BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AURAY AND OTHERS v. FRANCE - 1162/22 (Surrounding the applicants by the police for several hours on the sidelines of a demonstration and in the context of urban violence - Remainder inadmissible : Fifth Section) French Text [2024] ECHR 110 (08 February 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2024/110.html Cite as: [2024] ECHR 110 |
[New search] [Contents list] [Help]
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE AURAY ET AUTRES c. FRANCE
(Requête no 1162/22)
ARRÊT
Art 5 § 1 • Ratione materiae • Encerclement des requérants par les forces de l'ordre durant plusieurs heures en marge d'une manifestation et dans le contexte de violences urbaines • Restriction à la liberté des personnes ne constituant pas, eu égard à son genre et à ses modalités d'exécution, une « privation de liberté » en dépit de sa durée et de ses effets sur les requérants
Art 2 P4 • Liberté de circulation • Art 11 lu à la lumière de l'art 10 • Liberté de réunion pacifique • Liberté d'expression • Requérants confinés du fait de l'encerclement et empêchés de participer à la manifestation • Recours à la technique de l'encerclement non « prévu par la loi » à la date des faits litigieux • Absence de texte à destination des forces de l'ordre la mentionnant • Cadre juridique général relatif au maintien de l'ordre, en vigueur à cette date, ne définissant pas un cadre d'emploi suffisamment précis pour constituer une garantie contre le risque d'atteintes arbitraires
Prepared by the Registry. Does not bind the Court.
STRASBOURG
8 février 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Auray et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 1162/22) dirigée contre la République française et dont des ressortissants de cet État (« les requérants » ; voir l'annexe) ont saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 22 décembre 2021,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 janvier 2024,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L'affaire concerne l'encerclement des requérants par les forces de l'ordre durant plusieurs heures en marge d'une manifestation. Les requérants dénoncent une violation des articles 5, 10 et 11 de la Convention, et 2 du Protocole no 4.
EN FAIT
2. Les requérants sont représentés par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.
3. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
4. Le déroulement des événements du 21 octobre 2010 ci-dessous se fonde sur l'exposé des faits produits par le Gouvernement, non contesté par les requérants.
5. Plusieurs manifestations contre un projet de loi portant réforme des régimes de retraite se déroulèrent à Lyon entre le 14 et le 22 octobre 2010.
6. Le Gouvernement indique que des « phénomènes émeutiers constitutifs d'actions de véritable guérilla urbaine, accompagnés d'importantes dégradations et de nombreux actes de violence » se produisirent à l'occasion de ces manifestations, nécessitant l'intervention des forces de l'ordre.
7. Il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 5 mars 2020 (paragraphe 26 ci-dessous) notamment, que, le 14 octobre, après le blocage de plusieurs lycées, des groupes de personnes ont dégradé du mobilier urbain, incendié des poubelles et jeté des projectiles sur des transports en commun et sur des membres des forces de l'ordre, et que des incidents ont eu lieu place Bellecour, où environ trois cents personnes s'étaient rassemblées. Vingt-quatre personnes, dont quatorze mineurs, ont été interpellées. Le 15 octobre, environ neuf cents personnes, dont cent cinquante étaient encagoulées, se sont regroupées place Bellecour, se sont dirigées vers l'hôtel de ville, puis sont revenues sur la place. Trente-huit personnes, dont trente-trois mineurs, ont été interpellées. Le 18 octobre, plusieurs cortèges ont réuni près de deux mille personnes dans le centre-ville, et des dégradations de véhicules et des jets de projectiles sur les forces de l'ordre ont été commis. Trente-quatre personnes, dont vingt-neuf mineurs, ont été interpellées. Le 19 octobre, en marge d'une manifestation, mille trois cents personnes ont affronté la police sur la place Bellecour, et de nombreux groupes d'individus ont commis des dégradations dans des rues adjacentes, pillé six commerces et incendié des véhicules. Quatre-vingt-dix personnes, dont soixante-quatre mineurs, ont été interpellées. Le 20 octobre 2010, environ quatre cents personnes se sont regroupées place Bellecour tandis que des dégradations ont été commises dans des quartiers situés à huit-cents et deux-mille mètres de là et qu'un commerce a été pillé. Quarante-six personnes, dont trente-six mineurs, ont été interpellées.
8. Une manifestation fut déclarée pour le jeudi 21 octobre 2010. Il était prévu que le cortège parte à 14 heures de la place Bellecour.
9. Ce jour-là, de nombreux incidents se produisirent dans Lyon dès 6 heures 40, causés par des groupes de jeunes individus, notamment aux abords d'établissements scolaires.
10. À partir de 9 heures 30, des centaines de personnes, dont de nombreux groupes très mobiles d'individus identifiés comme des « casseurs » - selon le terme utilisé par le Gouvernement -, qui avaient déjà commis des exactions ou qui avaient le visage dissimulé, se dirigèrent vers la place Bellecour. Certains de ces groupes empruntèrent la rue de la Charité et la rue Sainte-Hélène, où de nombreuses dégradations de biens (véhicules et commerces) furent commises. Vingt véhicules de particuliers, un véhicule de police et six commerces furent dégradés à proximité de la place.
11. Les premiers manifestants arrivèrent vers 11 heures sur la place Bellecour. À la fin de la matinée, entre cinq-cents et six-cents personnes s'y étaient regroupées.
12. Il y eut trois interpellations sur cette place entre 12 heures 50 et 13 heures 06, une vingtaine d'interpellations ayant été réalisées auparavant en d'autres lieux.
13. À 12 heures 17, le directeur départemental de la sécurité publique donna pour consigne de fermer la place Bellecour afin, précise le Gouvernement, d'y contenir les groupes de « casseurs » et d'assurer le bon déroulement de la manifestation.
14. À 13 heures 15, eu égard à la présence sur la place Bellecour de « casseurs », à la demande de la police et en accord avec les organisateurs, le point de départ de la manifestation fut déplacé place Antonin Poncet. Le cortège amorcera son départ à 14 heures 32.
15. Le dispositif d'encerclement de la place Bellecour fut mis en place à 13 heures 23. La place fut totalement close, les accès étant contrôlés par les forces de l'ordre afin d'empêcher toute intrusion nouvelle. Ce dispositif visait à empêcher les « nombreux éléments perturbateurs » qui s'étaient regroupés sur la place de se mêler à la manifestation.
16. La situation devint de plus en plus tendue, les manifestants se trouvant sur la place Antonin refusant de démarrer le cortège sans les manifestants bloqués sur la place Bellecour, alors que sur celle-ci, à 14 heures 15, des individus jetaient des projectiles sur les forces de l'ordre. À 14 heures 40, trois-cent-cinquante personnes invitées à quitter la place Bellecour refusèrent de partir sans d'autres personnes regroupées au centre de la place. À 14 heures 45, des « individus véhéments » lancèrent des projectiles sur les forces de l'ordre, qui recoururent au gaz lacrymogène afin de les disperser. Un fonctionnaire fut blessé au bras par un jet de pavé. À 15 heures, des projectiles provenant d'un chantier furent lancés sur les forces de l'ordre, qui utilisèrent des grenades lacrymogènes.
17. Vers 15 heures 30, une centaine de personnes, identifiées comme n'étant pas des « casseurs » furent autorisées à quitter la place Bellecour afin de rejoindre la manifestation.
18. La manifestation se termina vers 16 heures 45, et la décision de lever le dispositif d'encerclement de la place Bellecour fut prise vers 17 heures : un premier point de passage avec contrôle d'identité fut mis en place à 17 heures 07 ; un autre fut ouvert à 17 heures 32. La situation dégénérant, les forces de l'ordre, après sommation, firent usage de canons à eau ainsi que de gaz lacrymogène afin de disperser les groupes d'individus agressifs.
19. Les contrôles d'identité se déroulèrent jusqu'à 19 heures. Six-cent-vingt-et-une personnes furent ainsi contrôlées. Celles qui ne disposaient pas de justificatif d'identité furent conduites dans un commissariat pour vérification de leur identité, soit quatre-vingt-onze personnes.
20. Il y eut cinquante-cinq interpellations à Lyon le 21 octobre 2010.
21. Les requérants renvoient à leurs mémoires devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon. Il en ressort, ainsi que de l'arrêt rendu le 5 mars 2020 par cette juridiction (paragraphe 26 ci-dessous), que :
- Mme Caroline Benkheffa est sortie de la place Bellecour à 16 heures 15 ;
- Mme Catherine Vincensini est sortie vers 18 heures ;
- M. Benjamin Cottet-Emard est sorti vers 18 heures 30 ;
- Mmes Nora Bonal et Leila Millet sont sorties vers 19 heures ;
- Mme Elisa Teton est sortie « en fin d'après-midi » ;
- l'heure à laquelle Mme Mathilda Millet est sortie n'est pas précisée, mais elle a dit avoir été retenue plus de cinq heures et d'autres éléments tendent à indiquer qu'elle est sortie après 18 heures 30.
22. Il n'y a pas d'élément relatif à l'heure à laquelle MM. Marc Auray, Samuel Perez et Arnaud de Rivière de la Mure et Mmes Myriam Prevost et Florence Del Canto ont quitté la place Bellecour.
23. À la suite d'une plainte avec constitution de partie civile déposée le 29 juillet 2011 par les requérants, d'autres individus, des associations, des syndicats et des partis politiques (soit trente-cinq parties civiles), une information judiciaire fut ouverte le 9 novembre 2011 contre personne non dénommée, des chefs d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique (article 432-4 du code pénal) et refus du bénéfice d'un droit par dépositaire de l'autorité publique à raison de l'origine, de l'ethnie ou de la nationalité (articles 432-7 et 225-1 du code pénal). Le préfet de région et le directeur départemental de la sécurité publique du Rhône furent placés sous le statut de témoin assisté.
24. Les deux juges chargés de l'instruction au tribunal de grande instance de Lyon rendirent une ordonnance de non-lieu le 2 février 2017.
