographique et le 12 janvier 2013 pour des faits d’incendie criminel de véhicules.

47.  Il fut libéré à l’essai avec séjour dans le centre de psychiatrie d’Eeklo du 9 juillet 2007 au 16 novembre 2012 et du 14 mars 2013 au 13 mars 2015.

48.  Le 13 mars 2015, le requérant fut réincarcéré à la prison de Merksplas.

1. La procédure pertinente devant la chambre de protection sociale

49.  Le 21 octobre 2016, le requérant demanda à la CPS de Gand d’ordonner une mesure urgente en application de l’article 54 de la loi relative à l’internement afin de trouver une solution à sa détention irrégulière dans des conditions inadaptées à son état de santé mentale. Il fit valoir que l’urgence était caractérisée du fait de la violation manifeste des articles 3 et 5 de la Convention dès lors qu’il était détenu dans des conditions inadaptées à son état de santé mentale. De surcroît, la dernière décision de la CDS datait de plus d’un an. Il demanda un transfèrement, des autorisations de sortie et de congés, une détention limitée, un bracelet électronique ou sa libération à l’essai.

50.  Le 27 octobre 2016, la CPS déclara la demande irrecevable. Elle estima que pour faire application de la procédure d’urgence, il était nécessaire que les modalités d’exécution demandées fussent tout à fait prêtes à être mises en œuvre, ce qui n’était pas le cas en l’espèce dans la mesure où les demandes étaient formulées de manière arbitraire sans aucune concrétisation. Les demandes étaient même contradictoires entre elles. Elles constituaient l’expression d’un abus de droit et n’étaient dès lors pas recevables. La CPS se dit concernée par la situation générale du manque de soins dans laquelle se trouvaient de nombreux internés pendant trop longtemps. Elle indiqua vouloir soutenir autant que possible le droit aux soins. Toutefois, la procédure entamée par le requérant n’était pas la bonne voie pour atteindre cet objectif.

51.  Le requérant fit opposition du jugement. Il demanda sa libération immédiate conformément aux articles 3, 5 §§ 1 et 4 et 13 de la Convention au motif qu’il ne constituait plus un danger pour la société. Il se référa à l’abondante jurisprudence de la Cour pour démontrer que sa situation constituait une violation de ces dispositions.

52.  Le 22 novembre 2016, la CPS confirma le jugement entrepris. Elle estima que le requérant lui demandait en fait de faire abstraction de sa responsabilité d’apprécier la pertinence des mesures demandées et les critères prévus par la loi pour leur octroi. La question de savoir si le requérant était victime d’une violation de la Convention était une question relevant du fond et non pas de la procédure d’urgence. De surcroît, la demande de mise en liberté immédiate était une demande nouvelle et une telle mesure n’était pas prévue par la loi. Les demandes du requérant n’étaient donc pas recevables.

53.  Par un arrêt du 20 décembre 2016 (P.16.1188.N), la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant à l’appui duquel il avait notamment invoqué un moyen tiré de la violation de l’article 54 de la loi relative à l’internement et des articles 5 § 4 et 13 de la Convention. Conformément à l’article 78 de ladite loi, le pourvoi n’était pas recevable en ce qu’il concernait la demande de transfèrement et les demandes de permissions de sortie et de congés pénitentiaires. S’agissant du moyen tiré de l’article 54 de la loi, la Cour de cassation rappela que le juge du fond appréciait souverainement si la demande de l’interné formulée conformément à cette disposition exigeait un traitement urgent. Elle estima que la CPS n’avait pas ajouté de condition à la disposition invoquée mais qu’elle avait légalement justifié sa décision de déclarer les demandes du requérant irrecevables. Il ne ressortait ni des travaux préparatoires de la loi relative à l’internement ni de l’article 54 de la loi que la notion d’« urgence » de cette disposition était la même que celle prévue à l’article 584 du code judiciaire.

54.  S’agissant du moyen tiré de la violation des articles 5 § 4 et 13 de la Convention, la Cour de cassation considéra que ces dispositions n’empêchaient pas des limitations au droit d’accès à un juge. La loi relative à l’internement organisait un contrôle à intervalles réguliers et dans un délai raisonnable de l’internement sans que l’interné ne dût en prendre l’initiative. L’article 54 de ladite loi prévoyait une exception au système de contrôle périodique en cas d’urgence permettant à l’interné ou à son avocat de demander à la CPS de prendre une décision relative à une modalité de l’internement. Le fait que l’interné ou son avocat ne pouvaient faire une telle demande qu’en cas d’urgence ne restreignait pas le droit d’accès à un juge dans sa substance même. Le moyen qui soutenait que dès lors que les conditions de détention étaient prétendument contraires à l’article 3 de la Convention une décision devait être prise conformément à l’article 54 de la loi, manquait en droit.

55.  Lors de l’introduction de la requête devant la Cour le 20 juin 2017, M. Clauws était interné dans l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.

2. La procédure en indemnisation devant les juridictions civiles

56.  Le 16 janvier 2017, le requérant cita l’État belge en responsabilité en vue d’obtenir l’indemnisation du dommage résultant selon lui de sa privation de liberté en prison dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il demanda une indemnisation à compter du 14 janvier 2013, et un montant de 50 EUR par jour de détention irrégulière, à majorer des intérêts.

57.  Le 1er avril 2019, le tribunal de première instance d’Anvers fit partiellement droit à sa demande. Le tribunal constata que l’État reconnaissait sa faute, le lien de causalité entre la faute et le dommage, ainsi que l’existence du dommage dans le chef du requérant. Le tribunal décida qu’il y avait lieu d’octroyer une indemnisation à compter du 13 mars 2015, et non pas à compter du 14 janvier 2013. En effet, le requérant avait été mis en liberté à l’essai entre le 14 mars 2013 et le 13 mars 2015, cette période ne pouvant dès lors pas donner droit à un dédommagement. En ce qui concernait la période entre le 16 novembre 2012 et le 14 mars 2013, aucune faute de l’État ne pouvait être constatée du fait d’avoir détenu le requérant dans une prison ordinaire pendant quatre mois seulement. Pour la période à compter du 13 mars 2015, le tribunal considéra appropriée une indemnisation de 1 250 EUR par année de détention irrégulière. Il condamna l’État à payer au requérant la somme globale de 4 350 EUR au requérant, à majorer des intérêts à partir du 7 décembre 2016. Compte tenu du fait qu’il n’était que partiellement fait droit à la demande, il y avait lieu de compenser les frais de justice et de partager de manière égale les autres frais de procédure. Cela ne portait pas atteinte au droit d’accès à un tribunal dès lors que le requérant avait bénéficié de l’aide juridique.

58.  Par un arrêt du 30 novembre 2020, la cour d’appel d’Anvers déclara l’appel interjeté par le requérant partiellement fondé. Constatant la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention, la cour d’appel rappela que le montant octroyé ne pouvait pas être défini de façon automatique et qu’il lui appartenait de l’évaluer en fonction de la situation individuelle de chaque interné. Sur la base d’un examen in concreto, la cour d’appel estima qu’en raison de la durée particulièrement longue de la détention inappropriée du requérant et de l’absence de traitement adéquat, l’octroi d’une réparation dont le montant équivalait à 3,42 EUR par jour de détention minimalisait le préjudice subi. Elle octroya dès lors ex aequo et bono le montant de 8 000 EUR au requérant, à majorer des intérêts à compter du 10 novembre 2016. Cette somme fut octroyée pour la totalité de la période demandée par le requérant, c’est-à-dire du 14 janvier 2013 au 3 septembre 2018, à l’exclusion de la période entre le 14 mars 2013 et le 13 mars 2015 pendant laquelle le requérant était interné au centre psychiatrique Saint-Jean à Eeklo. La cour d’appel dit pour droit que chaque partie devait supporter ses propres frais et que les autres frais de procédure devaient être partagés de manière égale. Cet arrêt est définitif.

3. L’évolution de la situation du requérant après l’introduction de la requête

59.  Entretemps, le 23 août 2018, la CPS avait décidé, selon la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement, du transfèrement du requérant au centre de psychiatrie légale de Gand. Le transfèrement fut effectué le 3 septembre 2018.

60.  Le 21 juin 2019, la CPS décida, selon la procédure d’urgence, de libérer M. Clauws à l’essai avec séjour au centre Itinera de Beernem.

E.     Requête no 236/19 (Van Zandbergen)

61.  Par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Malines du 13 mars 1992, M. Van Zandbergen fut interné pour des faits qualifiés d’homicide volontaire.

62.  Son internement eut lieu à la prison de Turnhout pendant les périodes suivantes : du 13 mars 1992 au 19 juillet 2001, du 17 août 2001 au 8 novembre 2001, du 10 avril 2003 au 13 août 2012, du 7 novembre 2012 au 21 juin 2016 et du 2 mars 2018 au 9 janvier 2019.

1. La procédure pertinente devant la chambre de protection sociale

63.  À une date non précisée au cours de la procédure d’examen périodique de son internement, le requérant demanda à la CPS d’Anvers d’ordonner sa libération immédiate ou, à titre subsidiaire, de trouver une solution à sa détention irrégulière.

64.  Le 26 septembre 2018, la CPS d’Anvers rejeta la demande du requérant et ordonna son placement à la prison de Turnhout dans l’attente d’un placement dans un centre de psychiatrie légale. La CPS indiqua qu’elle tirait sa compétence de la loi relative à l’internement et qu’elle ne pouvait ordonner la mise en liberté qu’en application de ladite loi. La CPS pouvait certes constater une éventuelle violation de la Convention mais elle ne pouvait y réserver que les suites prévues par la loi. La CPS n’avait donc pas la compétence pour se prononcer sur un éventuel manquement de l’État belge à son obligation de transférer le requérant dans un délai raisonnable vers un des établissements indiqués par la loi. La mise en liberté immédiate demandée par le requérant était contraire à la loi et ne pouvait donc pas être ordonnée. Malgré l’éventuelle irrégularité de la privation de liberté d’un interné, le fait que sa mise en liberté constituerait un risque pour la société pouvait constituer un motif suffisant pour le maintenir en détention.

65.  La CPS observa que le service psychosocial de la prison ainsi que son directeur préconisaient le transfèrement du requérant dans un milieu résidentiel de haute sécurité, un centre de psychiatrie légale ou un service du centre psychiatrique universitaire Saint-Camille à Bierbeek. Compte tenu du profil à risque du requérant, seul un transfèrement dans un cadre strict était envisageable. Il était clair qu’il n’y avait pas, au moment de l’examen de la situation, un plan de reclassement concret permettant de neutraliser le risque de récidive et de fuite. La CPS rejeta partant la demande subsidiaire d’un reclassement résidentiel. La CPS précisa que le directeur de la prison devait rendre un nouvel avis au plus tard le 26 septembre 2019.

66.  Par un arrêt du 23 octobre 2018 (P.18.0983.N), la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Conformément à l’article 78 de la loi relative à l’internement, le pourvoi n’était recevable qu’en ce qu’il concernait le rejet de la demande de mise en liberté immédiate. S’agissant du moyen tiré de la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention, la Cour de cassation estima qu’une irrégularité dans l’exécution de la mesure d’internement devait être sanctionnée de manière proportionnée : une thérapie inadaptée pouvait constituer une irrégularité au sens des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention et de l’article 2 de la loi relative à l’internement sans pour autant pouvoir justifier la mise en liberté du malade mental si la société s’en trouvait en danger. Le fait que la mise en liberté d’un interné constituait un danger pour la société pouvait constituer un motif suffisant sur le fondement duquel la CPS pouvait décider du maintien de l’interné en détention, à la condition que la CPS opérât une mise en balance entre l’intérêt de la société qui devait être protégée et l’éventuelle irrégularité de la privation de liberté de l’interné qui demandait sa mise en liberté. Il revenait donc à la CPS d’apprécier la proportionnalité du maintien en détention de l’interné.

