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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YAVUZ OZDEN v. TURKEY - 21371/10 (Judgment : Struck out of the list : Second Section) French Text [2021] ECHR 741 (14 September 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/741.html
Cite as: CE:ECHR:2021:0914JUD002137110, [2021] ECHR 741, ECLI:CE:ECHR:2021:0914JUD002137110

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YAVUZ ÖZDEN c. TURQUIE

(Requête no 21371/10)

 

 

 

 

ARRÊT

Art 1 P1 • Respect des biens • Administration ayant tiré parti d’une occupation illégale du terrain du requérant à son détriment • Expropriation de fait, au mépris des règles de l’expropriation formelle et sans indemnités

 

 

STRASBOURG

14 septembre 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Özden c. Turquie,


La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Jon Fridrik Kjølbro, président,
          Carlo Ranzoni,
          Aleš Pejchal,
          Egidijus Kūris,
          Pauliine Koskelo,
          Marko Bošnjak,
          Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section


Vu :


la requête (no 21371/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Yavuz Özden (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 mars 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 1 du Protocole no 1 et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2021,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION


1.  La requête concerne l’occupation par l’administration d’un terrain appartenant au requérant.

EN FAIT


2.  Le requérant est né en 1970 et réside à Erzurum. Il est représenté par Me Y. Dağaşan, avocat.


3.  Le Gouvernement a été représenté par ses co-agents, Mme Çağla Pınar Tansu Seçkin, Adjointe au Représentant Permanent de la République de Turquie auprès du Conseil de l’Europe et M. Hacı Ali Açıkgül, Chef du Département des Droits de l’Homme du Ministère de la Justice de la République de Turquie.


4.  Le requérant est propriétaire d’un terrain de 7 480 m2 situé à Oltu (Erzurum).


5.  Le terrain est enregistré dans le registre foncier sous le numéro de parcelle 10 de l’îlot 111.


6.  Par une lettre du 2 septembre 1987, le commandement de l’armée de terre fit part à la mairie d’Oltu de sa décision d’interdire les constructions dans la zone de sécurité militaire. Il ajouta que la vente des terrains situés dans cette zone était soumise à autorisation.


7.  Le 7 septembre 1987, il fut annoté dans le registre foncier que le terrain du requérant était situé dans la zone de sécurité militaire.


8.  Le 24 mars 1989, une bombe explosa dans la zone de sécurité militaire, causant notamment le décès d’un enfant. La zone fut alors entourée de barbelés.


9.  Le 19 octobre 1999, l’annotation sur le registre foncier du 7 septembre 1987 fut supprimée. Une nouvelle annotation selon laquelle il était interdit de vendre aux étrangers les terrains situés dans la zone de sécurité militaire fut ajoutée.


10.  Le 18 mai 2000, le requérant introduisit une action en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance d’Oltu en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par l’expropriation de fait de son terrain par les autorités militaires.


11.  Le 10 juillet 2000, le tribunal de grande instance donna gain de cause au requérant. Après avoir ordonné une expertise, il considéra que le terrain litigieux était situé dans la zone de sécurité militaire depuis 1987, que les autorités militaires avaient construit des bâtiments administratifs et des postes de surveillance, que les voies d’accès principales et secondaires étaient fermées et que la construction ainsi que les activités agricoles étaient interdites dans cette zone. En conséquence, se fondant sur le rapport d’expertise, il jugea que le requérant avait droit à une indemnisation en contrepartie de l’inscription du terrain litigieux au nom du Trésor.


12.  L’administration se pourvut en cassation contre ce jugement.


13.  Le 8 novembre 2000, à la demande de l’administration, l’annotation selon laquelle il était interdit de vendre aux étrangers les terrains situés dans la zone de sécurité militaire fut supprimée du registre foncier.


14.  Le 14 novembre 2000, la Cour de cassation cassa le jugement rendu par la juridiction de première instance. Elle estima que la mainmise de l’administration sur le bien litigieux n’était pas définitive.


15.  Le 20 juin 2001, le tribunal de grande instance, statuant sur renvoi, confirma son jugement initial. Il estima que l’administration s’était bien approprié le terrain qui était la propriété du requérant.


