SNCM v Commission (Judgment) French Text [2017] EUECJ T-454/13 (01 March 2017)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2017/T45413.html
Cite as: [2017] EUECJ T-454/13, ECLI:EU:T:2017:134, EU:T:2017:134

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ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

1er mars 2017 (*)

« Aides d’État – Cabotage maritime – Aides mises à exécution par la France en faveur de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) et de la Compagnie méridionale de navigation – Service d’intérêt économique général – Compensations pour un service complémentaire du service de base destiné à couvrir les périodes de pointe pendant la saison touristique – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur – Notion d’aide d’État – Avantage – Arrêt Altmark – Détermination du montant de l’aide »

Dans l’affaire T‑454/13,

Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM), établie à Marseille (France), représentée initialement par Mes A. Winckler, F.-C. Laprévote, J.-P. Mignard et S. Mabile, puis par Mes Winckler et Laprévote et enfin par Mes Laprévote et C. Froitzheim, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Afonso et M. B. Stromsky, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Corsica Ferries France SAS, établie à Bastia (France), représentée par Mes S. Rodrigues et C. Bernard-Glanz, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision 2013/435/UE de la Commission, du 2 mai 2013, concernant l’aide d’État SA.22843 (2012/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par la France en faveur de la Société nationale Corse Méditerranée et la Compagnie méridionale de navigation (JO 2013, L 220, p. 20),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, A. M. Collins (rapporteur) et V. Valančius, juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 juin 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Principaux acteurs

1        La requérante, la Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM), est une compagnie maritime française qui assure des liaisons régulières vers, notamment, la Corse (France) au départ des ports de Marseille (France) et de Nice (France), en les reliant à ceux d’Ajaccio, de Bastia, de Calvi, de l’Île-Rousse, de Porto-Vecchio et de Propriano.

2        À l’époque des faits, la SNCM exploitait une flotte de dix navires, dont six ferries, à savoir le Danielle Casanova, le Napoléon Bonaparte, le Corse, le Méditerranée, l’Île de Beauté et l’Excelsior, et quatre cargos mixtes assurant le transport tant des passagers que du fret, à savoir le Jean Nicoli (qui a remplacé le Monte Cinto en 2009 pour la fourniture des services en cause), le Pascal Paoli, le Paglia Orba et le Monte d’Oro.

3        Par jugement en date du 28 novembre 2014, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SNCM. Par jugement en date du 20 novembre 2015, ce tribunal a accepté l’une des offres qui lui avaient été présentées pour la reprise de la SNCM. En conséquence, il a prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire de la SNCM et a fixé l’entrée en jouissance par le repreneur à 45 jours après la date du jugement.

4        La Compagnie méridionale de navigation (ci-après la « CMN ») est une compagnie maritime française desservant notamment les ports de Bastia, d’Ajaccio et de Propriano depuis Marseille.

5        Pour la fourniture des services en cause, la CMN utilisait trois cargos mixtes, à savoir le Kalliste, le Girolata et le Scandola (ultérieurement remplacé par le Piana).

6        Corsica Ferries France SAS (ci‑après « Corsica Ferries ») est une compagnie maritime française qui assure des liaisons maritimes régulières entre, notamment, la France continentale et la Corse, à savoir les lignes Nice-Ajaccio, Nice-L’Île-Rousse, Nice-Bastia, Nice-Calvi, Toulon-Ajaccio, Toulon-Bastia et Toulon-L’Île-Rousse.

7        La collectivité territoriale de Corse (ci-après la « CTC ») est une personne morale de droit public français qui comporte trois entités, à savoir l’assemblée de Corse, le conseil exécutif de Corse et le conseil économique, social et culturel de Corse.

8        L’office des transports de la Corse (ci-après l’« OTC ») est un établissement public à caractère industriel et commercial français, créé par la CTC et chargé de la mise en œuvre de la politique des transports aériens et maritimes de l’île. L’OTC a notamment pour mission de gérer l’enveloppe budgétaire allouée par la CTC pour assurer la continuité territoriale et de répartir les crédits entre le transport aérien et le transport maritime. À ce titre, il conclut avec les compagnies de transport, délégataires du service public, des conventions définissant notamment les tarifs, les conditions d’exécution et la qualité du service. Le principe de continuité territoriale vise à compenser l’insularité et à assurer la desserte de l’île selon des modalités aussi proches que possible de celles des liaisons purement continentales et à pratiquer sur les liaisons maritimes entre la France continentale et la Corse un tarif comparable aux tarifs des transports terrestres.

 Service de transport maritime entre la France continentale et la Corse et conventions de délégation de service public

9        À l’époque des faits, le service de transport maritime entre la France continentale et la Corse était assuré par trois compagnies maritimes, à savoir la SNCM, la CMN et Corsica Ferries. Une quatrième, en l’occurrence Moby Lines, a effectué des liaisons entre Toulon et la Corse d’avril 2010 à février 2011.

10      Le trafic de passagers entre le continent et la Corse est caractérisé par une très forte saisonnalité, l’essentiel de ce trafic s’effectuant durant les mois d’été. Au cours des années 2000, la tendance principale des marchés du transport entre la France continentale et la Corse a été le développement de l’offre de transport au départ de Toulon, devenu le premier port de desserte de la Corse en termes de trafic. Cette tendance à l’augmentation du trafic au départ de Toulon est allée de pair avec l’augmentation de la part de marché de Corsica Ferries.

11      Le 31 mars 1976, la SNCM et la CMN, d’une part, et la République française, d’autre part, ont signé une convention-cadre, d’une durée de 25 ans, pour l’exploitation du service public de la desserte maritime de la Corse au départ de la France continentale.

12      À l’occasion de la fin de cette concession de service public, le 31 décembre 2001, les autorités corses ont revu le dispositif de desserte maritime de l’île.

13      Ainsi, à partir du 1er janvier 2002, seules les lignes au départ de Marseille ont été desservies dans le cadre d’une convention de délégation de service public, donnant lieu à compensation financière pour les délégataires. Cette convention a été conclue entre la SNCM et la CMN, d’une part, et la CTC et l’OTC, d’autre part, pour une durée de cinq ans.