25. Les parties civiles interjetèrent appel de cette ordonnance devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon qui, par un arrêt avant-dire droit du 25 octobre 2018, la confirma en tant qu'elle disait n'y avoir lieu à poursuivre du chef de refus du bénéfice d'un droit par personne dépositaire de l'autorité publique à raison de l'origine, l'ethnie ou la nationalité d'une personne mais, l'infirmant en toutes ses autres dispositions, ordonna un supplément d'information tendant à la mise en examen du directeur départemental de la sécurité publique du Rhône et du préfet de région des chefs d'atteinte à la liberté individuelle (article 432-4 du code pénal), d'abstention volontaire de mettre fin à cette atteinte (article 432-5 du code pénal) et d'entrave à la liberté d'expression et de manifestation (article 431-1 du code pénal).
26. Par un arrêt du 5 mars 2020, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon rappela le caractère définitif du non-lieu du chef de discrimination, dit n'y avoir lieu à supplément d'information, confirma l'ordonnance du 2 février 2017, et dit n'y avoir lieu à poursuivre. L'arrêt comporte notamment les développements suivants :
« (...) Il ne saurait être sérieusement fait litière, pour juger du caractère exceptionnel de la situation ayant conduit au confinement de la place Bellecour à partir de 13h30, des événements et des débordements de la semaine écoulée, allant chaque jour s'amplifiant, alors au surplus que le contexte général des regroupements observés le 21 octobre 2010 avant le rassemblement de la manifestation autorisée, ainsi que leur composition, pour l'essentiel faite de jeunes gens et de mineurs, étaient exactement les mêmes que les jours précédents.
Dès lors que des mouvements de groupes de jeunes gens et des dégradations concomitantes avaient été observés, au matin du 21 octobre 2010, convergeant vers le centre-ville de Lyon, les autorités de police étaient ainsi objectivement et raisonnablement fondées à craindre que les violences graves et les exactions observées les jours précédents, et que les moyens alors employés n'avaient pas suffi à prévenir, puissent se renouveler.
S'il ne résulte pas d'autre part de la procédure que les autorités de police ont à quelque moment perdu le contrôle de la situation, il apparaît que c'est précisément pour ne pas être débordées, alors que le risque était réel, qu'elles ont pris la décision d'isoler la place Bellecour.
Il résulte de troisième part de la procédure que le dispositif n'a pas été mis en place de façon instantanée puisque plus d'une heure s'est écoulée entre l'ordre initial (12 heures 17) et son exécution (13 heures 23), a connu quelques assouplissements au cours de l'après-midi et a été levé dès la fin de la manifestation autorisée.
S'il n'est pas douteux que ce dispositif a été imposé par la force, il ne résulte d'aucun élément de la procédure qu'il ait été accompagné dans sa mise en place de violences illégitimes de la part des forces de police et de gendarmerie. Les indications de la main-courante du centre d'information et de commandement de la direction départementale de la sécurité publique du Rhône révèlent en outre que l'ordre de confinement a été donné à 12 heures 17, et que, à 13 heures 23, lorsque le dispositif a été mis en place, a été donné celui d'orienter les manifestants vers la place Antonin Poncet (...).
Il apparaît ainsi que le dispositif n'avait pas pour but ni pour objet de contrarier la manifestation autorisée ni d'empêcher les personnes qui le souhaitaient d'y participer pacifiquement, consignes ayant été au contraire expressément données pour permettre aux manifestants de rejoindre effectivement le cortège. Il n'est à cet égard pas indifférent de constater que ce dernier a pu faire mouvement, certes avec beaucoup de retard, mais jusqu'à son terme place Guichard sans incident et sans avoir été infiltré.
En outre, le dispositif n'a pas été totalement hermétique puisque, au bénéfice des instructions de discernement qui ont été données par la direction départementale de la sécurité publique (...) de nombreuses personnes ont pu néanmoins quitter la place après son bouclage.
C'est ainsi que vers 14 heures 40, environ trois cent cinquante personnes, invitées à quitter la place, ont refusé de partir sans d'autres personnes regroupées sous un drapeau marqué « Peace ».
À 15 heures 35, une centaine de jeunes gens, identifiés comme n'étant pas des casseurs, ont été autorisés à franchir le barrage pour rejoindre la place Antonin Poncet et s'agréger au cortège de la manifestation autorisée (...). Plusieurs parties civiles, tout en regrettant que ce mouvement fût limité à certaines personnes et ne fût pas plus important, en ont également fait état. Marc Auray a parlé de 80 à 100 personnes autorisées, certes avec difficultés, à rejoindre le cortège ; Caroline Benkhedda a indiqué qu'une de ses amies syndicalistes et des personnes plus âgées avaient pu sortir, elle-même ayant pu quitter la place vers 16 heures l5 - soit avant les consignes d'évacuation - ; Benjamin Cottet Emad a indiqué que des personnes âgées de plus de vingt-cinq ou trente ans avaient été autorisées à quitter la place Bellecour ; Myriam Prevost et Elisa Teton ont fait allusion aux jeunes gens « pacifistes » autorisés à quitter la place entre 15 heures 00 et 15 heures 30 (...).
Si des incidents sporadiques ont été relevés au cours de l'après-midi du 21 octobre sur la place Bellecour après qu'elle a été bloquée, il n'apparaît pas que le dispositif d'enfermement ait été maintenu par l'emploi d'une force excessive ou des moyens inadéquats dès lors qu'il a été riposté à des jets de projectiles - pour certains trouvés sur place sur un chantier en cours - et que les mouvements de foule ont été contenus, pour l'essentiel, par l'usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Il doit être noté qu'aucune plainte individuelle visant des fonctionnaires de police ou des militaires de gendarmerie pour des faits de violences illégitimes n'a été enregistrée par la suite.
La manifestation autorisée a poursuivi son chemin pacifique jusque vers 16 heures 45, et il apparaît que des incidents sporadiques se sont produits place Bellecour à partir de 17 heures, tandis que les premiers contrôles d'identité accompagnant l'évacuation de la place Bellecour ont commencé à 17 heures 07.
Il apparaît ainsi que les consignes ont été données de lever complètement le dispositif dès que la manifestation autorisée a été terminée sans incident et ne risquait - de fait - plus d'être infiltrée par des individus à la mobilité permanente et ainsi difficilement maîtrisable, qui auraient souhaité et fait en sorte qu'elle dégénérât.
Dès lors qu'il a été jugé utile afin d'éviter tout nouveau trouble, d'accompagner le processus d'évacuation de contrôles d'identité, lesquels contrôles avaient été au demeurant formellement autorisés par le parquet (...), la libération des personnes retenues ne pouvait être instantanée, d'autant que certaines d'entre elles qui n'étaient pas en mesure de justifier de leur identité, ont été l'objet d'une procédure de vérification d'identité conformément aux dispositions du code de procédure pénale.
Il apparaît en définitive que la mesure de confinement de la place Bellecour décidée et mise en œuvre à partir de 13 heures 23 le 21 octobre a été prise en raison de l'impérieuse nécessité d'éviter de nouveaux troubles exceptionnels, à type de violences graves contre les personnes et/ou les biens que les autorités étaient objectivement fondées à redouter, et visait à assurer la sécurité des personnes et la préservation des biens dans le secteur de la place Bellecour ainsi que la sécurité et le bon déroulement de la manifestation pacifique autorisée partie avec retard de la place Antonin Poncet pour arriver place Guichard un peu après 16 heures 30.
Durant sa mise en œuvre, il apparaît que de nombreuses personnes ont pu quitter le périmètre, (...) non seulement des manifestants qui ont pu, ainsi qu'ils le souhaitaient légitimement, rejoindre le cortège autorisé et pacifique réuni place Antonin Poncet, mais également d'autres personnes dont les forces de l'ordre ont pu raisonnablement exclure, au bénéfice des consignes données et reçues de « discernement », qu'elles pussent appartenir à des groupes violents.
Elle a été levée dès la fin de la manifestation autorisée, laquelle ne risquait dès lors plus d'être infiltrée par des individus qui auraient cherché à la faire dégénérer, et a été régulièrement accompagnée d'un dispositif de contrôle d'identité des personnes concernées ayant nécessairement retardé l'évacuation effective et définitive de la place.
Ainsi, ce dispositif de confinement, même s'il a pu être vécu de façon traumatisante par nombre de personnes qui, sans lien avec des groupes violents, ont été néanmoins retenues durant plusieurs heures, apparaît avoir été le résultat inévitable de circonstances pouvant échapper au contrôle des autorités, était dès lors nécessaire pour prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes ou aux biens et a été limité au minimum requis.
Il était ainsi nécessaire et n'apparaît pas disproportionné, tant dans son principe que sa mise en œuvre, alors que les articles 10 et 11 de la Convention européenne et 2 du protocole no 4 additionnel prévoient expressément que l'exercice des droits garantis est susceptible de faire l'objet de restrictions prévues par la loi et constituant, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense et au maintien de l'ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
La mesure critiquée, mise en place dans le cadre de circonstances exceptionnelles, par la force mais sans violence qui lui aurait été inhérente, sans intention délictuelle et dans un souci exclusif des intérêts de la communauté et sans violation des droits individuels et collectifs reconnus par les lois nationales et internationales aux personnes dont la liberté de mouvement a été momentanément restreinte dans le périmètre d'environ six hectares de la place Bellecour, a été concrètement adaptée au cours de l'après-midi puis a été levée en fin d'après-midi en étant accompagnée de contrôles d'identité ordonnés par l'autorité judiciaire, ne peut dans ces conditions constituer une privation arbitraire de liberté au sens de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant le droit à la liberté et à la sûreté [ou] une restriction illégale de la liberté de circulation garantie par l'article 2 du protocole additionnel no 4 à ladite Convention (...) ».