16.  Le 21 novembre 2001, l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation cassa le jugement du 20 juin 2001. Elle considéra qu’il y avait certes une mainmise de l’administration sur le bien litigieux mais que celle-ci était provisoire et que, par conséquent, il ne pouvait être question d’une privation de propriété de nature à conduire à un constat d’expropriation. En effet, pour qu’un bien pût être exproprié, il fallait selon elle que toute possibilité d’en user eût disparu. Néanmoins, l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation admit que l’usage que les autorités militaires faisaient provisoirement du terrain du requérant avait porté préjudice à ce dernier mais qu’il ne pouvait pas pour autant réclamer la valeur de son terrain.


17.  Le 8 mai 2002, l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l’arrêt formé par le requérant.


18.  Le 20 novembre 2002, le tribunal de grande instance se conforma à l’arrêt de l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation et débouta le requérant de sa demande. Il estima que les conditions d’indemnisation pour expropriation de fait n’étaient pas réunies.


19.  Le 4 mars 2003, la Cour de cassation confirma ce jugement.


20.  Le 7 juillet 2005, le requérant demanda la révision de la procédure devant le tribunal de grande instance d’Oltu. À l’appui de sa demande, il invoquait l’existence de faits nouveaux qui n’étaient pas connus du tribunal à l’époque du jugement.


21.  Le 29 juillet 2005, le tribunal lui donna gain de cause. Il observa qu’à l’époque de son jugement, certains éléments du dossier avaient été classés secret-défense, par exemple la construction par les autorités militaires d’un dépôt de munitions dans la zone de sécurité militaire ou encore l’interdiction absolue, dans les faits et dans la pratique, de toute construction par les propriétaires des terrains situés dans la zone de sécurité militaire.


22.  L’administration forma un pourvoi en cassation contre ce jugement.


23.  Par un arrêt du 6 juin 2006, la Cour de cassation cassa le jugement attaqué. Elle estima que les conditions d’indemnisation pour expropriation de fait n’étaient pas réunies. Elle ajouta que rien n’empêchait le requérant d’intenter une action en cessation du trouble et une demande en indemnisation correspondant au montant des loyers qu’il n’avait pas pu percevoir en raison de l’occupation de son terrain par l’administration.


24.  Le 25 septembre 2006, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de cet arrêt.


25.  Par un jugement du 21 février 2007, le tribunal de grande instance se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation.


26.  Par un arrêt du 8 avril 2008, la Cour de cassation confirma ce jugement.


27.  Le 23 octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de cet arrêt.


28.  Le 17 décembre 2008, l’arrêt du 23 octobre 2008 fut notifié à l’avocat du requérant.


29.  Parallèlement, le 3 mars 2004, le requérant avait intenté auprès du tribunal de grande instance, par l’intermédiaire de son avocat, une action en cessation du trouble et une demande en indemnisation correspondant au montant des loyers qu’il n’avait pas pu percevoir en raison de l’occupation de son terrain par l’administration.


30.  Le 20 mai 2004, le tribunal ordonna une visite des lieux en présence d’experts. Le montant du loyer que le requérant aurait perçu s’il avait loué le terrain à l’administration fut calculé par les experts pour la période d’occupation allant du 3 mars 1999 au 3 mars 2004.


31.  Le 29 septembre 2004, se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise, le tribunal donna gain de cause au requérant. Il considéra que ce dernier ne pouvait pas disposer librement de son bien puisque le terrain litigieux était situé dans la zone de sécurité militaire. Il observa que le requérant ne pouvait pas notamment construire sur son terrain alors même que celui-ci présentait les caractéristiques d’un terrain à bâtir.


32.  Le 23 mai 2005, la Cour de cassation cassa le jugement attaqué par l’administration au motif que l’action en indemnisation pour expropriation de fait avait déjà été rejetée car la mainmise de l’administration sur le terrain n’était pas définitive.


33.  Le 29 juillet 2005, le tribunal de première instance, statuant sur renvoi, persista dans son jugement initial. Il fit valoir que l’objet de la demande était différent de celle qui avait été précédemment introduite par le requérant et que celui-ci avait subi un préjudice en raison de la restriction de l’usage de son terrain causée par les autorités militaires.


