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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Sjöberg (Freedom to provide services) French Text [2010] EUECJ C-448/08 (23 February 2010)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2010/C44808_O.html

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(AVIS JURIDIQUE) IMPORTANT: IMPORTANT LEGAL NOTICE - The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 23 février 2010 (1)

Affaires jointes C-447/08 et C-448/08

Otto Sjöberg (C-447/08),

Anders Gerdin (C-448/08)

contre

Åklagaren

[demande de décision préjudicielle formée par le Svea hovrätt (Suède)]

«Jeux d’argent – Exploitation de jeux d’argent par Internet – Interdiction de promouvoir la participation à une loterie à l’étranger – Restriction à la libre prestation des services – Protection de l’ordre public – Non-discrimination»





1.        Les présentes affaires ont à nouveau pour objet l’appréciation de la conformité avec le droit communautaire de la législation d’un État membre en matière de jeux d’argent dans le cas particulier de jeux proposés sur Internet.

2.        Elles concernent les dispositions de la législation suédoise sur les paris qui, dans le cadre d’un régime de droits exclusifs, interdisent et sanctionnent pénalement la promotion en Suède de loteries organisées en dehors de cet État membre. Elles ont pour origine les poursuites pénales engagées contre deux responsables d’édition de deux quotidiens suédois en raison de la publicité parue dans leurs journaux pour les paris proposés sur Internet par plusieurs sociétés de jeux d’argent établies dans d’autres États membres.

3.        La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité avec la libre prestation des services et la liberté d’établissement des textes qui fondent ces poursuites et, plus particulièrement, des dispositions qui fixent les peines applicables à la promotion en Suède de jeux organisés en dehors de cet État membre. Elle pose à la Cour cinq questions préjudicielles qui recouvrent les deux interrogations suivantes.

4.        Premièrement, la législation suédoise, qui soumet les jeux d’argent à un régime de droits exclusifs dans le but de lutter contre la criminalité et de protéger les consommateurs, peut-elle être considérée comme proportionnée à ces objectifs alors qu’elle a aussi pour but le financement d’activités sociales, que les bénéfices obtenus par les fournisseurs de jeux autorisés reviennent pour partie à l’État et que la commercialisation des jeux par les prestataires autorisés ne fait l’objet d’aucune restriction de la part des autorités compétentes? En outre, le fait qu’une société exploitant des jeux sur Internet soit autorisée, dans l’État membre où elle est établie, à exercer ses activités dans celui-ci s’oppose-t-il à ce qu’un autre État membre interdise la promotion des jeux en ligne de cette société sur son territoire?

5.        Deuxièmement, la législation en cause est-elle conforme au droit communautaire alors qu’elle ne sanctionne pénalement que la promotion de loteries organisées dans d’autres États membres et non la publicité pour des loteries organisées en Suède sans autorisation?

6.        Postérieurement aux décisions de renvoi, la Cour a rendu l’arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (2). Dans cet arrêt, la Cour a dit, en substance, que, en raison des risques particuliers présentés par les jeux d’argent proposés sur Internet, un État membre qui a choisi de réserver le droit exclusif d’exploiter de tels jeux à un opérateur exerçant son activité sous le contrôle étroit des pouvoirs publics dans le but de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité pouvait valablement interdire à d’autres opérateurs établis dans d’autres États membres, où ils fournissent légalement des services analogues, de proposer leurs jeux sur Internet aux personnes résidant sur son territoire.

7.        Dans les présentes conclusions, nous indiquerons que la réponse aux questions de la juridiction de renvoi en ce qui concerne la proportionnalité de sa législation, en ce que celle-ci interdit de faire la promotion de jeux sur Internet proposés par des sociétés établies dans d’autres États membres, peut être déduite de l’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité. Nous proposerons à la Cour de dire pour droit que le droit communautaire, en l’occurrence l’article 49 CE, ne s’oppose pas à une telle législation, dès lors que celle-ci a pour but et pour effet de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité des jeux sur Internet.

8.        Nous indiquerons, ensuite, en réponse à la seconde interrogation, que les mesures prises dans le but de garantir l’application effective d’une telle réglementation doivent être non discriminatoires. Nous en déduirons que l’article 49 CE s’oppose à une réglementation d’un État membre qui sanctionne pénalement la promotion de jeux sur Internet organisés par une société établie dans un autre État membre et non la publicité pour de tels jeux organisés sur le territoire national sans autorisation.

I –    Le cadre juridique

9.        La loi sur les loteries et jeux de hasard (lotterilagen) (3) régit, en principe, toutes les formes de jeux d’argent proposés au public en Suède, tels que les paris, le loto, le bingo, les machines à sous et la roulette.

10.      Les objectifs de la politique suédoise en matière de jeu ont été résumés dans les travaux préparatoires de la lotterilagen de la manière suivante:

«La politique en matière de jeu doit […] continuer à viser un marché des jeux sain et sûr, qui répond, sous des formes contrôlées, à l’intérêt de protection sociale et à la demande des joueurs. Les bénéfices dégagés doivent être sauvegardés et toujours affectés à des fins d’intérêt général ou d’utilité publique, c’est-à-dire à la vie associative, aux sports hippiques et à l’État. Comme ce fut le cas jusqu’ici, le but doit être de donner la priorité à des considérations de protection sociale ainsi qu’à l’intérêt d’une offre de jeux variée en tenant compte du risque de fraude et de jeux illicites.»

