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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Arizmendi &�Ors v Council & Commission (Customs union) French Text [2009] EUECJ T-171/04 (18 December 2009)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2009/T17104.html
Cite as: [2009] EUECJ T-171/04, [2009] EUECJ T-171/4

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ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
18 décembre 2009 (*)

« Responsabilité non contractuelle Union douanière Procédure en manquement Avis motivé Suppression dans la législation française du monopole du corps des courtiers interprètes et conducteurs de navires Violation suffisamment caractérisée Lien de causalité »

Dans les affaires jointes T-440/03, T-121/04, T-171/04, T-208/04, T-365/04 et T-484/04,
Jean Arizmendi, demeurant à Bayonne (France), et les 60 autres requérants dont les noms figurent en annexe, représentés, dans l'affaire T-440/03, par Mes J.-F. Péricaud, P. Péricaud et M. Tournois et, dans les affaires T-121/04, T-171/04, T-208/04, T-365/04 et T-484/04, par Mes J.-F. Péricaud et Tournois, avocats,

parties requérantes,

soutenus par
Chambre nationale des courtiers maritimes de France, établie à Paris (France), représentée par Me J.-F. Péricaud, avocat,

partie intervenante dans l'affaire T-440/03,

contre
Conseil de l'Union européenne, représenté initialement par M. J.'P. Jacqué et Mme M. Giorgi Fort, puis par M. F. Florindo Gijón et Mme M. Balta, en qualité d'agents,
et
Commission européenne, représentée par M. X. Lewis et, dans l'affaire T-121/04, par MM. Lewis et B. Stromsky, en qualité d'agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande en indemnité, introduite au titre de l'article 235 CE et de l'article 288, deuxième alinéa, CE, tendant à la condamnation de la Communauté au remboursement du dommage résultant de la suppression du monopole du corps des courtiers interprètes et conducteurs de navires français,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de M. J. Azizi (rapporteur), président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen, juges,
greffier : Mme T. Weiler, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 30 juin 2009,
rend le présent
Arrêt

Cadre juridique

  1. L'article 4, point 17, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302 p. 1), définit la déclaration en douane comme l'acte par lequel une personne manifeste dans les formes et modalités prescrites la volonté d'assigner à une marchandise un régime douanier déterminé.
  2. L'article 4, point 19, du règlement n° 2913/92 définit la présentation en douane comme la communication aux autorités douanières, dans les formes requises, du fait de l'arrivée des marchandises au bureau de douane ou en tout autre lieu désigné ou agréé par les autorités douanières.
  3. L'article 5 du règlement n° 2913/92 dispose :
  4. « 1. Dans les conditions prévues à l'article 64, paragraphe 2, et sous réserve des dispositions prises dans le cadre de l'article 243, paragraphe 2, [sous] b), toute personne peut se faire représenter auprès des autorités douanières pour l'accomplissement des actes et formalités prévus par la réglementation douanière.
    2. La représentation peut être :
    directe, dans ce cas le représentant agit au nom et pour le compte d'autrui
    ou
    indirecte, dans ce cas le représentant agit en son nom propre, mais pour le compte d'autrui.
    Les États membres peuvent se réserver le droit de faire, sur leur territoire, des déclarations en douane selon :
    soit la modalité de la représentation directe,
    soit celle de la représentation indirecte,
    de sorte que le représentant doit être un commissionnaire en douane y exerçant sa profession. »
  5. L'article 64 du règlement n° 2913/92 prévoit :
  6. « 1. Sous réserve de l'article 5, la déclaration en douane peut être faite par toute personne en mesure de présenter ou de faire présenter au service des douanes compétent la marchandise en cause ainsi que tous les documents dont la production est nécessaire pour permettre l'application des dispositions régissant le régime douanier pour lequel la marchandise est déclarée.
    2. Toutefois :
    a) lorsque l'acceptation d'une déclaration en douane entraîne pour une personne déterminée des obligations particulières, cette déclaration doit être faite par cette personne ou pour son compte [...] »
  7. L'article 38, paragraphe 1, du règlement n° 2913/92 prévoit :
  8. « Les marchandises qui sont introduites dans le territoire douanier de la Communauté doivent être conduites sans délai par la personne qui a procédé à cette introduction, en utilisant, le cas échéant, la voie déterminée par les autorités douanières et selon les modalités fixées par ces autorités :
    a) soit au bureau de douane désigné par les autorités douanières ou en tout autre lieu désigné ou agréé par ces autorités ;
    b) soit dans une zone franche, si l'introduction des marchandises dans cette zone franche doit s'effectuer directement :

    soit par voie maritime ou aérienne,

    soit par voie terrestre sans emprunt d'une autre partie du territoire douanier de la Communauté, lorsqu'il s'agit d'une zone franche contiguà« à la frontière terrestre entre un État membre et un pays tiers. »

  9. L'article 40 du règlement n° 2913/92, dans sa version applicable au cas d'espèce, dispose :
  10. « Les marchandises qui, en application de l'article 38, paragraphe 1, [sous] a), arrivent au bureau de douane ou en tout autre lieu désigné ou agréé par les autorités douanières doivent être présentées en douane par la personne qui a introduit les marchandises dans le territoire douanier de la Communauté ou, le cas échéant, par la personne qui prend en charge le transport des marchandises après que cette introduction a eu lieu. »
  11. L'article 43 du règlement n° 2913/92, dans sa version applicable au cas d'espèce, dispose :
  12. « Sous réserve de l'article 45, les marchandises présentées en douane, au sens de l'article 40, doivent faire l'objet d'une déclaration sommaire.
    La déclaration sommaire doit être déposée dès que la présentation en douane des marchandises a eu lieu. Toutefois, les autorités douanières peuvent accorder pour ce dépôt un délai qui expire au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui de la présentation en douane des marchandises. »
  13. L'article 44 du règlement n° 2913/92, dans sa version applicable au cas d'espèce, indique :
  14. « 1. La déclaration sommaire doit être établie sur un formulaire conforme au modèle fixé par les autorités douanières. Toutefois, les autorités douanières peuvent accepter que soit utilisé, comme déclaration sommaire, tout document commercial ou administratif qui contient les énonciations nécessaires à l'identification des marchandises.
    2. Le dépôt de la déclaration sommaire est effectué :
    a) soit par la personne qui a introduit les marchandises sur le territoire douanier de la Communauté ou, le cas échéant, par la personne qui prend en charge le transport des marchandises après que cette introduction a eu lieu ;
    b) soit par la personne au nom de laquelle les personnes visées [sous] a) ont agi. »