34.  Le 21 décembre 2005, l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation confirma le jugement du 29 juillet 2005. Elle releva que la zone était classée militaire et entourée de barbelés, que les constructions y étaient interdites, que les voies d’accès principales et secondaires étaient coupées et que par conséquent les propriétaires des terrains situés dans cette zone ne pouvaient pas librement disposer de leurs biens tant que cette situation provisoire perdurerait. Elle renvoya le dossier devant la 5ème chambre civile de la Cour de cassation afin que celle-ci contrôle l’exactitude du montant de l’indemnité octroyée par le tribunal de grande instance.


35.  La Cour de cassation, statuant sur renvoi, rendit son arrêt le 2 mai 2006 et elle cassa le jugement du 29 juillet 2005 quant au montant de l’indemnité qui avait été allouée au requérant. À cet égard, elle estima que le montant de l’indemnité devait être calculé en faisant une comparaison avec les loyers qui étaient perçus par les propriétaires des terrains voisins.


36.  Le 10 octobre 2006, le tribunal de grande instance demanda au requérant d’apporter des éléments de comparaison pour pouvoir calculer le montant de l’indemnité à laquelle il avait droit.


37.  Le requérant rappela que l’occupation de son terrain par les autorités militaires avait été constatée de manière définitive et à multiples reprises par les tribunaux, notamment par l’arrêt de l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation, que l’administration avait des bâtiments militaires et administratifs construits sur les parcelles voisines, que, dans ces conditions, il ne lui était pas possible d’apporter des exemples de contrats de location et qu’il revenait au tribunal de grande instance de faire les recherches nécessaires pour calculer le montant de l’indemnité auquel il avait droit. Il ajouta que l’administration utilisait la parcelle voisine 9 de l’îlot 111 comme un parc de stationnement et que la mairie d’Oltu, ou une autre administration compétente, pouvait donner le montant global du loyer qui pouvait être perçu si ce terrain avait été loué comme parc de stationnement.


38.  Le 3 juillet 2007, la Chambre de commerce d’Oltu, au sein de laquelle était exercée une activité de transports en commun privée, déclara n’avoir aucun barème de référence pour apprécier la valeur d’un terrain servant de parc de stationnement.


39.  Le 7 juin 2007, le commandement militaire d’Oltu affirma que ce parking en question était réservé au personnel militaire et qu’il était gratuit.


40.  Aux audiences du 28 novembre 2007 et du 16 avril 2008, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, soutint que la mainmise de l’administration sur son terrain avait été établie et qu’il revenait simplement au juge de faire usage de ses pouvoirs généraux d’instruction et de prendre toute mesure propre à lui procurer, par les voies légales, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible d’évaluer le montant réel de son préjudice.


41.  À l’issue de l’audience du 16 avril 2008, le tribunal débouta le requérant de sa demande au motif qu’il n’avait pu apporter ni la preuve du début de la date d’occupation de son terrain par l’administration ni celle du montant du préjudice qu’il alléguait avoir subi.


42.  Le 11 novembre 2008, la Cour de cassation confirma ce jugement au motif qu’il était conforme aux règles procédurales et à la loi.


43.  Le 28 mai 2009, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l’arrêt qui avait été introduit par le requérant. Cet arrêt fut notifié aux parties le 30 septembre 2009.


44.  Par ailleurs, parallèlement à ces deux recours, le 8 janvier 2007, le requérant avait introduit une autre action en dommages et intérêts contre le ministère de la Défense pour expropriation de fait de son terrain.


45.  Le 13 avril 2007, le tribunal de grande instance d’Oltu rejeta sa demande au motif que l’administration n’avait pas occupé le terrain en question, que les accès d’entrée et de sortie sur terrain étaient libres et qu’il n’y avait aucune atteinte ni aucune restriction à l’usage légal de la propriété par l’intéressé.


46.  Le 3 mars 2008, la Cour de cassation confirma ce jugement. Elle rejeta également le recours en rectification de l’arrêt.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I.      La reconnaissance du droit de propriété et la responsabilité de l’administration


47.  L’article 35 de la Constitution turque dispose ce qui suit :

« Chacun possède les droits de propriété et d’héritage. Ces droits peuvent être limités par la loi, mais uniquement dans un but d’intérêt public. Le droit de propriété ne peut être exercé d’une manière contraire à l’intérêt de la société. »


48.  Aux termes des paragraphes 1 et 7 de l’article 125 de la Constitution,

« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel.

