Honda Giken Kogyo (Order of the Court) (French Text) [2014] EUECJ C-535/13_CO (17 July 2014)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C53513_CO.html
Cite as: [2014] EUECJ C-535/13_CO, EU:C:2014:2122, ECLI:EU:C:2014:2123

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ORDONNANCE DE LA COUR (troisième chambre)

17 juillet 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Marques – Droit du titulaire d’une marque de s’opposer à la première mise dans le commerce dans l’Espace économique européen (EEE), sans son consentement, de produits revêtus de cette marque»

Dans l’affaire C-535/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Monomeles Protodikeio Athinon (Grèce), par décision du 29 août 2013, parvenue à la Cour le 10 octobre 2013, dans la procédure

Honda Giken Kogyo Kabushiki Kaisha

contre

Maria Patmanidi AE,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Honda Giken Kogyo Kabushiki Kaisha, par Mes E. Metaxakis et M. Kilimiri, dikigoroi,

–        pour Maria Patmanidi AE, par Me I. Tsamouris, dikigoros,

–        pour la République italienne, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. F. W. Bulst et Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après la «directive 89/104»), ainsi que de l’article 13 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Honda Giken Kogyo Kabushiki Kaisha (ci-après «Honda»), société de droit japonais, à Maria Patmanidi AE, société de droit grec, au sujet de produits revêtus de marques dont Honda est titulaire et importés, sans le consentement de cette dernière, dans l’Espace économique européen (EEE) à partir d’un État tiers.

 Le cadre juridique

3        L’article 5 de la directive 89/104, intitulé «Droits conférés par la marque», disposait à son paragraphe 1, sous a):

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée».

4        L’article 5, paragraphe 3, de cette directive énonçait qu’il peut notamment être interdit:

«a)      d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b)      d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c)      d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

[...]»

5        Le libellé de l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 40/94 correspondait en substance à celui de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104. L’article 9, paragraphe 2, de ce règlement correspondait à l’article 5, paragraphe 3, de cette directive.

6        L’article 7 de la directive 89/104 dans sa version initiale, intitulé «Épuisement du droit conféré par la marque», énonçait à son paragraphe 1:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.»

7        Conformément à l’article 65, paragraphe 2, de l’accord sur l’Espace économique européen, lu en combinaison avec l’annexe XVII, point 4, de cet accord, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104 dans sa version initiale a été adapté aux fins dudit accord, l’expression «dans la Communauté» étant remplacée par les mots «sur le territoire d’une partie contractante».

8        Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, «[l]e droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans [l’Union européenne] sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement».

9        La directive 89/104 a été abrogée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008. Le libellé des articles 5 et 7 de la directive 2008/95 correspond en substance à celui des articles 5 et 7 de la directive 89/104.

10      Le règlement n° 40/94 a été abrogé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), entré en vigueur le 13 avril 2009. Le libellé des articles 9 et 13 du règlement n° 207/2009 correspond en substance à celui des articles 9 et 13 du règlement n° 40/94.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      Honda fabrique et commercialise des produits motorisés et des moteurs. Elle est titulaire de marques nationales et communautaires pour ces produits.

12      Honda a assigné Maria Patmanidi AE devant le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes à juge unique). Celle-ci importerait et mettrait en vente en Grèce, sans le consentement de Honda, des produits authentiques de cette dernière, fabriqués en Thaïlande et destinés à être commercialisés en Asie. Cette importation parallèle porterait atteinte au droit exclusif de Honda, en sa qualité de titulaire des marques nationales et communautaires dont lesdits produits sont revêtus. Honda se réfère, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour, issue de l’arrêt Silhouette International Schmied (C-355/96, EU:C:1998:374), selon laquelle le titulaire d’une marque enregistrée dans un État membre a le droit de s’opposer à la première mise dans le commerce, dans l’EEE, de produits revêtus de cette marque.