    Faits

    Statut initial des courtiers maritimes

    Historique et nature du statut de courtier maritime

  15. Dans le code de commerce français (ci-après le « code de commerce »), le corps des courtiers interprètes et conducteurs de navires (ci-après les « courtiers maritimes ») bénéficiait d'un statut hybride, combinant celui d'officier public, ayant le monopole de certaines opérations, et celui de commerçant.
  16. Ce statut est né de la volonté du législateur français de protéger les capitaines étrangers ne maîtrisant pas le français, aussi bien que les capitaines français, contre des intermédiaires pratiquant des tarifs excessifs.
  17. Conséquences du statut hybride des courtiers maritimes

    Cadre général des obligations et des droits pertinents

  18. Des qualités de commerçants et d'officiers publics des courtiers maritimes découlaient un certain nombre de droits et d'obligations (ci-après le « privilège »).
  19. Ainsi, le statut de commerçant impliquait la tenue d'un livre et d'opérations comptables, l'application de la législation sur les faillites et l'interdiction de se regrouper en sociétés civiles.
  20. Le statut d'officier public, qui découlait des articles L-131-1 et suivants du code de commerce, impliquait une nomination par arrêté du ministre des Transports français et un exercice de la charge sur un marché réservé par le législateur.
  21. L'article L-13l-2 du code de commerce prévoyait ce qui suit :
  22. « Les [courtiers maritimes] font le courtage des affrètements, ils ont, en outre, seuls le droit de traduire, en cas de contestation portée devant les Tribunaux, les déclarations, chartes-parties, connaissements, contrats et tous actes de commerce dont la traduction sera nécessaire ; enfin de constater le cours du fret ou nolis.
    Dans les affaires contentieuses de commerce, et pour le service des douanes, ils serviront seuls de truchement à tous étrangers, maîtres de navires, marchands, équipages de vaisseaux et autres personnes de mer. »

    Champ d'application matériel du privilège

  23. Les courtiers maritimes exerçaient dans le champ de leur privilège deux missions distinctes tendant, d'une part, à l'accomplissement des formalités requises par l'administration des douanes et/ou les gestionnaires du port et, d'autre part, à la fonction d'interprète assermenté auprès des juridictions.
  24. En ce qui concerne le monopole pour l'accomplissement des actes et des formalités liés à la conduite en douane, ces actes et formalités comprenaient le pointage de la rotation des navires à l'arrivée et au départ, la transmission des caractéristiques physiques permettant d'établir le volume taxable, la rédaction des « déclarations Navire » (entrée et sortie), l'établissement d'attestations et de certificats visés par la douane et la transmission des copies des listes d'équipage aux autorités compétentes, telles que la douane, la police de l'air et des frontières et la gendarmerie maritime.
  25. Champs d'application territoriale et personnelle du privilège

  26. Le privilège détenu par les courtiers maritimes était limité géographiquement au port dans lequel le courtier maritime avait été nommé et s'appliquait, en règle générale, à tous les navires. Ce privilège pouvait être partagé avec des courtiers maritimes du même ressort.
  27. Obligations découlant de la charge d'officier public

  28. La charge, qui est un des éléments constitutifs d'un ministère d'officier public, impliquait que le courtier maritime était tenu d'exercer son ministère au profit de tout demandeur.
  29. En outre, chaque courtier maritime était tenu d'exercer l'intégralité de ses attributions et il lui était interdit, afin de garantir son indépendance, de faire des opérations de commerce ou de banque pour son compte.
  30. Droits découlant de la charge d'officier public

  31. D'une part, chaque courtier maritime disposait d'un droit à percevoir, pour les services qu'il fournissait, des honoraires dont les tarifs étaient fixés par décret.
  32. D'autre part, chaque courtier maritime disposait d'un « droit de présentation » de son successeur à l'agrément du ministre chargé de la Marine marchande. Ce « droit de présentation » s'analysait comme un droit patrimonial cessible et prescriptible représentant la contrepartie de l'acquisition à titre onéreux de la charge d'officier public.
  33. Suppression du privilège des courtiers maritimes

    Adoption du règlement n° 2913/92 et la procédure en manquement

  34. Le règlement n° 2913/92, entré en vigueur le 1er janvier 1994, a libéralisé l'exercice de certaines professions liées au commerce portuaire. Il a notamment posé en principe la liberté de représentation auprès des autorités douanières en interdisant, en son article 5, la double représentation en douane.
  35. En 1997, l'article L-131-2 du code de commerce réservant aux courtiers maritimes un monopole pour l'accomplissement des actes et des formalités liés à la conduite en douane était toujours en vigueur. Estimant cette législation non conforme à l'article 5 du règlement n° 2913/92, la Commission des Communautés européennes a entamé une procédure en manquement à l'encontre de la République française.
  36. Ainsi, le 12 février 1997, la Commission a mis la République française en demeure de présenter ses observations sur le monopole de la conduite en douane réservé aux courtiers maritimes.
  37. Le 3 décembre 1997, la Commission a émis un avis motivé au sens de l'article 226, premier alinéa, CE portant sur une violation de l'article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2913/92.
  38. Dans cet avis, la Commission a notamment estimé ce qui suit :
  39. « En ce qui concerne les courtiers maritimes, l'article [L-131-2] du code de commerce français réserve à ceux-ci le privilège de représentation auprès des services des douanes. Ils sont chargés de la conduite du navire, c'est-à -dire de l'ensemble des formalités administratives et douanières à effectuer à l'entrée et à la sortie de leur navire.
    [L]'article 5, paragraphe 2, [second] alinéa, [du règlement n° 2913/92] laisse la possibilité pour les États membres de réserver la représentation mais, compte tenu de son caractère dérogatoire au principe de la liberté de représentation, cette disposition doit s'interpréter de manière stricte. Elle ne peut porter que sur l'établissement de la déclaration en douane et ne peut donc être étendue aux actes et formalités autres que ceux directement liés à la déclaration en douane telle que définie aux articles 4, [points] 17 et 62 à 77, du [règlement n° 2913/92].
    [...]
    Pour ces motifs, la Commission [...] émet l'avis motivé, au titre de l'article [226, premier alinéa, CE] que, [...] en réservant en vertu de l'article [L-131-2] du code du commerce français aux courtiers maritimes la représentation pour l'accomplissement des actes et formalités liés à la conduite en douane, [...] la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5, paragraphes 1 et 2, du [règlement n° 2913/92].
    La Commission invite la République française à prendre les mesures requises pour se conformer au présent avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci. »