(...)

L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et décisions. »


49.  Le corollaire de ce principe est défini dans les articles 11 à 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. En effet, en vertu de ces dispositions, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans un délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande, ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure devant la juridiction administrative.


50.  L’article 683 § 1 du code civil se lit comme suit :

« Quiconque possède une chose peut l’utiliser, en jouir et en disposer comme il le souhaite, dans les limites de la réglementation existante. »

II.   Les principes relatifs à l’expropriation


51.  L’article 46 de la Constitution, tel que modifié par l’article 18 de la loi no 4709 du 3 octobre 2001, se lit comme suit dans sa partie pertinente :

« L’État et les personnes morales de droit public sont autorisés, dans les cas où l’intérêt public l’exige et à condition d’en payer au comptant la contrepartie réelle, à exproprier, en tout ou en partie, les biens immobiliers appartenant à des particuliers, ou à grever ces biens de servitudes administratives, conformément aux règles et procédures fixées par la loi. »


52.  Les dispositions pertinentes de la loi no 2942 sur l’expropriation, modifiée le 5 mai 2001 par la loi no 4650, sont ainsi libellées :

Conditions d’expropriation

« Article 3 - L’administration peut procéder à l’expropriation des biens immeubles, des ressources naturelles et des droits de servitude nécessaires aux services et entreprises publics dont, selon les lois, elle a la charge, à condition de payer une indemnité (...) au comptant (...)

(...)

(Paragraphe ajouté : loi no 4650 - 24.4.2001 / art. 1) Les procédures d’expropriation ne peuvent pas être entamées sans la réunion au préalable par l’administration des fonds nécessaires. »

Procédure d’achat

« Article 8. - Une administration qui entend procéder à l’expropriation d’un bien immeuble inscrit au registre foncier en vertu de la présente loi doit en principe faire usage de la procédure d’achat prioritaire. »


53.  Selon cette procédure, une commission d’experts désignée par l’administration expropriante évalue la somme lui paraissant devoir être proposée au futur exproprié en contrepartie du bien concerné. En cas d’accord entre l’administration et le futur exproprié, l’indemnité n’est payée à ce dernier que s’il consent au transfert de propriété en autorisant l’administration à faire inscrire au registre foncier le bien en question au nom de celle-ci.


54.  En cas de désaccord entre les parties sur le montant de l’indemnité d’expropriation, l’article 10 s’applique.

Fixation du montant de l’indemnité d’expropriation par le tribunal et
inscription du bien immeuble au nom de l’administration

« Article 10. - Lorsque l’expropriation n’a pas pu être effectuée au moyen de la procédure d’achat, l’administration (...) saisit le tribunal de grande instance du lieu où est sis le bien immeuble [à exproprier] et lui demande de fixer le montant de l’indemnité d’expropriation du bien et d’ordonner son inscription [au registre foncier] au nom de l’administration en contrepartie du paiement au comptant (...) de ce montant.

Le tribunal [notifie au propriétaire du bien] le jour de l’audience, qu’il fixe à trente jours au plus tard après sa saisine par l’administration (...)

(...)

Si les parties ne s’accordent pas sur le montant de l’indemnité lors de [la première] audience, le juge effectue, avec l’aide des experts indiqués à l’article 15 et en présence de tous les intéressés une visite des lieux dans les dix jours qui suivent la première audience, ce afin de déterminer la valeur du bien immeuble, puis tient une nouvelle audience dans les vingt jours qui suivent cette visite.

Les experts (...) remettent au tribunal, dans les quinze jours, leur rapport indiquant la valeur du bien immeuble conformément aux conditions énumérées à l’article 11. Le tribunal notifie aussitôt ce rapport aux parties, sans attendre l’audience. (...)