27. Les parties civiles formèrent un pourvoi en cassation et soulevèrent la question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») suivante :
« En édictant les dispositions de l'article 1er de la loi 95-73 du 21 janvier 1995, modifiées par la loi 2003-239 du 18 mars 2003 - lesquelles confèrent à l'État le devoir d'assurer le maintien de l'ordre public - le législateur a-t-il, d'une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence, la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de communication, ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions, en ce qu'il s'est abstenu de prévoir des garanties légales suffisantes et adéquates concernant le recours par les forces de l'ordre au procédé de nasse, ou d'encagement, par lequel les forces de l'ordre privent un groupe de personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d'une manifestation ou à proximité de celle-ci, au moyen d'un encerclement, et, d'autre part, porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à l'ensemble de ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ? »
28. La 15 décembre 2020, la Cour de cassation décida de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel.
29. Par une décision no 2020-889 QPC du 12 mars 2021, le Conseil constitutionnel déclara la disposition visée conforme à la Constitution. Elle comprend notamment les développements suivants :
« (...) 2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, considèrent que, faute d'avoir prévu des garanties suffisantes en cas d'usage par les forces de l'ordre de la technique dite de « l'encerclement », le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans une mesure affectant la liberté individuelle, la liberté d'aller et de venir, la liberté de communication et d'expression ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions. Selon eux, le législateur aurait dû définir les conditions du recours à cette technique de maintien de l'ordre pour assurer la proportionnalité des atteintes qu'elle est susceptible de porter à ces droits et libertés. Les requérants dénoncent également, pour les mêmes motifs, la méconnaissance directe, par les dispositions renvoyées, des mêmes exigences constitutionnelles.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et de l'ordre publics » figurant au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995.
4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. L'article 1er de la loi du 21 janvier 1995 énonce que la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives. Selon son deuxième alinéa, l'État a le devoir de l'assurer sur l'ensemble du territoire de la République. Les dispositions contestées précisent que, dans le cadre de cette mission, l'État doit notamment veiller au maintien de l'ordre public.
6. Ces dispositions législatives ont pour seul objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public. Elles ne définissent pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment pas les moyens pouvant être utilisés à cette fin. Il ne peut donc leur être reproché d'encadrer insuffisamment le recours par l'État, dans le cadre de cette mission, à certains procédés de maintien de l'ordre tels que la technique dite de « l'encerclement ».
7. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elle-même la liberté d'aller et de venir, la liberté individuelle, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions ne peut qu'être écarté. Il en va de même des griefs tirés de la méconnaissance de ces droits ou libertés.
8. Les mots « et de l'ordre publics » figurant au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution (...) ».
30. Les parties civiles se pourvurent en cassation sur le fondement notamment des articles 5, 10 et 11 de la Convention ainsi que de l'article 2 du protocole no 4.
31. Le 22 juin 2021, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (...) 12. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce notamment que la mesure d'encerclement de la place Bellecour a eu pour objet d'éviter des violences graves contre les personnes et les biens que les autorités étaient fondées à redouter, que de nombreuses personnes ont pu quitter le périmètre dans le courant de l'après-midi en application des consignes de discernement qui ont été données, et que la levée du dispositif de « nasse » est intervenue dès la fin de la manifestation et a été accompagnée de contrôles d'identité ordonnés par l'autorité judiciaire.
13. Les juges en déduisent que la mesure, mise en place par la force mais sans violence, dans le cadre de circonstances exceptionnelles, était nécessaire et non disproportionnée, tant dans son principe que dans sa mise en œuvre.
14. Ils concluent que les atteintes ainsi portées aux droits et libertés fondamentaux invoqués ne caractérisent aucune infraction.
15. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui a caractérisé l'existence de risques graves d'atteinte à l'ordre public mettant en cause la sécurité des personnes et des biens et a démontré le caractère nécessaire, adéquat et proportionné de la mesure d'encerclement prise au regard des circonstances exceptionnelles auxquelles les forces de l'ordre devaient faire face, a justifié sa décision (...) ».
32. La Cour de cassation condamna en outre les parties civiles à payer 5 000 euros (« EUR ») au directeur départemental de la sécurité publique du Rhône et au préfet de région au titre des frais exposés par ces derniers, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
33. Aux termes de l'article 1er de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité (abrogé en 2012 et codifié à l'article L. 111-1 du code de la sécurité intérieure depuis) :
« La sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives.
L'État a le devoir d'assurer la sécurité en veillant, sur l'ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics, à la protection des personnes et des biens.
Il associe à la politique de sécurité, dans le cadre de dispositifs locaux dont la structure est définie par décret, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les représentants des professions, des services et des associations confrontés aux manifestations de la délinquance ou œuvrant dans les domaines de la prévention, de la médiation, de la lutte contre l'exclusion ou de l'aide aux victimes. »
34. Aux termes des articles 431-3 et 431-4 du code pénal dans leur rédaction à la date des faits litigieux :
Article 431-3
« Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public.
Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet, adressées par le préfet, le sous-préfet, le maire ou l'un de ses adjoints, tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre officier de police judiciaire, porteurs des insignes de leur fonction.
Il est procédé à ces sommations suivant des modalités propres à informer les personnes participant à l'attroupement de l'obligation de se disperser sans délai.
Toutefois, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent.
Les modalités d'application des alinéas précédents sont précisées par décret en Conseil d'État, qui détermine également les insignes que doivent porter les personnes mentionnées au deuxième alinéa et les conditions d'usage des armes à feu pour le maintien de l'ordre public. »
Article 431-4
« Le fait, pour celui qui n'est pas porteur d'une arme, de continuer volontairement à participer à un attroupement après les sommations est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
L'infraction définie au premier alinéa est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque son auteur dissimule volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifié. »
35. Le Conseil d'État a jugé que « les termes du premier alinéa de l'article 431-3 du code pénal, qui définit l'attroupement comme un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public, sont suffisamment clairs et précis pour que l'interprétation de ce texte puisse se faire sans risque d'arbitraire » (12 avril 2019, no 427638). La chambre criminelle de la Cour de cassation est parvenue à la même conclusion dans le contexte de poursuites sur le fondement de l'article 431-4 du code pénal (25 février 2014, no 13-90.039 ; 18 octobre 2016, no 15-84.940).
36. Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique, incombe à l'État dans les communes où la police est étatisée (article L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales). Le préfet dirige l'action des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale en matière d'ordre public et de police administrative (article 34 de la loi no 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, département et des régions).
37. Le Conseil constitutionnel a précisé, d'une part, que « les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public » (décision no 2003-467 DC du 13 mars 2003, considérant 9) et, d'autre part, dans le cadre de l'examen de la conformité à la Constitution de dispositions relatives au pouvoirs de police administrative en cas de grand rassemblement de personnes à l'occasion d'une manifestation sportive susceptible d'entraîner des troubles graves à l'ordre public, que des mesures de restriction de déplacement devaient en outre « ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir » (décision no 2011-625 du 10 mars 2011, considérant 50). Dans le cadre de l'examen d'une question prioritaire de constitutionalité visant des dispositions de la loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 sur l'accueil et l'habitat des gens du voyage, relatives à l'évacuation forcée des résidences mobiles, le Conseil constitutionnel a de même considéré que « les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d'aller et venir (...) doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif (décision no 2010-13 QPC du 9 juillet 2010, considérant 8).
38. Il ressort de la jurisprudence du Conseil d'État que, lorsque le juge de l'excès de pouvoir examine, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, la légalité d'une mesure portant atteinte aux droits fondamentaux des personnes, il examine successivement si la mesure en cause est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit (Benjamin, 19 mai 1933, nos 17413 et 17520 ; Assemblée, 26 octobre 2011, no 317827 ; 9 novembre 2015, nos 376107-376291).
39. La technique dite de l'encerclement, également qualifiée de technique de la nasse ou encore du confinement consiste, pour les forces de l'ordre, à cerner et à retenir dans un périmètre de sécurité délimité un groupe de personnes afin de pouvoir contenir les mouvements de foule qu'ils sont susceptibles d'occasionner et de contrôler la zone ainsi circonscrite ainsi que ses issues. Cette technique a été présentée par une instruction du ministère de l'intérieur du 21 avril 2017 relative au maintien de l'ordre public par la police nationale comme l'une des « mesures périphériques de sécurisation des manifestants ».
40. Elle a ensuite été présentée dans le schéma national du maintien de l'ordre, document présentant une doctrine d'emploi commune à l'ensemble des forces de l'ordre, publié par le ministère de l'Intérieur, le 16 septembre 2020. Dans la partie intitulée « Agir contre les auteurs de violences qui œuvrent pour que dégénèrent les manifestations », ce schéma comporte un point 3.1.4, relatif à l'encerclement, précisant que « sans préjudice du non-enfermement des manifestants, condition de la dispersion, il peut être utile, sur le temps juste nécessaire, d'encercler un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles [;] dans ces situations, il est systématiquement laissé un point de sortie contrôlé aux personnes ».
41. Par une décision du 10 juin 2021 (10ème et 9ème chambres réunies, no 444849), le Conseil d'État a annulé, pour excès de pouvoir, ce point du schéma national du maintien de l'ordre pour les motifs suivants :
« (...) 27. (...) il appartient aux autorités investies du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l'ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en œuvre de la liberté de manifestation. En sa qualité de chef de service, le ministre de l'Intérieur a compétence pour prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement des administrations placées sous son autorité et, à ce titre, pour définir les techniques de maintien de l'ordre que les forces de l'ordre peuvent mettre en œuvre pour maintenir l'ordre public, en veillant à ce que leur usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances.
28. Si la mise en œuvre de la technique de l'encerclement, prévue par le point 3.1.4 du schéma national attaqué, peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Les termes du point 3.1.4 du schéma national se bornent à prévoir que « il peut être utile » d'y avoir recours, sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre. Faute d'apporter de telles précisions, de nature à garantir que l'usage de cette technique de maintien de l'ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, le Syndicat national des journalistes et la Ligue des droits de l'homme sont fondés à soutenir que ce point 3.1.4 est entaché d'illégalité et à en demander l'annulation (...) ».
42. Dans la nouvelle version du schéma national du maintien de l'ordre publiée en décembre 2021 (contre laquelle un recours est pendant), le nouveau point 3.1.4 est ainsi rédigé :
« Afin d'éviter le recours à des techniques de maintien de l'ordre pouvant présenter des risques supérieurs d'atteinte aux personnes, il peut être recouru à l'encerclement d'un groupe de manifestants pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens.
Cet encerclement doit, dès que les circonstances de l'ordre public le permettent, systématiquement ménager un point de sortie contrôlé pour ces personnes. L'encerclement ne peut être mis en œuvre que pendant une durée strictement nécessaire et proportionnée, tant au regard des circonstances que des conséquences de cette mesure sur la situation des manifestants et doit, en tout état de cause, être levé dès la fin de la manifestation ou de l'attroupement.