    Modification de la législation française

  40. Le législateur français a adopté la loi n° 2001-43, du 16 janvier 2001, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports (JORF du 17 janvier 2001, p. 848). Cette loi a abrogé le monopole détenu par les courtiers maritimes.
  41. En effet, l'article 1er de ladite loi dispose :
  42. « I. L'article L-131-2 du code de commerce est abrogé.
    II. Le courtage d'affrètement, la constatation du cours du fret ou du nolis, les formalités liées à la conduite en douane, la traduction des déclarations, des chartes-parties, des connaissements, des contrats et de tous actes de commerce, lorsqu'ils concernent les navires, sont effectués librement par l'armateur ou son représentant qui peut être le capitaine. »
  43. Les articles 2 et 4 de la loi n° 2001-43 prévoient les conditions dans lesquelles les courtiers maritimes peuvent être indemnisés du fait de la perte de leur droit.
  44. L'article 5 de la loi n° 2001-43 précise que seront fixées par décret les conditions dans lesquelles les courtiers maritimes pourront accéder aux professions de commissaire de transport, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice ou de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises, notamment en ce qui concerne les dispenses totales ou partielles de diplômes et de formation professionnelle.
  45. Procédure

  46. Par requêtes déposées au greffe du Tribunal entre le 29 décembre 2003 et le 9 décembre 2004, les requérants, M. Jean Arizmendi et les 60 autres courtiers maritimes dont les noms figurent en annexe, ont introduit les présents recours en indemnité.
  47. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 mars 2004, la Chambre nationale des courtiers maritimes de France a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des requérants dans l'affaire T-440/03. Par ordonnance du 30 juin 2004, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis cette intervention. L'intervenante a déposé son mémoire dans les délais impartis.
  48. Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal entre le 29 mars 2004 et le 19 janvier 2005, le Conseil de l'Union européenne a soulevé deux exceptions d'irrecevabilité, au titre de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal, dans chacune des présentes affaires.
  49. Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal entre le 30 mars 2004 et le 20 janvier 2005, la Commission a soulevé trois exceptions d'irrecevabilité, au titre de l'article 114 du règlement de procédure, dans chacune des présentes affaires, auxquelles s'est ajoutée une quatrième exception d'irrecevabilité dans l'affaire T-121/04.
  50. Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 28 avril 2005, les affaires T-440/03, T-121/04, T-171/04, T-208/04, T-365/04 et T-484/04 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 50 du règlement de procédure.
  51. Par ordonnance du Tribunal du 5 décembre 2005, les exceptions d'irrecevabilité du Conseil et de la Commission ont été jointes au fond en application de l'article 114, paragraphe 4, du règlement de procédure et les dépens ont été réservés.
  52. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité les parties à répondre à certaines questions. Les parties ont déféré à ces demandes.
  53. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 30 juin 2009.
  54. Conclusions des parties

  55. Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
  56. rejeter les exceptions d'irrecevabilité du Conseil et de la Commission et déclarer les recours recevables ;
    à titre principal, reconnaître la responsabilité de la Communauté européenne envers chacun des requérants pour avoir adopté, puis leur avoir appliqué, l'article 5 du règlement n° 2913/92 d'une manière illicite ;
    à titre subsidiaire, reconnaître la responsabilité de la Communauté envers chacun des requérants, en raison de l'adoption, même licite, puis de l'application de l'article 5 du règlement n° 2913/92, ayant occasionné à ces derniers un préjudice anormal et spécial ;
    en conséquence, condamner solidairement le Conseil et la Commission à les indemniser du préjudice subi à hauteur des montants spécifiés dans leurs écritures ;
    condamner solidairement le Conseil et la Commission aux dépens.
  57. La Chambre nationale des courtiers maritimes de France conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
  58. déclarer le recours dans l'affaire T-440/03 recevable et bien fondé ;
    condamner le Conseil et la Commission à supporter ses dépens.
  59. Le Conseil et la Commission concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
  60. rejeter les recours comme irrecevables ;
    subsidiairement, rejeter les recours comme non fondés ;
    condamner les requérants aux dépens.
  61. La Commission conclut, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal de condamner la Chambre nationale des courtiers maritimes de France à supporter ses propres dépens dans l'éventualité d'un arrêt qui serait favorable aux requérants.
  62. Observations liminaires

    Sur les principes relatifs à l'engagement de la responsabilité non contractuelle

  63. Ainsi qu'il a été reconnu par une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions, à savoir l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C-243/05 P, Rec. p. I'10833, point 26 ; du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C-120/06 P et C-121/06 P, Rec. p. I'6513, point 106, et du 30 avril 2009, CAS Succhi di Frutta/Commission, C-497/06 P, non publié au Recueil, point 39).
  64. Le caractère cumulatif de ces conditions implique que, dès lors que l'une d'entre elles n'est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres conditions (arrêts de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C-257/98 P, Rec. p. I'5251, points 14 et 63 ; du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C-122/01 P, Rec. p. I'4261, point 30, et CAS Succhi di Frutta/Commission, point 43 supra, point 40).
  65. Sur la portée du recours