14      Pour les autres lignes, à savoir celles au départ de Nice et de Toulon, un régime d’aides à caractère social a, parallèlement à la convention visée au point 13 ci-dessus, été mis en place par les autorités corses au bénéfice des résidents de l’île ainsi que de certaines catégories socialement identifiées. Une convention d’aide sociale permet ainsi le versement, pour chaque passager éligible à un tarif préférentiel, d’une aide préfinancée par les compagnies de transport qui acceptent de respecter les obligations de service public (ci-après les « OSP »), cette aide unitaire leur étant ensuite remboursée. Les catégories visées représentaient près des deux tiers du trafic total (résidents corses, personnes âgées de moins de 25 ans ou de plus de 60 ans, étudiants âgés de moins de 27 ans, familles et personnes handicapées ou invalides). Ce régime d’aides a été approuvé par la Commission européenne par décision du 2 juillet 2002 (Aide d’État N 781/2001 – Régime d’aides individuelles à caractère social pour la desserte maritime de la Corse). Par décision du 23 avril 2007 (Aide d’État N 13/2007 – Prolongation du régime d’aides individuelles à caractère social pour la desserte maritime de la Corse N 781/2001), la Commission a approuvé la reconduction dudit régime d’aides jusqu’au 31 décembre 2013. Ces liaisons maritimes entre les ports de Nice et de Toulon, d’une part, et ceux de Corse, d’autre part, sont principalement opérées par Corsica Ferries.

15      Par délibération du 24 mars 2006, l’assemblée de Corse a approuvé le principe du renouvellement d’une délégation de service public (ci-après « DSP ») de la desserte maritime des ports d’Ajaccio, de Bastia, de Calvi, de L’Île-Rousse, de Porto-Vecchio et de Propriano à partir du port de Marseille à compter du 1er janvier 2007. Par la même délibération, elle a donné mandat au président de l’OTC aux fins de lancer, au nom de la CTC, la procédure d’appel d’offres, de procéder à l’instruction technique des dossiers et d’assister la CTC pour l’attribution de la DSP.

16      Un avis d’appel offres a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 27 mai 2006 ainsi que dans le quotidien Les Échos le 9 juin 2006. Quatre offres ont été déposées le 4 août 2006, date limite de remise des offres, à savoir une offre de la SNCM, une offre de Corsica Ferries, une offre de la CMN et une offre d’un groupement momentané constitué par Corsica Ferries et la CMN.

17      Par décision du 15 décembre 2006, le Conseil d’État (France) a annulé la procédure de passation de la DSP.

18      Par délibération du 22 décembre 2006, l’assemblée de Corse a décidé de reprendre intégralement la procédure de passation de la DSP, de prolonger la DSP en cours jusqu’au 30 avril 2007 et de fixer au 1er mai 2007 la date de mise en œuvre de la nouvelle DSP.

19      Un nouvel avis d’appel d’offres a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 30 décembre 2006, dans Les Échos le 4 janvier 2007 et dans l’hebdomadaire Le Journal de la Marine Marchande le 5 janvier 2007. Le 9 février 2007, deux offres ont été déposées, à savoir, d’une part, une offre commune de la SNCM et de la CMN constituées en un groupement momentané (ci-après le « groupement SNCM-CMN ») portant sur la totalité des lignes, sous la forme à la fois d’une offre globale et d’offres ligne par ligne, et, d’autre part, une offre de Corsica Ferries portant sur les lignes Marseille-Ajaccio, Marseille-Porto-Vecchio et Marseille-Propriano, sous la forme à la fois d’une offre globale pour ces trois lignes et d’offres ligne par ligne.

20      Par ordonnance du 27 avril 2007, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, saisi par Corsica Ferries, a annulé la phase de négociation de la procédure de passation de la DSP ainsi que la décision du président du conseil exécutif de Corse et du président de l’OTC de retenir l’offre du groupement SNCM-CMN et de proposer à l’assemblée de Corse d’attribuer la DSP à ce groupement. Il a jugé qu’il appartenait à la CTC et à l’OTC de reprendre la procédure de discussion avec les entreprises ayant présenté une offre.

21      Par délibération du 27 avril 2007, l’assemblée de Corse a prolongé de deux mois la durée de la délégation en cours et a fixé au 1er juillet 2007 la date de mise en œuvre de la nouvelle DSP.

22      À la suite d’une nouvelle phase de négociations avec le groupement SNCM-CMN et Corsica Ferries, l’OTC a proposé de rejeter l’offre de cette dernière au motif qu’elle n’était pas en mesure de fixer de manière ferme et définitive la date à laquelle elle serait capable d’exploiter la DSP et qu’elle ne répondait pas à la condition d’âge maximal des navires prescrite par le règlement particulier d’appel d’offres.

23      Par délibération du 7 juin 2007, l’assemblée de Corse a attribué au groupement SNCM-CMN la DSP de la desserte maritime entre le port de Marseille et les ports de Corse pour la période allant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013.

24      L’article 1er de cette délibération se lit comme suit :

« Approuve le rapport du président du conseil exécutif [de Corse] dans lequel il est exposé, d’une part, que l’offre du groupement SNCM-CMN répond aux prescriptions et aux critères du règlement particulier d’appel d’offres et du cahier des charges pour chacune des cinq lignes et, d’autre part, que la société Corsica Ferries n’est pas en mesure de fixer, de manière ferme et définitive, la date à laquelle elle serait capable d’exploiter la prochaine [DSP] et qu’à cet égard les conditions qu’elle pose, relatives à des éléments extérieurs au contenu de la [DSP], ne peuvent être prises en considération. »

25      Par décision du même jour, le président du conseil exécutif de Corse a été autorisé à signer la convention de délégation de service public relative à cette desserte maritime (ci-après la « CDSP »).

26      La CDSP a été conclue le 7 juin 2007 pour la période allant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013.

27      Par jugement du 24 janvier 2008, le tribunal administratif de Bastia a rejeté une demande de Corsica Ferries tendant à l’annulation de la délibération et de la décision visées aux points 23 et 25 ci-dessus. Par arrêt du 7 novembre 2011, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que cette délibération et cette décision. Par décision du 13 juillet 2012, le Conseil d’État a, sur pourvoi de la SNCM et de la CMN, annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille et a renvoyé l’affaire à celle-ci. Par arrêt du 6 avril 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif de Bastia du 24 janvier 2008 ainsi que lesdites délibération et décision.

28      L’article 1er de la CDSP définit l’objet de celle-ci comme étant la fourniture de services maritimes réguliers sur l’ensemble des lignes de la DSP entre le port de Marseille et les ports de Bastia, d’Ajaccio, de Porto-Vecchio, de Propriano et de la Balagne (Calvi et L’Île-Rousse).

29      Le cahier des charges, figurant à l’annexe 1 de la CDSP, définit la nature desdits services. En particulier, il prévoit :

–        un service permanent « passager et fret » à fournir pendant toute l’année sur toutes les lignes concernées (ci-après le « service de base ») et

–        un service « passager » supplémentaire à fournir pendant les périodes de pointe sur les lignes Marseille-Ajaccio, Marseille-Bastia et Marseille-Propriano (ci-après le « service complémentaire »).