Des actions spécifiques doivent être engagées pour communiquer régulièrement avec ces manifestants afin de les renseigner sur la situation.
Enfin, la possibilité qui leur est offerte de quitter la zone d'encerclement doit constamment être réévaluée avec discernement au regard de la persistance de la menace ou des troubles ayant justifié la mise en place de cette technique ».
Les recommendations du défenseur des droits
43. Saisi des circonstances dans lesquelles des fonctionnaires de police avaient encerclé et maintenu des manifestants à l'intérieur d'un périmètre sur la voie publique durant trois heures, le Défenseur des droits a, dans une décision du 21 mai 2015 (MDS-2015-126), constaté notamment qu'« il n'exist[ait] aucun cadre légal et cadre d'emploi à cette forme de maîtrise de la foule » qu'est « l'encagement, ou encore l'encerclement ou le confinement (kettling en anglais) ». Il a « recommand[é] au ministre de l'Intérieur qu'une réflexion soit engagée sur le recours à cette technique de maîtrise des foules dans le respect des libertés d'expression, de réunion, de manifestation, ainsi que d'aller en venir », et « qu'un cadre d'emploi définissant strictement les conditions et les modalités du recours à cette mesure de l'encadrement par les forces de l'ordre soit adopté ». Le Défenseur des droits a réitéré ces recommandations le 25 novembre 2015 (décision MDS-2015-298).
44. Le ministère de l'Intérieur a répondu le 7 juillet 2016 que la manœuvre consistant à encercler et contenir des manifestants « constitue une technique de gestion de l'ordre public rodée qui répond à des impératifs de sécurité et de maintien ou de rétablissement de l'ordre [ ;] elle s'exécute dans le respect des règles de droit et sous le contrôle de l'autorité judiciaire lorsqu'elle conduit à des actes de procédure pénale ». Il a ajouté que le préfet de police de Paris avait adressé à ses services une note d'instruction sur le traitement judiciaire du maintien de l'ordre établie à la suite d'une réflexion menée avec le parquet de Paris, qui « fix[ait] les conditions et les modalités des deux schémas d'interpellations définis en distinguant, d'une part, les arrestations ciblées, circonstanciées et appuyées par des preuves matérielles, d'individus auteurs de délit en vue de leur placement en garde à vue et, d'autre part, le contrôle d'identité de personnes retenues sur une zone délimitée à l'occasion de manœuvres destinées à rétablir l'ordre public ». Il précisait que, « dans ce second cas, si le contrôle hors du lieu de la manifestation est rendu nécessaire pour garantir la sécurité des intéressés et mettre fin, durablement, au trouble à l'ordre public, ce contrôle peut être délocalisé sur décision de l'autorité civile, le délai des opérations étant déterminé et validé par le parquet territorialement compétent ». Il en a conclu que la recommandation du Défenseur des droit tendant à ce que soit engagée une réflexion sur cette manœuvre lui semblait d'ores et déjà satisfaite.
45. Dans une décision-cadre en date du 9 juillet 2020, formulant de nouvelles recommandations relatives aux techniques de maintien de l'ordre au regard des saisines auxquelles ont donné lieu les incidents intervenus au cours des manifestations des « gilets jaunes », le Défenseur des droits a demandé qu'« il soit mis fin à la pratique conduisant à priver de liberté des personnes sans cadre juridique ».
EN DROIT
46. Les requérants soutiennent qu'ils ont fait l'objet d'une privation de liberté qui n'était ni encadrée par la loi, ni justifiée dans les circonstances de l'espèce. Ils invoquent l'article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
«
1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente ;
e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. »
47. Le Gouvernement fait valoir que la manifestation du 21 octobre 2010 s'inscrivait dans le contexte général de violences qui a caractérisé les manifestations qui ont eu lieu à Lyon entre les 14 et 22 octobre 2010. Il renvoie aux descriptions factuelles figurant dans l'ordonnance de non-lieu du 2 février 2017, l'arrêt de la chambre de l'instruction du 5 mars 2020, les réquisitions de la procureure générale du 17 septembre 2019, le rapport du directeur départemental de la sécurité publique du Rhône et des déclarations du procureur de la République de Lyon du 22 juillet 2015, qui évoquent notamment des vols, des incendies de véhicules et autres dégradations commis par des individus masqués agissant en bande, des scènes de pillage et d'émeute, des jets de projectiles sur les forces de l'ordre et des affrontements violents. Ce serait parce que des groupes d'individus identifiés comme des « casseurs » - dont certains avaient le visage dissimulé et avaient commis des dégradations et actes de violence durant la matinée - se dirigeaient dès le matin vers la place Bellecour alors que la manifestation autorisée ne devait y démarrer qu'à 14 heures que, tenant compte également du contexte général, le directeur départemental de la sécurité publique du Rhône, en accord avec le préfet et après en avoir informé le procureur de la République, a décidé d'isoler la place par la mise en place d'un dispositif d'encerclement.
48. Renvoyant aux ordonnance, réquisitions et arrêt susmentionnés ainsi qu'à l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 juin 2021, le Gouvernement souligne qu'il s'agissait d'une mesure nécessaire dans le contexte pour prévenir un risque d'atteintes graves aux personnes et aux biens, constitué par la possibilité que des individus violents et difficilement maîtrisable infiltrent la manifestation. Selon le Gouvernement, « en l'absence de cette mesure, les dommages auraient été bien plus considérables, à l'image des faits graves et exceptionnels qui s'étaient produits les jours précédents ». Il souligne que les autorités de police, conformément à leur devoir de protection, se devaient d'utiliser tous les moyens appropriés afin d'éviter que la situation, qui échappait à leur contrôle, dégénère, et que ce risque se réalise. Il ajoute que la manifestation en question a bien eu lieu et que les mesures prises l'ont été notamment pour en assurer la sécurité et le déroulement et préserver les droits des manifestants pacifistes.
49. Enfin, se référant à l'arrêt Austin et autres c. Royaume-Uni [GC] (nos 39692/09 et 2 autres, CEDH 2012), le Gouvernement considère que l'encerclement a été limité à ce qui était requis. Il indique, d'une part, que cette mesure, qui a été effective à compter de 13 heures 23, a été levée à 17 heures 10 avec la fin de la manifestation et la mise en place des points de contrôles, ce délai étant dû au fait que la manifestation a débuté et s'est terminée avec retard (à 16 heures 45) en raison du refus de manifestants de démarrer le cortège et au temps nécessaire aux contrôle d'identité autorisés par le parquet. Selon lui, si la sortie des personnes bloquées sur la place Bellecour à la levée du dispositif a été ralentie pendant une brève durée, il n'en ressort pas non plus une privation de liberté de ce seul fait, eu égard à la nécessité de procéder à des contrôles d'identité dans un but de maintien de l'ordre. D'autre part, des « consignes de discernement entre manifestants et casseurs » ont été données dès 13 heures 31, une centaine d'individus sans lien avec les casseurs ont été autorisés à quitter le dispositif vers 15 heures 30, environs trois cent cinquante personnes ont été invitées à quitter la place vers 14 heures 40 mais ont refusé, et la requérante C. Benkhedda a déclaré être sortie à 16 heures 15. De nouvelles extractions auraient été difficiles en raison de jets de projectiles sur les autorités, qui ont nécessité l'usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Le Gouvernement souligne que « la chambre de l'instruction de la cour d'appel a relevé que le dispositif d'encerclement n'avait pas été maintenu par l'emploi d'une force excessive ou par l'usage de moyens inadéquats ». Il considère que « le genre » et « les modalités d'exécution » du dispositif d'encerclement ne permettent pas de conclure à une privation de liberté des requérants au sens de l'article 5 § 1.
50. Renvoyant notamment aux arrêts De Tommaso c. Italie [GC] (no 43395/09, § 80, 23 février 2017), Storck c. Allemagne (no 61603/00, § 74, CEDH 2005-V), et Krupko et autres c. Russie (no 26587/07, § 36, 26 juin 2014), les requérants rappellent tout d'abord que, pour déterminer si une personne est privée de liberté, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités de la mesure considérée, s'il y a eu confinement dans un certain espace restreint pendant un laps de temps non négligeable et si l'intéressée a ou non valablement consenti à la mesure, et s'il y a un élément de coercition dans l'exercice de pouvoir policiers d'interpellation et de fouille.
51. Ils rappellent ensuite que la Cour a jugé dans l'arrêt Austin et autres précité (§§ 59-60) que le recours à une mesure de nasse à des fins de contrôle des foules était susceptible de donner lieu à une privation de liberté contraire à l'article 5 § 1, mais que les mesures de ce type ne peuvent être regardées comme des privations de liberté au sens de cette disposition lorsqu'elles sont le résultat inévitable de circonstances échappant au contrôle des autorités, sont nécessaires pour prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes ou aux biens, et sont limitées au minimum requis à cette fin.
52. Or, estiment-ils, ces conditions n'étaient pas remplies lorsque les forces de maintien de l'ordre ont eu recours à ce procédé le 21 octobre 2010, immobilisant totalement plusieurs centaines de personnes entre 13 heures 30 et 19 heures 30.
53. Selon eux, comme cela ressortirait des éléments de la procédure et des constats des juridictions internes, il n'existait pas, lors de la mise en place de ce dispositif, de circonstances extérieures échappant au contrôle des autorités. Au contraire, le recours à ce dispositif aurait été envisagé tôt dans la matinée, avant tout incident, les autorités invoquant la seule crainte de troubles plutôt que la survenance de circonstances leur échappant. Les requérants ajoutent qu'il ne résulte pas des éléments de la procédure que les policiers aient perdu le contrôle de la situation, que ces derniers ont en réalité eu la possibilité de s'organiser puisque la manifestation, le lieu de rassemblement et le parcours avaient été dûment déclarés, et que, plusieurs manifestations ayant eu lieu les jours précédents, les autorités étaient aguerries et risquaient d'autant moins de perdre le contrôle.
