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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EUROPEAN AIR TRANSPORT LEIPZIG GMBH v BELGIUM - 1269/13 (No violation of Article 6 - Right to a fair trial (Article 6 - Criminal proceedings Article 6-1 - Access to court)) Court (Second Section) French Text [2023] ECHR 578 (11 Jul 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/578.html
Cite as: [2023] ECHR 578

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE EUROPEAN AIR TRANSPORT LEIPZIG GMBH c. BELGIQUE

(Requêtes nos 1269/13 et 4 autres)

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) • Contrôle du Conseil d’État d’une portée suffisante sur la contestation d’amendes administratives pour des infractions aux normes de bruit, suite à la décision du Procureur du Roi de ne pas engager de poursuites pénales • Pouvoir conféré au Conseil d’État dans le cadre de la procédure en annulation pour excès de pouvoir a priori de nature à rencontrer les exigences de l’art 6 sous son volet « pénal » tel que précédemment reconnu sous son volet « civil » • Contrôle de pleine légalité • Examen approfondi, point par point, de l’ensemble des moyens soulevés par la requérante et réponse de manière précise et détaillée • Contrôle de la proportionnalité de l’amende infligée par rapport aux infractions constatées

 

STRASBOURG

11 juillet 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Arnfinn Bårdsen, président,
          Jovan Ilievski,
          Egidijus Kūris,
          Pauliine Koskelo,
          Frédéric Krenc,
          Diana Sârcu,
          Davor Derenčinović, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 1269/13, 4377/14, 422/15, 26650/15 et 54846/15) dirigées contre le Royaume de Belgique et dont une société de droit allemand disposant d’une succursale située en Belgique, European Air Transport Leipzig Gmbh (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention (accès à un tribunal et délai raisonnable) et de déclarer irrecevables les requêtes pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  Les requêtes concernent des amendes administratives infligées à la société requérante. Celle-ci se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal « de pleine juridiction » pour les contester en violation de l’article 6 §1 de la Convention.

EN FAIT

2.  La requérante est une société de droit allemand disposant d’une succursale située en Belgique. Elle est représentée par Me P. Malherbe, avocat à Bruxelles.

3.  Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

I.        LES AMENDES ADMINISTRATIVES ET LA PROCÉDURE AYANT MENÉ AUX DÉCISIONS DE L’IBGE

4.  Entre le 20 février 2000 et le 24 novembre 2006, l’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (« IBGE », paragraphe 21 ci-dessous) établit différents procès-verbaux constatant des infractions à l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien, ces infractions ayant été commises entre avril 2000 et octobre 2006.

5.  Les procès-verbaux et rapports de mesures furent transmis au Procureur du Roi de Bruxelles, lequel décida de ne pas engager de poursuites. Conformément aux articles 33 et suivants de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement (paragraphe 23 ci-dessous), l’IBGE lança la procédure administrative et invita la requérante à lui soumettre ses moyens de défense quant aux infractions constatées.

6.  À l’exception d’une des procédures suivies dans la requête no4377/14 (terminée par l’arrêt du Conseil d’État du 3 juillet 2013), la requérante communiqua à l’IBGE ses différents moyens de défense dans un mémoire. Elle invoquait ainsi l’impossibilité matérielle pour une compagnie aérienne de s’assurer de respecter à tout moment les normes imposées, l’inconstitutionnalité des dispositions en cause, ainsi que la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’elle était privée d’un recours devant un tribunal de pleine juridiction, indépendant et impartial. Elle se plaignait également d’une violation de l’article 6 §§ 2 et 3 et de l’article 7 de la Convention, et de la disproportion entre les infractions constatées et les amendes prononcées, eu égard à l’existence de circonstances atténuantes et de causes de justification.

7.  Par plusieurs décisions rendues entre le 4 septembre 2001 et le 19 octobre 2007, l’IBGE répondit à ces moyens et imposa à la requérante des amendes administratives variant entre 12 593 euros (EUR) et 122 062,70 EUR en fonction notamment du nombre d’infractions constatées.

II.     LES RECOURS DEVANT LE COLLÈGE D’ENVIRONNEMENT

8.  La requérante contesta les décisions précitées de l’IBGE devant le Collège d’environnement (paragraphe 24 ci-dessous).

9.  Deux décisions, celle du 4 septembre 2001 imposant des amendes administratives pour des infractions commises entre le 17 avril 2000 et le 31 mai 2000 et celle du 27 septembre 2001 imposant des amendes administratives pour des infractions commises entre juin 2000 et septembre 2000, ne furent pas contestées devant le Collège d’environnement dès lors qu’à cette époque, un tel recours n’existait pas encore. Ces décisions furent directement contestées devant le Conseil d’État (paragraphe 12 ci‑dessous).

10.  Dans le cadre de ses recours devant le Collège d’environnement, la requérante fit valoir les mêmes moyens que ceux invoqués auprès de l’IBGE.