30      L’article 2 de la CDSP précise notamment les montants des compensations financières de référence sur lesquels les délégataires s’engagent pour la durée de la DSP.

31      L’article 3 de la CDSP prévoit que la DSP ne donne pas lieu à l’exclusivité sur les lignes maritimes en cause, mais permet à d’autres compagnies, en les soumettant toutefois à certaines obligations, d’effectuer un service régulier sans compensation financière. Cet article précise également que les demandes de compensation financière des délégataires ont été déterminées en fonction du dispositif d’aides à caractère social.

32      L’article 5 de la CDSP, intitulé « conditions de versement des compensations financières », prévoit, au troisième alinéa de son paragraphe 2, que la compensation financière finale de chaque délégataire pour chaque année est limitée au montant du déficit d’exploitation entraîné par les obligations résultant du cahier des charges, en tenant compte d’un rendement raisonnable du capital nautique engagé au prorata des journées de son utilisation effective pour les traversées correspondant à ces obligations. Est considéré comme rendement raisonnable du capital nautique engagé le pourcentage de 15 % de sa valeur conventionnelle. Cette valeur conventionnelle est spécifiée à l’annexe 3 de la CDSP.

33      L’article 7 de la CDSP, intitulé « clause de sauvegarde », stipule, en son paragraphe 1, que, en cas de modification importante des conditions techniques, réglementaires ou économiques d’exploitation des services délégués ou pour tenir compte d’évènements extérieurs ayant un impact significatif sur les engagements financiers du ou des délégataires, les parties se rencontreront, à l’initiative de la plus diligente, pour prendre des mesures de rétablissement de l’équilibre financier initial de la CDSP, « en priorité, sur les tarifs maxima et sur l’adaptation des services ».

34      L’article 7, paragraphe 2, de la CDSP rappelle que les montants des compensations financières annuelles de référence ont été déterminés en fonction des prévisions de recettes brutes passagers et fret figurant dans l’offre de chacun des délégataires. La même disposition prévoit la possibilité d’ajuster, à la hausse ou à la baisse, chaque année et dans certaines hypothèses, la compensation financière pour chaque catégorie de recettes et pour chaque délégataire. Ladite disposition stipule également que ce mécanisme d’ajustement ne joue que jusqu’à la date d’application de la clause d’adaptation prévue à l’article 8 de la CDSP.

35      L’article 8 de la CDSP, intitulé « clause d’adaptation », se lit comme suit :

« Compte tenu de la durée de la [CDSP], un point d’étape est prévu dans le courant de la troisième année pour analyser, en s’appuyant sur une procédure et une expertise contradictoire, l’équilibre financier de la [CDSP] et arrêter, par concertation entre les parties, les mesures éventuelles de correction des services et d’ajustement des tarifs qui garantiront la maîtrise pour la [CTC] de son intervention financière, notamment par la diminution de la compensation, et devront préserver l’économie générale de la [CDSP]. »

36      En application de cette clause d’adaptation, la CDSP a été modifiée par voie d’avenant à la fin de l’année 2009.

 Procédure devant la Commission et décision attaquée

37      Par courriers des 27 septembre, 30 novembre et 20 décembre 2007, la Commission a été saisie d’une plainte par Corsica Ferries au sujet d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur, dont la SNCM et la CMN bénéficieraient grâce à la CDSP.

38      Par courriers du 20 mai 2010, du 16 juillet 2010, du 22 mars 2011, du 22 juin 2011, du 15 décembre 2011 et du 10 janvier 2012, Corsica Ferries a communiqué des informations complémentaires à la Commission au soutien de sa plainte.

39      Par courriers du 13 mars 2008, du 12 novembre 2008, du 13 octobre 2011 et du 14 décembre 2011, la Commission a demandé des informations aux autorités françaises. Ces dernières ont répondu à ces demandes par courriers du 3 juin 2008, du 14 janvier 2009, du 7 décembre 2011 et du 20 janvier 2012, respectivement.

40      Par lettre du 27 juin 2012, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sur les aides potentielles au bénéfice de la SNCM et de la CMN contenues dans la CDSP (JO 2012, C 301, p. 1).

41      Les autorités françaises ont présenté leurs observations sur cette décision et ont répondu aux questions contenues dans celle-ci par courriers des 13 juillet et 7 septembre 2012. Corsica Ferries, la SNCM et la CMN ont également présenté des observations sur ladite décision, qui ont été communiquées aux autorités françaises et ont fait l’objet de commentaires de la part de celles-ci par courriers du 14 novembre 2012 et des 3 janvier, 16 janvier et 12 février 2013.

42      À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté, le 2 mai 2013, la décision 2013/435/UE concernant l’aide d’État SA.22843 (2012/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par la France en faveur de la SNCM et la CMN (JO 2013, L 220, p. 20, ci-après la « décision attaquée »).

43      La décision attaquée a été notifiée à la République française le 3 mai 2013 et communiquée à la SNCM par courriel de la Commission du 14 juin 2013.

44      Dans la décision attaquée, pour déterminer si les compensations octroyées à la SNCM et à la CMN dans le cadre de la CDSP constituaient une aide d’État et, en particulier, un avantage sélectif, la Commission a examiné si les critères cumulatifs fixés par la Cour dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415) étaient remplis en l’espèce (ci-après les « critères Altmark »). Plus particulièrement, elle a procédé à l’analyse du premier et du quatrième de ces critères (voir points 87 et 90 ci-après).

45      S’agissant du premier des critères Altmark, en premier lieu, la Commission a défini le « cadre d’analyse » à utiliser pour apprécier celui-ci (considérants 132 à 136 de la décision attaquée). Elle a notamment estimé que, pour être acceptable au regard des règles en matière d’aides d’État, le périmètre du service public devait respecter le règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO 1992, L 364, p. 7, ci-après le « règlement cabotage maritime »), tel qu’interprété par la jurisprudence et, en particulier, par la Cour dans son arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107). Elle en a déduit que « le champ du service public tel que défini par un contrat de service public [devait] être nécessaire et proportionné par rapport à un besoin réel de service public, démontré par l’insuffisance des services réguliers de transport dans des conditions normales de marché » (considérant 136 de la décision attaquée).