Si les parties ne s’accordent pas sur le montant de l’indemnité [et] s’il le faut, le juge désigne une nouvelle commission d’experts, qui doit remettre son rapport dans les quinze jours. Le juge, prenant en considération les déclarations des parties et les déclarations et le ou les rapport(s) des experts, fixe alors une indemnité d’expropriation équitable (...) Le montant ainsi déterminé par le tribunal est (...) l’indemnité d’expropriation du bien immeuble. (...) Le juge accorde à l’administration un délai de quinze jours pour le dépôt à la banque (...) de la somme déterminée comme indemnité d’expropriation et la présentation du reçu relatif au dépôt. Si nécessaire, le tribunal peut proroger ce délai, au maximum une fois. Sur présentation de la quittance du paiement par l’administration de l’indemnité d’expropriation au titulaire du droit (...), le tribunal ordonne l’inscription du bien immeuble au nom de l’administration et le paiement de l’indemnité d’expropriation au titulaire du droit, et le jugement est notifié au bureau du registre foncier et à la banque où l’argent a été déposé. La décision relative à l’enregistrement est définitive, mais les parties peuvent se pourvoir en cassation pour contester le montant de l’indemnité.

Les critères de détermination du montant de l’indemnité d’expropriation

Après s’être rendue avec les juges sur le lieu où est situé (...) le bien à exproprier et après avoir recueilli l’avis des intéressés, la commission d’experts constituée selon l’article 15 établit un rapport en tenant compte :

a)  du type et de la nature du bien considéré,

b)  de sa superficie,

c)  des qualités et éléments susceptibles d’influencer sa valeur ainsi que l’évaluation de chaque élément,

d)  de la déclaration d’impôt relative au bien s’il en existe une,

e)  des valeurs déterminées par les autorités à la date de l’expropriation,

f)  pour les terrains cultivés, du profit que l’on peut en tirer à la date de l’expropriation si l’on tient compte de leur utilisation elle-même et de leur emplacement,

g)  pour les terrains à construire, de la valeur marchande déterminée en la comparant à celle d’autres terrains équivalents vendus, dans des conditions normales, avant la date de l’expropriation,

h)  pour les bâtiments, du prix unitaire officiel, des coûts de construction et du taux d’usure,

i)  de tout autre critère objectif susceptible d’influencer la valeur (...) du bien à exproprier.

La commission détermine la valeur du bien en mentionnant dans son rapport la réponse donnée pour chaque critère susmentionné, en tenant compte des déclarations des intéressés et en se fondant sur un rapport d’appréciation motivé. La détermination de la valeur du bien ne tient pas compte de la plus-value générée par l’initiative du service, d’urbanisme ou autre, qui est à l’origine de l’expropriation, ni des gains futurs en rapport avec les différents modes d’utilisation envisagés.

(...)

Les experts

Article 15. - (Modifié : loi no 4650 - 24.4.2001 / art. 8)

(...)

La détermination de la valeur [du bien] par les experts tient compte du jour auquel l’administration a remis les documents au tribunal. »

III. Les compétences de la commission d’indemnisation


55.  Dans le cadre de la procédure d’arrêt pilote Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, §§ 29 et 74-75, 20 mars 2012), le gouvernement défendeur avait pris l’engagement de mettre en place une voie de recours ad hoc pour remédier au problème structurel des délais excessifs de procédure en se conformant à la jurisprudence de la Cour en la matière.


56.  Dans ce contexte est entrée en vigueur, le 19 janvier 2013, la loi no 6384 portant règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cette loi a mis en place une commission d’indemnisation et a énoncé les principes ainsi que la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires de durée de procédure ainsi que dans celles relatives à la non-exécution ou à l’exécution partielle ou tardive de décisions judiciaires nationales.


57.  Par la suite, les compétences de la commission ont été étendues à d’autres matières et notamment au domaine forestier. Ainsi, par un décret du 9 mars 2016, le Conseil des ministres a étendu le champ de compétence ratione materiae de la commission aux requêtes concernant des allégations de violation du droit de propriété en raison de l’annulation de titre de propriété au motif que le bien en cause faisait partie du domaine forestier (voir Demir c. Turquie (déc.), no 9161/07, § 36 in fine, 15 octobre 2019).


58.  Par l’ordonnance présidentielle no 809 du 7 mars 2019, la commission a vu sa compétence à nouveau élargie. Elle peut désormais octroyer une indemnité lorsque la Cour lui délègue la question du préjudice matériel et/ou moral sur le terrain de l’article 41 après avoir constaté une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06 et 2 autres, § 24, 7 mai 2019).