11.  Pour chaque recours introduit devant lui, le Collège d’environnement confirma les décisions de l’IBGE. Il estima - s’agissant de la constitutionnalité des dispositions en cause - qu’il n’appartenait ni à l’IBGE ni au Collège d’environnement en leur qualité d’autorité administrative, de procéder de quelque manière que ce soit à un contrôle de constitutionnalité ou de légalité de la législation dont la mise en œuvre leur a été confiée. S’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, le Collège d’environnement indiqua que le contrôle exercé par le Conseil d’État était un contrôle de pleine juridiction et que ce contrôle s’étendait « notamment à la motivation matérielle et formelle des actes attaqués et, en cas de sanctions punitives, à la proportionnalité de celles-ci ». En ce qui concerne les exigences d’indépendance et d’impartialité visées par l’article 6 § 1 de la Convention, le Collège d’environnement estima que l’intégralité de la procédure offrait des garanties suffisantes. Le Collège estima enfin que les amendes étaient justifiées et proportionnées, notamment au regard de leur nombre et de l’importance des dépassements des normes de bruit constatés.

III.   LES RECOURS EN ANNULATION DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT

12.  Les décisions précitées du Collège d’environnement (ainsi que les décisions de l’IBGE citées au paragraphe 9) firent chacune l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État.

13.  Outre les différents moyens développés par la requérante devant l’IBGE et le Collège d’environnement, la requérante développa de nouveaux moyens notamment relatifs au délai raisonnable de la procédure.

14.  Le Conseil d’État rendit 16 arrêts, en ce compris des arrêts intermédiaires, entre le 2 décembre 2010 et le 21 avril 2015.

15.  Suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 2009 (paragraphe 27 ci-dessous), le Conseil d’État confirma sa compétence pour se prononcer, dans le cadre d’un recours en annulation, sur des amendes administratives ayant un caractère pénal au sens de l’article 6 §1 de la Convention telles que celles infligées en l’espèce.

16.  Dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État du 23 juin 2014 (no 227.802), le Conseil d’État posa différentes questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle dont notamment celle du contrôle exercé par le Conseil d’État en ce qui concerne les amendes administratives en cause.

17.  Par un arrêt du 30 mars 2011 (no 44/2011), la Cour constitutionnelle répondit à cette question en ces termes :

« B.6. Les amendes administratives visées par ledit article 33, 7o, b) [de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement], sont de nature pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour doit dès lors prendre en compte, dans le contrôle qu’elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, les garanties contenues dans cet article 6 et, notamment, la garantie qu’un juge indépendant et impartial puisse exercer un contrôle de pleine juridiction sur l’amende infligée par l’autorité administrative compétente.

   [...]

   B.10.1 Il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État qu’il procède à un contrôle juridictionnel approfondi, tant au regard de la loi qu’au regard des principes généraux du droit. Le Conseil d’État examine à cet égard si la décision de l’autorité soumise à son contrôle est fondée en fait, si elle procède de qualifications juridiques correctes et si la sanction infligée n’est pas manifestement disproportionnée par rapport au fait établi. Lorsqu’il annule cette dernière décision, l’autorité est tenue de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État : si l’autorité prend une nouvelle décision, elle ne peut méconnaître les motifs de l’arrêt annulant la première décision ; si elle s’en tient à l’annulation, l’intéressé est réputé ne pas avoir fait l’objet d’une sanction.

   B.10.2. En outre, le Conseil d’État peut, dans les conditions prévues par l’article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, ordonner la suspension de l’exécution de la décision d’imposer les sanctions, le cas échéant en statuant en extrême urgence.

   B.10.3. Les justiciables disposent donc d’un recours effectif, devant une juridiction indépendante et impartiale, contre la sanction administrative qui peut leur être infligée ».

18.  Dans toutes les procédures, le Conseil d’État rejeta les recours en annulation introduits par la requérante. Il estima, entre autres, que le recours porté devant lui permettait de remédier à d’éventuels manques d’impartialité de l’IBGE ou du Collège d’environnement. Il considéra en outre que l’infraction en cause n’était pas définie en des termes vagues ou imprévisibles mais était bien le résultat d’un comportement chiffré, à savoir le dépassement d’un niveau de bruit déterminé. À cet égard, il estima que la requérante avait eu accès à toutes les données utiles lui permettant de présenter ses moyens de défense et s’était abstenue de solliciter certaines données, qu’elle ne contestait pas concrètement les données des procès-verbaux et les relevés en cause (se contentant de remettre en cause leur fiabilité de manière générale) et que les pièces déposées démontraient que les appareils de la requérante avaient commis les infractions reprochées. Par ailleurs, il estima que la requérante ne démontrait pas l’existence de causes de justification et que les décisions en question répondaient aux exigences de motivation résultant du droit belge.

19.  S’agissant du délai raisonnable, le Conseil d’État estima que les décisions de l’IBGE et du Collège d’environnement étaient intervenues dans un délai raisonnable et que la longue durée de la procédure devant le Conseil d’État ne constituait pas une cause d’illégalité de ces décisions de nature à justifier leur annulation.