46      En deuxième lieu, la Commission a estimé que le service de base et le service complémentaire devaient être analysés séparément (considérants 137 à 144 de la décision attaquée). Elle a relevé que le cahier des charges annexé à la CDSP faisait une distinction claire entre ces deux types de service. Par ailleurs, elle a estimé qu’il ne serait légitime de considérer que le service complémentaire peut être justifié par le besoin réel de service public auquel satisfait le service de base que s’il était établi que son exploitation était indispensable à celle du service de base « sur le fondement d’un ensemble de considérations techniques et économiques » (considérant 139 de la décision attaquée). Or, en l’espèce, aucune complémentarité technique n’aurait été établie entre ces deux types de service, ceux-ci étant soumis à des obligations distinctes, notamment en termes d’horaires et de fréquence, et le service de base serait réalisé avec des cargos mixtes tandis que le service complémentaire le serait avec des ferries. De plus, la comptabilité analytique de la SNCM ferait durablement apparaître, s’agissant du service complémentaire, un déficit d’exploitation, de sorte que l’argument des autorités françaises selon lequel l’inclusion de ce service dans le périmètre de la DSP serait justifiée par une péréquation financière avec le service de base ne saurait être retenu.

47      En troisième lieu, la Commission a analysé le service de base au regard du premier des critères Altmark (considérants 145 à 150 de la décision attaquée). À cet égard, tout d’abord, elle a constaté que la fourniture d’un service minimal de continuité territoriale entre Marseille et les cinq ports corses concernés répondait à un besoin de service public clairement défini (considérant 145 de la décision attaquée). Ensuite, s’agissant de la carence de l’initiative privée, elle a relevé que les autres opérateurs sur le marché avaient eux-mêmes reconnu qu’ils n’auraient pas été en mesure d’assurer le service de base (considérant 146 de la décision attaquée). Par ailleurs, elle a considéré que le regroupement de lignes au sein d’un seul service n’était pas en lui-même contraire au règlement cabotage maritime. Au contraire, en l’espèce, le regroupement des cinq lignes permettrait une mutualisation des moyens nautiques de nature à améliorer la qualité du service en cause et à réduire son coût (considérant 148 de la décision attaquée). Enfin, elle a rappelé que la CDSP et ses annexes fixaient des normes précises de continuité, de régularité, de capacité et de tarification que les délégataires devaient respecter en vue d’assurer le service de base (considérant 149 de la décision attaquée). Elle a conclu de ce qui précède que l’inclusion du service de base dans le périmètre de la CDSP était nécessaire et proportionnée par rapport au besoin réel de service public (considérant 150 de la décision attaquée).

48      En quatrième lieu, la Commission a analysé le service complémentaire, fourni par la seule SNCM, ce en utilisant deux ferries, au regard du premier des critères Altmark (considérants 151 à 167 de la décision attaquée). Elle a considéré que son inclusion dans le périmètre du service public ne répondait pas à un besoin réel de service public et que la République française avait, dès lors, commis une erreur manifeste d’appréciation en le qualifiant de service d’intérêt économique général (ci-après « SIEG ») (considérant 167 de la décision attaquée).

49      À ce propos, d’une part, la Commission a estimé que le service complémentaire, fourni au départ de Marseille, était largement substituable, du point de vue de la demande des passagers, aux services de transport de passagers fournis au départ de Toulon et à destination de Bastia et d’Ajaccio lors de la conclusion de la CDSP (considérants 154 à 160 de la décision attaquée). À cet égard, elle a notamment relevé que l’évolution du trafic sur les dessertes entre la France continentale et la Corse au cours de la période 2002-2009 démontrait le développement rapide d’une offre concurrentielle avec celle des deux délégataires. La répartition du trafic entre les ports desservis établirait une croissance très forte du trafic au départ de Toulon et une diminution concomitante du trafic au départ de Marseille. La croissance du trafic global aurait ainsi été largement absorbée par les prestataires de services opérant au départ de Toulon, au détriment de l’offre des délégataires opérant au départ de Marseille. Elle a également invoqué la faible distance entre Marseille et Toulon, le fait que le temps de trajet sur route entre ces deux villes était largement inférieur au temps de trajet en mer et le fait que les navires au départ de Toulon pouvaient rejoindre la Corse en moins de temps que ceux au départ de Marseille.

50      D’autre part, la Commission a relevé qu’aucune preuve de la carence de l’initiative privée concernant le service complémentaire n’avait été rapportée par les autorités françaises (considérant 161 de la décision attaquée). Elle a notamment constaté que, pour les ports de Bastia et d’Ajaccio, qui représentaient 90 % des capacités requises par le service complémentaire, la combinaison des capacités offertes par le service de base de la DSP, au départ de Marseille, et du service d’initiative privée fourni par Corsica Ferries au départ de Toulon suffisait à assurer la demande effectivement constatée, et ce aussi bien pour la période printemps-automne que pour la période d’été, pour chacun des deux ports et pour chaque année de 2004 à 2006 (considérant 162 de la décision attaquée). Ainsi, elle a estimé que l’intégration du service complémentaire dans le périmètre de la DSP n’était ni nécessaire ni proportionnée à la satisfaction d’une demande de transport constatée pour les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio. S’agissant de la ligne Marseille-Propriano, elle a indiqué que la faible proportion du trafic représentée par celle-ci ne permettait pas de considérer que la carence de l’initiative privée sur cette seule ligne invalidait sa conclusion concernant l’ensemble du service complémentaire (considérant 164 de la décision attaquée). Elle a également relevé que le service fourni par Corsica Ferries répondait aux normes des OSP applicables à toute liaison entre le continent français et la Corse et ne présentait pas de différence qualitative avec le service fourni dans le cadre du service complémentaire (considérant 165 de la décision attaquée).

51      La Commission a conclu de ce qui précède que le premier des critères Altmark n’était pas rempli en ce qui concerne les compensations octroyées au titre du service complémentaire (considérant 167 de la décision attaquée).

52      S’agissant du quatrième des critères Altmark, la Commission a considéré qu’il n’était rempli pour aucun des deux types de service en cause (considérant 183 de la décision attaquée).

53      À cet égard, en premier lieu, la Commission a conclu, sur la base d’un ensemble d’éléments, que les conditions de l’appel d’offres n’avaient pas permis de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité (considérants 169 à 178 de la décision attaquée).