67.  En l’espèce, la CPS avait, après avoir opéré une mise en balance entre les intérêts de la société et l’éventuelle irrégularité de la privation de liberté du requérant, apprécié la proportionnalité de la mise en liberté immédiate demandée avec les intérêts de la société pour arriver à la conclusion que lesdits intérêts commandaient que le requérant ne fût pas mis en liberté. Cette décision était légalement justifiée. Le moyen ne pouvait donc pas être accueilli.

68.  Le moyen tiré de la violation des articles 5 § 4 et 13 de la Convention n’était pas recevable dans la mesure où il était dirigé contre la loi relative à l’internement. Pour le reste, il ressortait de la réponse donnée au premier moyen qu’une irrégularité au sens de l’article 5 § 4 de la Convention ne devait pas nécessairement être sanctionnée par la mise en liberté du malade mental si la société s’en trouvait mise en danger. Le moyen tiré d’une autre prémisse juridique manquait en droit.

69.  Lors de l’introduction de la requête le 21 décembre 2018, le requérant était détenu dans l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout.

2. La procédure en indemnisation devant les juridictions civiles

70.  Entretemps, le 27 février 2017, le requérant avait cité l’État belge en responsabilité en vue d’obtenir l’indemnisation du dommage résultant selon lui de sa privation de liberté en prison dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il demanda une indemnisation à compter du 13 juillet 1992. Il évalua provisoirement son dommage moral à la somme de 405 500 EUR, correspondant à 50 EUR par jour de détention irrégulière, à majorer des intérêts à partir du 20 février 2003 jusqu’au jour du jugement. Le requérant demanda également à ce que le tribunal ordonne son transfert vers un établissement adapté à son état de santé mentale sous peine d’astreinte.

71.  Le 3 décembre 2018, le tribunal de première instance de Bruxelles fit partiellement droit à la demande du requérant. Le tribunal estima que le fait que l’État avait reconnu la violation de la Convention et une faute dans son chef n’entrait pas en contradiction avec le fait qu’il invoquait les règles de prescription. L’article 5 § 5 de la Convention n’empêchait pas non plus l’État d’invoquer lesdites règles. La Cour avait déjà jugé que l’application d’un délai de prescription visait le but légitime de la sécurité juridique et évitait des problèmes d’appréciation de l’affaire et d’administration des preuves. Les règles de prescription devaient toutefois être proportionnées aux buts légitimes visés. Il n’y avait en l’espèce pas de motif pour écarter le délai de prescription : la créance du requérant naissait et grandissait chaque jour, le requérant n’avait pas été déclaré incapable et il n’avait pas démontré qu’il aurait dû l’être ou qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité d’agir de manière autonome. La demande était donc prescrite en ce qu’elle concernait la période de détention antérieure au 27 février 2012. Pour la période postérieure à cette date, il était très difficile d’évaluer le dommage subi. Seul un montant forfaitaire était raisonnablement possible. Dès lors, tenant compte des règles de prescription et limitant donc les périodes de privation de liberté à prendre en considération à celles du 27 février 2012 au 5 novembre 2018 (date à laquelle l’affaire avait été mise en délibéré), le tribunal octroya la somme de 8 785 EUR au requérant, à majorer des intérêts à partir du 3 juillet 2015 jusqu’au jour du jugement.

72.  Le tribunal fit également droit à la demande du requérant d’être transféré vers un établissement adapté endéans un mois après la signification du jugement, sous peine d’une astreinte de 250 EUR par jour de retard. L’État fut condamné au paiement des frais de procédure : l’indemnité de procédure et les frais de citation.

73.  L’appel interjeté par l’État était, d’après les informations fournies au dossier, pendant devant la cour d’appel de Bruxelles au 1er février 2021.

3. L’évolution de la situation après l’introduction de la requête

74.  Entretemps, le 26 septembre 2018, la CPS avait décidé du maintien du requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout dans l’attente d’un transfèrement au centre de psychiatrie légale de Gand.

75.  Le 26 décembre 2018, la CPS décida, selon la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement, du transfèrement du requérant au centre de psychiatrie légale de Gand. Le transfèrement fut effectué le 7 janvier 2019.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

76.  Les procédures internes dans les présentes affaires se sont, dans un premier temps, déroulées sous l’empire de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels telle que modifiée par la loi du 1er juillet 1964 (« loi de défense sociale »), puis, à partir du 1er octobre 2016, sous l’empire de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (« loi relative à l’internement »).

77.  Le cadre juridique relatif à l’internement a été exposé dans l’arrêt W.D. c. Belgique (précité, §§ 35-70 ; voir aussi Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, §§ 75-90, 31 janvier 2019). Certaines dispositions de la loi relative à l’internement y sont également décrites (W.D. c. Belgique, précité, §§ 79-86, et Rooman, précité, §§ 91-97). Cet exposé doit être complété comme suit.

I.        LE CONTRÔLE de l’internement organisé par la loi du 5 mai 2014 RELATIVE À L’INTERNEMENT

78.  En vertu de la loi relative à l’internement, les seuls organes de gestion et de contrôle de l’internement sont désormais les chambres de protection sociale (« CPS ») créées au sein des tribunaux de l’application des peines (article 3 § 6). Ces chambres sont composées d’un juge - qui les préside –, d’un assesseur spécialisé en matière de réinsertion sociale et d’un assesseur spécialisé en psychologie clinique (article 78 du code judiciaire).

79.  La CPS compétente décide du placement et du transfèrement des internés (article 19). Elle statue également sur les permissions de sortie, les congés, la détention limitée, la surveillance électronique, la libération à l’essai, l’éloignement ou la remise, et, en dernier ressort, sur la libération définitive (article 34).

80.  La procédure devant la CPS est contradictoire. La CPS entend la personne internée et son avocat, le ministère public, le directeur de l’établissement où la personne est internée ou le responsable des soins, selon le cas. La personne internée comparaît en personne, sauf lorsque des questions médicopsychiatriques en rapport avec son état sont posées et qu’il est particulièrement préjudiciable de les examiner en sa présence. Elle est alors représentée par son avocat (article 30).

81.  L’audience se déroule à huis clos (article 31) et la CPS peut remettre une seule fois l’examen de l’affaire à une audience ultérieure, sans que cette audience puisse avoir lieu plus de deux mois après la remise (article 32).

A.    L’examen périodique automatique

82.  Si la CPS ordonne un placement, elle fixe dans son jugement quand le directeur de l’établissement ou le responsable des soins - selon l’établissement dans lequel la personne internée séjourne - doit rendre un avis.  Ce délai ne peut excéder un an à compter de la date du jugement (article 43).

83.  L’audience de suivi devant la CPS doit avoir lieu au plus tard deux mois après la réception de l’avis du directeur de l’établissement ou du responsable des soins, après avis du ministère public (article 50).

84.  Un pourvoi en cassation peut être introduit par le ministère public ou l’avocat de l’interné contre les décisions de la CPS relatives à l’octroi, au refus ou à la révocation de la détention limitée, de la surveillance électronique, de la libération à l’essai, de la libération anticipée en vue de l’éloignement du territoire et la libération définitive (article 78). Les décisions relatives au placement ou au transfèrement, ainsi que celles relatives aux demandes de permissions de sortie et de congés pénitentiaires ne peuvent pas faire l’objet d’un pourvoi en cassation ou d’un autre recours (voir, par exemple, Cass., 20 décembre 2016, P.16.1188.N, Cass., 23 octobre 2018, P.18.0983.N ; et, dans les causes des requérants, paragraphes 53 et 66 ci-dessus).

85.  Dans un arrêt no 22/2016 du 18 février 2016, la Cour constitutionnelle a été amenée à se prononcer sur un moyen invoquant la violation des articles 10 et 11 de la Constitution (principes d’égalité et de non‑discrimination), lus en combinaison avec l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, par l’article 43 de la loi relative à l’internement au motif que cette disposition priverait l’interné de la possibilité de faire examiner à court terme la légalité de sa détention et d’ordonner sa libération si la détention est illégale. La Cour constitutionnelle a dit ce qui suit :

« B.34.2. L’article 43 de la loi de 2014 sur l’internement règle les conséquences de la décision de la chambre de protection sociale de ne pas accorder la libération à l’essai. Dans ce cas, cette chambre fixe la date à laquelle l’interné ou son conseil peuvent introduire une demande et la date à laquelle le directeur ou le médecin en chef de l’établissement ou le directeur de la maison de justice doit émettre un nouvel avis concernant les diverses modalités. Ce délai est d’un an au maximum.

Selon les travaux préparatoires, « l’on a ainsi l’assurance que le dossier de l’interné est réexaminé périodiquement par le directeur et par la chambre de l’application des peines. Cela permet en même temps à la chambre de l’application des peines d’insérer une ‘période de réflexion’ ne pouvant excéder un an » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, no 5-2001/1, p. 38).

B.35.1. Compte tenu de ce que l’article 43 de la loi de 2014 sur l’internement mentionne que le délai pour réexaminer la situation « ne peut excéder un an », la chambre de protection sociale doit faire figurer, dans son jugement, le délai maximum d’un an, dans lequel l’interné et son conseil peuvent introduire une demande d’examen des modalités d’exécution de l’internement. Ainsi, indépendamment des circonstances concrètes de l’affaire, une nouvelle demande d’examen des modalités d’exécution peut en tout cas être introduite par l’interné et son conseil au plus tard dans l’année du jugement. Cependant, rien n’empêche la chambre de protection sociale de prévoir dans son jugement un délai plus bref si elle l’estime nécessaire.

B.35.2. Il faut en outre tenir compte de l’article 54 de la loi de 2014 sur l’internement, selon lequel l’interné qui estime être privé de sa liberté de manière illicite, ou son conseil, peut intenter une procédure d’extrême urgence par requête écrite adressée au président de la chambre de protection sociale. La chambre statue en urgence sur cette demande dans les cinq jours. La procédure précitée contient une garantie très forte quant au respect de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

86.  La Cour constitutionnelle s’est également prononcée sur un recours en annulation introduit contre la loi du 4 mai 2016 relative à l’internement et diverses dispositions en matière de Justice qui modifia la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement. Un moyen avait été pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec les articles 5 § 4 et 13 de la Convention au motif que le nouvel article 47 de la loi priverait l’interné ou son avocat de la possibilité de demander, au cours de l’internement, à comparaître devant la CPS, sauf urgence, et priverait ainsi l’interné de la possibilité de faire examiner à court terme par le juge la légalité de sa privation de liberté. Par un arrêt no 80/2018 du 28 juin 2018, la Cour constitutionnelle a jugé que ce moyen n’était pas fondé. Elle a considéré que du fait que, parallèlement au système des contrôles périodiques automatiques, un droit d’initiative revenait également à l’interné ou son avocat garantissait qu’une décision pouvait toujours être prise à court terme concernant la régularité de la privation de liberté de l’interné. Dès lors, il n’y avait pas de violation du droit d’accès à un tribunal (considérants B.35.6 et B.36).

B.    La procédure d’urgence

87.  En cas d’urgence, la CPS peut prendre une décision concernant une demande de transfèrement de la personne internée, de permission de sortie, de congé, de détention limitée, de surveillance électronique, de libération à l’essai et de libération anticipée en vue de l’éloignement du territoire ou en vue de la remise (article 54 § 1er).  Une telle demande peut être introduite par le ministère public, par le directeur ou le responsable des soins, selon l’établissement où la personne est placée, ou par la personne internée et son avocat (article 54 § 2). Sauf si la CPS estime que préalablement à la prise d’une décision une audience contradictoire doit être organisée, elle prend l’ordonnance dans les cinq jours ouvrables, sans convocation des parties (article 54 § 4).

88.  Le ministère public ou l’avocat de la personne internée, pour autant que la requête n’émane pas de cette partie, peut former opposition, dans les cinq jours ouvrables qui suivent la notification de l’ordonnance rendue par la CPS (article 54 § 5). L’affaire est alors fixée à la première audience utile de la CPS (article 54 § 6) et la CPS rend sa décision dans les sept jours de la mise en délibéré après avoir entendu les parties (article 54 § 9).