20.  Enfin, le Conseil d’État considéra que certains moyens étaient irrecevables compte tenu de leur caractère tardif, de l’autorité de la chose jugée d’un précédent arrêt ou du fait que la demande ne relevait pas de sa compétence, le Conseil d’État n’ayant pas un pouvoir de réformation dans le cadre d’un recours en annulation.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I.        LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX INFRACTIONS EN CAUSE

21.  L’IBGE (dénommé, depuis le 24 mai 2018, « Bruxelles Environnement ») est un organisme d’intérêt public régi par un arrêté royal du 8 mars 1989. Il est représenté et géré par le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale (paragraphe 4 ci-dessus).

22.  L’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien détermine les niveaux de bruits maximum que le passage des avions peut provoquer.

23.  L’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement (« l’ordonnance du 25 mars 1999 ») telle qu’applicable au moment des faits, érige en infraction le fait de créer directement ou indirectement ou de laisser perdurer une gêne sonore dépassant les normes fixées par le gouvernement de la Région de Bruxelles Capitale (article 33, 7o, b de l’ordonnance). Ces infractions font l’objet soit de poursuites pénales, soit d’amendes administratives (article 35 de l’ordonnance). Ainsi, à défaut de poursuites pénales, le fonctionnaire dirigeant de l’IBGE peut décider - en cas d’infraction à la législation et après avoir mis le contrevenant en mesure de présenter ses moyens de défense - d’infliger une amende administrative dont le montant varie de 625 EUR à 62 500 EUR (articles 33, 7o b et 38 de l’ordonnance).

II.     LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECOURS DEVANT LE COLLÈGE D’ENVIRONNEMENT

24.  Par une ordonnance du 28 juin 2001, la Région de Bruxelles-Capitale a inséré un article 39 bis dans l’ordonnance du 25 mars 1999 afin de permettre à la personne condamnée au paiement d’une amende administrative en vertu des dispositions précitées (paragraphe 23 ci-dessus) d’introduire un recours auprès du Collège d’environnement. Cette disposition est entrée en vigueur le 23 novembre 2001.

III.   LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA Procédure DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT

A.    La compétence d’annulation du Conseil d’État

25.  Contre la décision du Collège d’environnement (ou, le cas échéant, de l’IBGE - paragraphes 9 et 12), un recours devant le Conseil d’État peut être introduit en vue d’en solliciter l’annulation conformément à l’article 14, § 1er, 1o des lois coordonnées sur le Conseil d’État.

26.  Tel qu’applicable au moment des faits, cet article dispose que :

« La section statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements :

 1o des diverses autorités administratives (...) ».

B.    La jurisprudence pertinente de la Cour de cassation quant à la compétence d’annulation du Conseil d’État

27.  Par un arrêt du 15 octobre 2009, la Cour de cassation a confirmé la compétence du Conseil d’État pour se prononcer au contentieux de l’annulation sur les décisions relatives aux amendes administratives en cause dans la présente affaire. Elle a, dans ce cadre, précisé que :

« 6. En vertu de l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Ni cette disposition conventionnelle ni aucune autre disposition conventionnelle ou constitutionnelle ne requièrent qu’une amende administrative, qui constitue une peine au sens de cette disposition, soit infligée et appréciée exclusivement par un juge de l’ordre judiciaire. Sauf lorsque les sanctions comportent une peine privative de liberté, il suffit que le contrevenant dispose d’un recours juridictionnel.

7. Une amende administrative infligée à un individu par une autorité administrative en application des sanctions prévues par la loi, le décret ou l’ordonnance peut, en principe, lorsque le législateur n’a pas accordé cette compétence à un juge de l’ordre judiciaire, être contrôlée par le Conseil d’État en application de sa compétence générale d’apprécier si une mesure de l’autorité est entachée ou non d’excès de pouvoir.

Le Conseil d’État peut examiner, notamment, dans le cadre de ce contentieux objectif, si, compte tenu des conventions internationales, la mesure individuelle est légale et notamment si sa proportionnalité peut être contrôlée par le juge et annuler cette mesure individuelle pour excès de pouvoir, si pareil recours n’est pas ouvert au contrevenant.

8. L’arrêt constate qu’il ressort du texte de l’ordonnance du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement, que les infractions à cette ordonnance sont sanctionnées par des amendes administratives qui sont considérées comme des peines. Il décide sur la seule base de la nature pénale de la sanction que le Conseil d’État ne dispose pas de la compétence requise.