54      Pour parvenir à cette conclusion, la Commission s’est fondée, en substance, sur les éléments suivants :

–        l’attribution de la DSP s’est faite à l’issue d’une procédure négociée après publication d’un avis d’appel d’offres, à savoir une procédure qui confère une large marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur et peut restreindre la participation des opérateurs intéressés ;

–        l’unique offre concurrente de celle des deux délégataires, à savoir celle de Corsica Ferries, n’a pas été évaluée au regard de ses mérites propres (critères d’attribution), mais sur le fondement d’un critère de sélection, à savoir la capacité du candidat à opérer dès le 1er juillet 2007 ;

–        la procédure n’a donc pas permis à l’OTC de comparer plusieurs offres pour retenir la plus avantageuse économiquement ;

–        le fait que deux offres aient été effectivement déposées n’est pas suffisant pour avoir entraîné une concurrence effective, dès lors que l’offre concurrente de Corsica Ferries, qui fixait une date de début des services au 12 novembre 2007, n’était, de ce fait, pas en mesure de constituer une alternative crédible ;

–        la multiplicité des recours contentieux intervenus en l’espèce n’est pas un élément de nature à prouver l’effectivité de la concurrence dans le cadre de la procédure de passation de la CDSP ;

–        le groupement SNCM-CMN jouissait d’un avantage concurrentiel important en tant qu’opérateur historique disposant déjà d’un outil naval adapté aux spécifications du cahier des charges de la CDSP ;

–        la durée très courte du délai imparti entre la date prévue pour l’attribution de la DSP (finalement intervenue le 7 juin 2007) et la date du début de la fourniture des services (1er juillet 2007) était de nature à constituer une barrière à l’entrée importante pour de nouveaux entrants ;

–        conjuguée aux exigences techniques liées aux spécificités des ports en cause, à la condition sur l’âge de la flotte et aux capacités unitaires demandées par le cahier des charges de la CDSP, cette durée très courte a été susceptible de limiter la participation à l’appel d’offres ;

–        l’existence de nombreuses clauses de rencontre, associée à la liberté laissée à l’OTC de décider d’exemptions aux règles applicables, a également pu contribuer à décourager la participation à l’appel d’offres en entretenant le doute sur certains paramètres techniques et économiques cruciaux pour l’élaboration d’une offre.

55      En second lieu, la Commission a relevé que les autorités françaises ne lui avaient fourni aucun élément d’information susceptible de démontrer que les compensations étaient calculées sur le modèle d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée (considérants 179 et 180 de la décision attaquée). Elle a ajouté que la compensation n’avait pas été définie par référence à une base de coûts établie a priori ou par comparaison avec la structure de charges d’autres entreprises maritimes comparables, mais eu égard à des prévisions de recettes et de coûts du carburant qui ne reprenaient qu’une partie des produits et des charges du service (considérant 180 de la décision attaquée). En outre, les compensations prévisionnelles de la DSP auraient été sensiblement supérieures à celles relatives à la période 2002-2006, pour des obligations similaires, voire légèrement inférieures en termes de capacité offerte (considérant 181 de la décision attaquée). Enfin, elle a estimé qu’une comparaison avec les coûts encourus par une entreprise bien gérée était d’autant plus nécessaire que certains éléments laissaient supposer que la SNCM, qui sortait alors d’une période de restructuration intense, n’était pas elle-même une telle entreprise (considérant 182 de la décision attaquée).

56      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Commission a conclu à l’existence d’un avantage économique sélectif accordé aux délégataires (considérant 184 de la décision attaquée).

57      Après avoir constaté que les compensations en cause risquaient de fausser la concurrence et d’affecter le commerce entre États membres, la Commission a conclu qu’elles constituaient des aides d’État et qu’elles étaient illégales car elles avaient été octroyées sans notification préalable (considérants 185 à 187 et article 1er de la décision attaquée).

58      Aux considérants 188 à 212 de la décision attaquée, la Commission a examiné la compatibilité de ces aides d’État avec le marché intérieur.

59      À cet égard, en premier lieu, la Commission a relevé que, conformément au point 11 de sa communication relative à l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public (2011) (JO 2012, C 8, p. 15, ci-après l’« encadrement SIEG »), les aides d’État n’entrant pas dans le champ d’application de sa décision 2012/21/UE, du 20 décembre 2011, relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, TFUE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de [SIEG] (JO 2012, L 7, p. 3), pouvaient être déclarées compatibles avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE si elles étaient nécessaires au fonctionnement des SIEG concernés et n’affectaient pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union européenne, un tel équilibre n’étant possible que lorsque les conditions énoncées aux sections 2.2 à 2.10 de l’encadrement SIEG étaient remplies (considérant 190 de la décision attaquée).

60      En deuxième lieu, la Commission a rappelé que le service de base constituait un SIEG, mais que ce n’était pas le cas pour le service complémentaire, de sorte que les compensations versées au titre de ce dernier service ne sauraient être déclarées compatibles avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE (considérants 192 et 193 de la décision attaquée).

61      En troisième lieu, la Commission a considéré que, s’agissant du service de base, les autres conditions prévues par l’encadrement SIEG étaient remplies (considérants 194 à 212 de la décision attaquée).

62      La Commission a conclu des éléments qui précèdent que les compensations versées à la SNCM et à la CMN au titre du service de base étaient des aides d’État illégales mais compatibles avec le marché intérieur (considérant 213, article 1er et article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée), alors que celles versées à la seule SNCM au titre du service complémentaire étaient des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur (considérant 214, article 1er et article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée).

63      En conséquence, la Commission a ordonné la cessation immédiate du versement des compensations relatives au service complémentaire et la récupération, auprès du bénéficiaire, des aides déjà versées à cette fin, étant entendu que les sommes à récupérer produisaient des intérêts, courant à partir de la date à laquelle elles avaient été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu’à leur récupération effective (considérants 215 à 218 et 220 et article 3 de la décision attaquée). La Commission a précisé que cette récupération devait être immédiate et effective et que les autorités françaises devaient veiller à ce que la décision attaquée soit mise en œuvre dans les quatre mois suivant la date de sa notification (considérant 219 et article 4 de la décision attaquée), c’est-à-dire pour le 3 septembre 2013. En outre, les autorités françaises étaient tenues de communiquer à la Commission, dans les deux mois suivant la notification de la décision attaquée, notamment, le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès du bénéficiaire, une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la décision attaquée ainsi que les documents démontrant que le bénéficiaire avait été mis en demeure de rembourser l’aide (article 5 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

64      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 août 2013, la SNCM a introduit le présent recours.

65      La décision attaquée a également fait l’objet d’un recours en annulation par la République française, déposé au greffe du Tribunal le 12 juillet 2013 et enregistré sous la référence T‑366/13.

66      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 décembre 2013, Corsica Ferries a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

67      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 9 janvier et 10 février 2014, la SNCM a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de Corsica Ferries, si cette dernière était admise à intervenir, de certains éléments contenus, respectivement, dans la requête et dans la réplique. Elle a joint à ces demandes une version non confidentielle de ces écritures.