    Aperçu des arguments des parties

  66. Dans leurs requêtes, les requérants, des courtiers maritimes, demandent que la Communauté, représentée par la Commission et le Conseil, soit condamnée à les indemniser pour les pertes dues à la suppression de leur privilège. Ils joignent à leurs requêtes une évaluation reprenant à titre principal le montant de ces pertes pour chacun d'entre eux et, à titre subsidiaire, le même montant dont sont déduites les indemnisations reçues en application de la loi n° 43-2001. Les requérants formulent deux demandes alternatives visant toutes les deux l'indemnisation desdites pertes.
  67. à titre principal, les requérants demandent à être indemnisés du préjudice qu'ils ont subi du fait de la suppression, en application de l'article 5 du règlement n° 2913/92, du privilège que leur conférait le statut de courtier maritime. Cette demande se fonde sur la prémisse selon laquelle l'article 5 du règlement n° 2913/92 interdit le maintien du privilège. Plus particulièrement, l'article 5 du règlement n° 2913/92 serait la cause de l'adoption, par la République française, de la loi n° 2001-43, qui a aboli le monopole des courtiers maritimes. Or, l'adoption de l'article 5 du règlement n° 2913/92 engagerait tant la responsabilité pour faute que la responsabilité sans faute de la Communauté. En effet, les requérants estiment que l'adoption de l'article 5 du règlement n° 2913/92 est illégale, car elle viole l'article 45 CE, le principe de sécurité juridique, la confiance légitime, le principe de non-discrimination, le principe de proportionnalité ainsi que leur droit de propriété. En outre, ils considèrent que, indépendamment de la question de la légalité de cette disposition, le préjudice encouru par les courtiers maritimes à la suite de l'adoption de l'article 5 du règlement n° 2913/92 a un caractère spécial et anormal.
  68. à titre subsidiaire, les requérants demandent à être indemnisés du préjudice qu'ils ont subi du fait de la suppression du privilège que leur conférait le statut de courtier maritime à la suite de l'engagement à tort, par la Commission, d'une procédure en manquement à l'encontre de la République française. Cette demande se fonde sur la prémisse selon laquelle l'article 5 du règlement n° 2913/92, qui a trait à la représentation en douane, ne s'applique pas aux activités des courtiers maritimes, qui font du courtage en douane. Partant, la Commission aurait commis une faute en adressant à la République française, le 3 décembre 1997, un avis motivé dans lequel elle considérait, en substance, que le maintien du monopole des courtiers maritimes était incompatible avec l'article 5 du règlement n° 2913/92. Cet avis motivé aurait contraint la République française à adopter la loi n° 2001-43 abolissant le monopole des courtiers maritimes, de sorte que la Communauté serait responsable des dommages causés aux requérants en raison de la suppression de leur privilège.
  69. La Commission et le Conseil contestent la recevabilité et le bien-fondé des recours, et ce tant pour la demande à titre principal que pour la demande à titre subsidiaire. En outre, dans l'affaire T-121/04, la Commission excipe de l'irrecevabilité de la requête de Mme Anne Le Boutillier au motif qu'il n'a pas été précisé à quel titre cette personne succède aux droits de Mme Martine Le Boutillier.
  70. Précisions sur la portée du litige apportées par les parties en cours d'instance

  71. Les parties ont précisé en cours d'instance la portée du litige les opposant.
  72. Dans son mémoire en défense, la Commission a renoncé à l'exception d'irrecevabilité soulevée à l'encontre du recours de Mme A. Le Boutillier dans l'affaire T-121/04.
  73. Par ailleurs, dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, les requérants ont, après avoir rappelé que les courtiers maritimes font du courtage et non de la représentation, précisé qu'ils font de la conduite en douane des navires et non de la conduite en douane des marchandises. L'article 5 du règlement n° 2913/92 leur serait dès lors inapplicable car il n'aurait trait qu'à la représentation lors de la conduite en douane des marchandises.
  74. à l'audience, les requérants ont indiqué que l'activité des courtiers maritimes devant les autorités douanières relevait des articles 38, 43 et 44 du règlement n° 2913/92, qui régissent la présentation en douane des marchandises introduites sur le territoire douanier. D'après les requérants, la déclaration sommaire auprès des autorités douanières visée par l'article 43 du règlement n° 2913/92 correspond au dépôt du « Manifeste » dont les courtiers assument le courtage.
  75. Enfin, les requérants ont déclaré à l'audience que la cause de leur préjudice n'est pas l'article 5 du règlement n° 2913/92, mais bien l'avis motivé de la Commission du 3 décembre 1997, dans lequel celle-ci a consacré une interprétation erronée de cette disposition en considérant que cet article interdisait le maintien du monopole des courtiers maritimes.
  76. Appréciation du Tribunal