89.  La Cour de cassation a considéré que la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention n’a pas automatiquement pour conséquence de rendre la situation « urgente » au sens de l’article 54 de la loi. Il revient au juge d’apprécier souverainement si la demande d’un interné formulée sur le fondement de cette disposition nécessite un traitement urgent (Cass., 20 décembre 2016, P.16.1188.N, rendu dans l’affaire du requérant Clauws, voir paragraphe 53 ci-dessus).

II.     les recours civils

90.  Il existe aussi la possibilité pour les internés de s’adresser aux tribunaux de l’ordre judiciaire (W.D. c. Belgique, précité, §§ 52-54, et Rooman, précité, §§ 98-103).

A.    La demande en référé

91.  Toute personne en mesure d’invoquer la violation d’un droit subjectif peut introduire une demande devant le tribunal de première instance et se plaindre d’une violation de la loi, notamment de toute disposition conventionnelle qui a un effet direct en droit belge. Le juge peut, éventuellement sous astreinte, faire cesser la violation et, le cas échéant, accorder une indemnité.

92.  En vertu de l’article 584 du code judiciaire, le président du tribunal de première instance, siégeant en référé, peut se prononcer, si l’urgence est établie, sur toute demande en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

93.  Dans un arrêt du 27 janvier 2017 (C.16.0535.N), la Cour de cassation a indiqué qu’il ressortait des dispositions légales applicables que l’internement dans une aile psychiatrique de prison devait être provisoire. Elle a indiqué que la CPS a une compétence spécifique et exclusive pour les affaires d’internement et pour décider, selon la procédure d’urgence ou non, du placement ou du transfèrement d’un interné dans un établissement tel que défini par la loi. En revanche, la CPS n’est compétente ni pour juger d’un éventuel manquement de l’État belge à son obligation de transférer l’interné dans un délai raisonnable vers un établissement approprié ni pour ordonner à l’État belge d’y procéder sous peine d’astreinte. Seul le juge judiciaire est compétent pour ce faire.

94.  Des exemples de jurisprudence où le juge des référés a ordonné que soient fournis des soins adaptés aux internés et/ou leur transfert dans un établissement approprié ont été donnés dans des arrêts antérieurs adoptés par la Cour (Claes, précité, § 73, et Rooman, précité, §§ 48-52).

95.  Depuis lors, lorsque la CPS a prononcé un placement ou un transfert dans un établissement déterminé mais que la décision n’a pas été exécutée faute de place, ou lorsque la CPS a révoqué la libération à l’essai d’un interné, le juge des référés a estimé dans plusieurs affaires que la détention en aile psychiatrique de prison était illégale et a condamné l’État belge à prendre toutes les mesures appropriées en vue de mettre fin à la détention en prison sous peine d’astreinte (voir notamment Civ. Bruxelles (réf.), 17 juin 2019, Civ. Bruxelles (réf.), 8 août 2019, Civ. Bruxelles (réf.), 4 octobre 2019, Civ. Bruxelles (réf.), 13 novembre 2019, et Appel Mons, 22 janvier 2021).

B.    L’action en responsabilité pour faute de l’État

96.  L’État est assujetti aux règles de droit commun de la responsabilité extracontractuelle. L’article 1382 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. En vertu de l’article 1383, chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

97.  La prescription des créances contre l’État fondées sur sa responsabilité civile est de cinq ans, qu’elle se rapporte à des créances nées avant le 1er janvier 2012 (article 100 alinéa 1 des lois coordonnées du 17 janvier 1991 sur la comptabilité de l’État) ou à celles nées après le 1er janvier 2012 (article 2262bis du code civil). Le point de départ de ce délai est toutefois différent selon le cas.

98.  L’article 100 alinéa 1 des lois coordonnées du 17 janvier 1991 sur la comptabilité de l’État prévoit que les créances à charge de l’État se prescrivent lorsque leur recouvrement n’a pas été demandé dans un délai de cinq ans, à compter du 1er janvier de l’année budgétaire au cours de laquelle les créances sont nées.

99.  Par une loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget de la comptabilité de l’État fédéral, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, l’article 2262bis du code civil est devenu applicable à l’administration publique fédérale. Cette disposition prévoit un délai de prescription de cinq ans à compter du jour suivant celui où l’intéressé a pris connaissance du dommage et de l’identité de la personne responsable.

100.  Par un arrêt du 26 avril 2018 (no 50/2018), la Cour constitutionnelle a dit pour droit que l’article 2252 du code civil, tel qu’en vigueur avant le 17 mars 2013, en vertu duquel la prescription court contre toutes personnes, y compris les personnes internées qui n’ont pas été déclarées incapables, n’était pas contraire aux dispositions de la Constitution sur l’égalité et la non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution).

101.  Il ressort des documents fournis par le Gouvernement à l’appui de ses observations que plus de 270 recours indemnitaires ont été introduits sur le fondement de l’article 1382 du code civil par des internés ayant été détenus sans thérapie adéquate afin d’obtenir des dommages et intérêts pour la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention. D’après le Gouvernement, des décisions favorables aux internés ont déjà été rendues dans plus de 200 procédures et l’État reconnait désormais spontanément sa responsabilité et accepte les jugements rendus sans faire appel, sous réserve de l’application du délai de prescription de cinq ans et de l’octroi d’un montant de 1 250 EUR par année de détention sans thérapie. Le Gouvernement précise également qu’un grand nombre de ces recours sont réglés à l’amiable entre les parties.

TEXTES ET RAPPORTS RELATIFS À LA SITUATION EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE

102.  Les dispositions pertinentes des textes internationaux applicables ont été exposées dans l’arrêt Rooman (précité, §§ 116-119).

103.  Les extraits de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique figurent dans les arrêts de principe (voir, entre autres, L.B. c. Belgique, §§ 72-74, et Claes, §§ 42-69 et 70-72, précités) et l’arrêt pilote (W.D. c. Belgique, précité, §§ 71-76).

I.        L’évolution de la situation depuis l’arrêt W.D. c. Belgique

104.  L’offre d’accueil des internés en Belgique a déjà été décrite (W.D. c. Belgique, précité, §§ 56-69, et mise à jour dans Rooman, précité, §§ 106‑114) ainsi que les mesures prises par les autorités nationales pour modifier le cadre légal et améliorer la situation (W.D. c. Belgique, précité, §§ 77-90).

105.  C’est notamment dans le cadre de l’exécution des arrêts de principe précités que les autorités belges ont pris des mesures générales pour améliorer la situation des internés.

106.  Les différents « Masterplan » ont notamment abouti à la création d’un grand nombre de places d’accueil pour les internés dans des institutions de soins (entre autres des centres de psychiatrie légale) avec un contrôle de la façon dont sont traités les internés. Il est prévu que des places supplémentaires soient encore créées dans les prochaines années.

107.  D’après les informations fournies par le Gouvernement, en avril 2016, la Belgique comptait environ 4 230 personnes ayant le statut d’interné, parmi lesquelles 807 étaient détenues en prison. Selon une communication du Gouvernement du 19 mars 2020 au Comité des Ministres, dans le cadre du suivi du groupe d’arrêts L.B. c. Belgique et W.D. c. Belgique, précités, le 1er décembre 2019, le nombre d’internés incarcérés en prison était de 537.

II.     Le suivi de l’exécution par le comité des ministres

108.  Dans le cadre de la surveillance de l’exécution des arrêts de principe et de l’arrêt pilote par le Comité des Ministres, le Gouvernement a présenté un plan d’action révisé le 21 juin 2018. Il y a rappelé la vaste réforme entreprise visant à améliorer la prise en charge thérapeutique des personnes internées qui s’articule autour de la philosophie du trajet de soins.

109.  En ce qui concerne l’effectivité des recours, le Gouvernement a indiqué que la mise en place des CPS devait permettre un suivi plus soutenu de la situation des internés et de meilleures décisions. Si des problèmes devaient subsister malgré tout quant à la non-exécution ou l’exécution tardive de placements ou de transferts, les internés conservaient la possibilité d’introduire une demande en référé devant les tribunaux civils. En outre, le Gouvernement a mentionné le développement d’une jurisprudence visant à indemniser les détenus internés (paragraphe 101 ci‑dessus).

110.  Le 20 septembre 2018, lors de la 1324e réunion Droits de l’Homme (18-20 septembre 2018), dans le cadre du suivi du groupe d’arrêts de principe (L.B. c. Belgique et W.D. c. Belgique, précités) et sur la base du plan d’action révisé soumis par les autorités belges le 7 décembre 2017, le Comité des Ministres a adopté une décision qui se lit comme suit :

« Les Délégués

1. rappellent que le problème structurel, constaté par la Cour, concerne le maintien prolongé d’internés en ailes psychiatriques d’établissements pénitentiaires, sans encadrement thérapeutique adapté ;

2. adoptent la Résolution finale CM/ResDH(2018)350 afin de clore la surveillance de l’exécution de neuf affaires dans lesquelles les mesures individuelles ont été définitivement réglées et invitent les autorités à tenir le Comité informé de la situation des trois requérants, libérés à l’essai, ainsi que de celui qui est recherché ;

3. notent avec intérêt les nouvelles informations détaillées fournies par les autorités, en particulier sur les nouveaux centres de psychiatrie légale qui répondent à des normes de soins adaptées aux internés et sur l’impact à ce jour des nombreuses mesures adoptées, notamment une diminution importante des internés en prison ainsi que le renforcement de l’effectivité du recours préventif devant les « chambres de protection sociale » ;

4. encouragent les autorités à créer un mécanisme national de prévention de la torture pour surveiller tous les lieux de détention, y compris les centres de psychiatrie légale et les hôpitaux psychiatriques ;

5. encouragent également les autorités à instaurer un service garanti en prison, en temps de grève et à poursuivre leurs efforts pour améliorer la situation des soins de santé en prison, en particulier au bénéfice des internés s’y trouvant encore, notamment en finalisant la réforme annoncée à ce sujet ;

6. notent avec satisfaction les importants progrès accomplis par les autorités, tout en les encourageant à mener à terme leur réforme de l’internement pour résoudre complètement le problème structurel constaté par la Cour ; les invitent à transmettre au Comité des informations actualisées, d’ici fin 2019, y compris sur l’évolution des effectifs concernant les internés dans les prisons et davantage d’informations relatives à la jurisprudence s’agissant d’une amélioration possible de leurs soins ainsi que sur le recours indemnitaire. »

111. Au moment de l’adoption du présent arrêt, la surveillance de l’exécution dudit groupe d’arrêts était encore entre les mains du Comité des Ministres.

III.  Les constats du comité européen pour la prévention de la torture et des peines OU TRAITEMENTS inhumains ou dégradants

 

113.  La délégation a notamment visité le centre de psychiatrie légale de Gand qui a ouvert ses portes en 2014 en application du Masterplan Internement. Le CPT a considéré que le fonctionnement de ce centre marquait incontestablement une avancée, tant au niveau de l’approche thérapeutique, que des moyens mis à disposition. De l’avis du CPT, le centre de psychiatrie légale de Gand offrait d’excellentes conditions de séjour aux patients internés, fondées sur une approche différenciée (§ 123). La qualité des soins était globalement bonne, l’offre thérapeutique variée et menée par des équipes pluridisciplinaires généralement en nombre suffisant. Le CPT a néanmoins émis certaines recommandations visant à améliorer la prise en charge des patients, notamment d’augmenter les effectifs en personnel à l’unité de soins intensifs (§ 128).

114.  Le CPT a relevé que les autres structures psychiatriques visitées, notamment les annexes psychiatriques pénitentiaires, souffraient de problèmes systémiques bien connus : fonctionnement et logique de prise en charge de type carcéral, manque cruel de personnel médical et socioéducatif, agents de surveillance en nombre insuffisant et sans formation spécialisée. La situation des internés dans les prisons appelait à des mesures immédiates (§§ 146-163).

115.  S’agissant des garanties juridiques entourant la mesure d’internement, le CPT a indiqué ce qui suit :

« 176. Il est ressorti de la consultation des dossiers individuels des patients que, depuis l’entrée en vigueur de la loi [du 5 mai 2014], les réexamens ne se faisaient généralement que tous les ans, le minimum prévu par la loi. Les avis des CPS étaient correctement documentés et motivés. (...)