L’arrêt ne justifie, dès lors, pas légalement sa décision. »

C.    La jurisprudence pertinente de la Cour constitutionnelle quant à la compétence d’annulation du Conseil d’État

28.  Dans différents arrêts, la Cour constitutionnelle a confirmé que le recours en annulation devant le Conseil d’État à l’encontre d’une décision infligeant des amendes administratives en application de l’ordonnance du 25 mars 1999 satisfaisait aux exigences du recours de pleine juridiction au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Ainsi, outre l’arrêt du 30 mars 2011 (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour constitutionnelle a précisé dans un arrêt du 18 février 2016 (no 25/2016) que :

« B.37.1. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit un droit d’accès au juge. L’article 13 de la même Convention garantit le droit à un recours effectif devant une instance nationale à toute personne dont les droits et libertés mentionnés dans cette Convention ont été violés. Le droit d’accès au juge, qui constitue un aspect essentiel du droit à un procès équitable, suppose qu’une décision d’une autorité administrative puisse être soumise au contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel disposant d’une compétence de pleine juridiction. Il en va d’autant plus ainsi qu’est concernée en l’espèce la décision d’infliger une amende administrative alternative qui doit être considérée comme une peine au sens de l’article 6 de la Convention.

[...].

B.40.1. Si le Conseil d’État ne peut pas substituer sa décision à celle du Collège d’environnement et qu’il ne peut donc pas réformer l’amende administrative alternative prononcée ou confirmée par ce dernier, il en vérifie en revanche l’adéquation et la proportionnalité. À cet égard, il peut tenir compte d’éventuelles circonstances atténuantes pour considérer que la décision n’est pas correctement motivée. Il vérifie de même que la décision repose sur des éléments de preuve pertinents. S’il estime qu’il y a lieu d’annuler la sanction administrative prononcée, il renvoie la cause au Collège d’environnement, lequel est tenu par les motifs de l’arrêt d’annulation.

B.40.2. Il résulte de ce qui précède que dans le cadre de son contrôle de légalité, le Conseil d’État n’examine pas seulement s’il est question d’erreurs manifestes d’appréciation. Au contraire, il doit effectivement procéder à un contrôle approfondi, en droit et en fait, de la décision attaquée et de sa proportionnalité. Dans ces conditions, la seule circonstance qu’il ne dispose pas d’un pouvoir de réformation ne suffit pas à conclure que le contrôle qu’il exerce ne répond pas aux exigences du contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

B.40.3. Pour le surplus, il ne relève pas de la compétence de la Cour d’examiner comment le Conseil d’État aurait exercé in concreto son pouvoir de pleine juridiction ou pourquoi il ne lui a pas posé de questions préjudicielles dans les affaires concernant la partie requérante ».

29.  La Cour constitutionnelle a confirmé cette jurisprudence en d’autres occasions. Dans un arrêt du 29 avril 2021 (no67/2021), elle a précisé que :

« B.6.1. Le recours en annulation d’un acte administratif, tel qu’il est visé par l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, est un recours en première et dernière instance, qui permet de contester, tant en fait qu’en droit, la légalité d’un acte administratif.

À cet égard, le Conseil d’État procède à un contrôle juridictionnel approfondi, tant au regard de la loi qu’au regard des principes généraux du droit et il examine si l’acte de l’autorité administrative soumis à son contrôle est fondé en fait, s’il procède de qualifications juridiques correctes et si la mesure n’est pas disproportionnée eu égard aux faits reprochés. En cas d’annulation, l’autorité est tenue de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État : si l’autorité prend une nouvelle décision, elle ne peut méconnaître les motifs de l’arrêt annulant la première décision ; si elle s’en tient à l’annulation, l’acte attaqué est réputé n’avoir jamais existé.

B.6.2. Les justiciables disposent donc d’un recours effectif, devant une juridiction indépendante et impartiale, contre l’amende administrative infligée en vertu de l’article 66bis du décret du 20 avril 2001. »

D.    La jurisprudence pertinente du Conseil d’État quant à sa compétence d’annulation

30.  Outre les décisions prononcées dans la présente affaire, le Conseil d’État a confirmé, dans différentes décisions, qu’à son estime, il exerçait un contrôle de pleine juridiction au sens requis par l’article 6 § 1 de la Convention lorsqu’il était saisi d’un recours en annulation pour excès de pouvoir :

« Considérant que, saisi d’un recours en annulation, le Conseil d’État exerce un contrôle complet de légalité, statue sur les points de fait comme sur les questions de droit, vérifie l’exactitude, la pertinence et l’admissibilité des motifs sur lesquels repose la décision attaquée, et, particulièrement en matière de sanctions, juge s’il existe un rapport de proportionnalité entre le comportement sanctionné et la peine prononcée ; que s’il est vrai qu’il ne peut substituer sa décision à celle de l’autorité administrative qui a prononcé la sanction, il reste que lorsqu’il annule cette décision, l’autorité est tenue de se conformer à l’arrêt d’annulation, et si elle prend une nouvelle décision, elle ne peut méconnaître les motifs de l’arrêt annulant la première décision; qu’à propos du recours en annulation de droit français, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 6.1 de la Convention lorsqu’une sanction prononcée par un organe administratif «a été soumise au contrôle subséquent d’un organe judiciaire doté de la plénitude de juridiction et offrant toutes les garanties de cette disposition», à savoir, «au contrôle du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel, lesquels sont des organes jouissant de la compétence de pleine juridiction, et devant lesquels la requérante a pu librement et utilement faire valoir l’ensemble de ses arguments» (trois décisions sur la recevabilité du 30 juin 2009, sur les requêtes no 14308/08, Hatice BAYRAK, no 43563/08, Tuba AKTAS et no 18527/08, Mahmoud Sadek GAMALEDDYN c/ France) ; qu’en ce qui concerne l’étendue du contrôle exercé, le recours en annulation porté devant le Conseil d’État belge ne diffère pas substantiellement de celui qu’exercent les juridictions administratives françaises ; qu’il s’ensuit que le Conseil d’État doit être considéré comme un juge de pleine juridiction, lorsqu’il statue sur des recours en annulation pour excès de pouvoir dirigés contre des sanctions prononcées par des autorités administratives indépendantes ou des autorités de régulation; qu’à cet égard, le moyen soulevé par la requérante n’est pas fondé; [...] » (arrêt no204.445 du 28 mai 2010).