54. Il serait en outre évident que les forces de l'ordre n'ont pas respecté la nécessité de limiter la portée du dispositif au minimum nécessaire puisqu'elles n'ont jamais envisagé la levée du dispositif au cours de l'après-midi. Ce ne serait qu'à la fin de la manifestation autorisée, vers 17 heures, soit plus de trois heures et trente minutes après la mise en place du dispositif, que sa levée a été envisagée, pour finalement ne permettre la sortie qu'après 20 heures. Aucun contrôle de la stricte nécessité du dispositif n'aurait été effectué au cours de l'après-midi, en considération de l'évolution des circonstances, en tout cas, avant 17 heures.
55. Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel il y avait un risque de réitération des infractions commises les jours précédents et le matin du 21 octobre 2010, les requérants répliquent que l'existence de motifs de croire à la nécessité d'empêcher de commettre une infraction - qui doit être concrète et déterminée - n'est pas un critère de caractérisation de la privation de liberté mais un motif de justification de la privation de liberté. Ils estiment de plus qu'un risque de dommages n'était pas caractérisé puisque l'encerclement visait à prévenir l'infiltration de casseurs, notant que les jets de projectiles évoqués par le Gouvernement sont intervenus vers 15 heures, soit après la mise en place du dispositif.
56. La première question que pose la présente affaire est celle de savoir si les requérants ont fait l'objet d'une privation de liberté au sens de l'article 5 § 1 de la Convention, de sorte que cette disposition trouve à s'appliquer.
57. La Cour renvoie à cet égard à l'affaire Austin et autres précitée, à laquelle se réfèrent les parties.
58. Dans son arrêt, la Cour a tout d'abord rappelé les principes généraux applicables (§§ 52-60), dont les suivants :
1o La police doit jouir d'une certaine marge d'appréciation dans l'adoption de décisions opérationnelles. L'article 5 ne saurait s'interpréter de manière à l'empêcher de remplir ses devoirs de maintien de l'ordre et de protection du public, sous réserve qu'elle respecte le principe qui sous-tend l'article 5, à savoir la protection de l'individu contre l'arbitraire.
2o L'article 5 § 1 ne concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler, lesquelles obéissent à l'article 2 du Protocole no 4. Pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l'article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d'exécution de la mesure considérée. Entre privation et restriction de liberté, il n'y a qu'une différence de degré ou d'intensité, non de nature ou d'essence.
3o Le but de la mesure en question n'est pas un élément à prendre en compte pour l'appréciation du point de savoir s'il y a eu privation de liberté, même si le motif de la mesure peut être pertinent pour l'étape ultérieure, qui consiste à examiner si la privation de liberté se justifiait au regard de l'un ou l'autre des alinéas de l'article 5 § 1.
4o A l'inverse, le contexte dans lequel s'insère la mesure représente un facteur important. Le public est souvent appelé à supporter des restrictions temporaires à la liberté de mouvement dans certains contextes, par exemple dans les transports publics, lors de déplacements sur l'autoroute, ou à l'occasion d'un match de football. Sous réserve qu'elles soient le résultat inévitable de circonstances échappant au contrôle des autorités, qu'elles soient nécessaires pour prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes ou aux biens et qu'elles soient limitées au minimum requis à cette fin, des restrictions à la liberté aussi courantes ne peuvent à bon droit être regardées comme des « privations de liberté » au sens de l'article 5 § 1.
59. L'affaire Austin s'inscrit dans le contexte de l'organisation de manifestations à Londres le 1er mai 2001. Vers 14 heures, alors que plus de mille-cinq-cents personnes étaient réunies à Oxford Circus, la police a décidé de mettre en place un cordon pour contenir la foule. Elle a pris cette décision sur la base des informations dont elle disposait, selon lesquelles entre cinq-cents et mille individus violents devaient prendre part aux manifestations, ainsi que de l'expérience de manifestations antérieures analogues. La requérante Austin a pu sortir du cordon vers 21 heures 30 et les trois autres requérants, vers 20 heures, à 21 heures 20 et à 21 heures 35.
60. S'agissant des circonstances de cette affaire, la Cour a relevé que le juge interne avait établi que, selon la police, la manifestation devait attirer un « noyau dur » de cinq-cents à mille manifestants violents à Oxford Circus vers 16 heures et qu'il y avait un risque réel de dommages corporels graves, voire de décès, et d'atteintes aux biens si la foule n'était pas efficacement contrôlée. Les policiers ont été pris au dépourvu lorsqu'ils ont constaté que plus de mille cinq cents personnes s'y pressaient déjà deux heures avant ; ils ont alors décidé que, pour prévenir les violences et le risque d'atteintes aux personnes et aux biens, il fallait imposer un cordon intégral. À partir de 14 h 20, lorsque ce cordon intégral a été mis en place, personne à l'intérieur n'a plus eu la possibilité de partir sans autorisation. Il y avait suffisamment d'espace au sein du cordon pour que les personnes puissent se déplacer, et il n'y avait pas eu de bousculades. Néanmoins, les conditions étaient inconfortables car elles ne pouvaient s'abriter nulle part, ne disposaient ni d'eau ni de nourriture et n'avaient pas accès à des toilettes. Tout au long de l'après-midi et de la soirée, la police a tenté à plusieurs reprises d'engager un processus de libération collective, mais le comportement violent et peu coopératif d'une minorité importante aussi bien à l'intérieur du cordon qu'aux alentours de celui-ci l'a amenée à suspendre à chaque fois l'opération. En conséquence, le processus de dispersion n'a été totalement achevé qu'à 21 heures 30. Cependant, environ quatre-cents personnes qui, visiblement, n'avaient rien à voir avec la manifestation ou subissaient de graves conséquences du fait de leur confinement ont été autorisées à partir avant.
61. Sur la base de ces constatations, la Cour a considéré que les éléments suivants militaient en faveur d'un constat de privation de liberté : la nature coercitive de la mesure de confinement au sein du cordon, sa durée et ses effets sur les requérants, notamment l'inconfort physique qu'elle leur avait causé et l'impossibilité dans laquelle elle les avait mis de quitter Oxford Circus.
62. La Cour a toutefois considéré devoir également prendre en compte le « genre » et les « modalités d'exécution » de la mesure en question, le contexte dans lequel celle-ci s'insérait ayant son importance.
63. Elle a ainsi relevé que la mesure avait été prise dans un but d'isolement et de confinement d'une foule nombreuse, dans des conditions instables et dangereuses, et que la police avait décidé d'avoir recours pour contrôler la foule à une mesure de confinement plutôt qu'à des méthodes plus radicales qui auraient pu donner lieu à un risque supérieur d'atteintes aux personnes. La Cour a indiqué n'apercevoir aucun motif de se démarquer de la conclusion du juge interne selon laquelle la mise en place d'un cordon intégral était le moyen le moins intrusif et le plus efficace de parer à un risque réel de dommages corporels et matériels graves. Elle a relevé qu'au demeurant, les requérants n'avaient pas prétendu que la mise en place initiale du cordon avait eu pour effet immédiat de priver de leur liberté les personnes prises à l'intérieur. Elle a ensuite souligné qu'elle ne pouvait identifier un moment précis où cette mesure se serait muée d'une restriction à la liberté de mouvement qu'elle constituait tout au plus en une privation de liberté, et qu'il était frappant de constater que, cinq minutes environ après la mise en place du cordon intégral, la police envisageait déjà de commencer une opération de dispersion contrôlée. Relevant en outre que la police avait par la suite fait de nombreuses tentatives en ce sens et avait suivi constamment de très près l'évolution de la situation tout en notant les conditions dangereuses qui avaient nécessité la mise en place du cordon à 14 heures avaient persisté tout au long de l'après-midi et jusqu'en début de soirée, la Cour a considéré que les personnes à l'intérieur du cordon ne pouvaient être regardées comme ayant été privées de leur liberté au sens de l'article 5 § 1.
64. La Cour a cependant souligné que cette conclusion était fondée sur les faits spécifiques et exceptionnels de l'espèce. Elle a en outre précisé que, compte tenu de l'importance fondamentale de la liberté d'expression et de la liberté de réunion dans toute société démocratique, les autorités nationales doivent se garder d'avoir recours à des mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement, d'étouffer ou de décourager des mouvements de protestation. Elle a ajouté que si la mise en place et le maintien du cordon par la police n'avaient pas été nécessaires pour prévenir des atteintes graves aux personnes ou aux biens, la mesure aurait été d'un « genre » différent, et sa nature coercitive et restrictive aurait pu suffire à la faire tomber dans le champ de l'article 5.
65. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon du 5 mars 2020, que l'encerclement de la place Bellecour le 21 octobre 2010 a duré plus ou moins cinq heures et trente minutes, entre 13 heures 23 et 19 heures environ, lorsque les derniers contrôles d'identité y ont été effectués. Les personnes qui étaient alors sur cette place s'y sont trouvées confinées, dans l'impossibilité de la quitter sans autorisation des forces de l'ordre, et il n'apparaît pas qu'elles aient eu la possibilité de se désaltérer et d'accéder aux commodités. Les forces de l'ordre y ont usé de grenades lacrymogènes à 13 heures 50, 14 heures 45 et 15 heures, et de grenades lacrymogènes et d'un ou plusieurs canons à eau entre 17 heures 08 et 17 heures 23. Quant à la durée du confinement des requérants, il varie entre un peu moins de trois heures dans le cas de Mme Caroline Benkheffa et environ cinq heures et trente minutes dans celui de Mmes Nora Bonal et Leila Millet (paragraphe 21 ci-dessus). Si cette durée n'est pas connue s'agissant des autres requérants (paragraphe 22 ci-dessus), la Cour note que le Gouvernement ne prétend ni qu'ils ne faisaient pas partie des personnes qui étaient confinées sur la place Bellecour, ni qu'ils en seraient sortis avant le début des contrôles d'identité vers 17 heures 10. Il s'ensuit qu'il est vraisemblable qu'ils été confinés durant au moins trois heures et quarante-cinq minutes.
66. En l'espèce, ainsi qu'elle l'avait relevé dans l'affaire Austin et autres précitée, la Cour note qu'un certain nombre d'éléments militent en faveur d'un constat de privation de liberté : la nature coercitive de la mesure de confinement litigieuse, sa durée et ses effets sur les requérants, notamment l'inconfort physique qu'elle leur a causé et l'impossibilité dans laquelle il se sont trouvés de quitter la place Bellecour.