Cela étant, le CPT invite les autorités à augmenter la fréquence minimale de ces réexamens à deux par an. »

116.  Sur ce dernier point, dans sa réponse au rapport du CPT datée du 19 juin 2018 (CPT/Inf (2018) 23), le gouvernement belge a répondu ce qui suit :

« Le gouvernement belge ne pense pas qu’il soit opportun de débattre maintenant d’une augmentation à deux réexamens par an pour les raisons suivantes :

- Le délai est d’un an maximum. La CPS peut, en fonction du dossier, déterminer un délai plus court au terme duquel un nouvel avis doit être donné. Ceci arrive souvent.

- En outre, l’interné et son avocat, le directeur ou la personne responsable des soins, et le ministère public ont la possibilité de demander, à tout moment, à la CPS un transfèrement, une permission de sortie, un congé, une détention limitée, une surveillance électronique ou une libération à l’essai dans les situations d’urgence.

Ces deux règles garantissent un suivi adéquat de chaque interné placé. »

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

117.  Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 et 5 § 1 DE LA CONVENTION

118.  Les requérants se plaignent d’avoir été détenus pendant plusieurs années dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans lesquelles ils n’ont pas bénéficié de soins et d’un traitement appropriés à leur état de santé mentale. Ils invoquent une violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Tous les requérants sauf M. Venken invoquent également l’article 3. En leurs parties pertinentes, ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 5 § 1

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e)  s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

(...) »

A.    Procédure pilote et développements ultérieurs

 

120.  La Cour a ensuite appliqué la procédure de l’arrêt pilote dans l’affaire W.D. c. Belgique (no 73548/13, 6 septembre 2016). Elle s’est dite consciente que des efforts conséquents et soutenus sur le long terme étaient nécessaires pour résoudre le problème structurel. Néanmoins, elle a souligné qu’au vu du caractère intangible du droit protégé par l’article 3 de la Convention et de l’importance du droit à la liberté consacré par l’article 5, l’État était tenu d’organiser son système d’internement des personnes délinquantes de telle sorte que la dignité des détenus soit respectée (§ 169). Dès lors, la Cour a encouragé l’État belge à agir afin de réduire le nombre de personnes ayant commis des crimes ou des délits souffrant de troubles mentaux qui sont internées, sans encadrement thérapeutique adapté, au sein des ailes psychiatriques des prisons (§ 170).

121.  La Cour a estimé qu’il était nécessaire d’accorder au Gouvernement un délai de deux ans pour remédier à la situation générale, notamment en prenant des mesures mettant en œuvre la réforme législative, ainsi qu’à la situation des requérants qui avaient porté leurs requêtes devant la Cour avant le prononcé de l’arrêt pilote et des éventuels requérants qui saisiraient la Cour après. Elle a précisé que pour les requérants présents et futurs, ce redressement pouvait être atteint grâce à des mesures ad hoc, qui pourraient faire l’objet de règlements amiables ou de déclarations unilatérales, adoptés conformément aux exigences pertinentes de la Convention (§ 173). Par conséquent, dans l’attente de l’adoption des mesures de redressement, la Cour a décidé d’ajourner la procédure dans toutes les affaires analogues pendant deux ans à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif (§ 174), c’est-à-dire jusqu’au 6 décembre 2018.

122.  La Cour prend note de la mise en œuvre des mesures prises par les autorités (paragraphes 104 et suivants ci-dessus) qui ont permis une réduction importante du nombre d’internés détenus en milieu pénitentiaire (paragraphe 107 ci-dessus), tel que cela a également été noté avec intérêt par le Comité des Ministres dans le cadre de la surveillance de l’exécution des arrêts antérieurs (paragraphe 110 ci-dessus). De nombreuses places en dehors des établissements pénitentiaires ont été créées au cours des cinq dernières années. En particulier, deux centres de psychiatrie légale, à Gand et à Anvers, ont ouvert leurs portes. La prise en charge des internés y semble, d’après le plus récent rapport du CPT, satisfaisante (paragraphes 112 et suivants ci-dessus). La Cour n’a d’ailleurs pas été saisie, au jour de l’adoption du présent arrêt, de requêtes mettant en cause les conditions de détention ou le cadre thérapeutique dont bénéficient les personnes internées dans ces centres de psychiatrie légale.

123.  La Cour note toutefois que, d’après les derniers chiffres à sa disposition datant du 1er décembre 2019, un nombre non négligeable d’internés se trouve toujours détenu en prison dans des conditions inappropriées (paragraphe 107 ci-dessus ; voir également les constatations du CPT, paragraphe 114 ci-dessus).

124.  La Cour doit dès lors inciter l’État défendeur à confirmer cette tendance positive en poursuivant les efforts menés jusqu’à présent dans le but de résoudre définitivement le problème litigieux et de garantir à chaque personne internée des conditions de vie compatibles avec les dispositions de la Convention.

B.    Sur la recevabilité

125.  Le Gouvernement accepte que la situation dans laquelle se sont trouvés les requérants était contraire aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Il soulève toutefois une exception préliminaire tirée du fait que les requérants auraient perdu la qualité de victime.

1.     Thèses des parties

a)      Le Gouvernement

126.  Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes des violations de la Convention qu’ils allèguent. Il fait valoir que celles-ci ont cessé à leur égard, que l’État et les juridictions internes ont explicitement reconnu ces violations et qu’ils ont obtenu une réparation adéquate et suffisante du dommage résultant de leurs conditions de détention inappropriées.

127.  En ce qui concerne la période pour laquelle un redressement a été octroyé, le Gouvernement indique qu’une réparation financière a été accordée pour l’ensemble des périodes qui n’étaient pas prescrites. Les juridictions belges, y compris la Cour constitutionnelle (paragraphe 100 ci‑dessus), ont considéré que la reconnaissance de la responsabilité de l’État était compatible avec l’application d’un délai de prescription sans que cela méconnaisse la jurisprudence de la Cour. Le délai de cinq ans, prévu par la loi, vise un but légitime de sécurité juridique, évite des problèmes d’appréciation de l’affaire et d’administration des preuves et laisse suffisamment de temps à l’interné pour constituer un dossier en vue d’ester en justice. Les requérants, assistés de leur avocat, avaient ainsi toute latitude pour se plaindre du préjudice causé par l’État. Le Gouvernement précise que ni les faits ni la question juridique posée ne sont comparables à l’affaire Rooman c. Belgique ([GC], no 18052/11, 31 janvier 2019) dans laquelle la Cour a considéré que la réparation n’était pas intégrale. En ce qui concerne M. Venken, le Gouvernement souligne qu’aucune prescription n’a été appliquée et que toute la période de sa détention dans un établissement pénitentiaire est couverte par le montant de la réparation octroyée.

128.  En ce qui concerne le montant de 1 250 EUR par année de détention octroyé par les juridictions internes, le Gouvernement fait valoir que ce montant évalué ex aequo et bono est suffisant au regard de la jurisprudence de la Cour. Ce montant a été fixé par les juridictions internes en calculant la moyenne de l’ensemble des condamnations de la Belgique par la Cour dans des situations similaires en tenant compte de la durée de la détention des personnes concernées.

129.  Enfin, s’agissant des frais de procédure dont se plaignent les requérants Rogiers, Neirynck et Clauws, le Gouvernement indique que l’indemnité de procédure a été déterminée conformément à la loi. Les juridictions ont pris en compte tous les éléments pertinents. Les montants forfaitaires d’indemnité de procédure sont déterminés par arrêté royal et ne peuvent pas être considérés comme excessifs.

b)      Les requérants

130. Les requérants estiment qu’il ne peut être question de la perte de leur qualité de victime. En effet, les décisions leur octroyant une forme de réparation ne sont pour la plupart pas définitives ; dans certaines affaires, les juridictions n’ont reconnu la violation ni de l’article 3, ni des articles 5 § 4 et 13 de la Convention ; l’application de la prescription de cinq ans a pour conséquence que le redressement ne concerne pas l’intégralité de la période pendant laquelle ils ont été détenus en violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ; et les montants octroyés par les juridictions sont en tout cas insuffisants.

131.  De surcroît, les requérants Rogiers, Neirynck et Clauws ont été pénalisés par les juridictions internes à l’égard des frais de procédure : celles-ci ont estimé que leurs demandes étaient excessives et les ont condamnés au partage des frais de procédure, chaque partie devant assumer ses propres frais de défense. Dans le cas de M. Rogiers, la cour d’appel d’Anvers est allée encore plus loin en condamnant le requérant à payer les frais d’avocat à l’État au motif qu’il aurait abusé de la procédure en interjetant appel du jugement qui lui avait octroyé 1 250 EUR par année de détention irrégulière. Cette approche fait peser une charge excessive sur les requérants. Dans ces circonstances, il ne peut pas être conclu qu’ils ont bénéficié de mesures favorables leur octroyant une indemnisation intégrale pour les violations subies.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Principes généraux applicables

132.  La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 179, CEDH 2006‑V, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 259, CEDH 2012 (extraits)).

133.  Il convient pour cela de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010, et Rooman, précité, § 128).

134.  Une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de sa qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention sauf si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Scordino, précité, § 180, et Gäfgen, précité, § 115). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête (Rooman, précité, § 129).

135.  En ce qui concerne la réparation adéquate et suffisante pour remédier au niveau interne à la violation du droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen, précité, § 116). Le statut de victime d’un requérant peut dépendre du montant de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (Gäfgen, précité, § 118, et O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)).

136.  Dans une affaire relative à la longueur excessive des procédures, la Cour a dit qu’elle pouvait accepter qu’un État qui s’est doté de différents recours, et dont les décisions conformes à la tradition juridique et au niveau de vie du pays sont rapides, motivées, et exécutées avec célérité, accorde des sommes qui, tout en étant inférieures à celles fixées par la Cour, ne sont pas déraisonnables (Scordino, précité, § 206).

137.  Enfin, dans le contexte spécifique d’allégations de conditions de détention d’un interné considérées comme contraires aux articles 3 et 5 de la Convention, la Cour a tenu compte, pour conclure au maintien de la qualité de victime, du fait que la reconnaissance de violation de la Convention et la réparation financière offerte ne couvraient pas la totalité de la période litigieuse. Elle en a déduit que la réparation ne pouvait pas être considérée comme intégrale, ce d’autant plus que le jugement reconnaissant la violation et octroyant une réparation n’était pas définitif (Rooman, précité, §§ 131‑133).

b)      Application au cas d’espèce

138.  Conformément aux principes rappelés ci-dessus, il convient de vérifier, d’une part, si les autorités ont reconnu les violations de la Convention à l’égard des requérants et, d’autre part, si elles leur ont offert une réparation adéquate et suffisante. Cela étant, dans la mesure où les requérants étaient toujours détenus dans les conditions qu’ils dénonçaient lors de l’introduction de leur requête devant la Cour, il y a d’abord lieu de vérifier dans quelle mesure les recours qu’ils ont introduits étaient de nature à pouvoir offrir une réparation adéquate et suffisante.

i.        Les recours étaient-ils susceptibles de pouvoir ôter la qualité de victime aux requérants ?

139.  Lors de l’introduction de leur requête, les cinq requérants étaient privés de leur liberté dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire où ils ne bénéficiaient pas d’une thérapie adaptée. Ils séjournent désormais tous dans un établissement a priori adapté à leur état de santé mentale dans lequel ils ne contestent pas recevoir un traitement approprié. Leur détention dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 a donc pris fin.

140.  Dans ces conditions, la Cour n’exclut pas qu’ils puissent avoir perdu la qualité de victime, celle-ci s’appréciant à chaque stade de la procédure. Il échet de déterminer si la perte de la qualité de victime a pu être la conséquence des recours qu’ils ont introduits avec succès.