13      Le Monomeles Protodikeio Athinon n’exclut pas que cette jurisprudence doive être nuancée au regard des articles 101 TFUE et 102 TFUE. Ces articles pourraient, selon cette juridiction, imposer une attitude plus flexible en ce qui concerne les importations parallèles, surtout lorsque les importations à partir d’États tiers sans le consentement du titulaire de la marque conduiraient à une compression des prix au bénéfice du consommateur.

14      Selon cette juridiction, ladite jurisprudence mériterait également d’être nuancée au regard de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (ci-après le «GATT de 1994») et de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’«accord ADPIC»), qui constituent respectivement l’annexe 1 A et l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1, ci-après l’«accord instituant l’OMC»).

15      Dans ces conditions, le Monomeles Protodikeio Athinon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Quel est le champ d’application des dispositions de l’article 7 de la [directive 89/104 (reprises à l’article 7 de la directive 2008/95)] et [de celles] de l’article 13 du [règlement n° 40/94 (reprises à l’article 13 du règlement n° 207/2009)], en ce qui concerne le droit du titulaire d’une marque d’interdire l’importation parallèle sur le territoire de l’Union européenne et de l’[EEE] de ses produits qui ont été fabriqués ou mis sur le marché pour la première fois dans un pays extérieur à l’Union européenne et à l’[EEE], notamment lorsqu’il s’agit de produits pour lesquels existent une marge bénéficiaire élevée et une marge considérable de compression des prix, circonstance qui ressort aussi des amples fluctuations de la politique tarifaire, et/ou lorsque les importations parallèles peuvent entraîner d’importantes réductions de prix pour le consommateur final, au bénéfice de celui-ci et de la concurrence, comme dans le cas des pièces de rechange pour véhicules automobiles de tout type, à la lumière et en conséquence des dispositions suivantes, considérées isolément et en combinaison:

a)      les articles 101 [TFUE] et 102 TFUE;

b)       les articles I, XI, paragraphe 1, III, paragraphe 4, et XX, sous d), du GATT de 1994 ainsi que ce dernier d’une manière générale, et

c)      les articles I et [X]XIV du GATT de 1994, et plus particulièrement quant au point de savoir si ces dernières dispositions étendent l’application des dispositions de l’article 7, paragraphe 1, de la [directive 2008/95] et [de celles] de l’article 13, paragraphe 1, du [règlement n° 207/2009] à des produits qui sont mis dans le commerce dans des États ayant adhéré au GATT de 1994 et si se posent des questions de réciprocité entre eux?»

 Sur la question préjudicielle

16      Il y a lieu d’indiquer, en premier lieu, que la demande de décision préjudicielle se réfère principalement à la directive 89/104 ainsi qu’au règlement n° 40/94 et que la Cour répondra, par conséquent, à la question posée en se référant à cette législation. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait que, au vu de la date des faits au principal, le litige dont elle est saisie relève du champ d’application de la directive 2008/95 et de celui du règlement n° 207/2009, la réponse apportée par la présente ordonnance sera transposable à ces actes législatifs. En effet, les dispositions pertinentes de la directive 2008/95 et du règlement n° 207/2009 n’ont subi aucune modification substantielle quant à leur libellé, leur contexte ou leur objectif, par rapport aux dispositions équivalentes de la directive 89/104 et à celles du règlement n° 40/94.

17      Pour cette même raison, la jurisprudence relative aux dispositions pertinentes de la directive 89/104 et à celles du règlement n° 40/94 demeure applicable aux dispositions équivalentes de la directive 2008/95 et à celles du règlement n° 207/2009.

18      Il convient de relever, en second lieu, que, en vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

19      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

20      En effet, la juridiction de renvoi pose en substance la question de savoir si le droit exclusif du titulaire d’une marque, prévu aux articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 et limité par la règle de l’épuisement énoncée aux articles 7 de la directive 89/104 et 13 du règlement n° 40/94, doit être compris en ce sens que ce titulaire peut s’opposer à la première mise dans le commerce dans l’EEE ou dans l’Union, sans son consentement, de produits d’origine qui sont revêtus de cette marque et qui ont été fabriqués ou ont fait l’objet d’une première mise dans le commerce dans un État tiers.