11.      La lotterilagen vise ainsi, selon la juridiction de renvoi, à lutter contre la criminalité ainsi que les dommages en matière sociale et économique, à sauvegarder les intérêts des consommateurs et à affecter les revenus des loteries à des fins d’intérêt général ou d’utilité publique.

12.      Les dispositions de la lotterilagen qui sont pertinentes pour les présentes affaires concernent, d’une part, l’exigence d’une autorisation pour organiser des jeux d’argent et, d’autre part, l’interdiction de la promotion de tels jeux.

A –    L’exigence d’une autorisation pour organiser des jeux d’argent

13.      L’article 9 de la lotterilagen prévoit qu’une autorisation est requise, en principe, pour organiser des jeux d’argent en Suède.

14.      En vertu de l’article 15 de la lotterilagen, l’autorisation peut être accordée à des personnes morales de droit suédois à but non lucratif ayant pour objet principal, selon leurs statuts, de poursuivre un objectif d’utilité publique sur le territoire suédois et qui exercent des activités qui satisfont principalement à cet objectif. En vertu de l’article 45 de la lotterilagen, le gouvernement suédois peut également accorder des autorisations spéciales pour l’organisation de jeux d’argent dans d’autres cas que ceux mentionnés par la lotterilagen.

15.      Conformément au principe selon lequel le marché des jeux d’argent doit être réservé à des objectifs d’utilité publique ou d’intérêt général, le marché suédois est réparti entre, d’une part, des associations à but non lucratif actives sur le territoire suédois à des fins d’utilité publique qui se sont vu conférer des autorisations en vertu de l’article 15 de la lotterilagen et, d’autre part, deux opérateurs détenus par l’État ou majoritairement contrôlés par lui, à savoir la société publique de jeux AB Svenska Spel et la société mixte AB Trav och Galopp, contrôlée par l’État et les organisations de sports hippiques, qui détiennent des autorisations spéciales conférées en application de l’article 45 de la lotterilagen.

16.      Le gouvernement suédois a apporté les indications supplémentaires suivantes.

17.      En ce qui concerne les paris sportifs et le poker sur Internet, ceux-ci ne peuvent être organisés qu’avec une autorisation spéciale accordée au titre de l’article 45 de la lotterilagen. Seules les sociétés AB Svenska Spel et AB Trav och Galopp pouvaient donc être habilitées à organiser ces types de jeux. À l’époque des faits ayant donné lieu aux affaires au principal, aucune autorisation pour les jeux de poker sur Internet n’avait été accordée. Ce n’est qu’au mois de novembre 2005 que la société AB Svenska Spel s’est vu conférer une telle autorisation pour une période de deux ans.

18.      Parmi les conditions applicables à l’autorisation figurent des exigences relatives à la responsabilité sociale assumée, à la protection des consommateurs, notamment des mineurs, et aux limites des gains versés afin de contrer la dépendance au jeu et de prévenir la criminalité. Les autorisations imposent, en outre, des restrictions aux opérateurs en ce qui concerne les mesures de commercialisation de leurs jeux.

19.      En vertu de l’article 48 de la lotterilagen, une autorité publique, la Lotteriinspektionen (Inspection des loteries et jeux de hasard), exerce de manière centralisée le contrôle du respect de la lotterilagen. De plus, la Lotteriinspektionen a été habilitée, sur la base de la lotterilagen, à élaborer les réglementations relatives au contrôle et au règlement intérieur nécessaires pour les différents jeux. Elle exerce également une surveillance sur l’activité de AB Svenska Spel et procède à des inspections et à des contrôles permanents.

20.      L’État exerce, en outre, un contrôle sur AB Svenska Spel, en sa qualité d’actionnaire, en lui donnant des directives. En vertu de ces directives, cette société doit avoir une attitude responsable dans la commercialisation de ses jeux, ce qui implique également une mission sociale, dans l’objectif de ne pas apparaître trop insistante.

21.      En vertu du chapitre 16, article 14, du code pénal (brottsbalken) (4), l’organisation sans autorisation de jeux d’argent en Suède constitue un délit de jeux illicites. Celui-ci est passible d’une peine d’amende ou d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans. Si l’infraction est considérée comme grave, elle est passible, en tant que délit de jeux illicites grave et au titre du chapitre 16, paragraphe 14 bis, du brottsbalken, d’une peine d’emprisonnement allant de six mois à quatre ans.

22.      En outre, en vertu de l’article 54, paragraphe 1, de la lotterilagen, celui qui, intentionnellement ou par imprudence grave, organise des jeux d’argent illicites ou détient illicitement certains types de machines à sous est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à six mois.

23.      La lotterilagen ne s’appliquant que sur le territoire suédois, l’interdiction d’organiser des jeux d’argent sans autorisation ne s’applique pas aux jeux organisés à l’étranger. Cette interdiction ne s’applique pas non plus aux jeux proposés sur Internet aux consommateurs suédois à partir d’un autre État membre et la lotterilagen n’interdit pas aux joueurs suédois de participer à des jeux d’argent étrangers. De même, une autorisation conférée en vertu de la lotterilagen crée dans le chef de son titulaire un droit de proposer des services de jeux seulement dans le domaine d’application territoriale de la lotterilagen, c’est-à-dire sur le territoire suédois.

B –    L’interdiction de la promotion des jeux d’argent

24.      L’article 38, paragraphe 1, point 1, de la lotterilagen interdit de promouvoir, sans permission spéciale et à des fins lucratives, à titre professionnel ou de toute autre manière, la participation à des jeux d’argent organisés sur le territoire suédois sans autorisation ou à des jeux d’argent organisés hors de Suède.