EN DROIT

I.      SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION


59.  Le requérant dénonce une atteinte à son droit au respect de ses biens, reprochant à l’administration d’avoir occupé son terrain sans lui avoir versé la moindre indemnité et sans qu’une décision d’expropriation en bonne et due forme n’ait été prise. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


60.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.    Sur la recevabilité


61.  Le Gouvernement demande tout d’abord à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour abus du droit de recours. Il fournit à la Cour des documents supplémentaires relatifs à l’usage du terrain litigieux par le requérant et fait remarquer que l’intéressé n’avait pas porté à la connaissance de la Cour ces pièces qui, de son point de vue, étaient pourtant essentielles à la résolution de l’affaire. Il s’agit du document émanant du ministère de l’Agriculture qui s’intitule « Certificat d’enregistrement en tant qu’agriculteur » et des documents relatifs au dispositif d’aide aux agriculteurs pour la période allant de 2002 à 2018.


62.  Il invite ensuite la Cour à rejeter la requête pour défaut de qualité de victime du requérant. Il expose que les annotations ajoutées par les autorités militaires sur le registre foncier ont été supprimées, de sorte qu’il n’y a aucune restriction à l’usage du terrain comme terre agricole. Il estime, par conséquent, que le requérant n’a pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et que la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.


63.  Il excipe également d’un non-respect par le requérant du délai de six mois, prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Il soutient à cet égard que l’arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2008 doit être considéré comme la décision interne définitive.


64.  Le Gouvernement soutient enfin que la requête est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Selon lui, le requérant n’a pas pu apporter devant les juridictions nationales la preuve du préjudice qu’il allègue avoir subi.


65.  La Cour rappelle que, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention, une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014, Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, 2 mai 2006, Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 63, 15 septembre 2009, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 97, CEDH 2012). Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes (Hüttner c. Allemagne (déc.), no 23130/04, 9 juin 2006, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-26, 2 décembre 2008, et Kowal c. Pologne (déc.), no 2912/11, 18 septembre 2012). Il en va de même lorsque des développements nouveaux importants surviennent au cours de la procédure suivie devant la Cour et que, en dépit de l’obligation expresse lui incombant d’après l’article 47 § 7 du règlement de la Cour, le requérant n’en informe pas celle-ci, l’empêchant ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 97, et Miroļubovs et autres, précité, § 63). Toutefois, même dans de tels cas, l’intention de l’intéressé d’induire la Cour en erreur doit toujours être établie avec suffisamment de certitude (Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 89, 20 juin 2002, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, §§ 58-60, 28 mars 2006, Nold c. Allemagne, no 27250/02, § 87, 29 juin 2006, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 97).


66.  En l’espèce, la Cour note que, dans son formulaire de requête, le requérant a fourni des informations complètes sur ses griefs. La Cour possède les éléments essentiels à l’examen de l’affaire. On ne saurait conclure des pièces supplémentaires versées au dossier par le Gouvernement que le requérant a abusé de son droit de recours individuel en l’espèce. Dès lors, il y a lieu d’écarter l’exception présentée à cet égard par le Gouvernement.

 


68.  Concernant l’exception tirée par le Gouvernement d’un non-respect du délai de six mois, la Cour souligne que, pour déterminer si une procédure interne constitue, aux fins de l’article 35 § 1, un recours effectif, que les requérants doivent exercer et dont il doit dès lors être tenu compte pour le calcul du délai de six mois, il faut prendre en considération un certain nombre de facteurs, parmi lesquels le grief du requérant, la portée des obligations que fait peser sur l’État la disposition de la Convention en cause, les recours disponibles dans l’État défendeur et les circonstances particulières de l’affaire (Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 134, 19 décembre 2017). En l’espèce, le requérant a exercé toutes les voies de droit que lui offrait le système juridique turc pour faire valoir ses droits. De l’avis de la Cour, aucune des procédures qu’il a engagées ne peut être considérée comme ayant été adressée de manière inopportune ou abusive à une instance n’ayant ni le pouvoir ni la compétence nécessaires pour accorder une réparation effective concernant le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1. Il n’a pas non plus été démontré que les recours intentés par le requérant étaient voués à l’échec dès le départ, de sorte qu’il ne fallait pas les prendre en compte pour le calcul du délai de six mois. Le requérant ayant dès lors saisi la Cour dans un délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 mai 2009, la requête n’est pas frappée de tardiveté.