67. Mais, ainsi qu'elle a procédé dans l'affaire Austin et autres précitée, la Cour considère qu'il lui faut également prendre en compte le « genre » et les modalités d'exécution de cette mesure.
68. À ce titre, la Cour souligne que l'encerclement litigieux s'inscrit dans le contexte des violences urbaines qui ont eu lieu à Lyon entre le 14 et le 21 octobre 2010 en marge de contestations contre une réforme du régime des retraites (paragraphes 7 et 9-12 ci-dessus).
69. Statuant au vu de ces circonstances, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon a considéré que, le 21 octobre, les autorités étaient « objectivement et raisonnablement fondées » à craindre que les événements et débordements de la semaine écoulée, qui s'étaient amplifiés de jour en jour, caractérisés par des violences graves et des exactions, puissent se renouveler, dès lors que le contexte général et la composition des regroupements observés dans la matinée - essentiellement des jeunes gens et des mineurs - étaient exactement les mêmes que les jours précédents, et compte tenu des dégradations déjà commises dans la matinée par des groupes de personnes qui se dirigeaient vers la place Bellecour. Elle a constaté que le but de l'isolement de cette place n'était pas de contrarier la manifestation, qui a été retardée mais a bien eu lieu, ou d'empêcher les personnes qui le souhaitaient d'y participer pacifiquement, mais de prévenir un « risque réel », et que des consignes avaient été données de lever complètement le dispositif dès que ce risque avait disparu, une fois la manifestation terminée (voir paragraphe 26 ci-dessus).
70. La Cour ne voit aucune raison de se départir de cette appréciation. Rien dans le dossier en effet ne conduit à douter que le but de l'encerclement de la place Bellecour était d'isoler et confiner des fauteurs de troubles potentiellement violents, afin de prévenir un risque pour la sécurité des personnes et des biens et de permettre le bon déroulement de la manifestation, dont le cortège devait initialement partir de cette place.
71. La Cour note ensuite, ainsi que l'a relevé la chambre d'instruction de la cour d'appel de Lyon, que l'encerclement de la place Bellecour n'était pas totalement hermétique. En outre, il ressort du dossier que les autorités ont suivi de près l'évolution de la situation. Ainsi, au moment de sa mise en place, les agents de police ont reçu pour instruction de « faire discernement entre manifestants et casseurs sur Bellecour » et, dès 14 heures 40, trois-cent-cinquante personnes ont été invitées à quitter la place (paragraphe 16 ci-dessus). Une centaine de personnes identifiées comme n'étant pas des casseurs ont été autorisées à sortir vers 15 heures 30 (paragraphe 17 ci-dessus). Il apparait en outre que d'autres ont pu quitter la place Bellecour au cours de l'après-midi, dont la requérante Benkheffa, à 16 heures 15 (paragraphe 21 ci-dessus). La Cour relève par ailleurs que, comme dans l'affaire précitée Austin et autres, la sortie de ceux qui, à l'instar des requérants, souhaitaient rejoindre pacifiquement la manifestation, a été entravée par le comportement de certains individus, qui à plusieurs reprises au cours de l'après-midi, y compris après qu'il eut été décidé de mettre fin à l'encerclement, ont provoqué des échauffourées en jetant des projectiles sur les forces de l'ordre.
72. Il n'en reste pas moins vrai qu'environ deux heures se sont écoulées entre la décision de lever la mesure d'encerclement et la sortie des dernières personnes de la place Bellecour. Le confinement de la requérante Vincensini n'a ainsi pris fin qu'environ une heure après cette décision, celui du requérant Cottet-Emard, environ une heure et trente minutes après, et celui des requérantes Bonal et Millet, environ deux heures après (paragraphe 21 ci-dessus). De tels délais s'expliquent néanmoins par le fait que l'évacuation a été ralentie par les échauffourées qui s'étaient produites sur la place après 17 heures, et par les contrôles d'identité effectués par les forces de l'ordre à la sortie de celle-ci. Dans cette mesure, la présente affaire ne se distingue pas davantage de l'affaire Austin et autres, dans laquelle trois des quatre requérants étaient restés confinés sur Oxford Circus jusqu'à plus ou moins 21 heures 30 alors que les conditions qui avaient contraint la police à retenir la foule n'avaient persisté que jusqu'à 20 heures environ.
73. De l'ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la restriction à la liberté des personnes qui, tels les requérants, se trouvaient place Bellecour à Lyon dans l'après-midi du 21 octobre 2010, était le résultat de circonstances échappant au contrôle des autorités, était nécessaire pour prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes ou aux biens, et était limitée au minimum requis à cette fin. En dépit de sa durée et de ses effets sur les requérants, elle ne constituait donc pas, eu égard à son genre et à ses modalités d'exécution, une « privation de liberté » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.
74. Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3 a), et qu'elle doit être rejetée en application de l'article 35 § 4.
75. Les requérants soutiennent que l'encerclement qu'ils ont subi est constitutif d'une atteinte à leur liberté de circulation, qui n'était ni encadrée par la loi, ni justifiée dans les circonstances de l'espèce. Ils invoquent l'article 2 du Protocole no 4 à la Convention, aux termes duquel :
«
1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.
3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique. »
76. Constatant que ce grief n'est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
a) Les requérants
77. Les requérants soulignent que la mesure de nasse, constitutive d'une atteinte manifeste à la liberté de circulation, n'est pas « prévue par la loi ». Ce serait en-dehors de tout cadre légal qu'ils ont été immobilisés sur la place Bellecour pendant plus de six heures, sans possibilité de quitter les lieux et sans information à cet égard, et alors que ce n'était pas justifié par des troubles exceptionnels.
78. Renvoyant notamment aux arrêts De Tommaso (précité, § 125) et Rotaru c. République de Moldova (no 26764/12, § 24, 8 décembre 2020), ils rappellent que, pour satisfaire à l'exigence de prévisibilité, une loi doit définir, avec suffisamment de détails, de précisions et de clarté, la catégorie de personnes auxquelles les restrictions sont applicables, les types de comportements ou d'autres facteurs susceptibles d'entraîner l'applicabilité d'une restriction, l'autorité habilitée à autoriser une telle ingérence, ainsi que le contenu et les limites des obligations imposées dans ce cadre, et qu'elle doit prévoir des garanties procédurales pour être compatible avec la prééminence du droit et préserver de l'arbitraire. Ils notent qu'aucune des dispositions auxquelles se réfère le Gouvernement ne prévoit la technique particulière de l'encerclement. Ils font valoir à cet égard que, premièrement, le Conseil constitutionnel a précisé dans sa décision no 2020-889 QPC du 12 mars 2021 que l'article 1er de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995 a pour seul objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public et ne définit pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment les moyens pouvant être utilisés à cette fin. Deuxièmement, si le code de la sécurité intérieure précise les autorités compétentes pour prendre les mesures de police adéquates et mettre en œuvre les techniques de maintien de l'ordre, la technique d'encerclement n'y figure pas, et le Défenseur des droits a souligné qu'elle ne faisait pas partie des enseignements officiels et n'avait pas de base légale, et a appelé à l'adoption d'un cadre d'emploi (les requérants revoient à ses décisions MDS-2015-126, du 21 mai 2015, et MDS-2015-298, du 25 novembre 2015, et à son rapport de 2017). Troisièmement, la référence à l'article 431-3 et autres dispositions du code pénal est inopérante, dès lors que les restrictions à la liberté de circulation doivent être définies en amont. Quatrièmement, s'agissant de la jurisprudence administrative évoquée par le Gouvernement, ils soulignent de leur côté que, par une décision du 10 juin 2021 (no 44849), le Conseil d'État a censuré plusieurs points du schéma national du maintien de l'ordre du 16 septembre 2020, dont la possibilité de recourir à l'encerclement de manifestants, en considération de l'absence de conditions suffisamment précises. Ils font en particulier valoir que le Conseil d'État a considéré que, si la mise en œuvre de la technique de l'encerclement peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et de venir, et a jugé que, se bornant à prévoir qu'il peut être utile d'y avoir recours, sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre, le schéma national était illégal sur ce point faute d'apporter des précisions de nature à garantir que son usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances.
b) Le Gouvernement
79. Le Gouvernement admet qu'il y a eu ingérence dans le droit à la liberté de circulation des requérants mais fait valoir qu'elle n'était pas contraire à l'article 2 du Protocole no
4.
80. Selon lui, l'ingérence était « prévue par la loi », le cadre législatif dans lequel s'inscrit la technique de l'encerclement étant constitué par les dispositions régissant le maintien de l'ordre : l'article 1er de la loi no 95-76 du 21 janvier 1995, aux termes duquel l'État doit veiller au maintien de l'ordre public et la protection des personnes et des biens, le code de la sécurité intérieure, qui précise les autorités compétentes pour prendre les mesures de police adéquates et mettre en œuvre les techniques de maintien de l'ordre, et le code pénal, dont l'article 431-3 définit la notion d'attroupement et précise les modalités d'usage de la force pour dissiper un attroupement, et qui prévoit des infractions portant sur les atteintes individuelles à la liberté d'expression et de manifester commises notamment par des personnes dépositaires de l'autorité publique. Renvoyant à deux décisions du Conseil d'État (Benjamin, 19 mai 1933, nos 17413 et 17520 ; 12 novembre 1997, no 16295) et à une décision du Conseil constitutionnel (9 juillet 2010, no 2010-13 QPC), il ajoute que la jurisprudence en a également fixé la portée en tant que mesure de police administrative justifiée par la nécessité de répondre à des troubles à l'ordre public devant être proportionnée à cet objectif. Selon lui, une fois la condition légale fixée par l'article 431-3 du code pénal remplie, le choix du préfet de recourir à la technique de l'encerclement n'est régulier que s'il est adapté, nécessaire et proportionné à la situation concrète d'attroupement l'ayant justifié, et ce même en l'absence de texte législatif prescrivant cette triple condition.