141.  La Cour a déjà eu l’occasion à maintes reprises d’expliquer la complémentarité des recours préventifs et compensatoires en matière de conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention (voir, pour un rappel récent de ces principes, Ulemek c. Croatie, no 21613/16, §§ 71-74, 31 octobre 2019, et Shmelev et autres c. Russie (déc.), nos 41743/17 et 16 autres, §§ 85-104, 17 mars 2020). Ces principes s’appliquent également à la problématique structurelle relative aux internés en Belgique. Si les recours préventifs et compensatoires sont étroitement liés et doivent en principe être combinés pour être effectifs, ils peuvent néanmoins être examinés séparément, en particulier lorsque, comme en l’espèce, les requérants ne sont plus, au moment de l’examen par la Cour, internés dans des conditions qu’ils estiment contraires à la Convention et que se pose la question du maintien de leur qualité de victime.

142.  Ainsi, dès lors que les requérants ne sont plus détenus dans des conditions qu’ils allèguent être contraires à la Convention, un recours compensatoire est en principe suffisant pour redresser la violation alléguée (voir, mutatis mutandis, les affaires relatives aux conditions matérielles de détention, Ulemek, précité, § 82, J.M.B. et autres c. France, nos 9671/15 et 31 autres, § 168, 30 janvier 2020, et Shmelev et autres, décision précitée, § 87).

143.  Cela étant dit, la Cour rappelle qu’un recours préventif effectif est exigé pour les personnes se trouvant encore dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1, c’est-à-dire un recours susceptible de redresser la situation dénoncée et d’empêcher la continuation des violations alléguées (voir, dans ce sens, W.D. c. Belgique, précité, §§ 153-154, et les références qui y sont citées). Dès lors, dans la mesure où, lors de l’introduction de leur requête, les requérants se trouvaient toujours dans les conditions litigieuses, la Cour examinera séparément la question de l’effectivité du recours préventif qu’ils avaient à leur disposition, aux fins des articles 5 § 4 et 13 de la Convention (voir mutatis mutandis, Yengo c. France, no 50494/12, §§ 56‑57, 21 mai 2015 ; paragraphes 172 et suivants ci-dessous).

144.  Il résulte de ce qui précède que, pour déterminer si les requérants peuvent toujours se prétendre victimes d’une violation des articles 3 et 5 § 1, la Cour va concentrer son examen sur l’appréciation du recours compensatoire prévu à l’article 1382 du code civil.

ii.      Les autorités ont-elles reconnu les violations de la Convention ?

145.  Dans les cas de MM. Rogiers, Neirynck, Clauws et Van Zandbergen, tant l’État belge dans ses conclusions devant les juridictions internes que ces juridictions elles-mêmes ont reconnu de manière explicite les violations de la Convention en se référant à la jurisprudence de la Cour (paragraphes 30, 42, 58 et 71 ci-dessus). La reconnaissance de la violation est formulée de telle manière qu’elle n’est pas limitée à la période pour laquelle une indemnisation leur a été octroyée.

146.  S’agissant de M. Venken, les juridictions internes ont reconnu la violation de l’article 5 § 1 de la Convention et ont estimé qu’il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner l’article 3 (paragraphe 14 ci-dessus). M. Venken n’ayant pas invoqué l’article 3 dans sa requête devant la Cour, il y a lieu de considérer que la violation dénoncée a bien été reconnue par les autorités.

147.  Ainsi, pour l’ensemble des requérants, les juridictions internes ont reconnu la violation de la Convention et en ont déduit que l’État avait commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil. Dès lors, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, il y a lieu de considérer qu’il y a eu une reconnaissance explicite de la violation (a contrario, Rooman, précité, § 131).

iii.    Les requérants ont-ils obtenu une réparation adéquate et suffisante ?

148.  Afin de donner une réponse à la question de savoir si les requérants ont obtenu une réparation adéquate et suffisante, la Cour vérifiera, d’une part, si la réparation couvre l’intégralité de la période dénoncée et, d’autre part, si le montant octroyé par les autorités juridictionnelles n’est pas déraisonnable par rapport à ce que la Cour octroierait au titre de la satisfaction équitable.

α)        La réparation couvrait-elle l’intégralité de la période dénoncée ?

    MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen

149.  Dans les cas de MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen, les juridictions internes ont appliqué un délai de prescription de cinq ans en considérant que la créance à laquelle ils pouvaient prétendre naissait chaque jour à nouveau et faisait courir le délai de prescription (paragraphes 31, 44 et 71 ci-dessus). Elles ont ainsi limité la période prise en compte pour le calcul de l’indemnisation accordée aux requérants, selon le cas, au 1er janvier de la quatrième année avant celle de l’introduction de la demande (article 100 des lois sur la comptabilité) ou à cinq ans avant l’introduction de la demande (article 2262bis du code civil ; paragraphes 97 et suivants ci‑dessus).

150.  Le Gouvernement soutient que l’application du délai de prescription est conforme à la jurisprudence de la Cour (paragraphe 127 ci‑dessus).

151.  La Cour ne peut suivre ce raisonnement. Elle constate en effet que les requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ont été détenus pendant plusieurs années dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires. S’ils ont parfois fait l’objet d’une mise en liberté à l’essai pendant de courtes périodes dans des établissements externes, ils ont à chaque fois été réincarcérés. La durée de leur séjour dans les ailes psychiatriques de prison a largement excédé la durée raisonnable pour leur placement dans un établissement approprié. Dès lors, dans la mesure où ils n’ont à aucun moment fait l’objet d’une mise en liberté définitive et que leur statut d’interné n’a pas changé, les périodes de privation de liberté consécutives doivent être considérées comme un tout (Van Meroye, précité, § 74), et donc comme une violation continue.

152.  La Cour estime qu’exiger des requérants qu’ils aient introduit un recours indemnitaire avant la cessation de la violation continue alléguée leur aurait imposé une charge procédurale excessive. Une telle exigence ne tiendrait pas compte de la vulnérabilité des personnes internées du fait de leur état de santé mentale et de leur privation de liberté, et du fait qu’au moment où les requérants étaient détenus dans les conditions dénoncées, leur préoccupation principale était de faire évoluer lesdites conditions en demandant leur transfert vers un établissement approprié ou leur mise en liberté (voir et comparer avec Nikitin et autres c. Estonie, nos 23226/16 et 6 autres, §§ 136 et 141, 29 janvier 2019).

153.  La Cour rappelle à cet égard que pendant la durée de la privation de liberté dans des conditions incompatibles avec la Convention, seul un recours préventif permettant de mettre fin à la situation dénoncée pouvait passer pour être effectif (W.D. c. Belgique, précité, § 153).

154.  Dès lors, constatant que la réparation accordée par les juridictions internes à MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ne couvre pas l’intégralité de la période de violation continue litigieuse, la Cour estime qu’ils n’ont pas perdu la qualité de victime (dans le même sens, Rooman, précité, § 132, et, a contrario, J.M.B. et autres c. France, précité, § 168).

    M. Venken

155.  La Cour constate, à l’instar du Gouvernement, que M. Venken a obtenu une réparation pour l’intégralité de la période pour laquelle il a demandé une indemnisation et pendant laquelle il a été interné dans des conditions contraires à la Convention. Il y a donc lieu, en ce qui le concerne, de vérifier si le montant de la réparation qu’il a reçue était adéquat et suffisant (paragraphes 158 et suivants ci-dessous).

    M. Clauws

156.  M. Clauws a été privé de liberté le 18 mars 2007. La Cour observe qu’il a bénéficié de mises en liberté à l’essai pendant deux longues périodes pendant lesquelles il a été détenu dans un établissement dont il ne conteste pas le caractère approprié : du 9 mai 2007 au 13 novembre 2012, et du 14 mars 2013 au 13 mars 2015. Le requérant a ainsi séjourné dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire dans des conditions contraires à la Convention du 18 mars 2007 au 8 juillet 2007, du 16 novembre 2012 au 14 mars 2013, puis du 13 mars 2015 au 3 septembre 2018. Il a obtenu une indemnisation pour la période à compter du 14 janvier 2013 jusqu’au 3 septembre 2018, à l’exclusion de la période du 14 mars 2013 au 13 mars 2015 pendant laquelle il était interné dans un établissement approprié (paragraphe 58 ci-dessus). La réparation accordée par les juridictions internes couvre ainsi l’intégralité de la période pour laquelle il a demandé une indemnisation.

157.  Il y a donc lieu, en ce qui concerne ce requérant également, de vérifier si le montant de la réparation qu’il a reçue était adéquat et suffisant.

β)        Le montant de la réparation était-il adéquat et suffisant ?

158.  M. Venken a obtenu un montant de 3 800 EUR pour une période de détention litigieuse de trois ans et un peu moins d’un mois. Ce faisant, les juridictions internes lui ont octroyé une somme de 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention, tel qu’il est désormais usuel (paragraphe 101 ci-dessus). M. Clauws a quant à lui obtenu un montant ex aequo et bono de 8 000 EUR pour une période de détention litigieuse de trois ans et huit mois, ce qui correspond à plus de 2 000 EUR par année de détention dans les conditions dénoncées.

159.  La question de savoir si ces montants peuvent passer pour adéquats et suffisants est étroitement liée à l’application que pourrait faire la Cour de l’article 41 de la Convention. Elle implique de vérifier, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, si le montant octroyé par les juridictions internes n’était pas déraisonnable en comparaison avec celui qu’octroierait la Cour dans des situations comparables (Scordino, précité, § 206, et Nikitin et autres, précité, § 197).

160.  Aussi, dans la décision Shmelev et autres (précitée), la Cour a rappelé qu’en vertu du principe de subsidiarité, une large marge d’appréciation doit être laissée aux autorités nationales en ce qui concerne l’évaluation du montant de l’indemnisation. Elle a précisé que cette évaluation doit être effectuée de façon cohérente avec leur propre système juridique et leurs traditions et compte tenu du niveau de vie du pays même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires (§§ 91-94).

161.  La Cour doit également prendre en compte les mesures prises par les autorités pour mettre un terme au problème structurel dénoncé (Shmelev et autres, décision précitée, § 96), ces mesures ayant en l’espèce profité aux requérants.

162.  Tenant compte de ces éléments, de la durée des situations litigieuses, des montants octroyés par la Cour dans les affaires similaires et des circonstances de l’espèce, la Cour estime que le montant de 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention n’est pas déraisonnable (voir et comparer avec Barbotin c. France, no 25338/16, § 57, 19 novembre 2020). Il en résulte que de l’avis de la Cour les requérants Venken et Clauws ont obtenu un redressement adéquat et suffisant pour les violations qu’ils ont subies.

163.  S’agissant enfin de la compensation des frais de justice et du partage des autres frais de procédure à l’égard de M. Clauws (paragraphe 58 ci-dessus), la Cour rappelle que si les règles en matière de frais de procédure poursuivent un but légitime, elles ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée (Ulemek, précité, §§ 107‑108, et les références qui y sont citées). En l’espèce, le partage des frais de procédure à part égale entre les parties a été décidé par le tribunal en tenant compte de tous les éléments de la cause, notamment du fait que le requérant Clauws n’avait que partiellement obtenu gain de cause et qu’il avait bénéficié de l’aide juridique. La Cour n’y décèle aucune charge disproportionnée (voir et comparer avec Slavtcho Kostov c. Bulgarie, no 28674/03, § 62, 27 novembre 2008, et Barbotin, précité, § 57).

c)       Conclusions sur la recevabilité

164.  Pour les raisons indiquées ci-dessus, les requérants Venken et Clauws ne peuvent plus se prétendre victimes d’une violation des articles 3 et 5 § 1 au sens de l’article 34 de la Convention. Il s’ensuit que la requête de M. Venken en ce qu’elle a trait au grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention et celle de M. Clauws en ce qu’elle a trait aux griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention sont incompatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et que cette partie des requêtes doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

165.  En ce qui concerne les trois autres requérants, MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement. Elle constate par ailleurs que les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Elle les déclare donc recevables.

