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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GULCAN v TURKIYE - 43097/15 (Article 5 - Right to liberty and security : Second Section) French Text [2024] ECHR 506 (11 June 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2024/506.html Cite as: [2024] ECHR 506 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜLCAN c. TÜRKİYE
(Requête no 43097/15)
ARRÊT
Art 5 § 1 • Sanction disciplinaire privative de liberté du requérant, infligée par son supérieur militaire, ne revêtant pas le caractère d'une détention régulière « après condamnation par un tribunal compétent » • Art 34 • Qualité de victime du requérant • Reconnaissance par la Cour constitutionnelle de l'irrégularité de la privation de liberté litigieuse ne constitue pas une réparation suffisante, étant donné qu'elle n'a pas permis au requérant d'obtenir un redressement approprié
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
11 juin 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gülcan c. Türkiye,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Jovan Ilievski,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel,
Lorraine Schembri Orland,
Frédéric Krenc,
Gediminas Sagatys, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :
la requête (no 43097/15) dirigée contre la République de Türkiye et dont un ressortissant de cet État, M. Hasan Baki Gülcan (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 19 août 2015,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») le grief concernant l'article 5 de la Convention,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2024,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L'affaire concerne l'absence de contrôle juridictionnel d'une sanction disciplinaire, à savoir sept jours d'arrêts de rigueur, infligée au requérant par son supérieur militaire. Est en jeu l'article 5 § 1 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1974 et réside à Ankara. Il a été représenté par Me A. Demir, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l'homme au ministère de la Justice de Türkiye.
4. À l'époque des faits, le requérant servait dans les forces armées turques avec le grade de sous-officier.
5. En décembre 2012, le commandant du bataillon de tir et d'exercice auquel était affecté le requérant accusa celui-ci d'infraction à la discipline militaire. Il lui reprochait d'avoir refusé de signer les instructions relatives à ses fonctions et d'avoir méconnu par là un ordre de son supérieur hiérarchique.
6. Le 11 décembre 2012, après avoir recueilli la défense du requérant, le supérieur hiérarchique de celui-ci lui infligea sept jours d'arrêts de rigueur sur le fondement de l'article 171 du code pénal militaire. L'intéressé exécuta la sanction en décembre 2012.
7. Le 17 décembre 2012, saisi par le requérant d'un recours hiérarchique en contestation de la sanction, le général E.T. débouta l'intéressé de sa demande.
8. Le 21 janvier 2013, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel.
9. Par un arrêt du 12 mars 2015, la Cour constitutionnelle conclut à une violation de l'article 19 § 2 de la Constitution (correspondant à l'article 5 § 1 de la Convention). Observant tout d'abord que les arrêts de rigueur constituaient une sanction privative de liberté, elle se référa à l'arrêt Pulatlı c. Turquie (no 38665/07, 26 avril 2011) pour rappeler qu'une sanction de privation de liberté devait résulter d'une décision juridictionnelle et être infligée par un tribunal compétent ayant l'autorité requise pour juger l'affaire, indépendant de l'exécutif et présentant les garanties judiciaires adéquates. Se tournant ensuite vers les circonstances de l'espèce, elle nota que la sanction en question avait été infligée au requérant par son supérieur, lequel exerçait son autorité au sein de la chaîne de commandement et n'était donc pas indépendant de la hiérarchie militaire. Elle ajouta d'ailleurs que la procédure en contestation de la sanction disciplinaire devant l'autorité militaire de rang supérieur à l'autorité de sanction ne fournissait pas non plus les garanties judiciaires requises par l'article 5 de la Convention. Elle conclut que la privation de liberté du requérant ne revêtait pas le caractère d'une détention régulière « après condamnation par un tribunal compétent ».
Quant à la demande de satisfaction équitable formée par le requérant, qui réclamait 30 000 livres turques pour dommage moral, la Cour constitutionnelle la rejeta dans les termes suivants :
« Étant donné que, d'une part, les dispositions de l'article 2 provisoire de la loi no 6413, lesquelles prévoient la conversion des arrêts de rigueur prononcés avant le 16 février 2013 en une sanction de consigne et la correction en conséquence des registres pertinents (kayıtlar), et, d'autre part, le constat d'une violation du droit du requérant à la liberté et à la sûreté, représentent en eux-mêmes une satisfaction équitable, il convient de rejeter la demande d'indemnisation formée au titre de l'atteinte au droit en question. »
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
10. L'article 19 de la Constitution garantit le droit à la liberté et à la sûreté. Il est rédigé dans des termes similaires à ceux de l'article 5 de la Convention.