68      Par ordonnance du 21 février 2014, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis l’intervention de Corsica Ferries. La décision sur le bien-fondé des demandes de traitement confidentiel a été réservée.

69      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 mars 2014, Corsica Ferries a formulé des objections à l’encontre des demandes de traitement confidentiel en ce qui concerne une grande partie des éléments visés par celles-ci.

70      Par ordonnance du 3 octobre 2014, SNCM/Commission (T‑454/13, EU:T:2014:898), le président de la sixième chambre du Tribunal a partiellement fait droit aux demandes de traitement confidentiel.

71      Corsica Ferries a déposé son mémoire en intervention au greffe du Tribunal le 9 janvier 2015. La SNCM a présenté des observations sur ce mémoire par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 mars 2015. Par lettre en date du même jour, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas d’observations à présenter sur ledit mémoire.

72      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

73      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, le Tribunal a invité la Commission à répondre par écrit à certaines questions, ce qu’elle a fait dans le délai imparti.

74      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 juin 2016, la SNCM a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de Corsica Ferries, de certaines parties de la réponse de la Commission à ces questions. Corsica Ferries a reçu seulement une version non confidentielle de cette réponse et n’a soulevé aucune objection à l’encontre de la demande de traitement confidentiel formulée à son égard.

75      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 juin 2016.

76      La SNCM conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée dans la mesure où celle-ci prévoit que le montant de l’aide inclut les éléments cités à son considérant 218 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

77      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la SNCM aux dépens.

78      Corsica Ferries conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours principal ;

–        condamner la SNCM aux dépens.

 En droit

79      À l’appui du recours, la SNCM invoque une série d’arguments qui peuvent être regroupés en cinq moyens, à savoir :

–        un premier moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que le service complémentaire ne constituait pas un SIEG ;

–        un deuxième moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que la CDSP ne remplissait pas le quatrième des critères Altmark ;

–        un troisième moyen, tiré de ce que la Commission a erronément calculé le montant de l’aide à récupérer ;

–        un quatrième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime ;

–        un cinquième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

 Observations liminaires

80      À titre liminaire, il convient d’exposer certains principes jurisprudentiels, relatifs notamment à la qualification d’aide d’État d’une compensation de service public, à la lumière desquels le présent recours doit être examiné.

81      Aux termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

82      Selon une jurisprudence constante, la qualification d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions visées par cette disposition soient remplies. Ainsi, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources de l’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 74 et jurisprudence citée).

83      Les deux premiers moyens du présent recours concernent plus particulièrement la troisième de ces conditions, à savoir celle selon laquelle la mesure en cause doit s’analyser comme l’octroi d’un avantage à son bénéficiaire.

84      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée).

85      Toutefois, ne relève pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE une intervention étatique considérée comme une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des OSP, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de placer ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises concurrentes (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 87, et du 8 mai 2013, Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 84).

86      Cependant, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, quatre critères doivent être satisfaits cumulativement (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, points 87 et 88).

87      Premièrement, l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’OSP et ces obligations doivent être clairement définies (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 89). La notion d’OSP au sens de ce premier critère correspond à celle de SIEG visée à l’article 106, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, EU:T:2008:29, point 162).

88      Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 90).

89      Troisièmement, la compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des OSP, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 92).

90      Quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’OSP, dans un cas concret, n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 93).

91      Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que le premier des critères Altmark n’était pas rempli pour le service complémentaire et que le quatrième de ces critères n’était rempli pour aucun des deux types de service en cause.

 Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que le service complémentaire ne constituait pas un SIEG

92      Par son premier moyen, qui se subdivise en quatre branches, la SNCM fait valoir que la Commission a erronément considéré que le service complémentaire ne constituait pas un SIEG.

93      À titre liminaire, il y a lieu de préciser que, selon une jurisprudence constante, au regard, d’une part, du large pouvoir d’appréciation dont dispose l’État membre quant à la définition d’une mission de SIEG et aux conditions de sa mise en œuvre et, d’autre part, de la portée du contrôle limitée à l’erreur manifeste que la Commission est habilitée à exercer à ce titre (voir point 111 ci-après), le contrôle devant être exercé par le Tribunal sur l’appréciation de la Commission à cet égard ne saurait non plus dépasser la même limite et que, dès lors, ce contrôle doit se borner à examiner si la Commission a constaté ou a rejeté à bon droit l’existence d’une erreur manifeste de l’État membre (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2013, Iliad e.a./Commission, T‑325/10, non publié, EU:T:2013:472, point 121 et jurisprudence citée).

 Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en exerçant un contrôle détaillé de la nécessité du service au regard d’un besoin réel de service public

94      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, la SNCM conteste le bien-fondé du test utilisé par la Commission dans la décision attaquée en vue de vérifier le respect du premier des critères Altmark (voir point 45 ci-dessus). Elle soutient que cette dernière a commis une erreur de droit en exerçant, en l’espèce, un contrôle détaillé de la qualification de SIEG et de la nécessité du service complémentaire au regard d’un besoin réel de service public.

95      Cette première branche peut être divisée en quatre sous-branches. Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, la première sous-branche, ensuite, les deuxième et quatrième sous-branches et, enfin, la troisième sous-branche.

–       Sur la première sous-branche, tirée de ce que la Commission a méconnu sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que la jurisprudence

96      La SNCM affirme que la CDSP, qui avait pour objet premier de mettre en œuvre le principe de continuité territoriale, répondait dans son ensemble à un besoin clair de service public. En considérant le contraire dans la décision attaquée, la Commission se serait départie de sa pratique décisionnelle antérieure relative aux précédentes DSP pour la desserte maritime de la Corse, des arrêts du 19 mai 1993, Corbeau (C‑320/91, EU:C:1993:198), et du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415). Dans la réplique, la SNCM ajoute qu’il n’est pas loisible à la Commission d’adopter sur un même sujet une position diamétralement opposée à celle privilégiée jusqu’alors sans une motivation en bonne et due forme.

97      La Commission conteste les arguments avancés par la SNCM.

98      Tout d’abord, il convient de constater que l’allégation de la SNCM selon laquelle la Commission a agi de manière « manifestement contradictoire » en ce qu’elle aurait déjà considéré dans des décisions antérieures relatives aux précédentes DSP que la mise à disposition de capacités supplémentaires de transport de passagers pendant les périodes de pointe répondait à un besoin de service public ne saurait être accueillie. En effet, il est de jurisprudence constante que la notion d’aide d’État est une notion objective qui est fonction de la seule question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises. La pratique décisionnelle de la Commission en la matière ne saurait donc se révéler décisive (voir arrêt du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, T‑445/05, EU:T:2009:50, point 145 et jurisprudence citée). La même solution s’impose en ce qui concerne la question de l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur (arrêts du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C‑138/09, EU:C:2010:291, point 21, et du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, EU:T:2005:219, point 177).