25.      L’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen prévoit que celui qui promeut illégalement à des fins lucratives, dans le cadre d’une activité professionnelle ou de toute autre manière, la participation à des jeux d’argent organisés à l’étranger, est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à six mois si la promotion vise spécifiquement des participants résidant en Suède.

26.      La juridiction de renvoi précise que cette disposition a été introduite par une modification entrée en vigueur le 1er janvier 1999. Elle indique que l’ancienne loi sur les loteries et jeux de hasard (5) incriminait la promotion de jeux d’argent, qu’ils soient organisés sur le territoire national ou bien à l’étranger. Lors de l’introduction de la lotterilagen, la promotion avait été dépénalisée en raison du faible nombre d’infractions et parce que, dans de nombreux cas, une amende civile suffisait pour atteindre le résultat recherché.

27.      La promotion de jeux d’argent organisés à l’étranger a été pénalisée à nouveau parce que les amendes civiles se sont avérées insuffisamment efficaces et aussi parce que la Lotteriinspektionen ne peut pas contrôler les jeux étrangers et protéger les consommateurs suédois.

28.      Selon la juridiction de renvoi, le gouvernement suédois aurait, de plus, indiqué que l’objectif d’affecter les bénéfices des jeux à des fins d’intérêt général ou d’utilité publique ne pourrait pas être préservé si des opérateurs étrangers avaient accès au marché suédois et que des revenus importants risquaient, en outre, de quitter le territoire du Royaume de Suède.

II – Les faits, la procédure dans les litiges au principal et les questions préjudicielles

29.      MM. Sjöberg et Gerdin étaient chefs rédacteurs et responsables éditoriaux, respectivement, des journaux Expressen et Aftonbladet. Entre le mois de novembre 2003 et le mois d’août 2004, ils ont fait paraître dans les pages sportives de leurs journaux, à l’intention du public suédois, des annonces publicitaires pour des loteries proposées sur les sites Internet des sociétés Expekt, Unibet, Ladbrokes et Centrebet, établies dans d’autres États membres. Selon le gouvernement suédois, ces sociétés sont établies à Malte ou au Royaume-Uni.

30.      L’Åklagaren (ministère public) a poursuivi MM. Sjöberg et Gerdin sur le fondement de l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen, pour avoir intentionnellement promu de manière illégale et à des fins lucratives la participation à des jeux de hasard organisés à l’étranger. Ils ont été condamnés chacun à la peine de 50 jours-amendes de 1 000 SEK pour infractions à la lotterilagen par le Stockholms tingsrätt (tribunal d’instance de Stockholm).

31.      MM. Sjöberg et Gerdin ont fait appel devant le Svea hovrätt (cour d’appel de Stockholm) (Suède), lequel a, dans un premier temps, refusé de permettre une procédure d’appel dans les deux affaires. Ils ont contesté cette décision de refus devant le Högsta domstolen (Cour suprême), qui a rendu une décision autorisant la recevabilité de l’appel et a renvoyé l’affaire devant le Svea hovrätt.

32.      Le Högsta domstolen a fondé principalement cette décision sur le motif selon lequel «[i]l existe une incertitude quant au point de savoir si les dispositions pénales de la lotterilagen donnent matière à une application non discriminatoire lorsqu’il est question de promotion de la participation, d’une part, à des loteries organisées sans autorisation sur le territoire national et, d’autre part, à des loteries organisées à l’étranger. […] En tout état de cause, se pose en outre la question de savoir si les restrictions à la libre prestation des services constituées par les articles 38 et 54 de la lotterilagen peuvent être admises au motif qu’elles relèvent des exceptions explicitement prévues par le traité CE ou si elles peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et être dès lors considérées comme proportionnées».

33.      Devant le Svea hovrätt, MM. Sjöberg et Gerdin ont soutenu, d’une part, que la lotterilagen est clairement discriminatoire parce que l’article 54, paragraphe 2, de celle-ci ne vise que la promotion de loteries organisées à l’étranger et que la promotion de jeux organisés sans autorisation en Suède n’est passible que d’une amende civile.

34.      Ils ont fait valoir, d’autre part, que la lotterilagen est également contraire à l’article 49 CE au motif que l’un des objectifs de celle-ci, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de cette législation, est de garantir les recettes de l’État et des associations. Cet objectif ne saurait donc être considéré comme une simple «conséquence bénéfique accessoire», au sens de l’arrêt Gambelli e.a. (6). En outre, selon MM. Sjöberg et Gerdin, les sociétés de jeux contrôlées par le Royaume de Suède exercent un marketing intensif et à grande échelle dans le but d’inciter les consommateurs à participer aux jeux qu’elles proposent, de sorte que la lotterilagen ne répondrait pas à l’objectif de limiter les occasions de jeux de manière cohérente et systématique, comme il est requis par la jurisprudence (7).

35.      L’Åklagaren a soutenu, quant à lui, que la lotterilagen ne viole pas le principe de non-discrimination parce que, d’une part, l’article 38, paragraphe 1, point 1, de celle-ci interdit indistinctement la promotion de jeux d’argent organisés en Suède sans autorisation et celle de jeux d’argent organisés hors de Suède et, d’autre part, toute personne qui promeut la participation à un jeu d’argent organisé sur le territoire suédois sans autorisation peut être condamnée pour complicité d’infraction.

36.      Au regard de ces éléments, le Svea hovrätt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La discrimination sur le fondement de la nationalité peut-elle, dans certaines circonstances, être admise sur le marché national des jeux et des loteries pour une raison impérieuse d’intérêt général?