  77. Tout d'abord, le Tribunal constate que, au vu du mémoire en défense de la Commission, il n'y a plus lieu de se prononcer sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par celle-ci à l'encontre du recours de Mme A. Le Boutillier dans l'affaire T-121/04.
  78. Ensuite, le Tribunal estime que, au vu de la déclaration des requérants à l'audience, reprise au point 53 ci-dessus, selon laquelle seul l'avis motivé du 3 décembre 1997 serait la cause de leur préjudice, il n'y a plus lieu de se prononcer sur la demande en indemnité des requérants avancée à titre principal dans leurs requêtes, qui repose sur la prémisse selon laquelle l'article 5 du règlement n° 2913/92 serait la cause du préjudice allégué en ce qu'il interdirait le maintien du monopole des courtiers maritimes (voir point 46 ci-dessus). Les questions de recevabilité et de fond soulevées par la demande en indemnité des requérants fondée sur cette dernière prémisse ne seront dès lors pas examinées par le Tribunal.
  79. Par conséquent, le Tribunal examinera uniquement la demande en indemnité des requérants formulée à titre subsidiaire dans leurs requêtes, qui repose sur la prémisse selon laquelle le préjudice qu'ils ont encouru découlerait de l'avis motivé du 3 décembre 1997. Le Tribunal examinera d'abord l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission à l'encontre des recours au motif que la Communauté ne saurait être tenue de réparer un préjudice causé par l'engagement d'une procédure en manquement. En effet, cette exception est la seule, parmi les exceptions soulevées en l'espèce, qui soit fondée sur cette dernière prémisse et qui n'ait pas trait à la question de l'imputabilité, laquelle relève du fond et non de la recevabilité d'un recours en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T-113/96, Rec. p. II'125, point 34). Ensuite, pour autant que cette exception doive être rejetée, le Tribunal examinera les questions de fond posées par ces recours.
  80. Sur la recevabilité

    Arguments des parties

  81. La Commission excipe de l'irrecevabilité du recours au motif qu'elle ne saurait être tenue de réparer un préjudice causé par l'engagement d'une procédure en manquement.
  82. La Commission rappelle que la Communauté ne peut être tenue pour responsable de ne pas avoir engagé une procédure en manquement (voir ordonnance du Tribunal du 14 janvier 2004, Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, T-202/02, Rec. p. II'181, point 43, et la jurisprudence y citée). Selon la Commission, si un particulier ne peut pas contester le fait que la Commission n'engage pas une procédure en manquement, il est parfaitement logique qu'un particulier ne puisse pas contester le fait que la Commission engage une telle procédure. Dans le contexte de l'article 226 CE, seul l'État membre concerné pourrait contester l'engagement d'une procédure en manquement.
  83. La Commission estime que les conséquences que tirerait un État membre de la procédure en manquement engagée à son égard ne peuvent pas lui être imputées. L'action de l'État membre concerné, ou son inaction, ne saurait davantage être imputée à la Commission que le fait d'engager ou non la procédure.
  84. Les requérants, soutenus par l'intervenante, contestent que leurs recours puissent être irrecevables au motif que la Commission ne saurait être tenue pour responsable du dommage causé par l'engagement d'une procédure en manquement.
  85. Appréciation du Tribunal

  86. La Commission estime qu'un recours en indemnité fondé sur la circonstance qu'elle a engagé une procédure en manquement est irrecevable au motif que, si elle ne peut être tenue pour responsable de ne pas avoir engagé une procédure en manquement, il est parfaitement logique qu'elle ne puisse être tenue pour responsable d'avoir engagé une telle procédure.
  87. à cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été reconnu par une jurisprudence bien établie, un recours en indemnité fondé sur l'abstention de la Commission d'engager une procédure en manquement au titre de l'article 226 CE [devenu article 258 TFUE] est irrecevable. En effet, selon cette jurisprudence, dans la mesure où la Commission n'est pas tenue d'engager une procédure en manquement au titre de l'article 226 CE, sa décision de ne pas engager une telle procédure n'est, en tout état de cause, pas constitutive d'une illégalité, de sorte qu'elle n'est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (ordonnance de la Cour du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C-72/90, Rec. p. I'2181, points 13 à 15, et ordonnances du Tribunal du 3 juillet 1997, Smanor e.a./Commission, T-201/96, Rec. p. II'1081, points 30 et 31 ; Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, point 58 supra, points 43 et 44). Ainsi, dès lors qu'aucune obligation n'existe pour la Commission d'entamer une procédure en manquement, son abstention ne peut engager la responsabilité de la Communauté.
  88. Cependant, il ne peut être déduit de cette absence de responsabilité pour l'abstention d'engager une procédure en manquement que l'engagement d'une telle procédure par la Commission exclut également toute responsabilité de la Communauté.
  89. à cet égard, il convient de rappeler que le recours en indemnité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre des voies de recours (arrêts de la Cour du 28 avril 1971, Lütticke/Commission, 4/69, Rec. p. 325, point 6, et du Tribunal du 27 novembre 2007, Pitsiorlas/Conseil et BCE, T-3/00 et T-337/04, Rec. p. II'4779, point 283). Il a pour objet la demande en réparation d'un préjudice découlant d'un acte ou d'un comportement illicite imputable à une institution (voir arrêt de la Cour du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C-234/02 P, Rec. p. I-2803, point 59, et la jurisprudence y citée).
  90. Dès lors, indépendamment de la question de savoir s'il constitue un acte attaquable susceptible d'un recours en annulation (voir point 69 ci-après), tout acte d'une institution, quand bien même il a été pris par celle-ci dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est, en principe, susceptible de faire l'objet d'un recours en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 1999, Ismeri Europa/Cour des comptes, T-277/97, Rec. p. II'1825, points 109 et 110, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes, C-315/99 P, Rec. p. I'5281, point 41 ).
  91. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose une institution n'a, en effet, pas pour conséquence de l'affranchir de son obligation d'agir en conformité tant avec les normes supérieures de droit, telles que le traité et les principes généraux de droit communautaire, qu'avec le droit dérivé pertinent. Lorsque la légalité de cet acte est mise en cause dans un recours en indemnité, celle-ci est dès lors susceptible d'être appréciée à l'aune des obligations qui incombent à ladite institution.
  92. Une approche contraire irait à l'encontre d'une Communauté de droit et priverait le recours en indemnité de son effet utile en ce qu'elle empêcherait le juge d'apprécier la légalité d'un acte d'une institution à l'occasion d'un tel recours (arrêt Médiateur/Lamberts, point 64 supra, point 61).
  93. Par conséquent, si, dans le cadre des compétences qu'elle tient de l'article 226 CE, la Commission apprécie librement l'opportunité d'engager ou non une action en manquement à l'encontre d'un État membre sans devoir justifier son choix (arrêt de la Cour du 26 juin 2001, Commission/Portugal, C-70/99, Rec. p. I'4845, point 17) et si elle peut, dès lors, adresser dans les mêmes conditions un avis motivé à celui-ci dans le cadre de l'exercice de ses compétences, il ne saurait être exclu que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, une personne puisse démontrer qu'un tel avis motivé est entaché d'une illégalité constituant une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit de nature à lui causer un préjudice (voir, en ce sens, arrêt Médiateur/Lamberts, point 64 supra, point 52, et arrêt du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Médiateur, T-209/00, Rec. p. II'2203, point 57).
  94. Le fait qu'un avis motivé de la Commission pris en application de l'article 226, premier alinéa, CE ne constitue pas un acte destiné à produire des effets juridiques obligatoires à l'égard des tiers et, partant, que ledit avis n'est pas un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 1er mars 1966, Lütticke e.a./Commission, 48/65, Rec. p. 27, 39 ; ordonnances du Tribunal du 16 février 1998, Smanor e.a./Commission, T-182/97, Rec. p. II'271, point 28, et du 5 septembre 2006, AEPI/Commission, T-242/05, non publiée au Recueil, point 30) n'affecte pas l'appréciation qui précède. En effet, un avis motivé peut, en principe, par son contenu illégal, causer un préjudice à des tiers. Ainsi, par exemple, il ne pourrait être exclu que la Commission cause un préjudice à des personnes lui ayant confié des informations confidentielles en divulguant ces informations dans un avis motivé. De même, il ne saurait être exclu qu'un avis motivé contienne des informations inexactes sur certaines personnes et de nature à leur causer un préjudice.
  95. Or, la question de savoir si un avis motivé est susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté relève de l'examen du fond et non de celui de la recevabilité du recours.
  96. Partant, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être rejetée.
  97. Sur le fond