69.  La Cour estime par ailleurs que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.     Sur le fond


70.  Le requérant voit dans les circonstances de la cause une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


71.  Le Gouvernement reconnaît que le bien du requérant est situé dans une zone militaire mais que cela n’empêche pas l’intéressé de faire usage de son bien. Il fait valoir que le registre foncier ne contient aucune annotation portant restriction à l’usage du terrain comme terre agricole. Il ajoute que, dans ces conditions, l’administration n’était pas tenue d’exproprier le requérant de son bien. Il conclut qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens, pour les besoins de l’article 1 du Protocole no 1.


72.  La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, aux trois normes distinctes que cette disposition contient et aux conditions qu’une mesure d’expropriation doit remplir (voir, parmi beaucoup d’autres, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 93-94, 25 octobre 2012).


73.  Elle observe que l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation a fait les constats suivants (paragraphe 34 ci-dessus) :

i. la zone litigieuse était classée zone militaire ;

ii. elle était entourée de barbelés ;

iii. les constructions y étaient interdites ;

iv. les voies d’accès principales et secondaires étaient coupées.


74.  La haute juridiction a estimé que les propriétaires des terrains situés dans la zone militaire ne pourraient pas librement disposer de leur bien tant que cette situation provisoire perdurerait. Aussi, elle a transmis le dossier à la 5ème chambre civile de la Cour de cassation non pas pour déterminer s’il y avait une restriction d’usage du terrain, cette question ayant été tranchée par son arrêt, mais seulement pour contrôler l’exactitude du montant de l’indemnité octroyée par le tribunal de grande instance.


75.  Partant du constat fait par l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation, la Cour considère que l’administration s’était bien approprié le terrain du requérant, fût-ce pour une durée provisoire. Autrement dit, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, le requérant a été privé de son bien du fait de l’occupation de son terrain par l’administration pendant la période litigieuse. Si son titre sur le bien en question n’a jamais été formellement annulé, le requérant s’est trouvé de fait privé de toutes les prérogatives qui y étaient attachées pendant une période indéfinie, donc sans une perspective concrète de sa fin.


76.  Le fait que le requérant soit enregistré comme agriculteur et qu’il ait bénéficié du dispositif d’aide aux agriculteurs ne change rien au constat qu’il n’a pas été en mesure d’exercer les droits qui sont habituellement attachés à un titre de propriété immobilière. Au demeurant, les documents communiqués par le Gouvernement ne permettent pas de conclure qu’il était effectivement possible d’exploiter la parcelle litigieuse à des fins agricoles ni que le requérant a concrètement pu bénéficier du dispositif d’aide aux agriculteurs.


77.  La Cour ne retient donc pas l’argument tiré par le Gouvernement de ce que la situation du terrain du requérant à l’intérieur d’une zone militaire n’aurait pas eu pour effet de le priver de sa propriété, au sens de la deuxième phrase de l’article 1 du Protocole no 1.


78.  Aussi, elle rappelle que cet article exige, avant tout et surtout, que toute ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie, précité, § 95). En effet, la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est une notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 79, CEDH 2000‑XII, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 147, CEDH 2004‑V).


79.  Or la pratique de l’expropriation de fait permet à l’administration d’occuper un bien immobilier et d’en changer irréversiblement la destination, de telle sorte qu’il soit finalement considéré comme acquis au patrimoine public sans qu’il y ait eu le moindre acte formel et déclaratoire de transfert de propriété (Sarıca et Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 43, 27 mai 2010). La Cour a déjà jugé que ce procédé permettant à l’administration de passer outre les règles de l’expropriation formelle exposait les justiciables au risque d’un résultat imprévisible et arbitraire. Il n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et ne saurait constituer une alternative à une expropriation en bonne et due forme (Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, § 89, 17 mai 2005, Guiso‑Gallisay c. Italie, no 58858/00, § 87, 8 décembre 2005, et Halil Göçmen c. Turquie, no 24883/07, § 32, 12 novembre 2013).