2)      Si la politique restrictive menée sur le marché national des jeux et des loteries poursuit différents objectifs et que l’un d’entre eux vise le financement d’activités sociales, peut-on considérer qu’il s’agit alors d’une conséquence bénéfique accessoire de la politique restrictive mise en place? En cas de réponse négative, cette politique restrictive peut-elle être néanmoins admise si l’objectif de financer des activités sociales ne peut pas être considéré comme son objectif principal?

3)      L’État peut-il invoquer des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier la politique restrictive qu’il applique en matière de jeu si des sociétés contrôlées par l’État commercialisent des jeux et des loteries dont les revenus reviennent pour partie à l’État et que l’un des objectifs de cette commercialisation est de financer des activités sociales? En cas de réponse négative, cette politique restrictive peut-elle être néanmoins admise si le financement des activités sociales ne peut pas être considéré comme l’objectif principal de la commercialisation effectuée?

4)      Une interdiction absolue de la commercialisation des jeux et loteries organisés dans un autre État membre par une société de jeux établie dans cet État et contrôlée par les autorités de celui-ci est-elle proportionnée par rapport à l’objectif de contrôler et d’exercer une surveillance des activités de jeux lorsqu’il n’existe, dans le même temps, aucune restriction à la commercialisation des jeux et loteries organisés par des sociétés de jeux établies dans l’État membre qui applique cette politique restrictive? Quelle est la réponse à cette question si l’objectif de cette réglementation est de limiter le jeu?

5)      Un opérateur qui a reçu une autorisation d’exercer une activité de jeu déterminée dans un État et qui est contrôlé par les autorités compétentes de cet État a-t-il le droit de commercialiser ses offres de jeux dans d’autres États membres, notamment par le biais d’annonces dans des journaux, sans avoir à solliciter, au préalable, une autorisation des autorités compétentes de ces États? En cas de réponse affirmative, cela implique-t-il que la réglementation d’un État membre qui prévoit une sanction pénale en cas de promotion de la participation à des loteries organisées à l’étranger constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services qui ne peut jamais se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général? Le fait que l’État membre dans lequel l’opérateur est établi soulève les mêmes raisons impérieuses d’intérêt général que l’État dans lequel l’opérateur souhaite commercialiser ses activités de jeux affecte-t-il la réponse à la première question?»

III – Analyse

37.      Préalablement à l’examen des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, nous exposerons, d’une part, que c’est à l’aune de la libre prestation des services prévue à l’article 49 CE que la conformité des dispositions en cause avec les libertés de circulation doit être examinée et, d’autre part, les grandes lignes de la jurisprudence en matière de jeux d’argent sur la base desquelles ces questions doivent être examinées.

38.      Sur le premier point, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la publicité reprochée aux requérants dans les affaires au principal a trait à des jeux d’argent proposés sur les sites Internet de plusieurs prestataires de jeux établis dans d’autres États membres. Conformément à la jurisprudence, les jeux d’argent proposés par de tels prestataires sur leurs sites Internet, donc sans se déplacer, à des destinataires résidant dans un État membre, en l’occurrence le Royaume de Suède, relèvent du champ d’application de la libre prestation des services (8).

39.      Ensuite, la Cour a admis qu’un opérateur économique qui agit en qualité d’intermédiaire d’un prestataire de jeux établi dans un autre État membre peut se prévaloir à l’encontre de son État, dans le cadre de cette activité d’intermédiaire, des dispositions de l’article 49 CE (9). La même analyse peut être étendue à des prestataires de services de publicité lorsqu’ils effectuent la promotion d’un opérateur économique établi dans un autre État membre afin de permettre à cet opérateur de développer son activité dans leur État.

40.      En outre, les dispositions en cause de la lotterilagen, c’est-à-dire celles de l’article 38 qui interdisent la promotion en Suède de jeux d’argent organisés dans cet État membre sans autorisation et dans d’autres États membres ainsi que celles de l’article 54, paragraphe 2, qui sanctionnent pénalement la promotion en Suède de jeux d’argent organisés à l’étranger, ont pour objet et pour effet de restreindre la participation des consommateurs suédois à ces jeux. Elles tendent à ce que les consommateurs suédois ne s’adonnent aux jeux d’argent que dans le cadre du système national autorisé. Ces dispositions constituent, par conséquent, en ce qui concerne les prestataires de jeux d’argent établis dans d’autres États membres, une restriction à la libre prestation de leurs services en Suède.

41.      Sur le second point, il est constant que les jeux d’argent ne constituent pas une activité économique ordinaire.

42.      Conformément à une jurisprudence établie, compte tenu de l’absence d’harmonisation communautaire en cette matière, les États membres peuvent restreindre l’organisation et l’exploitation de cette activité sur leur territoire afin de protéger l’ordre public contre les risques de fraude et de criminalité ainsi que les consommateurs contre une incitation excessive au jeu (10). Ils peuvent aussi, pour des raisons d’ordre moral, religieux ou culturel, décider que les jeux d’argent ne doivent pas constituer une source de profit individuel mais profiter exclusivement à des causes d’intérêt général (11).

43.      Il importe, cependant, pour que les restrictions aux libertés de circulation adoptées par un État membre à cet effet soient conformes au droit communautaire, qu’elles soient non discriminatoires (12). Elles doivent également être propres à garantir la réalisation des objectifs qu’elles poursuivent et proportionnées (13).