    Sur l'existence d'une violation suffisamment caractérisée

    Arguments des parties

  98. Les requérants soutiennent, en substance, que l'avis motivé du 3 décembre 1997, qui invite la République française à modifier l'article L-131-2 du code de commerce en ce qu'il confère aux courtiers maritimes un privilège incompatible avec l'article 5 du règlement n° 2913/92, est erroné dans la mesure où cet article ne s'applique pas aux activités des courtiers maritimes.
  99. La Commission et le Conseil contestent cette argumentation.
  100. Appréciation du Tribunal

  101. Tout d'abord, il convient de rappeler que, lorsque, l'illégalité d'un acte juridique est en cause, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté est subordonné à l'existence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Nikolaou/Commission, T-259/03, non publié au Recueil, point 39, et la jurisprudence y citée). S'agissant de cette condition, le critère décisif pour considérer qu'une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution, des limites qui s'imposent à son pouvoir d'appréciation [arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I'5291, points 43 et 44, et du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C-282/05 P, Rec. p. I'2941, point 47].
  102. Ensuite, il convient de rappeler que la procédure en manquement telle que prévue par l'article 226 CE est une procédure spécifique destinée à permettre à la Commission, en tant que gardienne du traité (voir, en ce sens, article 211 CE), de veiller au respect du droit communautaire par les États membres (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 aoà»t 1995, Commission/Allemagne, C-431/92, Rec. p. I'2189, point 21). Elle permet à la Commission d'obtenir, après l'adoption d'un avis motivé, pour autant que cet avis n'est pas suivi par l'État membre auquel il est adressé, la constatation judiciaire des manquements qui lui sont reprochés. Seule la Cour est compétente pour constater qu'un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (ordonnance du 16 février 1998, Smanor e.a./Commission, point 69 supra, point 28)
  103. Ainsi, si la Commission apprécie librement l'opportunité d'engager une procédure en manquement (arrêt Commission/Portugal, point 68 supra, point 17), elle ne peut constater de façon contraignante un tel manquement. En effet, au cours d'une procédure en manquement, la Commission ne peut donner qu'un avis sur la méconnaissance par un État membre du droit communautaire. Pour autant que, dans cet avis, elle se limite à prendre position sur l'existence d'un manquement par un État membre à ses obligations de droit communautaire, l'adoption de celui-ci ne saurait entraîner une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
  104. Partant, même une prise de position erronée de la Commission, dans un avis motivé, sur la portée du droit communautaire ne saurait constituer une violation suffisamment caractérisée pouvant engager la responsabilité de la Communauté. Les demandes en indemnité des requérants sont dès lors non fondées.
  105. En revanche, si des appréciations formulées dans un avis motivé vont au-delà de la détermination de l'existence d'un manquement d'un État membre ou si d'autres agissements de la Commission à l'occasion d'une procédure en manquement excèdent les compétences qui lui sont conférées, par exemple la divulgation fautive de secrets d'affaires ou d'informations portant atteinte à la réputation d'une personne, ces appréciations ou agissements peuvent être constitutifs d'une violation de nature à engager la responsabilité de la Communauté. Force est de constater qu'une telle violation n'est toutefois pas alléguée en l'espèce.
  106. Sur le lien de causalité

    Introduction

  107. Indépendamment de la question de l'existence d'une violation suffisamment caractérisée, le Tribunal estime qu'il y a lieu de vérifier également l'existence d'un lien de causalité entre l'adoption par la Commission de l'avis motivé du 3 décembre 1997 et le préjudice allégué par les requérants.
  108. Arguments des parties