E.    La procédure en cas de faux en écriture

31.  En application de l’article 51, alinéa 5 de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État et des articles 895 et suivants du Code judiciaire, la contestation civile d’un faux en écriture relève de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire (C.E., arrêt no244.942 du 25 juin 2019 et arrêt no230.313 du 24 février 2015). Saisi par une partie qui s’inscrit en faux contre une pièce jugée essentielle pour la solution du litige, le Conseil d’État doit surseoir à statuer jusqu’après le jugement de faux par la juridiction compétente (C.E., arrêt no244.072 du 29 mars 2019).

EN DROIT

I.        JONCTION DES REQUÊTES

32.  Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

II.     SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION POUR DURÉE EXCESSIVE DE LA PROCÉDURE

33.  Dans les procédures faisant l’objet des requêtes nos 422/15, 26650/15 et 54846/15, la requérante se plaignait de ne pas avoir été entendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

34.  Le 29 août 2019, la Cour a communiqué les requêtes aux parties. Dans le cadre de la phase non contentieuse, elle invita les parties à examiner les conditions d’un règlement amiable. Elle a ensuite reçu des déclarations de règlement amiable, signées par le Gouvernement le 29 juin 2020 et par la partie requérante le 7 juillet 2020. Ce dernier s’engage à verser à la requérante, à titre gracieux, les sommes de 12 000 EUR (requête no 422/15), 6 000 EUR (requête no 26650/15) et 14 000 EUR (requête no 54846/15) couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante.

35.  Ces sommes doivent être payées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la radiation du rôle adoptée par la Cour en ce qui concerne l’allégation du dépassement du délai raisonnable. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif des sommes en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ces versements vaudront règlement définitif des affaires sur la question de la durée de la procédure, mais non sur l’allégation de la violation du droit à un recours de pleine juridiction.

36.  La Cour prend acte des règlements amiables auxquels les parties sont parvenues. Elle estime que ces règlements s’inspirent du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles et elle n’aperçoit, par ailleurs, aucun motif justifiant de poursuivre l’examen des requêtes à cet égard.

37.  En conséquence, il convient de rayer les affaires susmentionnées du rôle en vertu de l’article 39 de la Convention, en ce qu’elles portent sur le grief tiré du non-respect du délai raisonnable au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

III.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION POUR DÉFAUT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL

38.  La requérante se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal de pleine juridiction. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui dans sa partie pertinente est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [...] par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. [...] ».

A.    Sur la recevabilité

39.  La Cour observe que le Gouvernement reconnaît l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention sous son volet pénal. Elle partage son approche conformément aux critères établis par sa jurisprudence (Vegotex International S.A. c. Belgique [GC], no 49812/09, § 69, 3 novembre 2022, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, §§ 99-101, 4 mars 2014, Segame SA c. France, no 4837/06, § 41, CEDH 2012 (extraits), A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, §§ 42-44, 27 septembre 2011).

40.  Elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 §3 a) de la Convention. La Cour relève, par ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.    Sur le fond

1.     Thèse des parties

a)      La requérante

41.  La requérante soutient que le recours en annulation devant le Conseil d’État afin de contester les décisions infligeant les amendes administratives litigieuses ne constitue pas un recours de « pleine juridiction » au regard de l’article 6 § 1 de la Convention tant in abstracto qu’in concreto.

42.  Elle fait notamment valoir que le Conseil d’État ne dispose pas d’un pouvoir de réformation et ne peut substituer sa propre décision à la décision querellée. Elle se plaint qu’en l’espèce, le Conseil d’État s’est limité à vérifier que l’autorité n’avait pas usé de son pouvoir de manière manifestement déraisonnable et que les amendes imposées n’étaient pas manifestement disproportionnées. Elle relève que le Conseil d’État n’a pas opéré de contrôle de l’opportunité de la sanction adoptée.

43.  Elle se plaint également que le Conseil d’État a déclaré irrecevables différents moyens soulevés. Elle invoque le fait qu’elle n’a pas pu faire valoir tous les arguments de fait et de droit qu’elle estimait utile à son recours, notamment le dépassement du délai raisonnable devant le Conseil d’État qui ne constitue pas une cause d’annulation de l’acte attaqué et l’irrecevabilité du moyen relatif à l’existence d’un faux en écriture ou de moyens invoqués tardivement.