44.      En ce qui concerne cette dernière condition, il est admis, cependant, que, dans le domaine particulier des jeux d’argent, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation non seulement dans la détermination du niveau de protection de l’ordre public et des consommateurs qu’ils entendent instaurer sur leur territoire, mais également dans le choix des moyens à employer à cet effet (14).

45.      Dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, un État membre, comme le Royaume de Suède, peut réserver le droit exclusif d’exploiter des jeux d’argent à des sociétés lui appartenant ou à des entités à but non lucratif agissant sous son contrôle. Un État membre, en effet, peut diriger et contrôler l’activité de tels organismes plus facilement qu’il ne peut le faire à l’égard d’un opérateur privé poursuivant un intérêt économique, de sorte qu’un tel système peut permettre d’assurer une meilleure protection des consommateurs contre un risque d’addiction au jeu et de l’ordre public contre les risques de fraude et de jeux clandestins (15). Il permet également d’utiliser intégralement les bénéfices qui en découlent à des fins d’utilité publique (16).

46.      Dans l’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, la Cour a apporté les précisions suivantes en ce qui concerne les mesures qu’un État membre est en droit d’adopter à l’égard des jeux d’argent proposés sur Internet par des sociétés établies dans d’autres États membres.

47.      Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, elle s’est trouvée confrontée à la législation portugaise qui réserve au Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericórdia de Lisboa (ci-après «Santa Casa»), une personne morale d’utilité publique administrative, le droit exclusif d’exploiter les jeux d’argent sous forme de loteries, de jeux de loto et de paris sportifs. Ce droit exclusif a été étendu à l’exploitation de ces jeux par Internet.

48.      Il s’agissait de savoir si ce monopole pouvait être opposé à un prestataire de jeux en ligne établi à Gibraltar, qui souhaitait proposer des jeux d’argent sur Internet aux consommateurs résidant au Portugal. Ce prestataire, ainsi que la Liga Portuguesa de Futebol Profissional, avec laquelle il avait conclu un contrat de parrainage, contestaient les amendes qui leur avaient été infligées par Santa Casa pour avoir méconnu son monopole d’exploitation des jeux d’argent par Internet.

49.      Le gouvernement portugais et Santa Casa soutenaient que l’objectif principal de la législation nationale était la lutte contre la criminalité, plus spécifiquement la protection des consommateurs de jeux d’argent contre les fraudes commises par les opérateurs. Ils exposaient que les conditions légales dans lesquelles Santa Casa exerce ses activités donnent à l’État les garanties suffisantes quant au respect des règles destinées à sauvegarder l’honnêteté des jeux qu’elle organise. Le gouvernement portugais soutenait que les autorités d’un État membre ne disposent pas des mêmes possibilités de contrôle en ce qui concerne les prestataires de jeux sur Internet établis en dehors du territoire national.

50.      La Cour a commencé par rappeler que la lutte contre la criminalité peut constituer un motif légitime de restriction quant aux opérateurs autorisés à proposer des jeux d’argent et avoir admis que l’encadrement des jeux dans un système de droits exclusifs permettait de canaliser l’exploitation de ceux-ci dans un circuit contrôlé ainsi que de prévenir les risques d’une telle exploitation à des fins criminelles.

51.      Elle a constaté, ensuite, que, au regard des dispositions qui régissent le fonctionnement de Santa Casa, l’octroi d’un monopole d’exploitation des jeux d’argent par Internet à un tel opérateur, soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics, permettait de canaliser l’exploitation de ces jeux dans un circuit contrôlé et pouvait être considéré comme apte à protéger les consommateurs contre les risques de fraude (17).

52.      Quant à la nécessité d’un tel monopole, la Cour a estimé que, en l’absence d’harmonisation dans le secteur des jeux d’argent par Internet, un État membre était en droit de considérer que le seul fait qu’un opérateur propose légalement de tels jeux dans un autre État membre, où il est établi et où il est, en principe, déjà soumis à des conditions légales et à des contrôles de la part des autorités compétentes de ce dernier État, ne saurait être considéré comme une garantie suffisante de protection des consommateurs nationaux contre les risques de fraude et de criminalité, eu égard aux difficultés rencontrées par les autorités de l’État membre d’établissement pour évaluer les qualités et la probité personnelles des opérateurs (18).

53.      Elle a exposé, en outre, que, en raison du manque de contact direct entre le consommateur et l’opérateur, les jeux d’argent accessibles par Internet comportent des risques de nature différente et d’une importance accrue par rapport aux marchés traditionnels des jeux en ce qui concerne d’éventuelles fraudes commises par les opérateurs contre les consommateurs (19).

54.      Elle en a déduit que la restriction en cause dans cette affaire pouvait, eu égard aux particularités liées à l’offre de jeux par Internet, être considérée comme justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude et la criminalité.

55.      Les enseignements suivants, selon nous, peuvent être tirés de cet arrêt. Tout d’abord, la Cour a estimé que les jeux sur Internet présentent des risques de fraude et de criminalité plus importants que les jeux d’argent proposés par les voies traditionnelles. Il peut s’agir, par exemple, d’une utilisation frauduleuse des moyens de paiement en ligne ou d’un trucage des résultats de jeux de hasard. En raison des risques particuliers qu’ils présentent, les jeux d’argent sur Internet peuvent donc faire l’objet de mesures spéciales.

56.      Ensuite, en raison de l’importance de ces risques, la proportionnalité d’une restriction à l’accès au marché d’un État membre fondée notamment sur la protection de l’ordre public contre les risques de fraude et de criminalité liés à ce type de jeux doit être examinée uniquement au regard de cet objectif.