99      En tout état de cause, le seul fait que la décision attaquée se différencie des décisions antérieures de la Commission en la matière ne permet pas de considérer qu’elle est incohérente avec ces dernières. En effet, comme le relève très justement la Commission, l’appréciation de l’existence d’un besoin réel de service public peut tout à fait évoluer au cours du temps, en fonction du développement des forces du marché. Il est à noter d’ailleurs que, déjà dans sa décision 2002/149/CE, du 30 octobre 2001, concernant les aides d’État versées par la France à la SNCM (JO 2002, L 50, p. 66), invoquée à plusieurs reprises par la SNCM dans ses écritures, la Commission avait souligné que, « [e]n ce qui concerne la desserte au départ des ports français du continent, la situation du marché a[vait] évolué significativement ces dernières années, au point de remettre en cause la nécessité de l’existence d’[OSP] pour toutes les lignes pendant toute l’année » (considérant 78) et que « la conclusion de la Commission sur le besoin réel du service public résultant du système de desserte prévu par la convention-cadre entre l’État et la SNCM en 1976 et, dans le cadre de cette convention, par les conventions quinquennales conclues entre l’OTC et la SNCM en 1991 et 1996 ne [pouvait] pas être extrapolée au-delà de la date limite du 31 décembre 2001, date d’échéance de la convention-cadre » (considérant 80).

100    Ensuite, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 99 ci-dessus, il y a lieu de considérer que la SNCM ne saurait utilement invoquer l’arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415), au soutien de son allégation. Les deux passages de cet arrêt cités par la SNCM concernent, en effet, la DSP relative à la période 1996-2001.

101    Par ailleurs, la SNCM ne saurait davantage invoquer l’arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C‑320/91, EU:C:1993:198), et, par là, l’exigence d’éviter une pratique d’« écrémage », c’est-à-dire le fait pour les opérateurs concurrents du délégataire de service public de se concentrer sur les activités rentables de la DSP et de laisser à ce dernier les activités non rentables, ne lui permettant donc pas d’opérer une compensation entre les pertes réalisées dans les secteurs non rentables et les bénéfices réalisés dans les secteurs plus rentables. En effet, ainsi que cela sera exposé plus en détail au point 155 ci-après, les éléments du dossier font apparaître que tant le service de base que le service complémentaire présentaient un important déficit d’exploitation, ce qui excluait toute possibilité de péréquation financière entre eux (voir, notamment, considérants 47 et 143 de la décision attaquée).

102    Enfin, il y a lieu de rejeter comme dénué de tout fondement le grief selon lequel la Commission a méconnu son obligation de motivation. Outre le fait qu’il ne saurait être reproché à cette dernière d’avoir adopté, en l’espèce, une approche « diamétralement opposée » à celle suivie dans ses précédentes décisions en la matière (voir point 99 ci-dessus), force est de constater que, dans la décision attaquée, elle indique de manière claire et précise les raisons pour lesquelles elle considère que l’existence d’un besoin réel de service public n’est pas établie en ce qui concerne le service complémentaire. Ainsi, après avoir défini le « cadre d’analyse » qu’elle utiliserait pour apprécier si le premier des critères Altmark était rempli en l’espèce (considérants 132 à 136 de la décision attaquée), la Commission a exposé, notamment en réfutant les arguments invoqués par la République française, la SNCM et la CMN, les motifs pour lesquels elle estimait que le service de base et le service complémentaire constituaient deux types de service distincts et devaient être examinés séparément (considérants 137 à 144 de la décision attaquée), avant d’analyser le second de ces services au regard de ce critère (considérants 151 à 167 de la décision attaquée). S’agissant de ce dernier point, la Commission a conclu que l’inclusion du service complémentaire dans le périmètre du service public ne répondait pas à un besoin réel de service public après avoir constaté, en substance, sur la base d’une série d’éléments, d’une part, que ce service, fourni au départ de Marseille, était largement substituable, du point de vue de la demande des passagers, aux services de transport de passagers fournis au départ de Toulon et à destination de Bastia et d’Ajaccio lors de la conclusion de la CDSP (considérants 154 à 160 de la décision attaquée) et, d’autre part, qu’aucune preuve de la carence de l’initiative privée concernant ledit service complémentaire n’avait été rapportée (considérants 161 à 166 de la décision attaquée).

103    Il résulte de ce qui précède que la première sous-branche doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur les deuxième et quatrième sous-branches, tirées de ce que la Commission a méconnu la large marge d’appréciation des États membres ainsi que la portée de l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), et du règlement cabotage maritime

104    En premier lieu, la SNCM avance que la Commission a outrepassé, en l’espèce, la large marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la définition des SIEG. En effet, loin de se limiter au simple contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, elle aurait effectué un contrôle particulièrement détaillé de la définition du SIEG en cause et de la nécessité du service. Par ailleurs, la SNCM estime que la Commission ne saurait tirer argument de l’arrêt du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission (T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463), dès lors que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il existait des lignes directrices qui prévoyaient expressément la nécessité de prouver une défaillance du marché, en l’occurrence les lignes directrices communautaires pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit (JO 2009, C 235, p. 7).

105    En second lieu, la SNCM prétend que la Commission a méconnu la portée de l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), et du règlement cabotage maritime. Elle affirme que ni cet arrêt ni ce règlement ne concernent le contrôle des aides d’État et qu’ils confirment, en réalité, la validité de la CDSP. Elle ajoute que ledit arrêt et ledit règlement portent sur les obligations pouvant être imposées au titre des services publics et susceptibles de justifier un régime d’autorisation préalable ou un contrat de service public, et non sur le champ des services susceptibles de faire l’objet d’une compensation au sens de la jurisprudence Altmark ou sur le montant de cette compensation. Elle souligne notamment que, contrairement à la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), la fourniture de services de transport maritime entre la France continentale et la Corse n’est pas soumise à l’obtention d’une autorisation préalable. Par ailleurs, elle conteste que le champ du service public, tel que défini par un contrat de service public, doive être nécessaire et proportionné par rapport à un besoin réel de service public, démontré par l’insuffisance des services réguliers de transport dans des conditions normales de marché. Enfin, elle remet en cause la constatation de la Commission, figurant au considérant 135 de la décision attaquée, selon laquelle « la compensation d’obligations spécifiques dans le cadre d’un contrat de service public, en subventionnant une offre de services, constitue clairement une entrave à la libre circulation des services ». En l’espèce, la compensation de service public n’aurait ni pour objet ni pour effet de gêner la libre prestation des services et aucun des arrêts cités par la Commission dans la note en bas de page n° 63 de la décision attaquée n’établirait le contraire.