44.  Enfin, elle invoque le fait que le Conseil d’État n’aurait pas procédé à un (nouvel) examen des faits et des preuves présentés devant lui.

b)      Le Gouvernement

45.  Le Gouvernement estime quant à lui que le recours en annulation devant le Conseil d’État est, tant in abstracto qu’in concreto, un recours de pleine juridiction au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence de l’ensemble des cours suprêmes belges (paragraphes 27 à 30 ci-dessus).

46.  Il insiste sur le fait que le recours en annulation devant le Conseil d’État d’un acte administratif relatif à des sanctions administratives de nature pénale offre les garanties exigées par l’article 6 de la Convention et la jurisprudence de la Cour (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 43, CEDH 2006‑XIV).

47.  En outre, il fait valoir que le contrôle de légalité exercé par le Conseil d’État s’étend tant à la légalité externe de l’acte (contrôle de la compétence de l’autorité administrative, de la motivation formelle de l’acte et du respect des dispositions pertinentes) qu’à la légalité interne de l’acte (à savoir notamment le contrôle quant à l’absence d’erreur de droit ou de fait ou de contradiction dans les motifs et quant au respect du principe de proportionnalité). Ce contrôle permet au Conseil d’État de connaître de n’importe quel argument de fait ou de droit, pour autant qu’il concerne le contrôle de l’acte administratif et qu’il soit soulevé dans le respect des règles procédurales. En l’espèce, à l’estime du Gouvernement, le Conseil d’État a examiné l’ensemble des arguments soulevés par la requérante qui respectaient ces deux conditions.

48.  S’agissant plus particulièrement du contrôle de proportionnalité entre le comportement sanctionné et l’amende prononcée, le Gouvernement fait valoir que le contrôle exercé par le Conseil d’État est renforcé lorsqu’il statue sur des sanctions administratives de nature pénale, et qu’il ne s’agit pas d’un contrôle marginal comme le prétend la requérante. Le Gouvernement indique que ce contrôle renforcé a bien été exercé en l’espèce.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Principes généraux

49.  L’article 6 de la Convention ne s’oppose pas à ce que dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative. Il requiert cependant que la décision d’une autorité ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6 §1 de la Convention subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction (Segame SA précité, § 55, Grande Stevens et autres précité, § 139, A. Menarini Diagnostics S.r.l. précité, § 59, SA-Capital Oy c. Finlande, no 5556/10, § 72, 14 février 2019).

50.  Parmi les caractéristiques d’un organe judiciaire de pleine juridiction figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. Cet organe doit notamment avoir la compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Grande Stevens et autres précité, §139, A. Menarini Diagnostics S.R.L. précité, §59, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III et Silvester’s Horeca Service c. Belgique, no 47650/99, § 27, 4 mars 2004).

51.  Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 6 n’a en principe pas pour objet de garantir l’accès à un tribunal qui pourrait substituer sa propre appréciation ou son propre avis à ceux des autorités administratives (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 178, 6 novembre 2018 et SA Patronale hypothécaire c. Belgique, no 14139/09, § 47, 17 juillet 2018).

52.  Toutefois, un tribunal ne peut être considéré comme jouissant de la plénitude de juridiction au sens de l’article 6 § 1 de la Convention que s’il a le pouvoir d’apprécier la proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 34, série A no 325‑A et Mérigaud c. France, no 32976/04, § 69, 24 septembre 2009).

53.  Par ailleurs, si les exigences du procès équitable sont plus rigoureuses en matière pénale qu’en matière civile, la Cour n’exclut pas que, dans le cadre de certaines procédures pénales, les garanties offertes par l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur (Jussila c. Finlande [GC], précité no 73053/01, §§ 43 - 44, CEDH 2006‑XIV, Vegotex International S.A., précité, § 76). À cet égard, la nature d’une procédure administrative peut différer sous plusieurs aspects, de la nature pénale au sens strict du terme. Si ces différences ne sauraient exonérer les États contractants de leur obligation de respecter toutes les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6, elles peuvent néanmoins influencer les modalités de leur application (A. Menarini Diagnostics S.r.l., précité, § 62).