81. Le Gouvernement en déduit que la technique de l'encerclement utilisée le 21 octobre 2010 « apparaissait suffisamment encadrée par des normes accessibles et prévisibles », et que les personnes qui ont participé à l'attroupement litigieux étaient en mesure de prévoir que les autorités pouvaient prendre « des mesures adéquates et adaptées dans le strict but de prévenir ou faire cesser les troubles à l'ordre public, y compris l'encerclement ».
82. Le Gouvernement ajoute, d'une part, que l'ingérence répondait aux buts légitimes de maintien de l'ordre public et de protection des droits et libertés d'autrui puisqu'elle visait à prévenir un risque réel d'atteintes graves aux personnes et aux biens. D'autre part, l'encerclement était la mesure la plus appropriée pour y parvenir tout en évitant l'usage d'armes à l'égard des personnes bloquées. Le Gouvernement fait aussi valoir que les autorités judiciaires ont été informées de la mise en œuvre de ce dispositif et qu'un contrôle judiciaire de la responsabilité des autorités était possible.
83. D'après le Gouvernement, les autorités françaises n'ont pas excédé la marge d'appréciation dont elles disposaient, sous le contrôle des juridictions internes.
84. La Cour considère, à l'instar des parties qui s'accordent sur ce point, que le confinement des requérants sur la place Bellecour à Lyon dans l'après-midi du 21 octobre 2010 a constitué une restriction de leur droit à la liberté de circulation, au sens de l'article 2 du Protocole no 4 à la Convention.
85. Toute mesure restreignant le droit à la liberté de circulation doit être prévue par la loi, poursuivre l'un des buts légitimes visés au troisième paragraphe de l'article 2 du Protocole no 4 et être nécessaire, dans une société démocratique, pour l'atteindre.
86. S'agissant de la qualité de la loi, la Cour renvoie aux principes généraux énoncés notamment dans l'arrêt De Tommaso précité (§§ 106-109) :
a) Les mots « prévue par la loi » non seulement imposent que la mesure incriminée ait une base légale en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : elle doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets.
b) S'agissant de l'exigence de prévisibilité, on ne peut considérer comme « une loi » qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d'un acte déterminé. Ces conséquences n'ont pas besoin d'être prévisibles avec une certitude absolue, l'expérience révélant qu'une telle certitude est hors d'atteinte. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation. Aussi, beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues, dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique.
c) Le niveau de précision de la législation interne - qui ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses - dépend dans une large mesure du contenu de la loi en question, du domaine qu'elle est censée couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui elle est adressée. D'autre part, il incombe au premier chef aux autorités nationales d'interpréter et d'appliquer le droit interne.
d) Une norme est « prévisible » lorsqu'elle offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique. Une loi conférant un pouvoir d'appréciation doit en fixer la portée, bien que le détail des normes et procédures à observer n'ait pas besoin de figurer dans la législation elle-même.
87. En ce qui concerne la présente affaire, la Cour relève, en premier lieu, ainsi que le fait valoir le Gouvernement (paragraphe 80 ci-dessus), qu'il ressort des articles 1er de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 (paragraphe 33 ci-dessus), L. 2214-4 du code général des collectivité territoriales, et 34 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, départements et régions (paragraphe 36 ci-dessus), que l'État a le devoir d'assurer la sécurité en veillant notamment au maintien de la paix et de l'ordre publics et à la protection des personnes et des biens et qu'à ce titre, il lui appartient, dans les communes où la police est étatisée - comme à Lyon -, de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les « attroupements ». À cet égard le préfet dirige l'action des services de la police nationale en matière d'ordre public et de police administrative.
88. Elle relève, en deuxième lieu, ainsi que le souligne le Gouvernement, que la notion d'attroupement est définie par l'article 431-3 du code pénal, comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public » (paragraphe 34 ci-dessus).
89. La Cour rappelle en outre qu'il résulte d'une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État qu'une mesure prise dans un but de préservation de l'ordre public qui porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes, dont la liberté d'aller et venir, doit être adaptée, nécessaire et proportionnée à ce but (paragraphes 37-38 ci-dessus).
90. Il s'ensuit que, de manière générale, le droit interne permet au préfet, s'agissant d'un rassemblement de personnes sur la voie publique susceptible de troubler l'ordre public, de prendre des mesures attentatoires à la liberté d'aller et venir dans le but de préserver l'ordre public, à la condition que ces mesures soient adaptées, nécessaires et proportionnées. La Cour en déduit que le principe de l'intervention des forces de l'ordre, dans une situation pareille à celle en litige dans la présente affaire, doit être regardé comme ayant une base légale, en droit interne.
91. Pour autant, la Cour relève que le grief des requérants repose spécifiquement sur le recours, dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre qui se sont déroulées le jeudi 21 octobre 2010, à la technique de l'encerclement. Or, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 mars 2021 précitée, à propos de l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995, les dispositions qui ont pour objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public « ne définissent pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment pas les moyens pouvant être utilisés à cette fin » pour en déduire qu'il ne pouvait donc « leur être reproché d'encadrer insuffisamment le recours par l'État, dans le cadre de cette mission, à certains procédés de maintien de l'ordre tel que la technique dite de l'encerclement ». Or, la Cour note qu'à la date des faits litigieux, aucun autre texte ni aucune autre disposition ne prévoyait expressément le recours à la technique de l'encerclement qu'ont utilisée les forces de l'ordre dans la présente affaire, ni, a fortiori, ne l'encadrait. C'est à l'aune de cette circonstance particulière qu'il revient à la Cour de se prononcer, au titre du grief tiré l'article 2 du protocole 4 sur la qualité de la loi, question sur laquelle elle relève que les juridictions internes ne se sont pas penchées.
92. En premier lieu, la Cour rappelle, s'agissant d'une technique à vocation préventive susceptible d'affecter les droits et libertés fondamentaux de manifestants pacifiques, dont la liberté de circulation, la liberté d'expression et la liberté de réunion pacifique, qu'il est essentiel que soit défini un cadre d'emploi déterminant de manière précise les circonstances et les conditions de sa mise en œuvre, les modalités de son déroulement et les limites dans le temps de son utilisation. Il en va non seulement de la nécessité de donner aux individus des garanties contre les risques d'atteintes arbitraires de la puissance publique à leurs droits et libertés, mais aussi de la nécessité de les préserver d'un effet dissuasif sur l'exercice de ces droits et libertés, tout particulièrement sur l'exercice de la liberté de manifestation que comprend la liberté de réunion pacifique.
93. En second lieu, la Cour relève qu'alors même que la technique de l'encerclement était une pratique à laquelle les forces de l'ordre étaient susceptibles d'avoir recours pour assurer le maintien de l'ordre face à des risques sérieux de débordement, elle ne faisait, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, l'objet d'aucun encadrement juridique spécifique à la date des faits litigieux. Elle souligne à cet égard qu'au plan interne, d'une part, le Défenseur des droits a recommandé au ministre de l'Intérieur le 21 mai 2015 qu'un cadre d'emploi définissant strictement les conditions et les modalités du recours à l'encerclement par les forces de l'ordre soit adopté (paragraphe 43 ci-dessus). D'autre part, le Conseil d'État a jugé, par la décision précitée du 10 juin 2021 que, si la mise en œuvre de cette technique peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir, et en a déduit qu'un encadrement précis des cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre était requis, afin de garantir que son usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances (paragraphe 41 ci-dessus). Il a annulé, pour ce motif, le point relatif à l'encerclement du schéma national du maintien de l'ordre après avoir relevé qu'il se bornait à prévoir qu'il peut être utile d'avoir recours à cette technique « sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre ». Pour sa part, après avoir relevé qu'à la date des faits litigieux, il n'existait a fortiori aucun texte, à destination des forces de l'ordre, mentionnant la technique de l'encerclement, la Cour considère que le cadre juridique général relatif au maintien de l'ordre, en vigueur à cette date, ne saurait être regardé comme définissant un cadre d'emploi de cette technique suffisamment précis pour constituer une garantie contre le risque d'atteintes arbitraires à la liberté de circulation des personnes susceptible d'en être l'objet.
94. La Cour en conclut, après avoir relevé la publication par le ministre de l'Intérieur en décembre 2021, soit postérieurement aux faits de l'espèce, d'un nouveau schéma national du maintien de l'ordre en exécution de la chose jugée par le Conseil d'État (paragraphes 40-42 ci-dessus), que le recours par les forces de l'ordre à la technique de l'encerclement, qui a été constitutif de l'ingérence dans le droit à la liberté de circulation des requérants, n'était pas, à la date des faits litigieux, « prévu par la loi » au sens de l'article 2 du Protocole no 4.
95. Elle conclut en conséquence, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si les autres exigences de l'article 2 du Protocole no 4 sont remplies (voir, par exemple, Rotaru, précité, § 34), qu'il y a eu violation de cette disposition.
96. Les requérants se plaignent de ce qu'en raison de l'encerclement de la place Bellecour le 21 octobre 2010, ils ont été empêchés de rejoindre la manifestation à laquelle ils voulaient participer. Ils invoquent les articles 10 et 11 de la Convention, aux termes desquels :
Article 10
«
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Article 11
«
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
97. La Cour considère, dans les circonstances de l'espèce, que l'article 10 de la Convention s'analyse en une lex generalis par rapport à l'article 11 de la Convention, lex specialis, de sorte qu'il n'y a pas lieu de le prendre en considération séparément. Il convient donc d'examiner le grief sur le terrain de l'article 11 de la Convention, lu à la lumière de l'article 10 (voir, par exemple, Hakim Aydın c. Turquie, no 4048/09, § 41, 26 mai 2020).
98. Constatant que ce grief n'est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
a) Les requérants
99. Les requérants soulignent qu'en raison de la nasse réalisée place Bellecour pendant plus de six heures, en dehors de tout fondement légal (ils renvoient sur ce point aux arguments qu'ils ont développés sur le terrain de l'article 2 du Protocole no 4), de nombreux individus n'ont pu rejoindre la manifestation, autorisée, à laquelle ils souhaitaient participer, aucune sortie du cordon policier n'étant possible, sauf à s'exposer à une interpellation et à une sanction pénale. Ils ajoutent que ce n'est qu'à compter de la fin de la manifestation que la levée du dispositif a été envisagée, soit plus de trois heures et trente minutes après sa mise en place. Cela révélerait l'objectif réel poursuivi par les forces de l'ordre.
