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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MAZOWIECKI v. POLAND - 34734/13 (Judgment : Article 8 - Right to respect for private and family life : First Section Committee) French Text [2023] ECHR 473 (08 June 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/473.html Cite as: CE:ECHR:2023:0608JUD003473413, ECLI:CE:ECHR:2023:0608JUD003473413, [2023] ECHR 473 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MAZOWIECKI c. POLOGNE
(Requête no no )
ARRÊT
STRASBOURG
8 juin 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mazowiecki c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Lətif Hüseynov, président,
Krzysztof Wojtyczek,
Erik Wennerström, juges,
et de Attila Teplán, greffier adjoint de section f.f.,
Vu la requête (no 34734/13) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Mieczysław Mazowiecki (« le requérant »), né en 1980 et résidant à Połczyn-Zdrój, a saisi la Cour le 22 mai 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement polonais (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. J. Sobczak, du ministère des Affaires étrangères, le grief concernant l’article 8 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
Vu les observations du Gouvernement,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. L’affaire concerne la perquisition effectuée au domicile du requérant en lien avec une enquête pénale diligentée par les autorités nationales à la demande d’A.M., alors l’épouse de l’intéressé, le couple étant à l’époque des faits en instance de divorce.
2. Le 11 octobre 2012, A.M. indiqua à la police qu’elle soupçonnait le requérant de lui avoir volé les clés de son appartement ainsi qu’une copie de l’acte notarié de donation de l’appartement en question.
3. Le même jour, la police procéda à une perquisition au domicile du requérant en l’absence de l’intéressé.
4. Au cours de la perquisition, les agents saisirent trois trousseaux de clés et plusieurs documents, dont notamment une copie d’une demande en annulation de la domiciliation du requérant à l’adresse de l’appartement d’A.M. (wniosek o wymeldowanie w drodze decyzji administracyjnej) formée par celle-ci le 5 septembre 2012 auprès de l’autorité administrative compétente, une copie de l’acte notarié susmentionné (dont un exemplaire avait été annexé à la demande précitée d’A.M.), ainsi que les copies de trois assignations en justice dont d’autres exemplaires avaient été versés par A.M. au dossier de la procédure de divorce du couple.
5. Le 16 octobre 2012, les autorités diligentèrent une enquête sur les allégations de vol de l’acte notarié susmentionné, infraction pénale réprimée par l’article 276 du code pénal (« CP »).
6. Le 18 octobre 2012, le procureur de district de Poznań approuva la perquisition, considérant que cette mesure avait été justifiée par l’urgence et qu’elle avait été nécessaire à la prévention du risque d’altération de preuves dans l’enquête en cours.
7. Par une ordonnance du 19 novembre 2012, le tribunal de district de Poznań Nowe Miasto et Wilda, statuant sur recours formé le 15 octobre 2012 par le requérant, confirma le bien-fondé des mesures diligentées contre l’intéressé. À l’appui de sa décision, il cita les dispositions pertinentes des articles 220 § 3 et 219 du code de procédure pénale (« CPP »), lesquelles, d’une part, énonçaient le droit pour la police d’effectuer une perquisition sans l’autorisation préalable d’un juge en cas d’urgence et d’impossibilité pour elle d’obtenir une telle autorisation, et, d’autre part, stipulaient qu’une perquisition pouvait être opérée dans le but de recueillir des preuves pertinentes pour une enquête pénale en cours à la condition qu’il existât des éléments donnant à penser que les preuves recherchées se trouvaient à l’endroit visé par une telle mesure. Le tribunal expliqua en outre que la mesure dénoncée par le requérant avait été justifiée par la nécessité pour la police de vérifier le bien-fondé des allégations d’A.M. selon lesquelles l’intéressé aurait commis l’infraction pénale réprimée par l’article 276 du CP.
8. Le 19 décembre 2012, l’enquête décrite au paragraphe 5 ci-dessus fut close pour absence d’éléments constitutifs de l’infraction pénale réprimée par l’article 276 du CP.
9. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint que la perquisition et la saisie opérées à son domicile par les autorités ont porté atteinte à ses droits au respect de son domicile et au respect de la confidentialité des échanges qu’il entretenait avec son avocat.
APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
10. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il argue que l’intéressé aurait pu se plaindre devant la Cour constitutionnelle des dispositions de l’article 220 § 3 du CPP (paragraphe 7 ci-dessus) sur lesquelles se fondait la perquisition litigieuse. Il soutient que dans l’hypothèse où la haute juridiction nationale ainsi saisie aurait statué en faveur du requérant, ce dernier aurait pu invoquer l’article 540 § 2 du CPP pour demander la reprise de la procédure pénale le concernant ou engager une action en dommages et intérêts contre l’État sur le fondement de l’article 417 § 1 du code civil (« CC »).
11. Pour autant que le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de la confidentialité de ses échanges avec son avocat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur l’exception soulevée par le Gouvernement, compte tenu du fait que ce grief est en tout état de cause irrecevable au motif que le requérant n’établit pas quels documents parmi ceux qu’ont saisis les autorités à l’occasion de la perquisition litigieuse auraient concerné les échanges en question, et qu’en conséquence la Cour juge ce grief manifestement mal fondé et le rejette en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
12. Pour autant que le requérant se plaint de ce que la perquisition litigieuse ait emporté violation de son droit au respect de son domicile, la Cour rappelle, en ce qui concerne la possibilité invoquée par le Gouvernement d’un recours constitutionnel, qu’elle a déjà eu l’occasion de rejeter pareille exception (voir, parmi beaucoup d’autres, Bugajny et autres c. Pologne, no 22531/05, § 45, 6 novembre 2007, Sosinowska c. Pologne, no 10247/09, § 55, 18 octobre 2011, et Remuszko c. Pologne, no 1562/10, § 45, 16 juillet 2013). En outre, elle considère comme spéculatives les affirmations du Gouvernement relatives à des recours dont l’exercice dépend de l’éventuel succès préalable d’un recours constitutionnel. L’exception du Gouvernement est par conséquent rejetée.
13. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
14. La Cour note qu’en l’espèce, nul ne conteste qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par le requérant du droit, protégé par l’article 8 de la Convention, au respect de son domicile. Il reste à déterminer si cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, c’est-à-dire notamment si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes et était « nécessaire » à la réalisation de ce ou ces buts.
15. Les principes généraux applicables à cet égard ont été résumés, entre autres, dans les arrêts Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000‑V, Heino c. Finlande, no 56720/09, § 36, 15 février 2011, Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 220, 15 octobre 2013, Govedarski c. Bulgarie, no 34957/12, §§ 79 et 81, 16 février 2016, et Stoyanov et autres c. Bulgarie, no 55388/10, § 124, 31 mars 2016.
16. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la perquisition et la saisie litigieuses ont été opérées sans l’autorisation préalable d’un juge, en application de l’article 220 § 3 du CPP. Elle note que la disposition précitée du CPP donne aux organes d’enquête l’autorisation de procéder à la mise en œuvre des mesures en question « en cas d’urgence » (paragraphe 7 ci-dessus). Elle relève en outre que la rédaction de ladite disposition laisse en pratique une large marge de manœuvre aux autorités quant à l’appréciation de la nécessité et de l’ampleur des perquisitions et saisies (voir, mutatis mutandis, Gutsanovi, précité, § 221).
17. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de juger que si l’absence d’un mandat de perquisition ou de saisie peut être contrebalancée par un contrôle judiciaire a posteriori de la légalité et de la nécessité de telles mesures d’instruction (Heino, précité, § 45), le contrôle en question doit être efficace (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 45 in fine, 7 juin 2007 et Gutsanovi, précité, § 222). Il ressort de sa jurisprudence à cet égard que la rédaction d’une décision de justice à la suite du contrôle ainsi exercé, bien qu’elle soit nécessaire (voir, a contrario, Gutsanovi, précité, § 223), n’est pas suffisante, et qu’une telle décision doit également refléter un examen effectif de l’urgence de l’affaire par la juridiction et présenter des arguments à cet effet (voir, mutatis mutandis, Govedarski, précité, § 85 et Stoyanov, précité, § 130).
18. En l’espèce, la Cour observe que le tribunal de district a approuvé la perquisition litigieuse par une décision du 19 novembre 2012. Elle estime toutefois, pour les raisons ci-après exposées, que la décision en question n’a pas eu pour effet de contrebalancer l’absence d’un mandat judiciaire.
19. La Cour observe ainsi que dans sa décision d’approbation de la perquisition, le tribunal de district s’est simplement borné à citer les dispositions pertinentes de la loi et à déclarer que, dès lors qu’elle avait eu pour but de vérifier le bien-fondé de soupçons de commission d’une infraction pénale, la mesure en question avait été régulière. Elle note qu’il ne ressort pas des motifs de ladite décision que le tribunal de district se soit posé la question de savoir si la perquisition était justifiée par l’urgence ni qu’il ait procédé à une quelconque analyse de l’affaire sous cet angle-là. Or la Cour considère qu’en l’absence de toute déclaration à ce sujet de la part du tribunal de district, il n’est pas démontré que celui-ci ait exercé un contrôle effectif de la légalité et de la nécessité de la mesure contestée.
20. La Cour estime qu’un tel contrôle était pourtant en l’espèce d’autant plus nécessaire que la gravité de l’infraction reprochée au requérant était faible et que l’intéressé n’était pas présent sur les lieux de la perquisition. Elle observe par ailleurs qu’il n’apparaît pas que les autorités en charge de l’enquête se soient interrogées sur le point de savoir si le requérant avait pu, en tant que partie à la procédure en annulation de domiciliation mentionnée au paragraphe 4 ci-dessus, se procurer régulièrement l’acte notarié qu’il était soupçonné d’avoir dérobé, étant donné que ce document avait été versé au dossier de ladite procédure.
21. La Cour considère qu’en l’absence d’une autorisation préalable délivrée par un juge et d’un contrôle effectif a posteriori de la perquisition, le requérant n’a pas bénéficié de garanties procédurales suffisantes pour prévenir tout risque d’abus de pouvoir de la part des autorités en charge de l’enquête.
22. Cet élément suffit à la Cour pour conclure que même si la mesure d’instruction contestée avait une base légale en droit interne, la législation nationale n’a pas offert au requérant, dans les circonstances de l’espèce, avant la perquisition litigieuse ou postérieurement à elle, suffisamment de garanties contre l’arbitraire. Le requérant a ainsi été privé à cet égard de la protection qui lui était due en vertu du principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (voir, mutatis mutandis, Govedarski, précité, § 88, Stoyanov et autres, précité, § 133, et Hristova et autres c. Bulgarie, no 48411/15, § 9, 14 juin 2022). Dans ces circonstances, la Cour considère que l’ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit au respect de son domicile n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
23. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24. Le requérant n’a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable selon les modalités prévues par l’article 60 du règlement de la Cour. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable pour autant qu’elle concerne le grief fondé sur l’article 8 de la Convention relativement à la perquisition effectuée au domicile du requérant et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Attila Teplán Lətif Hüseynov
Greffier adjoint f.f. Président