  109. Selon les requérants, le Conseil reconnaît que c'est sur la base de l'avis motivé de la Commission du 3 décembre 1997 que la loi n° 2001-43 consacrant la perte du privilège des courtiers maritimes, et donc le préjudice subi par eux, a été adoptée.
  110. La République française, destinataire de cet avis motivé, n'aurait eu aucune liberté d'appréciation pour prendre la mesure nationale d'application du droit communautaire. La dénomination de la loi n° 2001-43 attesterait du fait que les autorités françaises n'ont fait que se plier aux injonctions de la Commission contenues dans l'avis motivé du 3 décembre 1997.
  111. La loi n° 2001-43 ne pourrait dès lors faire écran entre l'acte communautaire générateur du préjudice et ce dernier. Le préjudice subi par les requérants serait dès lors pleinement imputable à la Commission, nonobstant l'adoption par la République française de la loi n° 2001-43, et seul le juge communautaire serait compétent pour connaître d'une demande en indemnisation d'un tel préjudice.
  112. Les requérants soulignent que la responsabilité exclusive de la Communauté, représentée par la Commission eu égard à son rôle dans l'élaboration de l'acte litigieux, est la contrepartie des limitations et des abandons de souveraineté des États membres pour la création de l'union douanière.
  113. Le Conseil et la Commission contestent cette argumentation.
  114. Appréciation du Tribunal

  115. Dans le contexte d'un recours en indemnité, un lien de causalité est admis lorsqu'il existe un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement reproché à l'institution et le préjudice invoqué, lien dont il appartient au requérant d'apporter la preuve. Le comportement reproché doit ainsi être la cause déterminante du préjudice (voir, en ce sens, arrêt CAS Succhi di Frutta/Commission, point 43 supra, point 59 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T-149/96, Rec. p. II'3841, point 101 ; voir ordonnance du Tribunal du 12 décembre 2000, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, T-201/99, Rec. p. II'4005, point 26, et la jurisprudence y citée, confirmée sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 15 janvier 2002, Royal Olympic Cruises e.a./Conseil et Commission, C-49/01 P, non publiée au Recueil ; arrêt Pitsiorlas/Conseil et BCE, point 64 supra, point 292).
  116. Or, s'agissant de l'existence d'un lien de causalité entre l'avis motivé du 3 décembre 1997 et le dommage allégué par les requérants, il convient d'observer, tout d'abord, que les seuls actes que la Commission peut être amenée à prendre dans le cadre d'une procédure en manquement régie par l'article 226 CE sont des actes adressés aux États membres (voir ordonnance du Tribunal du 2 décembre 2003, Viomichania Syskevasias Typopoiisis Kai Syntirisis Agrotikon Proïonton/Commission, T-334/02, Rec. p. II'5121, point 44, et la jurisprudence y citée). Cette procédure n'a dès lors trait qu'aux relations entre la Commission et les États membres.
  117. Ensuite, il y a lieu d'observer que la procédure en manquement prévue par l'article 226 CE distingue une phase précontentieuse ou administrative et une phase contentieuse ou judiciaire. Ainsi, si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent, elle entame d'abord une phase précontentieuse au cours de laquelle elle donne à l'État membre concerné la possibilité de prendre position sur le manquement qui lui est reproché. La Commission conclut cette phase précontentieuse en adressant un avis motivé à cet État membre. L'objectif de la procédure précontentieuse prévue à l'article 226 CE est de donner à l'État membre concerné l'occasion de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission (arrêt de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-490/04, Rec. p. I'6095, point 25). L'État membre n'a ainsi pas l'obligation de suivre cet avis motivé mais peut, s'il estime que la Commission lui reproche à tort un manquement, ne pas se conformer à cet avis.
  118. Ce n'est que dans l'hypothèse où ledit État membre ne se conforme pas, dans le délai qui lui a été imparti à cette fin, à l'avis motivé qui lui a été adressé que la Commission peut, en application de l'article 226, second alinéa, CE, déclencher une phase contentieuse en saisissant la Cour d'un recours en manquement (voir arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Commission/Espagne, C-221/04, Rec. p. I'4515, point 22, et la jurisprudence y citée).
  119. Ce recours introduit au titre de l'article 226 CE a pour objet de constater le manquement par un État membre à ses obligations communautaires, et c'est la constatation d'un tel manquement qui oblige l'État membre en cause à prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour (arrêt de la Cour du 14 avril 2005, Commission/Allemagne, C-104/02, Rec. p. I'2689, point 49).
  120. Étant donné que la procédure en manquement entamée par la Commission, en vertu de l'article 226 CE, ne concerne que la relation entre la Commission et l'État membre concerné et que, en outre, une telle procédure aboutit dans un premier temps à un avis motivé que l'État membre concerné peut suivre ou ignorer, il y a lieu d'examiner si, en l'espèce, l'avis motivé de la Commission du 3 décembre 1997 a pu constituer, de par son contenu, la cause déterminante du dommage allégué par les requérants.
  121. à cet égard, il y a lieu de noter que, dans ledit avis motivé, la Commission a constaté que, en réservant aux courtiers maritimes, en vertu de l'article L-131-2 du code de commerce, la représentation pour l'accomplissement des actes et des formalités liés à la conduite en douane, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2913/92. La Commission a également invité la République française à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois.
  122. Or, le fait que, dans l'avis motivé du 3 décembre 1997, la Commission a considéré que l'article L-131-2 du code de commerce était incompatible avec le droit communautaire et qu'elle se soit éventuellement trompée à cet égard est en réalité indifférent en l'espèce, dès lors que ledit avis motivé n'imposait pas à l'État membre de modifier sa législation. En effet, dans le cadre d'une procédure en manquement, seul un arrêt de la Cour pourrait avoir un tel effet contraignant.
  123. à défaut d'effet contraignant de l'avis motivé du 3 décembre 1997 en ce que la Commission y allègue un manquement par la République française à ses obligations émanant du droit communautaire, celui-ci ne peut être considéré comme la cause déterminante du préjudice allégué par les requérants. Partant, le lien de causalité entre le préjudice allégué et le fait générateur à l'origine de celui-ci, c'est-à -dire, selon les requérants, l'avis motivé du 3 décembre 1997, n'est pas établi.
  124. Par conséquent, les recours doivent être rejetés comme non fondés.
  125. Sur les dépens

  126. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.
  127. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens conformément aux conclusions de la Commission et du Conseil.
  128. Par ailleurs, aux termes de l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu'une partie intervenante supportera ses propres dépens.
  129. En l'espèce, l'intervenante est intervenue, dans l'affaire T-440/03, au soutien des requérants, qui ont succombé. Par conséquent, le Tribunal estime qu'il y a lieu de condamner l'intervenante à ses propres dépens.
  130. La Commission et le Conseil supporteront leurs propres dépens causés par l'intervention, dès lors qu'ils n'ont pas conclu, en cas de rejet des recours, à la condamnation de l'intervenante aux dépens.
  131. Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (troisième chambre)
    déclare et arrête :

    1) Les recours sont rejetés.