100. Selon les requérants, il ressort des observations du Gouvernement que les autorités ont privilégié leur obligation positive de maintien de l'ordre public afin de protéger les manifestants non violents au détriment de leur obligation négative de ne pas restreindre le droit de réunion pacifique, alors que l'une ne saurait absorber l'autre. Ils ajoutent qu'il faut prendre en compte l'effet dissuasif de la mesure d'encerclement - prise à titre préventif pour éviter l'infiltration de casseurs dans la manifestation - sur les manifestants pacifistes, qui ont été privés de leur droit de réunion et de manifestation alors qu'aucune infraction n'avait été commise. Ils estiment que les circonstances exceptionnelles invoquées par le Gouvernement ne justifiaient pas une telle mesure, dont l'effet a été que tous les manifestants pacifiques n'ont pas eu la possibilité de rejoindre la manifestation. Il en découlerait qu'à l'heure où elle a été décidée, la mesure d'encerclement était excessive, même si, comme le soutient le Gouvernement, son objet n'était pas d'empêcher les manifestants pacifistes de rejoindre la manifestation et d'entraver leurs libertés d'expression et de réunion.
b) Le Gouvernement
101. Le Gouvernement déclare ne pas contester que les organisateurs de la manifestation du 21 octobre 2010 n'avaient pas d'intention violente et que le recours à la technique de l'encerclement constituait une ingérence dans l'exercice des libertés d'expression et de réunion. Renvoyant à ses arguments relatifs à l'article 2 du Protocole no 4, il estime toutefois que cette ingérence était prévue par la loi. Il ajoute qu'elle avait pour buts légitimes la défense de l'ordre et la prévention du crime, ainsi que la protection des droits et libertés d'autrui, dès lors qu'elle visait à éviter que des individus identifiés comme des casseurs, ayant commis des actes répréhensibles ou ayant le visage dissimulé, particulièrement mobiles, infiltrent la manifestation pacifique et fassent dégénérer la situation comme les jours précédents, lors desquels de nombreuses exactions violentes et des scènes d'émeutes et de pillages avaient eu lieu.
102. Le Gouvernement fait ensuite valoir que les forces de l'ordre avaient en vertu de l'article 11 l'obligation positive de protéger l'intégrité des manifestants non-violents et l'effectivité de leur liberté de réunion, que l'objectif n'était pas d'empêcher les manifestants pacifistes de rejoindre la manifestation - laquelle a bien eu lieu - , et que les autorités de police, qui avaient eu pour consigne de distinguer ceux-ci des casseurs, avaient autorisé certains à quitter le dispositif vers 15h30. Si tous n'ont pas eu la possibilité de rejoindre la manifestation, ce serait dû au fait qu'il y avait un nombre important de casseurs, ce qui aurait compliqué le filtrage, et à la survenance d'incidents tels que des jets de pierres sur les policiers. Il souligne que l'obligation à la charge des autorités était une obligation de moyens plutôt que de résultat, et que les juridictions nationales ont correctement contrôlé la nécessité et la proportionnalité, et ont considéré que le recours à la technique de l'encerclement était la mesure la plus appropriée et la plus efficace pour sauvegarder l'ordre public.
103. La Cour constate que, confinés sur la place Bellecour l'après-midi du 21 octobre 2010 en conséquence de la mesure d'encerclement litigeuse, les requérants se sont vus empêchés de participer à la manifestation contre un projet de réforme du régime des retraites qui se déroulait concomitamment.
104. À cet égard, la Cour ne voit pas de raison de douter des déclarations, non contestées par le Gouvernement, des requérants selon lesquelles ils avaient l'intention de participer à cette manifestation dans le seul but d'exprimer leur opinion.
105. Elle note que, contrairement aux autres requérants, Mme Caroline Benkheffa a quitté la place Bellecour avant la fin de la manifestation (paragraphes 21-22 et 65 ci-dessus), à 16 heures 45. Toutefois, à supposer qu'elle en ait eu la possibilité, sortie de la place à 16 heures 15, elle n'a été en mesure de rejoindre le cortège, parti vers 14 heures 30 d'un autre lieu, qu'alors que la manifestation s'achevait.
106. La Cour en déduit que le confinement des requérants sur la place Bellecour du fait de son encerclement par les forces de l'ordre est constitutif d'une ingérence dans l'exercice de leur liberté de réunion pacifique et de leur liberté d'expression, ce que le Gouvernement ne conteste pas.
107. Elle rappelle qu'aux termes de l'article 11 comme de l'article 10, toute mesure restreignant ces libertés doit avant tout être « prévue par la loi ».
108. Les raisons exposées aux paragraphes 87-95 ci-dessus dans le cadre de l'examen du grief relatif à l'article 2 du Protocole no 4 la conduisent à constater de même que cette condition n'était pas remplie en l'espèce.
109. Partant, il y a eu violation de l'article 11 de la Convention, lu à la lumière de l'article 10.
110. Aux termes de l'article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
111. Les requérants soulignent que l'atteinte portée à leurs droits leur a causé « un préjudice moral particulièrement grave, sans compter diverses conséquences physiques ». Ils déclarent cependant « renoncer à toute prétention pécuniaire au titre de la satisfaction équitable ». La Cour en prend acte.
112. Les requérants indiquent qu'à l'instar du l'avocat qui les représente devant la Cour, l'avocat qui les représentait devant les juridictions internes a travaillé à titre gracieux, à l'exception de frais de secrétariat de 5 500 euros (« EUR »), dont ils demandent le remboursement. Ils produisent une « facture récapitulative pour frais » portant la mention « acquitté » adressée par cet avocat le 13 décembre 2022 au « collectif du 21 octobre », qui précise que « les heures de travail n'ont pas été facturées [et que] seul le temps de travail a été partiellement indemnisé par le paiement (...) de 1 000 euros le 20 décembre 2011, 1 500 euros le 21 juin 2013, 2 000 euros le 3 avril 2019 et 1 000 euros le 15 novembre 2021 ». Ils réclament en outre 5 000 EUR, correspondant à la somme que les parties civiles ont été condamnées par la Cour de cassation à payer au directeur départemental de la sécurité publique du Rhône et au préfet de région au titre des frais de ces derniers (paragraphe 32 ci-dessus). Ils produisent une attestation dont il ressort que cette somme a été remise à l'avocat des parties civiles par le collectif du 21 octobre.
113. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes. Il constate que les requérants n'apportent pas de précision sur les frais de secrétariat relatifs à la procédure interne et que la facture récapitulative qu'ils produisent ne permet d'apprécier ni le détail des prestations ni leur lien avec la présente procédure. S'agissant des frais exposés devant la Cour de cassation, il fait valoir que le pourvoi avait été formé par plusieurs autres personnes que les requérants ainsi que par de nombreuses associations, que l'attestation de règlement produite se borne à mentionner la remise de 5 000 EUR à l'avocat des parties civiles à la demande du collectif du 21 octobre, et que les requérants ne démontrent pas avoir payé eux-mêmes l'intégralité de cette somme. Estimant de plus que les montants réclamés sont manifestement excessifs, le Gouvernement déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour pour les ramener à de plus justes et raisonnables proportions si elle devait décider d'allouer une somme au titre des frais et dépens aux requérants.
114. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour constate qu'outre les douze requérants, vingt-trois individus et personnes morales ont pris part à la procédure interne en tant que parties civiles, que le paiement des sommes réclamées a été effectué par une association dénommée collectif du 21 octobre selon des modalités que les requérants ne précisent pas, et que ces derniers n'apportent pas d'élément montrant qu'ils ont effectivement contribué à leur règlement ni n'indiquent la part qu'ils auraient eux-mêmes payée. S'agissant cependant de la somme de 5 000 EUR que la Cour de cassation a condamné les trente-cinq parties civiles, dont les douze requérants, à payer en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale (paragraphes 32 et 112 ci-dessus), la Cour part du principe que la condamnation solidaire entraîne une obligation conjointe entre les codébiteurs solidaires, de sorte que chacune des parties civiles doit contribuer à hauteur d'un trente-cinquième. Elle juge donc approprié d'allouer aux douze requérants, ensemble, 1 714,28 EUR ((5 000 ÷ 35) x 12). Il convient en revanche de rejeter le reste des demandes des requérants au titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
a) que l'État défendeur doit verser aux requérants, ensemble, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 714,28 EUR (mille sept cent quatorze euros et vingt-huit centimes), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 février 2024, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Martina Keller Georges Ravarani
Greffière adjointe Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Mits and Mourou-Vikström.
G.R.
M.K.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES MITS ET MOUROU-VIKSTRÖM
Nous relevons, en ce qui concerne les frais et dépens, que les requérants n'ont apporté aucune preuve démontrant qu'ils ont participé, et éventuellement à hauteur de quel montant, au paiement de la somme que la Cour de cassation a ordonné aux trente-cinq parties civiles (dont les requérants faisaient partie) de payer (paragraphe 114 de l'arrêt). Dans ces circonstances, nous considérons que la demande de remboursement des frais et dépens formée par les requérants aurait dû être rejetée.
ANNEXE
Liste des requérants
Requête no 1162/22
No | Prénom NOM | Année de naissance | Nationalité | Lieu de résidence |
| Marc AURAY | 1960 | française | Saint-Just-Saint-Rambert |
| Arnaud DE RIVIERE DE LA MURE | 1989 | française | Lyon |
| Leila MILLET | 1989 | française | Lyon |
| Mathilda MILLET | 1992 | française | Mouxy |
| Elisa TETON | 1983 | française | Mens |
| Myriam PREVOST | 1980 | française | Grenoble |
| Caroline BENKHEDDA | 1975 | française | Caluire-et-Cuire |
| Benjamin COTTET-EMARD | 1991 | française | Lyon |
| Catherine VINCENSINI | 1966 | française | Grezieu-La-Varenne |
| Nora BONAL | 1987 | française | Geyssans |
| Florence DEL CANTO | 1960 | française | Jonage |
| Samuel PEREZ | 1989 | française | Bourges |