54.  Afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention, il convient de prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet du litige ; b) les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure administrative soumise au contrôle juridictionnel ; c) l’office du juge, à savoir la méthode de contrôle, ses pouvoirs décisionnels et la motivation de sa décision, apprécié, dans le cadre de l’instance juridictionnelle en cause, eu égard la teneur du litige, aux questions qu’il soulève et aux moyens présentés à ce titre (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 179, 196 et 199 à 213).

b)      Application au cas d’espèce

i.        L’objet du litige

55.  Le litige portait en l’espèce sur la contestation d’amendes administratives infligées à la requérante pour avoir commis des infractions aux normes de bruit définies par la Région de Bruxelles-Capitale et ce, après que le Procureur du Roi a décidé de ne pas engager de poursuites pénales à son encontre (paragraphe 23 ci-dessus). Les décisions furent contestées devant le Collège d’environnement - à partir du moment où un tel recours fut mis en place - et ensuite devant le Conseil d’État.

ii.      La procédure devant les autorités administratives

56.  La Cour observe que l’IBGE et le Collège d’environnement sont des autorités administratives au regard du droit interne et ne peuvent être considérés comme des « tribunaux » offrant toutes les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention. Néanmoins, elle constate que la requérante a pu bénéficier d’un certain nombre de garanties devant ces autorités. Ainsi, la requérante disposait de la possibilité de consulter les données brutes à la base des procès-verbaux d’infraction et d’en contester la matérialité. Elle a pu faire valoir ses moyens de défense, en fait et en droit, devant ces instances tant par écrit qu’oralement. Elle a également été entendue par le Collège d’environnement et pouvait solliciter une audition auprès de l’IBGE. Elle a en outre pu communiquer l’ensemble des documents et moyens de preuve qu’elle souhaitait. Par ailleurs, les décisions tant de l’IBGE que du Collège d’environnement étaient motivées et répondaient, dans la limite de leurs compétences, aux différents moyens soulevés par la requérante.

iii.    La procédure devant le Conseil d’État

57.  La Cour note que la requérante avait la possibilité de contester les amendes administratives qui lui ont été infligées au moyen d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, ce qu’elle a fait (paragraphes 25 et suivants ci-dessus).

58.  La requérante formule toutefois plusieurs critiques à l’endroit du contrôle tel qu’il a été pratiqué par le Conseil d’État en l’espèce.

59.  Elle fait premièrement valoir que le contrôle effectué par le Conseil d’État n’était pas un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 6 § 1 de la Convention eu égard au fait que celui-ci disposait uniquement de la possibilité d’annuler la décision litigieuse et ne pouvait substituer son appréciation à celle de l’autorité administrative (paragraphe 43 ci-dessus).

60.  Sur ce point, la Cour a déjà jugé, comme exposé ci-avant (paragraphe 51 ci-dessus), que le rôle de l’article 6 n’est en principe pas de garantir l’accès à un tribunal qui pourrait substituer sa propre appréciation ou son propre avis à ceux des autorités administratives. Partant, aux yeux de la Cour, le fait que la compétence du Conseil d’État se limitait, en l’espèce, à l’annulation des décisions litigieuses et ne s’étendait pas à leur réformation n’est pas un problème en soi au regard de l’article 6 de la Convention (voir, dans le même sens, à propos du Conseil d’État de Belgique : SA Patronale hypothécaire, précité, § 48, voir également à propos du Conseil d’État de France : Dahan c. France, no 32314/14, § 61, 3 novembre 2022).

61.  La Cour relève qu’en droit belge, dans le cadre d’un recours en annulation pour excès de pouvoir, le Conseil d’État exerce un contrôle de pleine légalité. Il est notamment habilité à contrôler l’exactitude, la pertinence et l’admissibilité des motifs sur lesquels repose la sanction administrative attaquée et à vérifier si celle-ci n’est pas disproportionnée au regard des faits reprochés. La Cour note également que les trois plus hautes juridictions belges considèrent de manière constante et unanime que ce contrôle, ainsi circonscrit, répond aux exigences de l’article 6 de la Convention (paragraphes 27 et suivants ci-dessus).

62.  La Cour a déjà jugé que le pouvoir conféré au Conseil d’État dans le cadre de la procédure en annulation était a priori de nature à rencontrer les exigences de l’article 6 de la Convention sous son volet « civil » (SA Patronale hypothécaire, précité, §§ 44-50). Elle ne voit pas de raisons la conduisant de parvenir à une conclusion différente s’agissant du volet « pénal » de l’article 6.

63.  Néanmoins, il ne suffit pas d’apprécier les pouvoirs du Conseil d’État dans l’abstrait. Il revient en effet à la Cour de se concentrer sur le cas dont elle est saisie (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002-X) et de s’assurer que le Conseil d’État a exercé un contrôle suffisant au regard des exigences de l’article 6 de la Convention dans le cas d’espèce. En effet, la Convention vise à protéger des droits concrets et effectifs, et non théoriques ou illusoires (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32).

64.  En l’espèce, la Cour relève à l’examen du dossier que, dans toutes les affaires en cause, le Conseil d’État a procédé à un examen approfondi, point par point, de l’ensemble des moyens soulevés par la requérante et y a répondu de manière précise et détaillée. Elle observe que, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 (paragraphe 52 ci-dessus), le Conseil d’État a opéré un contrôle de la proportionnalité de l’amende infligée par rapport aux infractions constatées, chaque fois qu’elle y a été invitée par la requérante (arrêts no224.234 du 3 juillet 2013 et no227.801 du 23 juin 2014).