57.      Il en résulte également que, à partir du moment où le régime national s’avère apte à protéger effectivement les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité des jeux sur Internet, comme peut l’être un monopole accordé à une entité étroitement contrôlée par les pouvoirs publics, une restriction pouvant aller jusqu’à une interdiction totale du marché aux opérateurs établis dans d’autres États membres, quel que soit le cadre légal qui encadre leurs activités dans leur État d’établissement, peut être conforme au droit communautaire. En outre, cette conformité ne dépend pas du point de savoir si cette entité exerce ou non son activité comme une activité économique ordinaire en cherchant à dégager le maximum de profits et si, le cas échéant, la législation en cause est apte à atteindre ses autres objectifs, tels que la protection des consommateurs contre une incitation excessive au jeu.

58.      C’est au vu de ces considérations que nous examinerons les interrogations de la juridiction de renvoi en ce qui concerne, premièrement, la proportionnalité de sa réglementation en tant que celle-ci interdit la publicité de jeux sur Internet fournis par des prestataires établis dans d’autres États membres puis, deuxièmement, la conformité avec la libre prestation des services des sanctions prévues par cette réglementation.

A –    Sur la proportionnalité de l’interdiction de faire de la publicité

59.      Par ses deuxième à cinquième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi s’interroge sur la proportionnalité de sa réglementation nationale au regard des circonstances suivantes. D’une part, le fait que cette réglementation, qui vise à lutter contre la criminalité et à protéger les consommateurs, a aussi pour objectif le financement d’activités sociales et prévoit que les revenus des jeux autorisés reviennent directement pour partie à l’État (deuxième et troisième questions), d’autre part, la circonstance que les fournisseurs de jeux autorisés en Suède incitent et encouragent les consommateurs à participer aux jeux d’argent sans aucune restriction de la part des autorités compétentes (quatrième question), enfin, le fait que les sociétés dont les jeux sur Internet ont fait l’objet de la promotion litigieuse sont autorisées à fournir de tels jeux par l’État membre sur le territoire duquel elles sont établies (cinquième question).

60.      Dans la mesure où les litiges au principal concernent les poursuites engagées à l’encontre de prestataires de services de publicité pour avoir fait la promotion de jeux d’argent proposés sur Internet, nous proposons de comprendre les questions de la juridiction de renvoi en ce sens qu’elle cherche à savoir si sa législation interne, en ce qu’elle interdit la promotion en Suède de jeux d’argent proposés sur Internet par des sociétés établies dans d’autres États membres, peut être considérée comme proportionnée à ses objectifs.

61.      La réponse à ces interrogations se déduit, à notre avis, de l’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité.

62.      Comme dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la réglementation en cause a notamment pour objet de protéger les consommateurs contre le risque de criminalité lié au jeu. Elle vise, ainsi qu’il ressort de ses objectifs, à assurer un marché sain et sûr et à tenir compte des risques de fraude et de jeux illicites.

63.      De même, comme la réglementation en cause dans cette affaire, elle prévoit à cet effet un système de droits exclusifs réservé à des organismes dont l’activité se trouve étroitement contrôlée par les pouvoirs publics. Ainsi, en vertu de la lotterilagen, les jeux d’argent doivent être exploités non pas par des sociétés poursuivant des intérêts privés, mais uniquement par des organismes à but non lucratif ou des sociétés détenues par l’État. Elle instaure également un système de contrôle approfondi par une autorité spécialement créée à cet effet.

64.      En ce qui concerne plus particulièrement les jeux sur Internet, il ressort des explications du gouvernement suédois que l’exploitation de ces derniers est soumise à un régime d’autorisation spéciale, qui a été délivrée uniquement à des sociétés détenues par l’État ou contrôlées majoritairement par lui.

65.      Nous avons vu que, dans l’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, la Cour a estimé que, dans le cadre d’un tel système, un État membre, afin de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité, était en droit d’interdire à des prestataires de jeux par Internet établis dans d’autres États membres de proposer leurs jeux aux consommateurs résidant sur son territoire.

66.      Nous avons indiqué, en outre, qu’il ressort de cet arrêt que cette analyse ne dépend pas du point de savoir si la réglementation en cause est apte à atteindre ses autres objectifs, tels que la protection des consommateurs contre une incitation excessive au jeu. La Cour a décidé que, au regard des risques particuliers présentés par les jeux sur Internet, un État membre qui instaure un système efficace afin de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité de tels jeux est en droit d’en restreindre la fourniture aux personnes résidant sur son territoire par des prestataires établis dans d’autres États membres.

67.      Les motifs sur lesquels la Cour a fondé cette décision s’appliquent a fortiori à une mesure moins restrictive qu’une interdiction totale d’activité, telle que l’interdiction de promouvoir des jeux sur Internet organisés par des sociétés établies dans d’autres États membres.

68.      Les risques particuliers de fraude et de criminalité présentés par les jeux sur Internet, dès lors qu’ils autorisent un État membre à interdire son marché aux opérateurs établis dans les autres États membres au motif qu’il ne peut pas contrôler lui-même la probité de ces prestataires, justifient aussi qu’il interdise la promotion auprès des consommateurs résidant sur son territoire des jeux proposés par lesdits prestataires afin de canaliser ces consommateurs vers les organismes soumis à son contrôle.