11. À l'époque pertinente, les dispositions relatives aux diverses sanctions encourues par les auteurs d'infractions disciplinaires figuraient à l'article 171 du code pénal militaire (loi no 1632). La nature des sanctions dépendait des grades du coupable et de son supérieur en matière disciplinaire. Selon cet article, en cas d'infraction à la discipline militaire, une peine d'arrêts de rigueur pouvait être infligée par le supérieur hiérarchique militaire.
12. À l'époque des faits, le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi no 1602 sur la Haute Cour administrative militaire disposait ce qui suit :
« Les actes du Président de la République, les actes du Conseil supérieur de l'armée, les actes pris en vertu de la loi no 1402 par les commandants de l'état de siège et les sanctions disciplinaires infligées par les supérieurs hiérarchiques pour infraction à la discipline militaire échappent à tout contrôle juridictionnel. »
13. La loi no 477 relative à la procédure disciplinaire précise dans son article 38 les modalités d'exécution des arrêts de rigueur :
« Un militaire frappé d'une sanction d'arrêts de rigueur exécute sa peine, si possible seul, dans une cellule. Il ne peut exercer ses fonctions. Il ne peut donner des ordres. »
14. Depuis l'entrée en vigueur de la loi no 6413 sur la discipline militaire, adoptée le 31 janvier 2013 et publiée au Journal officiel le 16 février 2013, les arrêts de rigueur ne peuvent plus être infligés que dans deux cas : en temps de guerre et à bord des navires se trouvant en dehors des eaux territoriales. Par ailleurs, l'article 43 de cette loi a rendu possible l'introduction devant les juridictions compétentes d'un recours en annulation des sanctions disciplinaires, y compris les arrêts de rigueur. L'article 2 provisoire de cette loi prévoit en outre la conversion des arrêts de rigueur déjà exécutés en une sanction de consigne (une sanction disciplinaire plus légère) et la correction en conséquence des registres pertinents.
EN DROIT
15. Le requérant se plaint que la sanction privative de liberté lui a été infligée par son supérieur militaire et non par un tribunal indépendant et impartial. Il invoque les articles 3, 5 et 6 de la Convention.
Rappelant qu'elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et qu'elle n'est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), la Cour estime qu'en l'espèce il convient d'examiner sous le seul angle de l'article 5 § 1 a) de la Convention le grief formulé par le requérant. La disposition en question se lit ainsi :
«
1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...) »
16. Le Gouvernement soutient que le requérant a perdu la qualité de victime, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 ayant selon lui reconnu et réparé le préjudice résultant de la violation des droits de l'intéressé au regard de l'article 5 § 1 de la Convention. Il précise en particulier que le préjudice résultant pour le requérant de la sanction d'arrêts de rigueur prononcée contre lui a été réparé par l'effet de l'article 2 provisoire de la loi no 6413 prévoyant la conversion des arrêts de rigueur déjà exécutés en une sanction de consigne et la correction en conséquence des registres pertinents. Enfin, le Gouvernement attire l'attention de la Cour sur le fait que la révision législative du 16 février 2013 a aboli la sanction d'arrêts de rigueur et instauré la possibilité d'introduire devant les juridictions compétentes un recours en annulation des sanctions disciplinaires (paragraphe 14 ci-dessus). Pour le Gouvernement, les effets et les éventuelles conséquences de la sanction infligée au requérant ont été entièrement effacés par ces mesures.
17. Le requérant conteste cette thèse. Il soutient qu'en l'absence d'une indemnisation au titre du préjudice moral qu'il dit être résulté pour lui de la violation dans son chef de l'article 5 § 1 de la Convention, l'arrêt de la Cour constitutionnelle ne lui a pas fait perdre la qualité de victime. Il met l'accent sur le caractère punitif de la sanction et affirme que cette sanction figure toujours dans son dossier, si bien qu'elle continue selon lui à être prise en considération dans le cadre de l'octroi éventuel de promotions auxquelles il pourrait prétendre.
18. La Cour rappelle qu'il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002-III). Elle réaffirme en outre qu'une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à retirer à celui-ci la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 81, CEDH 2012, avec les références qui y sont citées).
19. La question de savoir si une personne peut encore se prétendre victime d'une violation alléguée de la Convention implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la situation de la personne concernée (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 181, CEDH 2006-V).