21      Or, la Cour a déjà jugé, au point 26 de l’arrêt Silhouette International Schmied (EU:C:1998:374), que la directive 89/104 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle laisserait aux États membres la possibilité de prévoir dans leur droit national l’épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des États tiers.

22      Dans des arrêts ultérieurs, la Cour a réaffirmé que l’effet de la directive 89/104 est de limiter l’épuisement du droit conféré au titulaire de la marque aux seuls cas où les produits ont déjà été mis dans le commerce dans l’EEE par ce titulaire ou avec son consentement (voir, en ce sens, arrêts Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C-416/99, EU:C:2001:617, point 33; Van Doren + Q, C-244/00, EU:C:2003:204, point 26, ainsi que Peak Holding, C-16/03, EU:C:2004:759, point 36).

23      Concrètement, la règle énoncée aux articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 confère au titulaire de la marque un droit exclusif lui permettant d’interdire à tout tiers d’importer des produits revêtus de sa marque, de les offrir, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, tandis que les articles 7 de cette directive et 13 de ce règlement prévoient une exception à cette règle, en disposant que le droit du titulaire est épuisé lorsque les produits ont été mis dans le commerce dans l’EEE – ou, dans le cas d’une marque communautaire, dans l’Union – par le titulaire lui-même ou avec son consentement (arrêt L’Oréal e.a., C-324/09, EU:C:2011:474, point 59 et jurisprudence citée).

24      Lorsque les produits n’ont à aucun moment été mis dans le commerce à l’intérieur de l’EEE par le titulaire de la marque ou avec le consentement de ce dernier, l’exception énoncée aux articles 7 de la directive 89/104 et 13 du règlement n° 40/94 ne saurait s’appliquer. À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il est essentiel que le titulaire d’une marque enregistrée dans un État membre puisse contrôler la première mise dans le commerce de produits revêtus de cette marque dans l’EEE (arrêt L’Oréal e.a., EU:C:2011:474, point 60 et jurisprudence citée).

25      Les articles 101 TFUE et 102 TFUE n’affectent pas, par eux-mêmes, la portée des règles rappelées ci-dessus. Lorsque, comme en l’occurrence, le titulaire d’une marque s’oppose à l’importation sans son consentement, à partir d’un État tiers, de produits revêtus de cette marque, cette opposition ne saurait, prise isolément, être considérée comme constituant un «accord» ou une «pratique concertée» susceptible «d’affecter le commerce entre États membres» et ayant «pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur», au sens de l’article 101 TFUE, ou comme constituant une «pratique abusive», au sens de l’article 102 TFUE.

26      En ce qui concerne, enfin, le GATT de 1994 et l’accord ADPIC, faisant partie intégrante de l’accord instituant l’OMC, il suffit de relever que leurs parties contractantes se sont abstenues de trancher la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle, ainsi qu’il ressort, en particulier, de l’article 6 de l’accord ADPIC, aux termes duquel, «[a]ux fins du règlement des différends dans le cadre du présent accord, [...] aucune disposition du présent accord ne sera utilisée pour traiter la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle». Dans ces conditions, la directive 89/104 et le règlement n° 40/94 ne sauraient, en ce qui concerne l’épuisement du droit exclusif conféré par la marque, utilement être interprétés à la lumière de l’accord instituant l’OMC.

27      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que les articles 5 et 7 de la directive 89/104 ainsi que les articles 9 et 13 du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la première mise dans le commerce dans l’EEE ou dans l’Union, sans son consentement, de produits d’origine revêtus de cette marque.

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Les articles 5 et 7 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, ainsi que les articles 9 et 13 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la première mise dans le commerce dans l’Espace économique européen ou dans l’Union européenne, sans son consentement, de produits d’origine revêtus de cette marque.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.

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