69.      Certes, ainsi qu’il ressort des explications du gouvernement suédois à l’audience, la législation suédoise n’interdit pas aux journaux étrangers vendus en Suède de faire de la publicité pour des jeux étrangers sur Internet. Elle n’oblige pas non plus les opérateurs étrangers à rendre leurs sites Internet inaccessibles aux consommateurs résidant en Suède.

70.      Pour autant, ces circonstances ne sauraient mettre en cause la cohérence du régime suédois ni son aptitude à atteindre le but poursuivi, de protection des consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité liés aux jeux sur Internet. Les mesures prises, malgré ces limites, ont bien pour effet de restreindre l’accès des consommateurs résidant en Suède à de tels jeux. En outre, le gouvernement suédois a expliqué clairement qu’il procédait à l’évaluation de ces mesures, notamment en ce qui concerne l’impact du poker sur Internet proposé par les sociétés autorisées en Suède.

71.      Le système ainsi élaboré relève d’une appréciation et d’une démarche propres à l’État qui s’inscrivent dans son large pouvoir d’appréciation. En décider autrement reviendrait à obliger les États membres à adopter une politique du tout ou rien.

72.      Au regard de la jurisprudence rappelée précédemment, l’interdiction résultant de l’article 38 de la lotterilagen de faire la promotion de jeux sur Internet proposés par des sociétés établies dans d’autres États membres peut donc être considérée comme justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude et la criminalité, indépendamment du point de savoir si cette réglementation est effectivement proportionnée à ses autres objectifs, tenant à la protection des consommateurs contre une incitation excessive au jeu et à l’affectation des revenus des jeux au financement de causes d’intérêt général.

73.      Nous proposons, par conséquent, de répondre aux deuxième à cinquième questions de la juridiction de renvoi que l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre réservant le droit d’exploiter les jeux d’argent à des opérateurs autorisés exerçant leur activité sous le contrôle étroit des pouvoirs publics dans le but de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité qui interdit de faire la promotion de jeux sur Internet proposés par des sociétés établies dans d’autres États membres.

B –    Sur la conformité des sanctions pénales

74.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre soumettant les jeux d’argent à un régime de droits exclusifs dans le but de lutter contre la criminalité et de protéger les consommateurs, selon laquelle celui qui promeut la participation à des jeux sur Internet organisés par des sociétés établies dans d’autres États membres est passible de sanctions pénales alors que celui qui promeut la participation à de tels jeux organisés sur le territoire national sans autorisation n’encourt pas de telles sanctions.

75.      Conformément à une jurisprudence constante, si un État membre est en droit de restreindre les activités liées aux jeux d’argent sur son territoire, les mesures qu’il prend à cet effet ne doivent pas être discriminatoires, même si elles sont fondées sur la défense de l’ordre public (20). Cette condition s’applique avec la même exigence en ce qui concerne les mesures destinées à protéger les consommateurs contre les risques particuliers présentés par les jeux sur Internet.

76.      Il est constant que l’article 38, paragraphe 1, de la lotterilagen interdit indistinctement la promotion des jeux d’argent organisés à l’étranger et celle des jeux d’argent organisés sur le territoire national sans autorisation. En revanche, la question se pose en ce qui concerne les sanctions prévues en cas d’infraction à cette interdiction.

77.      Ainsi, alors que l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen prévoit des peines d’amende et d’emprisonnement jusqu’à six mois à l’encontre des personnes qui font de la publicité pour des jeux organisés à l’étranger, celles qui font la promotion de jeux organisés en Suède sans autorisation n’encourraient pas de sanctions pénales équivalentes, mais seulement des amendes civiles.

78.      Le gouvernement suédois conteste cette interprétation du droit interne. Il expose que la lotterilagen, en cas de promotion de jeux d’argent organisés sur le territoire national sans autorisation, sanctionne au premier chef l’organisateur du jeu, ce qu’elle ne peut pas faire en ce qui concerne les jeux organisés à l’étranger. Néanmoins, selon ce gouvernement, la personne qui fait la promotion de jeux d’argent organisés en Suède sans autorisation peut faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement de l’article 54, paragraphe 1, de la lotterilagen et du chapitre 23, article 4, du brottsbalken, pour complicité d’infraction et elle encourt des sanctions équivalentes voire supérieures à celles prévues à l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen.

79.      Le point de savoir si l’interprétation du droit interne défendue par le gouvernement suédois est fondée relève exclusivement du pouvoir d’appréciation de la juridiction nationale. C’est à elle qu’il revient d’apprécier si, au regard de l’ensemble des dispositions de son droit interne, les conditions dans lesquelles une personne effectuant la promotion de jeux sur Internet organisés sans autorisation par une société établie en Suède peut être mise en cause et les sanctions encourues par cette personne sont équivalentes à celles qui s’appliquent à l’égard d’une personne qui fait de la publicité pour de tels jeux organisés par des sociétés établies dans d’autres États membres.

80.      Dans l’affirmative, la juridiction nationale devrait également vérifier, à notre avis, que ces deux infractions, dans les faits, sont poursuivies par les autorités compétentes avec la même diligence.

81.      Si cette vérification aboutissait à la conclusion que les deux infractions en cause font l’objet d’un traitement équivalent, le régime national, bien évidemment, ne serait pas discriminatoire, bien que les dispositions fondant les poursuites et prévoyant les sanctions applicables soient énoncées dans des textes différents. Il convient, en effet, pour cette appréciation, de prendre en compte l’ensemble des dispositions du droit national et de s’attacher à leurs effets concrets sur les personnes qui commettent l’une ou l’autre des infractions en cause.