20. En ce qui concerne en l'espèce la question de la « reconnaissance », la Cour observe qu'il ne prête pas à controverse que les juridictions nationales ont constaté la violation dans le chef du requérant de l'article 5 § 1 a) de la Convention. En effet, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 12 mars 2015, a conclu que la privation de liberté du requérant ne revêtait pas le caractère d'une détention régulière « après condamnation par un tribunal compétent ». Pour parvenir à cette conclusion, la haute juridiction s'est appuyée sur la jurisprudence pertinente de la Cour et elle a notamment observé que la sanction disciplinaire litigieuse avait été infligée au requérant par son supérieur, lequel exerçait son autorité au sein de la chaîne de commandement et n'était donc pas indépendant de la hiérarchie militaire. Elle a ajouté en outre que la procédure en contestation de la sanction disciplinaire devant l'autorité militaire de rang supérieur à l'autorité de sanction ne fournissait pas non plus les garanties judiciaires requises par l'article 5 de la Convention. Il s'agit là, pour la Cour, d'une reconnaissance explicite de la violation dont se plaint le requérant. Ainsi, la première condition imposée par la jurisprudence de la Cour quant à la qualité de victime est remplie en l'espèce.
21. Pour ce qui est du redressement de la violation ainsi constatée, la Cour rappelle qu'il doit être approprié et suffisant. La perte de la qualité de victime dépend, notamment, de la nature du droit dont la violation est alléguée, de la motivation de la décision et de la persistance ou non après cette décision des conséquences désavantageuses pour l'intéressé (Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, § 106, 15 septembre 2015, avec les références citées). La Cour rappelle également que lorsqu'il considère qu'une violation d'un article de la Convention n'a entraîné qu'un dommage moral minime, voire pas de dommage moral du tout, le juge national est tenu de justifier sa décision à cet égard en la motivant suffisamment (voir, mutatis mutandis, Scordino, précité, § 204).
22. En l'espèce, la Cour observe que la Cour constitutionnelle a rejeté la demande d'indemnisation pour dommage moral formée par le requérant. Elle constate que pour se prononcer ainsi, la haute juridiction a tenu compte de la réforme à laquelle la Türkiye, à la suite de l'arrêt Pulatlı c. Turquie (no 38665/07, 26 avril 2011), a procédé par la loi no 6413 du 16 février 2013 relative à la procédure disciplinaire militaire. La Cour constitutionnelle a précisé que cette loi prévoyait la possibilité d'un contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires, y compris les arrêts de rigueur, et qu'elle avait entraîné, par ailleurs, la conversion automatique des arrêts de rigueur prononcés à l'égard du requérant en la sanction, plus légère, de consigne, et la modification en conséquence des registres pertinents (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour note que la Cour constitutionnelle a ainsi fait valoir que l'amendement législatif en question avait atténué les conséquences de la sanction litigieuse et a conclu, en conséquence, que le constat d'une violation dans le chef du requérant du droit à la liberté et à la sûreté représentait en soi une satisfaction équitable.
23. La Cour rappelle avoir déjà jugé, dans des cas d'allégations de détention contraire à l'article 5 de la Convention, qu'une réparation adéquate n'implique pas nécessairement une compensation pécuniaire : elle peut aussi prendre d'autres formes, le caractère adéquat de la réparation étant apprécié au regard des circonstances particulières de chaque espèce (voir, mutatis mutandis, Ščensnovičius c. Lituanie, no 62663/13, § 92, 10 juillet 2018). Elle a déjà considéré en particulier comme appropriées, dans des cas de violation de l'article 5 §§ 1 ou 3 de la Convention, des formes de redressement autres que l'octroi d'une indemnisation telles qu'une réduction de peine spéciale ou une libération (Kustila et Oksio c. Finlande (déc.), no 10443/02, 13 janvier 2004, et Selariu c. Roumanie (déc.), no 15237/03, 27 novembre 2012). Dans l'affaire Haritonov c. Moldova (no 15868/07, §§ 39-40, 5 juillet 2011), elle a ainsi jugé que la libération rapide du requérant dans des circonstances où il aurait dû être maintenu en détention, assortie de la reconnaissance expresse par les juridictions nationales du caractère illicite de la détention litigieuse, avait permis au requérant d'obtenir une réparation telle qu'il ne pouvait plus être considéré comme une victime. De même, dans l'affaire Batuzov c. Allemagne ((déc.), no 17603/07, 22 mai 2012), la Cour a estimé que la réduction de peine accordée au requérant en raison du constat établi par les juridictions nationales d'une violation dans son chef de l'article 5 § 3 de la Convention avait eu des conséquences décisives sur la peine effectivement subie par l'intéressé et avait pour effet de le priver de la qualité de victime. En effet, la réparation peut être jugée adéquate par la Cour lorsque les autorités nationales ont reconnu la violation en cause et l'ont réparée d'une manière comparable à la satisfaction équitable visée à l'article 41 de la Convention (Porchet c. Suisse (déc.), no 36391/16, § 25, 8 octobre 2019).