C.    Sur le fond

166.  Les requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen se plaignent d’avoir été détenus dans des établissements qui n’étaient pas adaptés à leur état de santé mentale et où ils n’ont pas bénéficié d’une prise en charge thérapeutique appropriée pendant plusieurs années en violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

167.  Le Gouvernement a admis dans ses observations que la situation dans laquelle se sont trouvés les requérants était à l’époque contraire aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

168.  La Cour constate en effet qu’à l’instar des affaires dont elle a déjà eu à connaître (voir notamment les quatre arrêts de principe L.Bc. BelgiqueClaesDufoort, et Swennen, ainsi que les huit arrêts de suivi, Van Meroye, Oukili, Caryn, Moreels, Gelaude, Saadouni, Plaisier, et Lankester, et l’arrêt pilote W.D. c. Belgique, tous précités), les requérants ont en l’espèce été détenus pendant plusieurs années dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans lesquelles ils n’ont pas bénéficié de soins et de traitement appropriés à leur état de santé mentale. Cette situation a eu pour effet de rompre le lien entre le motif de leur détention et le lieu et les conditions dans lesquelles la détention a eu lieu.

169.  Leur maintien en aile psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative a également constitué une épreuve particulièrement pénible les ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérence à la détention (voir, dans ce sens également, Claes, précité, § 100, Lankester, précité, § 68, et W.D. c. Belgique, précité, § 114).

170.  La Cour observe par ailleurs que lors de sa dernière visite périodique en Belgique en 2017, le CPT a relevé que les ailes psychiatriques pénitentiaires souffraient toujours de ces problèmes systémiques bien connus (paragraphe 114 ci-dessus).

171.  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention à l’égard de MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 ET DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ avec L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

172.  Les requérants se plaignent également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire évoluer leur situation. Ils invoquent l’article 5 § 4 de la Convention. Les requérants Rogiers, Neirynck, Clauws et Van Zandbergen invoquent également l’article 13 combiné avec l’article 3.

173.  Bien que ces dispositions fassent en général l’objet d’un examen distinct - l’article 5 § 4 constituant certes une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13, mais dans le contexte du seul droit à la liberté individuelle garanti par l’article 5 - en l’espèce, étant donné que dans le système belge les articles 3 et 5 § 1 de la Convention peuvent être invoqués ensemble, il est justifié que la problématique de l’effectivité du contentieux de l’internement soit abordée globalement sous l’angle de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention (W.D. c. Belgique, précité, §§ 144-145).

174.  Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 5 § 4

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.    Sur la recevabilité

175.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B.    Sur le fond

1.     Thèses des parties

a)      Les requérants

176.  Les requérants estiment ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif leur permettant de mettre un terme à l’irrégularité et aux conditions indignes de leur privation de liberté. Les instances de défense sociale n’ont fait droit ni à leur demande de transfèrement vers un établissement approprié ou de leur mise en liberté ni à leur demande d’effectuer une visite sur les lieux de leur détention afin de faire constater les conditions dans lesquelles ils étaient internés. Les requérants estiment qu’ils n’avaient aucun recours à leur disposition pour faire changer leur situation à bref délai. Or l’article 5 § 4 de la Convention exige, d’après eux, que toute personne détenue de manière irrégulière soit libérée à bref délai.

177.  MM. Clauws et Van Zandbergen se plaignent également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif en ce qui concerne la procédure ayant eu lieu après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi relative à l’internement. Ils font valoir que l’article 43 de cette loi qui instaure un examen périodique une fois par an seulement ne permet pas de faire évoluer la situation litigieuse à bref délai. Les CPS n’ont d’ailleurs pas plus de pouvoir que les instances de défense sociale sous l’ancienne loi de 1930. La procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la nouvelle loi n’est pas non plus effective du fait de son interprétation restrictive par les juridictions compétentes. La violation de la Convention n’est en effet pas considérée comme une situation « urgente » au sens de cette disposition. Les requérants n’avaient donc pas de recours préventif effectif puisqu’ils n’avaient aucun moyen d’obtenir leur transfèrement ou leur mise en liberté à bref délai alors qu’ils étaient détenus dans des conditions inappropriées.

178.  En ce qui concerne le recours en référé, les requérants estiment que le juge des référés n’est pas compétent pour ordonner le placement ou le transfèrement d’un interné, cette compétence revenant exclusivement aux CPS. Le juge des référés ne peut qu’ordonner des mesures provisoires pour, en quelque sorte, faire pression sur les autorités. Les requérants fournissent de nombreux exemples d’ordonnances du juge des référés déboutant des personnes internées, tous antérieurs au prononcé de l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité). De plus, les requérants font valoir que lorsque le juge des référés déboute une personne internée de sa demande, l’appel interjeté devant la cour d’appel ne peut être considéré comme offrant un recours « à bref délai » dès lors que cette procédure dure au moins six mois.

b)      Le Gouvernement

179.  Le Gouvernement considère que la nouvelle loi relative à l’internement a permis aux requérants, à travers la procédure ordinaire et la procédure d’urgence, d’exercer un recours effectif au regard de la Convention. Les mesures prises par les autorités, notamment l’augmentation du nombre de places dans les circuits extérieurs, ont permis l’exécution des décisions favorables prises par les CPS relatives au transfert des requérants dans des établissements ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire. Les recours prévus par le droit belge permettent ainsi de redresser la situation dénoncée et d’empêcher la continuation des violations alléguées.

180.  Le Gouvernement insiste sur le fait que les requérants ont très régulièrement eu l’occasion de se plaindre de leurs conditions de détention et du lieu de leur internement. Ces plaintes ont été examinées selon une procédure judiciaire au cours de laquelle ils ont bénéficié de garanties spécifiques. S’agissant de leur argument selon lequel les examens par la CPS ne se font jamais dans un délai plus court que le délai maximum prévu par la loi, le Gouvernement rappelle que la loi prévoit que le réexamen peut être fait plus régulièrement si la CPS l’estime utile et il fait valoir que la situation de certains des requérants en 2018 et 2019 dément cette affirmation.

181.  En ce qui concerne le recours en référé, le Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé que ce recours était de nature à répondre aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. La loi de 2014 n’a rien enlevé à son utilité en cas de non-exécution en temps utile de placements ou de transferts ordonnés par la CPS. Le Gouvernement fournit quelques exemples d’ordonnances de juges des référés (paragraphe 95 ci-dessus) que les autorités ont immédiatement exécutées.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Principes généraux

182.  La Cour rappelle que la Convention impose aux États contractants l’obligation d’instaurer des voies de recours internes effectives pour se plaindre des violations des droits et libertés qu’elle contient. Plus précisément, l’article 5 § 4 offre une garantie fondamentale contre les détentions arbitraires en exigeant qu’un individu privé de sa liberté ait le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 64, CEDH 2003‑IV, Claes, précité, § 127, et Dufoort, précité, § 98). En vertu de l’article 13, les griefs tirés d’une allégation de traitements contraires à l’article 3 doivent eux aussi pouvoir faire l’objet d’un recours effectif (W.D. c. Belgique, précité, § 144).

183.  En cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » - au sens de la Convention - de son internement (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 55, série A no 33, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, CEDH 2012, Claes, précité, § 129, et Dufoort, précité, § 100).

b)      Application de ces principes dans des affaires antérieures

184.  Dans les arrêts prononcés par la Cour dans des affaires relatives à la même problématique structurelle que les présentes requêtes, la Cour a mis en exergue, d’une part, le manque de compétence des instances de défense sociale pour imposer à des établissements extérieurs d’accepter un interné et, d’autre part, l’incompétence ou le manque d’action des juridictions civiles saisies en référé.

185.  En effet, la Cour a constaté que les instances de défense sociale étaient empêchées de facto d’effectuer un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention, à savoir le caractère approprié du lieu de détention, et de jure de redresser la violation alléguée par les requérants (voir, par exemple, Claes, §§ 133-134, Moreels, §§ 70-71, Gelaude, §§ 65-66, Oukili, §§ 67-68, et Saadouni, §§ 76-77, tous précités).

186.  S’agissant de l’effectivité du recours en référé, la Cour a considéré que ce recours pouvait en théorie se révéler complémentaire au recours devant les instances de défense sociale et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention (Aerts, précité, § 55, et W.D. c. Belgique, précité, § 150). Elle a constaté que cette voie de recours s’était avérée utile dans certaines affaires (Claes, précité, § 135).

187.  Toutefois, dans les circonstances particulières d’autres affaires, la Cour a estimé que le recours en référé n’avait pas été effectif. Dans l’arrêt Claes (précité, § 135), la Cour a observé que le requérant n’avait pas eu accès au juge judiciaire qui s’était déclaré incompétent pour statuer sur le caractère approprié de l’aile psychiatre de la prison de Merksplas. Dans l’arrêt Van Meroye (précité, § 106), elle a conclu que cette voie n’avait pas été effective au motif que le président du tribunal de première instance avait affirmé que le pouvoir de contrôle du juge judiciaire des conditions réelles de détention était marginal et qu’il ne pouvait intervenir que si la prise en charge et les soins étaient totalement absents.

188.  En revanche, dans l’arrêt Dufoort (précité, § 108), la Cour a considéré ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour considérer que la procédure en référé n’était pas un recours conforme à cette disposition. Rien ne montrait que, si le juge des référés avait conclu à l’insuffisance des soins, il n’aurait pas pu y remédier.

189.  Dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité), la Cour a estimé qu’à supposer que les recours invoqués par le Gouvernement puissent en théorie se révéler complémentaires et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention, on ne saurait prétendre qu’un interné ayant obtenu une décision favorable doive multiplier les recours afin de voir ses droits fondamentaux finalement respectés en pratique (§ 150). Elle a rappelé qu’en réalité, l’ineffectivité de ces recours était largement dépendant de la nature structurelle du phénomène rencontré en Belgique et que c’était le manque de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié dans les ailes psychiatriques des prisons, plus que les recours eux‑mêmes, qui étaient à l’origine de l’ineffectivité du recours aux instances de défense sociale et compromettaient l’exécution des éventuelles décisions favorables prononcées par le juge judiciaire (§ 151). La Cour en a déduit que même si les instances de défense sociale avaient exercé leur pouvoir de contrôle de manière assez ample et examiné de manière circonstanciée les conditions de détention du requérant, cela n’aurait pas pu mener à un redressement de la situation dénoncée par lui vu que son transfèrement était de toute façon tributaire de l’admission dans un établissement extérieur et était bloqué par les refus d’admission (§ 152).

c)       Application au cas d’espèce

190.  Tel qu’indiqué ci-dessus (paragraphe 143), dans la mesure où, lors de l’introduction de leur requête, les requérants se trouvaient toujours dans des conditions contraires à la Convention, la Cour examine la question de l’effectivité des recours préventifs qu’ils avaient à leur disposition. Cela vaut également pour les requérants Venken et Clauws, nonobstant leur perte de la qualité de victime au regard des articles 3 et 5 § 1 de la Convention. En effet, les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 étant des dispositions distinctes, l’inobservation de l’un n’emporte pas nécessairement inobservation de l’autre (Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 88, 9 juillet 2009), et seul un recours préventif peut passer pour effectif lorsque les personnes concernées se trouvent dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 lors de l’introduction de leur requête devant la Cour (paragraphe 143 ci‑dessus).

191.  En ce qui concerne les conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour a déjà dit à de nombreuses reprises que le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (voir, parmi d’autres, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres, § 97, 8 janvier 2013, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et 5 autres, § 183, 27 janvier 2015, Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, § 132, 15 septembre 2015, et J.M.B. et autres c. France, précité, § 208). La Cour estime qu’il en va de même lorsque des personnes internées conformément à l’article 5 § 1 e) de la Convention sont détenues dans des conditions incompatibles avec cette disposition et/ou avec l’article 3 de la Convention.