80.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a perdu la maîtrise de son terrain à partir du moment où la zone où son terrain est situé a été classée zone militaire par les autorités. L’administration s’est approprié le terrain du requérant au mépris des règles régissant l’expropriation formelle et sans l’indemniser à ce titre.


81.  Force est de constater que dans la présente affaire les différentes étapes d’une expropriation formelle, fixées par la loi sur l’expropriation (paragraphes 51-54 ci-dessus), n’ont pas été respectées par l’administration.


82.  La Cour considère que dans les circonstances de la cause, l’administration était légalement tenue d’exproprier le requérant de son bien ou, du moins, à supposer que l’occupation du terrain par les autorités militaires fût effectivement provisoire, de l’indemniser en tout état de cause à la hauteur du préjudice qu’il avait subi. Or le requérant n’a reçu aucune indemnité pour la perte des droits inhérents à son titre de propriété.


83.  La Cour rappelle que sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et qu’une absence totale d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention que dans des circonstances exceptionnelles (voir, parmi d’autres, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, § 111, CEDH 2005‑VI, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie, précité, § 36).


84.  La Cour considère que le Gouvernement n’a invoqué aucune circonstance exceptionnelle pour justifier l’absence d’indemnisation.


85.  En outre, la Cour estime que le requérant, qui a été contraint d’ester en justice pour faire valoir ses droits et obtenir une indemnisation, était en droit d’attendre qu’il y ait une cohérence raisonnable entre les différentes décisions de justice (Gereksar et autres c. Turquie, nos 34764/05 et 3 autres, § 57, 1er février 2011) et notamment que le tribunal de grande instance d’Oltu adopte une démarche raisonnée et équitable dans l’établissement des faits et expose les motifs pour lesquels il ne retiendrait pas les éléments factuels relevés notamment par l’assemblée plénière civile de la Cour de cassation.


86.  De plus, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le tribunal de grande instance se livre à ses propres constatations en ordonnant notamment une expertise indépendante et contradictoire pour évaluer le préjudice subi par le requérant, au lieu de faire peser intégralement sur celui-ci la charge de la preuve alors même que la mainmise de l’administration sur le terrain litigieux avait été préalablement établie par une décision de justice.


87.  À la lumière de ces considérations, la Cour estime, d’une part, que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation illégale du terrain au détriment du requérant et, d’autre part, que cette ingérence litigieuse n’était pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a enfreint le droit du requérant au respect de ses biens. Enfin, elle juge que le cadre légal mis en place par l’État n’a pas offert au requérant un mécanisme lui permettant de faire respecter les droits que lui garantissait l’article 1 du Protocole no 1.


88.  Partant il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


89.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


90.  Le requérant demande 200 000 livres turques (TRY) au titre du dommage matériel et 200 000 TRY au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.


91.  Se référant à l’arrêt Kaynar et autres, précité, le Gouvernement invite la Cour à renvoyer la question de la réparation du dommage à la commission d’indemnisation.


92.  La Cour rappelle que l’initiative du gouvernement turc tendant à élargir les compétences de la commission d’indemnisation renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Kaynar et autres, précité, § 73).


93.  Elle relève que l’évaluation du préjudice subi par le requérant est complexe et que la Cour ne dispose pas de tous les outils qui lui permettraient raisonnablement de régler cette question. Elle rappelle avoir déjà constaté dans de nombreuses affaires dirigées contre la Turquie relatives au droit de propriété qu’une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et nécessite une expertise certaine (ibidem, § 76).


94.  La Cour estime que les instances nationales sont, sans conteste, les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et en effacer les conséquences.


95.  Dans ces conditions, elle estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt définitif est susceptible de donner lieu à une indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (ibidem, § 127).


96.  À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les demandes présentées par le requérant à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe, en l’espèce, pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, sa conclusion tient compte de ce que l’article 37 § 2 de la Convention lui permet de réinscrire une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (ibidem, § 130).


97.  Il y a donc lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3.      Décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 septembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

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Stanley Naismith                                                               Jon Fridrik Kjølbro
        Greffier                                                                               Président


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