    2) M. Jean Arizmendi et les 60 autres requérants dont les noms figurent en annexe supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l'Union européenne et de la Commission européenne.

    3) La Chambre nationale des courtiers maritimes de France supportera ses propres dépens.

    4) Le Conseil et la Commission supporteront leurs propres dépens causés par l'intervention de la Chambre nationale des courtiers maritimes de France.

    Azizi

    Cremona

    Frimodt Nielsen

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 décembre 2009.

    Signatures

    Annexe
    Affaire T-440/03,
    Alain Assier de Pompignan, demeurant à Fort-de-France (France),
    Bruno Bachemont, demeurant à Dunkerque (France),
    Héritiers de Frédéric Blanchy, demeurant à Bordeaux (France),
    Stéphane De Borville, demeurant à Dunkerque,
    Jean-Pierre Caradec, demeurant à Brest (France),
    Jean-Jacques Caruel, demeurant à Baie Mahault (France),
    Christian Colin-Olivier, demeurant au Havre (France),
    Édouard Croze, demeurant à Nice (France),
    Philippe Demonchy, demeurant à Boulogne-sur-mer (France),
    Héritier de Jacques Durand-Viel, demeurant à Lacanau (France),
    Michel Elain, demeurant à Brest,
    Bernard Flandin, demeurant à Rouen (France),
    Patrick Foissey, demeurant à Calais (France),
    François Boyer de la Giroday, demeurant à Bassens (France),
    Thierry Gelée, demeurant au Tréport (France),
    Stanislas Gomercic, demeurant à Marseille (France),
    Michel Hecquet, demeurant à Dunkerque,
    Jacques Héliard, demeurant à Nantes (France),
    Xavier Humann, demeurant au Havre,
    Francis Humann, demeurant à Rouen,
    Michel Jolivet, demeurant à Montoir (France),
    Guy Jourdan-Barry, demeurant à Marseille,
    Pierre Lambot, demeurant aux Sables-d'Olonne (France),
    Pierre Laurent, demeurant à Rochefort (France),
    Joachim Lefebvre, demeurant à Dunkerque,
    Didier Levavasseur, demeurant au Havre,
    Alexis Lobadowski, demeurant au Havre,
    Héritiers d'Erik Martin, demeurant au Havre,
    Éric Mascle, demeurant à Port-la-Nouvelle (France),
    Catherine Meclot, demeurant à Basse-Terre (France),
    Loïc Morice, demeurant à Brest,
    Roger Phelippeau, demeurant à Toulon (France),
    Serge Pierre, demeurant à Dunkerque,
    Jean-Pierre Porry, demeurant à Fort-de-France,
    Antoine Ravisse, demeurant à Calais,
    Héritier de Félix Rogliano, demeurant à Port-de-Bouc (France),
    François Sédard, demeurant à Venosc (France),
    Raymond Schmit, demeurant à Pointe-à -Pitre (France),
    Jean-Philippe Taconet, demeurant au Havre,
    Lionel Taconet, demeurant à Rouen,
    Philippe Thillard, demeurant au Havre,
    Olivier Vallois, demeurant à Dunkerque,
    Daniel-Guy Voillot, demeurant au Havre.

    Affaire T-121/04,
    Henri Boquien, demeurant à Bordeaux,
    Yves Delamaire, demeurant à Saint-Malo (France),
    Éric Eltvedt, demeurant à Marseille,
    Thierry Ferran, demeurant à Port-Vendres (France),
    Didier Frisch, demeurant à Sète (France),
    Merri Jacquemin, demeurant à Larmor-Plage (France),
    Héritiers d'Anne Le Boutillier, demeurant à La Rochelle (France),
    Pierre-Olivier Le Normand de Bretteville, demeurant à Port-de-Bouc,
    Gérard Lesaignoux, demeurant à Sète,
    Jean-Pierre Roger, demeurant à Plerin (France),
    Michel Roy, demeurant à Saint-Malo,
    Léon Ruggiero, demeurant à Sète,
    Pascal Vialard, demeurant à Sète.

    Affaire T-171/04,
    Daniel Surget, demeurant à Cherbourg (France).

    Affaire T-208/04,
    Dominique Hardy, demeurant à Coudeville-Plage (France).

    Affaire T-365/04,
    Dominique Cantoni, demeurant à Marseille.

    Affaire T-484/04,
    François Pilat, demeurant à Honfleur (France).
    Table des matières

    Cadre juridique

    Faits

    Statut initial des courtiers maritimes

    Historique et nature du statut de courtier maritime

    Conséquences du statut hybride des courtiers maritimes

    Cadre général des obligations et des droits pertinents

    Champ d'application matériel du privilège

    Champs d'application territoriale et personnelle du privilège

    Obligations découlant de la charge d'officier public

    Droits découlant de la charge d'officier public

    Suppression du privilège des courtiers maritimes

    Adoption du règlement n° 2913/92 et la procédure en manquement

    Modification de la législation française

    Procédure

    Conclusions des parties

    Observations liminaires

    Sur les principes relatifs à l'engagement de la responsabilité non contractuelle

    Sur la portée du recours

    Aperçu des arguments des parties

    Précisions sur la portée du litige apportées par les parties en cours d'instance

    Appréciation du Tribunal

    Sur la recevabilité

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    Sur le fond

    Sur l'existence d'une violation suffisamment caractérisée

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    Sur le lien de causalité

    Introduction

    Arguments des parties

    Appréciation du Tribunal

    Sur les dépens


    * Langue de procédure : le français.


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