192.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note que les procédures devant les instances de défense sociale dont se plaignent les requérants se sont déroulées, pour ce qui concerne les requérants Venken, Rogiers et Neirynck, sous l’empire de la loi de 1930 de défense sociale. Leurs requêtes ont été introduites avant l’entrée en vigueur de la loi de 2014 relative à l’internement. Les procédures dont se plaignent les requérants Clauws et Van Zandbergen se sont quant à elles déroulées après l’entrée en vigueur de ladite loi. Il y a donc lieu d’examiner séparément l’effectivité des recours concernés.

i.        Sur l’effectivité des recours prévus par la loi de 1930 de défense sociale (MM. Venken, Rogiers et Neirynck)

193.  La Cour prend note de l’évolution positive de la situation qui ressort des documents dont elle dispose et qui font état de la création d’un nombre important de places dans des centres de psychiatrie légale depuis le prononcé de l’arrêt W.D. c. Belgique (précité) et l’entrée en vigueur de la loi relative à l’internement le 1er octobre 2016 (paragraphes 104 et suivants ci‑dessus).

194.  Les requérants Venken, Rogiers et Neirynck semblent d’ailleurs avoir bénéficié de cette amélioration dans la mesure où ils ont tous, après l’introduction de leur requête, été transférés vers un établissement a priori approprié.

195.  Il n’en demeure pas moins que pendant toute la période pendant laquelle MM. Venken, Rogiers et Neirynck étaient détenus dans un établissement pénitentiaire et dans des conditions inappropriées, ils n’ont pas bénéficié d’un recours préventif effectif, pour les mêmes motifs que ceux identifiés par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité, §§ 150‑152 ; voir aussi paragraphe 189 ci-dessus), et ce à tout le moins jusqu’à la création de places supplémentaires dans les centres de psychiatrie légale de Gand et Anvers et dans le circuit extérieur.

196.  Par conséquent, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard des requérants Venken, Rogiers et Neirynck, et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants Rogiers et Neirynck.

ii.      Sur l’effectivité des recours organisés par la loi de 2014 relative à l’internement (MM. Clauws et Van Zandbergen)

197.  Les requérants Clauws et Van Zandbergen se plaignent que les procédures dont ils ont fait l’objet après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement n’ont pas non plus constitué un recours préventif effectif en ce qu’elles ne leur ont pas permis d’obtenir une amélioration de leur situation ou leur transfert vers un établissement adapté.

198. La Cour observe que la loi relative à l’internement prévoit désormais un système de contrôle périodique automatique de la privation de liberté de la personne internée, qui doit être entamé dans un délai qui ne peut excéder un an après la décision précédente de la CPS (paragraphes 82 et suivants ci-dessus). La CPS peut prévoir dans son jugement un délai plus court si elle l’estime nécessaire. Elle peut reporter une seule fois le traitement de l’affaire à une audience ultérieure, sans que cette audience puisse être tenue plus de deux mois après le report. En principe, une période maximale de seize mois et demi sépare ainsi deux décisions de la CPS.

199.  Le Gouvernement insiste sur le fait qu’il s’agit d’un délai maximum et que la CPS peut ordonner qu’un réexamen ait lieu à intervalles plus réguliers. Le CPT a toutefois observé qu’en pratique, les réexamens ne se faisaient généralement que tous les ans, le minimum prévu par la loi. Il a par ailleurs invité les autorités à augmenter la fréquence minimale de ces réexamens à deux par an (paragraphe 115 ci-dessus).

200.  La Cour rappelle que l’appréciation de la régularité de l’internement doit se faire à des intervalles raisonnables pour qu’il soit satisfait à l’exigence d’une décision prise à bref délai telle que prévue par l’article 5 § 4 de la Convention. De plus, en vertu de cette disposition, toute personne privée de liberté doit pouvoir introduire un recours afin qu’un « tribunal » décide « à bref délai » si la privation de liberté est devenue irrégulière eu égard à de nouveaux facteurs survenus après la décision initiale de son placement en détention (Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, § 215, 2 octobre 2012, et Kuttner c. Autriche, no 7997/08, § 37, 16 juillet 2015).

201.  De l’avis de la Cour, l’intervalle prévu par la loi relative à l’internement ne peut pas être considéré comme raisonnable pour les personnes internées qui sont privées de liberté dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. En effet, comme il a été rappelé ci-dessus (paragraphe 191), dans un tel cas, le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 e) de la Convention, ce qui n’est manifestement pas le cas de l’examen périodique annuel prévu par la loi relative à l’internement.

202.  La Cour constate d’ailleurs que, dans le cas de M. Van Zandbergen, la CPS a estimé, lors de son contrôle périodique, qu’elle n’avait pas la compétence pour se prononcer sur un éventuel manquement de l’État à l’obligation de transférer le requérant dans un établissement approprié endéans un délai raisonnable. Malgré la constatation de la CPS que les différents acteurs préconisaient le transfert du requérant dans un autre établissement, elle a dû constater qu’il n’y avait pas de plan de reclassement concret et elle a partant rejeté la demande de transfèrement vers un établissement approprié en fixant le délai pour un nouvel avis du directeur de la prison à exactement un an plus tard (paragraphes 64 et suivants ci‑dessus).

203.  Reste la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement dont s’est prévalu M. Clauws (paragraphes 49 et suivants ci-dessus) et qui constitue désormais la seule possibilité d’initiative laissée à l’interné et son avocat dans le cadre des procédures devant les instances de protection sociale.

204.  Cette disposition donne compétence à la CPS pour prendre, en cas d’urgence, une décision concernant une demande de transfèrement de la personne internée, de permission de sortie, de congé, de détention limitée, de surveillance électronique, de libération à l’essai et de libération anticipée en vue de l’éloignement du territoire ou en vue de la remise (paragraphe 87 ci-dessus). La Cour constitutionnelle a considéré que cette procédure contient une garantie très forte quant au respect de l’article 5 de la Convention (paragraphes 85 et 86 ci-dessus).

205.  La Cour constate toutefois que dans le cas de M. Clauws, la CPS a refusé de reconnaître que sa détention dans des conditions contraires à la Convention constituait une situation urgente. Elle a estimé que M. Clauws n’avait pas présenté un plan de reclassement concret et que, partant, son transfèrement vers un autre établissement ne pouvait être ordonné ni d’autres modalités d’internement reconnues (paragraphe 50 ci-dessus). La Cour de cassation a ensuite confirmé que le fait que l’interné soit détenu dans des conditions inappropriées à son état de santé mentale au sens des articles 3 et 5 de la Convention ne constitue pas, en soi, une raison de considérer que la situation requiert une décision urgente de la CPS (paragraphes 53 et suivants ci-dessus).

206.  Sur ce point, la Cour insiste sur le fait qu’il appartient aux autorités de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer aux personnes internées une prise en charge appropriée et individualisée adaptée à leur état de santé mentale. Il s’agit là d’une obligation mise à la charge de l’État (dans ce sens, Rooman, précité, § 205). Il n’appartient pas aux internés d’organiser eux-mêmes la possibilité de leur reclassement dans un tel établissement. En effet, dans le cas de délinquants souffrant de troubles mentaux n’ayant pour la plupart pas bénéficié d’un suivi psychiatrique régulier et indépendant pendant plusieurs années, l’identification de la « solution appropriée », qui est également tributaire du profil des intéressés et du danger qu’ils représentent pour la société, est impossible à faire par les intéressés eux‑mêmes (W.D. c. Belgique, précité, § 149). Il ne faut pas non plus perdre de vue que les internés souffrent de troubles mentaux et peuvent donc être incapables de se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux (Rooman, précité, § 145, et la jurisprudence qui y est citée).

207.  Dans ces conditions, l’interprétation faite par les juridictions internes de la notion d’« urgence » dans le cas de M. Clauws, combiné à la durée de l’intervalle entre deux décisions de la CPS dans le cadre du contrôle périodique automatique, a pour conséquence que les recours devant les instances de protection sociale tels qu’ils sont organisés par la loi relative à l’internement ne constituaient pas des recours susceptibles de redresser rapidement la situation dont MM. Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées. Ces recours ne pouvaient donc passer pour effectifs.

208.  Cela étant dit, la Cour doit également tenir compte de la possibilité qu’avaient les requérants d’introduire un recours en référé en vertu de l’article 584 du code judiciaire.

209.  Elle rappelle en effet que l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences d’effectivité, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 268, 15 décembre 2016, et Mugemangango c. Belgique [GC], no 310/15, § 131, 10 juillet 2020). Or en droit belge, la Cour de cassation a précisément rappelé la complémentarité des recours devant les instances de protection sociale et ceux devant le juge judiciaire (paragraphe 93 ci-dessus).

210.  La Cour a déjà considéré que le recours en référé pouvait en théorie se révéler complémentaire au recours devant les instances de défense sociale et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention (paragraphe 186 ci-dessus ; voir également, pour des exemples de la jurisprudence interne faisant droit aux demandes de personnes internées, paragraphe 94 ci-dessus). Cette procédure permet à une personne internée de demander que le juge judiciaire constate l’éventuel manquement de l’État belge à son obligation de transférer l’interné dans un délai raisonnable vers un établissement approprié et qu’il ordonne à l’État belge d’y procéder sous peine d’astreinte ou, à tout le moins, que des soins adéquats lui soient fournis (paragraphes 93-95 ci-dessus).

211.  La Cour rappelle que dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité), elle a néanmoins considéré qu’à supposer que les recours puissent en théorie se révéler complémentaires, leur ineffectivité était largement dépendante de la nature structurelle du phénomène rencontré en Belgique et que c’était le manque de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié dans les ailes psychiatriques des prisons, plus que les recours eux-mêmes, qui étaient à l’origine de l’ineffectivité du recours aux instances de défense sociale et compromettaient l’exécution des éventuelles décisions favorables prononcées par le juge judiciaire (paragraphe 189 ci‑dessus).

212.  Plus de quatre ans se sont écoulés depuis le prononcé de l’arrêt W.D. c. Belgique (précité). La Cour doit donc prendre en compte et apprécier l’évolution de la situation depuis lors. Conformément au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention, il appartient en effet aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention (Rooman, précité, § 128). Un des buts importants de la procédure d’arrêt pilote est d’ailleurs d’inciter l’État défendeur à trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel (W.D. c. Belgique, précité, § 160).

213.  En l’espèce, compte tenu en particulier de la création d’un nombre important de places dans des centres de psychiatrie légale vers lesquels des détenus pouvaient et peuvent effectivement être transférés (paragraphes 104 et suivants ci-dessus) et de l’évolution positive de la jurisprudence du juge des référés, qui n’hésite pas à assortir ces ordonnances d’une astreinte (paragraphe 95 ci-dessus), la Cour estime que le recours en référé constituait et constitue a priori un recours accessible et susceptible de redresser la situation dont les requérants Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées.

214.  Dès lors, eu égard à la possibilité qu’avaient les requérants Clauws et Van Zandbergen d’introduire un recours en référé en vertu de l’article 584 du code judiciaire et en l’absence d’éléments récents démontrant l’ineffectivité de facto de cette voie de recours, la Cour conclut qu’ils avaient à leur disposition un recours effectif. Cette conclusion ne préjuge en rien d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en référé par la Cour à la lumière des décisions rendues par les juridictions nationales et de leur exécution effective.

215.  Dans ces conditions, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants Clauws et Van Zandbergen.

IV.  requêtes similaires

216.  Les requêtes similaires aux présentes ont été ajournées pendant le délai octroyé par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité, § 174). La Cour estime opportun de poursuivre leur examen au regard des principes établis dans le présent arrêt dès qu’il sera devenu définitif.

V.     SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

217.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

218.  Se référant au montant octroyé par la Cour dans l’arrêt Rooman (précité, § 262), les requérants demandent chacun 32 000 EUR au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi eu égard à la gravité des violations de la Convention et des éléments concrets de leur situation.

219.  Le Gouvernement postule le rejet de la demande dans la mesure où les violations dénoncées ont cessé et ont été réparées intégralement par les juridictions internes. À titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir que les circonstances de l’affaire Rooman (précitée) ne sont pas comparables à celles des présentes requêtes. Un montant différent devrait donc être accordé aux requérants tenant compte des circonstances propres à chaque affaire, notamment des conditions de détention et de leur durée, ainsi que des montants déjà obtenus par les requérants de la part de l’État.