24. La Cour rappelle que le constat de violation auquel elle est parvenue dans son arrêt Pulatlı précité était fondé sur le manque d'indépendance du supérieur hiérarchique de la personne concernée et sur l'absence d'un contrôle juridictionnel de la mesure litigieuse. Même si un tel constat n'entraîne pas automatiquement la conclusion que la sanction dont il s'agit en l'espèce était injustifiée, et même à tenir compte de la circonstance qu'elle a été ordonnée dans le cadre de la discipline militaire, il n'en demeure moins que, comme la Cour constitutionnelle l'a constaté, le requérant a été privé de sa liberté dans des conditions contraires à l'article 5 § 1 de la Convention. Il ne fait pas de doute que l'intéressé, qui a été privé de liberté pendant sept jours et a connu les désagréments du régime des arrêts de rigueur, a subi par là un préjudice moral (Engel et autres c. Pays-Bas (article 50), 23 novembre 1976, § 10, série A no 22).
25. La Cour rappelle également que lorsqu'elle est appelée à déterminer si une réparation peut être considérée comme ayant été adéquate, elle tient compte de sa propre pratique dans des affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Bivolaru c. Roumanie (no 2), no 66580/12, § 174, 2 octobre 2018 ; voir aussi Hebat Aslan et Firas Aslan c. Turquie, no 15048/09, § 44, 28 octobre 2014). Or, dans les affaires similaires dont elle a été saisie, elle n'a pas indiqué que le simple constat de violation constituait une réparation équitable suffisante (Pulatlı, précité, § 43, et Tengilimoğlu et autres c. Turquie, nos 26938/08 et 3 autres, § 46, 5 juin 2012).
26. Certes, les arrêts mentionnés ci-dessus ont été adoptés avant l'amendement législatif du 13 février 2013 (voir aussi, Yavuz Selim Güler c. Turquie, no 76476/12, 15 décembre 2015). La Cour est prête à prendre en considération cette initiative du Gouvernement qui instaure la possibilité d'un contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires militaires, d'autant que l'amendement en question entraîne, comme c'est le cas en l'espèce, une atténuation des conséquences de la peine disciplinaire déjà exécutée. Au demeurant, elle rappelle, par analogie, que si le droit à réparation garanti par l'article 5 § 5 est principalement de nature pécuniaire, cela n'exclut pas qu'il puisse avoir un contenu plus large (Porchet, précité, § 18).
27. Cela étant, comme elle l'a expliqué au paragraphe 23 ci-dessus, si la Cour a déjà jugé, dans des affaires portant sur l'irrégularité de mesures privatives de liberté, que l'allégement d'une sentence par la déduction de la durée de la détention litigieuse peut faire perdre à la personne concernée sa qualité de victime lorsque les autorités nationales ont réduit la peine de manière proportionnelle afin de réparer la violation de l'article 5 (Selariu, précité, § 35, avec les références citées ; voir aussi Porchet, précité, §§ 16-26), elle ne voit pas qu'en l'espèce aucune mesure comparable ait été prévue dans le cadre de la réforme législative invoquée par le Gouvernement. Il n'est pas davantage allégué que le constat de violation opéré par la Cour constitutionnelle ait permis au requérant de demander réparation dans le cadre d'une procédure distincte et d'obtenir par cette voie une indemnité d'un montant adéquat (Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (no 2), no 10112/16, § 90, 25 juin 2019). Par conséquent, même en admettant que l'atténuation des conséquences de la sanction litigieuse par l'effet de l'amendement législatif susmentionné ait constitué une forme de réparation, celle-ci n'a été que partielle, étant donné qu'elle n'a été accompagnée d'aucune autre mesure comparable à celles admises par la Cour dans des affaires similaires (paragraphe 23 ci-dessus).
28. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la reconnaissance par la Cour constitutionnelle de l'irrégularité de la privation de liberté litigieuse ne constitue pas une réparation suffisante, étant donné qu'elle n'a pas permis au requérant d'obtenir un redressement approprié (voir dans le même sens, mutatis mutandis, İlker Deniz Yücel c. Turquie, no 27684/17, § 73, 25 janvier 2022 et les références qui y figurent, où la Cour a conclu que le requérant peut toujours se prétendre victime compte tenu de l'insuffisance de l'indemnisation accordée par la Cour constitutionnelle). Compte tenu du fait que les conséquences de la sanction privative de liberté n'ont pas été suffisamment effacées, il convient de conclure que le requérant peut toujours se prétendre victime au sens de l'article 34 de la Convention. Dès lors, la Cour rejette l'objection du Gouvernement formulée à cet égard.
29. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
30. La Cour rappelle qu'aux fins de l'article 5 § 1 a) de la Convention, la privation de liberté doit résulter d'une décision juridictionnelle et doit être infligée par un tribunal compétent ayant l'autorité requise pour juger l'affaire, indépendant à l'égard de l'exécutif et présentant les garanties judiciaires adéquates (Dacosta Silva c. Espagne, no 69966/01, § 43, CEDH 2006-XIII, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 123-126, CEDH 2010).
31. La Cour rappelle en outre qu'elle a examiné dans l'arrêt Pulatlı (précité, §§ 28-39) des griefs comparables à celui que soulève le requérant en l'espèce et qu'elle a alors conclu à la violation de l'article 5 § 1 de la Convention en raison de l'absence dans le système juridique turc d'un mécanisme assurant que les sanctions disciplinaires militaires de privation de liberté soient infligées - ou, dans le cadre d'un recours, contrôlées - par une autorité présentant des garanties judiciaires suffisantes.
32. Elle observe que le Gouvernement n'a présenté aucune observation pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire.
33. Cela constaté, elle note qu'en l'espèce le requérant a exécuté la sanction d'arrêts de rigueur dans une cellule disciplinaire et qu'il a donc été privé de sa liberté au sens de l'article 5 de la Convention.
34. Elle relève ensuite que cette détention a été infligée à l'intéressé par son supérieur hiérarchique, lequel exerçait son autorité au sein de la chaîne de commandement et n'était en conséquence nullement indépendant de la hiérarchie militaire. Elle observe en outre que la procédure en contestation de la sanction disciplinaire se déroule devant le supérieur hiérarchique de la personne ayant infligé la peine et ne présente donc pas non plus les garanties judiciaires requises par l'article 5 de la Convention (Pulatlı, précité, § 32).
35. En conséquence, la détention du requérant ne revêtait pas le caractère d'une détention régulière « après condamnation par un tribunal compétent ».
36. Dès lors, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
37. La Cour rappelle que, dans l'affaire Pulatlı précitée (§§ 37-39), elle avait estimé, au titre de l'article 46 de la Convention, que la violation de l'article 5 § 1 résultait principalement d'un problème structurel et qu'elle avait indiqué le redressement qu'elle estimait le plus adéquat.
38. Elle note avec beaucoup de satisfaction que les autorités nationales ont adopté, par le biais d'une loi, une série de mesures pour traiter ce problème structurel en tenant compte des indications de la Cour et que le système juridique turc permet désormais de soumettre les sanctions disciplinaires telles celle en cause en l'espèce à un contrôle juridictionnel (voir paragraphe 14 ci-dessus).
39. Aux termes de l'article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
40. Le requérant demande 15 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu'il dit avoir subi. Il réclame également, sans fournir aucun justificatif à cet égard, 5 500 EUR pour les frais et dépens qu'il dit avoir engagés dans les procédures devant les juridictions internes et devant la Cour.
41. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions.
42. La Cour observe que le requérant a été privé de sa liberté dans des conditions contraires à l'article 5 § 1 de la Convention. Pendant cette période, il a connu les désagréments liés au régime des arrêts de rigueur. Il a par conséquent subi un préjudice moral. En évaluant celui-ci, la Cour ne saurait toutefois perdre de vue que le préjudice se trouve compensé dans une certaine mesure par l'atténuation des conséquences de la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre du requérant (voir paragraphe 9 in fine et 14). Or si cette atténuation n'assure pas une restitutio in integrum, elle entre néanmoins en ligne de compte sur le terrain de l'article 41 de la Convention (Engel et autres (article 50), précité, § 10). En tenant compte de ces divers éléments et de sa jurisprudence pertinente, la Cour considère qu'il y a lieu d'accorder au requérant 5 000 EUR au titre du dommage moral.
43. Pour ce qui est de la demande formulée au titre des frais et dépens, la Cour rappelle qu'un requérant ne peut obtenir un remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi d'autres, L.B. c. Hongrie [GC], no 36345/16, § 149, 9 mars 2023). Elle rappelle en outre que, aux termes de l'article 60 §§ 2 et 3 de son règlement, l'intéressé doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi elle peut rejeter tout ou partie de celles-ci. Elle exige des preuves, par exemple des notes d'honoraires et des factures détaillées. Ces preuves doivent être suffisamment précises pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure les conditions susmentionnées se trouvent remplies. En l'espèce, relevant que le requérant n'a pas fourni de justificatifs à l'appui de sa demande, la Cour décide de rejeter cette dernière dans son intégralité (Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 122, CEDH 2011 (extraits)).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq milles euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juin 2024, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président