65.  Deuxièmement, la requérante fait valoir le fait que le Conseil d’État s’est déclaré incompétent pour examiner certains moyens qu’elle a invoqués et qu’il n’aurait pas examiné tous les arguments de fait et de droit qu’elle estimait utiles à son recours (paragraphe 43 ci-dessus).

66.  La Cour relève que les moyens invoqués par la requérante ont été examinés par le Conseil d’État mais ont été déclarés irrecevables, soit parce qu’ils revenaient à solliciter du Conseil d’État qu’il se substituât à l’autorité administrative, ce qu’il n’était pas habilité à faire, soit parce que ces moyens n’avaient pas été invoqués conformément aux règles de procédure applicables.

67.  S’agissant de la compétence d’annulation du Conseil d’État et l’absence de pouvoir de substitution, la Cour renvoie aux développements qui précèdent et l’absence de contrariété à l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard (paragraphes 60 à 64 ci-dessus).

68.  S’agissant des moyens déclarés irrecevables pour tardiveté, la Cour relève que, selon le Conseil d’État, la requérante n’a pas respecté les règles imposées par la procédure en droit interne. À cet égard, la Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et que des limitations, notamment de délai, peuvent être prévues par la règlementation de l’État. Si les États contractants jouissent à cet égard d’une certaine marge d’appréciation, ces limitations ne peuvent restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Ronald Vermeulen c. Belgique, no 5475/06, § 43, 17 juillet 2018). En l’espèce, la Cour n’aperçoit rien d’arbitraire ni de manifestement déraisonnable dans l’appréciation par le Conseil d’État du respect de la législation applicable qui vise à garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice administrative (voir Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, J.C. et autres c. Belgique, no 11625/17, § 55, 12 octobre 2021). Par conséquent, il ne peut être considéré qu’en déclarant irrecevables les moyens soulevés par la requérante pour cause de tardiveté, le Conseil d’État aurait porté atteinte de manière disproportionnée au droit d’accès à un tribunal de la requérante.

69.  Quant au fait que le Conseil d’État s’est déclaré incompétent pour se prononcer sur l’existence d’un faux en écriture, la Cour constate qu’il appartenait à la requérante, selon le droit interne, d’initier une procédure en inscription de faux et de solliciter du Conseil d’État qu’il sursoit à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure (paragraphe 31 ci-dessus), ce qu’elle n’a pas fait. Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à se plaindre d’une violation de son droit d’accès à un tribunal.

70.  En ce qui concerne le fait que la durée de la procédure devant le Conseil d’État n’était pas une cause d’annulation des décisions administratives déférées à son contrôle, la Cour rappelle qu’elle a rayé du rôle la partie des requêtes relative à la question du respect du délai raisonnable (paragraphe 37 ci-dessus).

71.  Troisièmement et enfin, la requérante critique le fait que le Conseil d’État n’aurait pas procédé à un (nouvel) examen des faits et des preuves présentés devant lui (paragraphe 44 ci-dessus). Cependant, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que le Conseil d’État n’aurait pas procédé dans l’ensemble des affaires en cause à un examen des faits et des preuves présentés devant lui. La Cour constate à cet égard que la partie requérante se contente de formuler une allégation sans apporter des éléments concrets et pertinents pour l’étayer.

72.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le Conseil d’État a procédé, dans l’ensemble des affaires en cause, à un contrôle d’une portée suffisante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

73.  Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Décide de joindre les requêtes ;

2.      Déclare les requêtes recevables en ce qui concerne le grief au titre de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à l’accès à un tribunal ;

3.      Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à l’accès à un tribunal ;

4.      Prend acte des règlements amiables intervenus dans les requêtes nos 422/15, 26650/15 et 54846/15 et raye celles-ci du rôle en vertu de l’article 39 de la Convention, en ce qu’elles portent sur le grief tiré du non-respect du délai raisonnable sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juillet 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

             Hasan Bakırcı                                                   Arnfinn Bårdsen
                 Greffier                                                             Président

 


Appendix

Liste des requêtes

No

Requête No

Nom de l’affaire

Introduite le

Représenté par

Arrêts du Conseil d’État contestés

1.

1269/13

European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique

21/12/2012

Philippe MALHERBE

CE, no 219.841, 19 juin 2012, notifié le 26 juin 2012

CE, no 219.901, 21 juin 2012, notifié le 29 juin 2012

2.

4377/14

European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique

10/01/2014

Philippe MALHERBE

CE, no 224.233, 3 juillet 2013

CE, no 224.234, 3 juillet 2013, arrêts notifiés le 11 juillet 2013

3.

422/15

European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique

16/12/2014

Philippe MALHERBE

CE, no 227.801, 23 juin 2014,

CE, no 227.802, 23 juin 2014, arrêts notifiés le 26 juin 2014

4.

26650/15

European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique

27/05/2015

Philippe MALHERBE

CE, no 229.395, 28 novembre 2014, notifié le 1er décembre 2014

5.

54846/15

European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique

29/10/2015

Philippe MALHERBE

CE, no 230.926, 21 avril 2015, notifié le 30 avril 2015

 


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