1.     Le requérant Clauws

220.  La Cour a conclu à la perte de la qualité de victime de M. Clauws en ce qui concerne ses griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention et a déclaré la partie correspondante de la requête irrecevable. Elle a également conclu à l’absence de violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3. Aucune satisfaction équitable ne saurait donc lui être octroyée.

2.     Le requérant Venken

221.  La Cour a conclu à la perte de la qualité de victime de M. Venken en ce qui concerne son grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention et a déclaré la partie correspondante de sa requête irrecevable. Aucune satisfaction équitable ne saurait donc lui être octroyée à ce titre.

222.  En revanche, en ce qui concerne la violation de l’article 5 § 4, la Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour lui octroie la somme de 2 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

3.     Les requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen

223.  La Cour a conclu à la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention dans le chef des requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen. Elle a également conclu à la violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3 dans le chef des requérants Rogiers et Neirynck. La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. La somme qui leur est octroyée au titre du dommage moral couvrira donc la violation des dispositions concernées.

224.  Cela étant dit, le montant qu’accorde la Cour au titre du dommage moral peut être inférieur à celui qu’on peut dégager de sa jurisprudence lorsque la partie requérante a déjà obtenu au niveau national un constat de violation et une indemnité dans le cadre d’une voie de recours interne. Outre que l’existence d’une voie de recours sur le plan interne s’accorde pleinement avec le principe de subsidiarité propre à la Convention, cette voie est plus proche et accessible que le recours devant la Cour, est plus rapide et se déroule dans la langue de la partie requérante ; elle présente donc des avantages qu’il convient de prendre en considération (Scordino, précité, § 268).

225.  Toutefois, lorsqu’un requérant peut encore se prétendre « victime » après avoir épuisé cette voie de recours interne - comme c’est le cas pour les requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen –, il doit se voir accorder la différence entre la somme qu’il a obtenue par les juridictions internes et une somme qui n’aurait pas été considérée comme manifestement déraisonnable par rapport à celle octroyée par la Cour si elle avait été allouée par les juridictions internes et versée rapidement (ibidem, § 269 ; voir aussi, Nikitin et autres, précité, § 231). Il convient également d’attribuer à l’intéressé une somme pour les phases de la procédure que la juridiction nationale n’a pas prises en compte dans la période de référence (Scordino, précité, § 270).

226.  Ensuite, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de distinguer les présentes requêtes de l’affaire Rooman (précitée), les circonstances et conditions de l’internement des requérants étant différentes et relevant d’une problématique distincte.

227.  Enfin, la Cour estime qu’il doit être tenu compte, pour la détermination du dommage moral, des mesures prises par les autorités pour mettre fin au problème structurel (paragraphe 161 ci-dessus).

228.  Tenant compte de tout ce qui précède et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour octroie aux requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen les sommes suivantes au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt : 6 100 EUR à M. Rogiers, 6 900 EUR à M. Neirynck et 16 200 EUR à M. Van Zandbergen.

B.    Frais et dépens

229.  Les requérants n’ont pas présenté de demande au titre des frais et dépens. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

C.    Intérêts moratoires

230.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.      Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2.      Déclare, à l’unanimité, le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention irrecevable à l’égard du requérant Venken ;

3.      Déclare, à l’unanimité, les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention irrecevables à l’égard du requérant Clauws ;

4.      Déclare, à l’unanimité, les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention recevables à l’égard des requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ;

5.      Déclare, à la majorité, le grief tiré de l’article 5 § 4 recevable à l’égard de l’ensemble des requérants ;

6.      Déclare, à la majorité, le grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3 recevable à l’égard des requérants Rogiers, Neirynck, Clauws et Van Zandbergen ;

7.      Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention à l’égard des requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ;

8.      Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard du requérant Venken ;

9.      Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 à l’égard des requérants Rogiers et Neirynck ;

10.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 à l’égard des requérants Clauws et Van Zandbergen ;

11.  Dit, par six voix contre une,

a)     que l’État défendeur doit verser, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) à M. Venken, 6 100 EUR (six mille cent euros) à M. Rogiers, 6 900 EUR (six mille neuf cents euros) à M. Neirynck et 16 200 EUR (seize mille deux cents euros) à M. Van Zandbergen, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

12.   Rejette, par six voix contre une, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 avril 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Milan Blaško                                                                Georgios A. Serghides
        Greffier                                                                               Président

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pavli.

G.A.S.
M.B.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PAVLI

(Traduction)

 

1.  J’ai voté avec la majorité sur la plupart des points. Je regrette toutefois de ne pas pouvoir me rallier à sa conclusion de non-violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants Clauws et Van Zandbergen. Je considère par ailleurs que le montant accordé à M. Van Zandbergen au titre de la satisfaction équitable est inadéquat.

2.  Concernant la première question, mon désaccord porte sur le constat, dressé par la majorité, selon lequel le recours en référé prévu à l’article 584 du code judiciaire doit désormais être considéré comme une voie de recours effective dès lors qu’il s’agit de contester la légalité d’une mesure privative de liberté (au regard de l’article 5 § 4) ou d’obtenir la fin d’un traitement contraire à l’article 3 combiné avec l’article 13 de la Convention à l’égard de personnes se trouvant dans une situation semblable à celle des requérants. Pareille conclusion marque un revirement par rapport à la position qui était jusqu’ici celle de la Cour, définie dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique, selon laquelle ce même recours, bien que pouvant présenter une effectivité théorique, n’est pas effectif en pratique du fait des insuffisances structurelles caractérisant le régime d’internement belge. Sur ce dernier point, la Cour met en avant deux types de problèmes : le nombre insuffisant de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié (et donc de prise en charge) dans les ailes psychiatriques des prisons (paragraphe 211 de l’arrêt).

3.  La majorité observe ensuite que pendant la période qui a suivi l’adoption de l’arrêt W.D. c. Belgique, on a pu assister sur le plan du premier problème structurel à une nette amélioration grâce à la création d’un « nombre important » de places dans les deux centres de psychiatrie légale, associée à une évolution de la jurisprudence du juge des référés, qui est devenue plus affirmée et plus protectrice des droits (paragraphe 213 de l’arrêt). La majorité demeure toutefois muette au sujet de l’autre problème structurel mentionné dans l’arrêt W.D. c. Belgique ainsi que dans une longue série d’arrêts adoptés par cette Cour dans des affaires belges : l’absence de traitement adéquat pour les internés en aile psychiatrique pénitentiaire, qui, rappelons-le, fait naître une présomption de violation des droits des internés sous l’angle de l’article 3 et de l’article 5 § 1 de la Convention.

4.  Cette omission est quelque peu déconcertante étant donné qu’à l’issue de son analyse menée sous l’angle des articles 3 et 5 § 1, la Cour conclut elle-même « qu’un nombre non négligeable d’internés » se trouvent toujours détenus en prison dans des « conditions inappropriées » (paragraphe 123 de l’arrêt). Plus précisément, ce chiffre s’établissait à 537 au 1er décembre 2019 (paragraphe 107 de l’arrêt). S’il est vrai que le nombre total d’internés dans le système pénitentiaire a nettement baissé grâce aux efforts accrus consentis pour les transférer dans des établissements externes, rien dans le dossier de l’affaire ne révèle une amélioration significative de la qualité du traitement dispensé aux centaines d’internés qui sont toujours astreints à un séjour prolongé dans les ailes psychiatriques des établissements pénitentiaires. Le dernier rapport en date du CPT, adopté en mars 2018, exprime des critiques assez dures et ne fait nullement état d’efforts soutenus qui seraient destinés à améliorer la situation thérapeutique dans les prisons.

5.  Il est peut-être vrai que le gouvernement défendeur cherche en priorité à transférer autant d’internés possible aussi rapidement que possible hors du système pénitentiaire, ce qui constitue incontestablement un objectif louable. En l’état actuel des choses toutefois, il apparaît que les détenus sont bien trop nombreux à passer encore trop de temps dans ce système. Selon mes calculs, trois des requérants de la présente espèce ont séjourné entre dix mois et trois ans et demi dans le système pénitentiaire durant la période postérieure à 2015. Cette violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention a duré trop longtemps pour être tolérable en l’absence de toute tendance à l’amélioration de la situation dans les prisons. Il y a également lieu de rappeler que, quels que soient les efforts que l’on déploie pour transférer les internés hors du système pénitentiaire, un certain nombre d’entre eux y séjourneront encore inévitablement, soit en raison des délais d’attente pour obtenir une place dans le circuit extérieur soit parce qu’ils demeurent considérés comme trop dangereux pour être affectés dans un établissement aux règles de sécurité moins strictes.

6.  Dans ces conditions, il est évident que l’un des principaux problèmes structurels mis au jour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique persiste et continue de faire obstacle à l’effectivité de toute voie de recours judiciaire censément capable de mettre un terme aux violations des articles 3 et 5 § 1 de la Convention pour les internés dans le système pénitentiaire. Le surcroît d’assurance du juge des référés ne saurait à mon avis compenser au cas par cas cette défaillance systémique. Au mieux, il bénéficiera à quelques rares chanceux.

7.  Pour finir, je ne pense pas que le montant que la Cour alloue à M. Van Zandbergen au titre de la satisfaction équitable soit adéquat ou conforme à notre pratique habituelle. Pour rappel, l’intéressé a passé environ vingt-sept années, ponctuées de quelques brèves interruptions, dans une situation de négligence thérapeutique continue dans les ailes psychiatriques de prisons — ce qui s’assimile à une forme d’inhumanité prolongée que nous ne tolérons plus dans les autres sphères de la vie européenne. Il a été « indemnisé » au niveau national pour sept seulement de ces vingt-sept années. La Cour aurait dû reconnaître la gravité de la violation de ses droits en lui accordant un montant plus digne.

 

 


ANNEXE

Numéro de requête

Requérant

Date d’introduction

Date de la décision d’internement

Date du début de la situation litigieuse

Date de fin de la situation litigieuse (transfert)

Date dernière décision (recours indemnitaire)

Période indemnisée par les juridictions internes

Montant octroyé par les juridictions internes

Lieu d’internement actuel

Violation(s) constatée(s) par la Cour

Somme octroyée par la Cour (article 41)

46130/14 B. Venken

20/06/2014

Ch. mises en acc. Cour d’appel Anvers 28/09/2011

22/03/2012

16/04/2015

Cour d’appel Anvers 29/06/2017

22/3/2012 au 16/04/2015

3 800 EUR + intérêts

 

CPL Gand

Article 5 § 4

2 500 EUR

76251/14 A.  Rogiers

03/12/2014

Trib. corr. Gand 28/06/2007

3/12/2007

7/06/2016

Cour d’appel Anvers 21/10/2019

1/01/2012 au 7/06/2016

5 537,50 EUR + intérêts

Huize de Veuster, Tremelo

Articles 3, 5 § 1, 5 § 4 et 13

6 100 EUR

42969/16 M. Neirynck

19/07/2016

Ch. conseil Trib. prem. instance Nivelles 7/06/2007

7/06/2007

18/02/2019

Cour d’appel Anvers 28/10/2019

1/01/2012 au 18/02/2019

7 912,50 EUR + intérêts

CPL Gand

Articles 3, 5 § 1, 5 § 4 et 13

6 900 EUR

45455/17 P. Clauws

20/06/2017

Ch. conseil Trib. prem. instance Gand 24/01/2007

14/01/2013

3/09/2018

Cour d’appel Anvers 30/11/2020

14/01/2013 au 3/09/2018, hormis 14/03/2013 au 13/03/2015

8 000 EUR + intérêts

Itinera, Beernem

Aucune

N/A

236/19 M. Van Zandbergen

21/12/2018

Ch. conseil Trib. prem. instance Malines 13/03/1992

13/03/1992

7/01/2019

Trib. prem. instance Bruxelles 3/12/2018

27/02/2012 au 3/12/2018

8 785 EUR + intérêts

CPL Gand

Articles 3   et 5 § 1

16 200 EUR

 


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