82.      En revanche, si ladite vérification confirme la prémisse de la juridiction de renvoi, selon laquelle les personnes effectuant la promotion de jeux sur Internet organisés en Suède sans autorisation n’encourent que des amendes civiles, force sera de constater que le droit national en cause comporte une discrimination qui rend les dispositions de l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen contraires à l’article 49 CE et, par conséquent, inopposables aux personnes poursuivies dans le cadre des litiges au principal, conformément à l’arrêt Simmenthal (21).

83.      En effet, si cette prémisse est confirmée, la législation nationale concernée comporte une différence de traitement de situations comparables, au détriment des sociétés établies dans les autres États membres.

84.      Ainsi, en ce qui concerne la différence de traitement, elle ressort, bien évidemment, du fait, d’une part, qu’une amende pénale, en raison de sa nature et de sa vocation afflictive, revêt, en principe, un caractère plus punitif qu’une amende de nature civile, même si le montant de cette dernière est identique. Elle résulte, d’autre part et surtout, du fait que l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen prévoit également une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois, voire deux ans dans les cas les plus graves.

85.      En outre, même si, dans les deux cas de figure visés à l’article 38 de la lotterilagen, les personnes poursuivies peuvent être des publicitaires exerçant leur activité en Suède, l’article 54, paragraphe 2, de la lotterilagen, en visant exclusivement la promotion de jeux organisés à l’étranger, affecte davantage les sociétés de jeux établies dans d’autres États membres. Cette disposition peut donc être assimilée à une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

86.      Enfin, il ne ressort pas des éléments du dossier et le gouvernement suédois n’a pas essayé de démontrer que les deux catégories d’infraction en présence présenteraient des différences significatives quant au trouble causé par celles-ci ou les conditions dans lesquelles elles peuvent être constatées, pouvant justifier une telle différence de traitement.

87.      Ainsi, les jeux sur Internet organisés par une société établie dans un autre État membre ne présentent pas nécessairement ou de manière générale de risques de fraude et de criminalité au préjudice des consommateurs plus importants que les jeux organisés clandestinement par une société établie sur le territoire national. La circonstance que l’État en cause ne dispose pas de moyens directs d’action et de contrôle à l’égard des sociétés établies dans d’autres États membres ne nous paraît pas de nature à mettre en cause cette analyse.

88.      En outre, dans la mesure où la promotion visée à l’article 38 de la lotterilagen, dans les deux cas de figure, est effectuée en Suède par des prestataires établis dans cet État membre, nous ne voyons pas en quoi les investigations nécessaires à la découverte de leurs auteurs présenteraient une plus grande complexité dans le cas de jeux étrangers, pouvant justifier, dans un but de dissuasion, des peines plus sévères.

89.      Nous proposons donc à la Cour de dire pour droit que l’article 49 CE s’oppose à la réglementation d’un État membre soumettant les jeux d’argent à un régime de droits exclusifs dans le but de lutter contre la criminalité et de protéger les consommateurs, selon laquelle celui qui promeut la participation à des jeux sur Internet organisés par une société établie dans un autre État membre est passible de sanctions pénales alors que celui qui promeut la participation à de tels jeux organisés sur le territoire national sans autorisation n’encourt pas de telles sanctions.

IV – Conclusion

90.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de dire pour droit:

«1)      L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre réservant le droit d’exploiter les jeux d’argent à des opérateurs autorisés exerçant leur activité sous le contrôle étroit des pouvoirs publics dans le but de protéger les consommateurs contre les risques de fraude et de criminalité qui interdit de faire la promotion de jeux sur Internet proposés par des sociétés établies dans d’autres États membres.

2)      L’article 49 CE s’oppose à la réglementation d’un État membre soumettant les jeux d’argent à un régime de droits exclusifs, selon laquelle celui qui promeut la participation à des jeux sur Internet organisés par une société établie dans un autre État membre est passible de sanctions pénales alors que celui qui promeut la participation à de tels jeux organisés sur le territoire national sans autorisation n’encourt pas de telles sanctions.»


1 – Langue originale: le français.


2 – C-42/07, non encore publié au Recueil.


3 – SFS 1994, n° 1000, ci-après la «lotterilagen».


4 – Ci-après le «brottsbalken».


5 – SFS 1982, n° 1011.


6 – Arrêt du 6 novembre 2003 (C-243/01, Rec. p. I-13031, point 62).


7 – Ibidem (point 69).


8 – Voir, notamment, arrêt Gambelli e.a., précité (point 54).


9 – Ibidem (point 58). Voir, également, arrêt du 21 octobre 1999, Zenatti (C-67/98, Rec. p. I-7289, point 27).


10 – Arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891, point 46 ainsi que jurisprudence citée).


11 – Arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275/92, Rec. p. I-1039, point 60).


12 – Arrêts précités Schindler (point 61) ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (point 60).


13 – Arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité (point 59).


14 – Arrêt du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C-124/97, Rec. p. I-6067, point 39).


15 – Voir, en ce sens, arrêts précités Läärä e.a. (points 39 à 41) ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (point 67). Voir, également, arrêt de la Cour AELE du 14 mars 2007, EFTA Surveillance Authority/Norway (E-1/06, Report of EFTA Court, p. 7, point 51).


16 – Arrêt Läärä e.a., précité (point 37).


17 – Arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité (point 67).


18 – Ibidem (point 69).


19 – Ibidem (point 70).


20 – Arrêts précités Schindler (point 61) ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (point 60).


21 – Arrêt du 9 mars 1978 (106/77, Rec. p. 629, point 24).


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