106    Lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal visant à lui faire préciser quels étaient, selon elle, les critères sur la base desquels le bien-fondé du SIEG et de son périmètre devait être établi, la SNCM a affirmé qu’il suffisait pour l’État membre d’« identifier un intérêt général au sens très large qui [pouvait] porter sur ce qui [relevait] de façon générale de l’intérêt public ». Elle a ajouté qu’elle estimait que les critères de nécessité et de proportionnalité, à tout le moins tels que résultant du règlement cabotage maritime et de l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), n’avaient pas à entrer en ligne de compte dans le cadre de cet exercice car ils dérivaient de concepts liés à la libre prestation des services.

107    La Commission, soutenue par Corsica Ferries, rejette les arguments de la SNCM.

108    En premier lieu, renvoyant au point 154 de l’arrêt du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission (T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463), la Commission et Corsica Ferries affirment que, quel que soit le secteur concerné, l’appréciation de l’existence d’une défaillance du marché constitue un préalable à la qualification d’une activité de SIEG et, partant, que la condition tenant à l’insuffisance ou à la carence de l’initiative privée est inhérente au premier des critères Altmark et suppose un examen attentif.

109    En outre, la Commission et Corsica Ferries font valoir que la marge d’appréciation reconnue aux États membres dans la définition des SIEG est limitée par le règlement cabotage maritime, tel qu’interprété par la Cour dans, notamment, l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107). Cela impliquerait que le service en cause doit répondre à un besoin réel de service public, en raison de l’insuffisance des services réguliers de transport dans une situation de libre concurrence, le périmètre du SIEG devant être nécessaire et proportionné à ce besoin. Lors de l’audience, la Commission a précisé qu’elle estimait que la démonstration de l’existence d’un besoin réel de service public constituait une exigence plus lourde que la démonstration de l’existence d’une défaillance du marché, telle que visée par l’arrêt du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission (T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463).

110    En second lieu, la Commission et Corsica Ferries considèrent que c’est à tort que la SNCM conteste l’existence d’un lien entre le règlement cabotage maritime et le contrôle des aides d’État. Il serait également manifestement inexact de prétendre que ce règlement ne concerne que les situations dans lesquelles la prestation de services est soumise à une autorisation préalable. Quant à l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), il ne traiterait pas uniquement de la question de savoir s’il est possible de soumettre une activité de transport maritime à autorisation préalable, mais contiendrait un raisonnement très clair sur la manière dont il convient d’interpréter les dispositions du règlement cabotage maritime, en tenant compte de son objectif, qui consiste à assurer la libre prestation des services de cabotage maritime et à ne pouvoir accepter les atteintes à cette liberté que si elles sont justifiées par un besoin réel de service public et nécessaires et proportionnées à la satisfaction de ce dernier. En outre, il serait évident que le fait de subventionner une offre de services en concluant avec un opérateur déterminé un contrat de service public visé par ce règlement peut entraîner une entrave à la libre prestation des services.

111    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme un SIEG et que, par conséquent, la définition de ces services par un État membre ne peut être remise en question par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste (voir arrêts du 15 juin 2005, Olsen/Commission, T‑17/02, EU:T:2005:218, point 216 et jurisprudence citée, et du 22 octobre 2008, TV2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, EU:T:2008:457, point 101 et jurisprudence citée).

112    Pour autant, le pouvoir de définition des SIEG par l’État membre n’est pas illimité et ne peut être exercé de manière arbitraire aux seules fins de faire échapper un secteur particulier à l’application des règles de concurrence (arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, EU:T:2008:29, point 168).

113    En particulier, lorsqu’il existe des règles spécifiques du droit de l’Union qui encadrent la définition du contenu et du périmètre du SIEG, elles lient l’appréciation des États membres, conformément au point 46 de la communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général (JO 2012, C 8, p. 4, ci-après la « communication SIEG »). Ainsi que le relève à bon droit la Commission, ces règles visent généralement à une harmonisation des législations afin de supprimer les obstacles aux libertés de circulation et à la libre prestation des services, et le fait qu’elles soient adoptées sur le fondement de dispositions du traité autres que celles concernant le contrôle des aides d’État et aient pour objet premier la réalisation du marché intérieur ne limite en rien leur pertinence au regard du premier des critères Altmark.

114    Or, en l’espèce, comme le font valoir à juste titre la Commission et Corsica Ferries, il existait de telles règles, en l’occurrence les dispositions du règlement cabotage maritime. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er de ce règlement consacre le principe de libre prestation des services de cabotage maritime dans l’Union. Dans le même sens, son troisième considérant précise qu’il vise à abolir les restrictions de cette libre prestation.

115    En son article 4, le règlement cabotage maritime prévoit de possibles exceptions à ce principe directeur, à savoir la faculté pour les États membres de conclure des contrats de service public avec des compagnies de navigation qui participent à des services réguliers à destination et en provenance d’îles ainsi qu’entre des îles ou de leur imposer des OSP en tant que condition à la prestation de services de cabotage. À ce propos, il doit être relevé que, comme le reconnaît d’ailleurs la SNCM, la CDSP constitue indubitablement un tel contrat de service public, lequel est défini par l’article 2, point 3, de ce règlement comme étant un contrat conclu entre les autorités compétentes d’un État membre et un armateur de l’Union dans le but de fournir au public des services de transport suffisants. Il convient d’ajouter que l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement stipule que, s’ils imposent des OSP, les États membres doivent s’en tenir à des exigences concernant les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à réaliser le service, les tarifs pratiqués et l’équipage du navire. Selon cette même disposition, toute compensation due, le cas échéant, en contrepartie d’OSP doit être versée à tous les armateurs de l’Union.

116    Il y a donc lieu d’entériner la considération de la Commission selon laquelle, dans la présente affaire, le pouvoir d’appréciation des autorités françaises était limité par les dispositions du règlement cabotage maritime.

117    Par ailleurs, il convient de constater que c’est à bon droit également que, dans la décision attaquée, la Commission a tenu compte de l’interprétation donnée auxdites dispositions par la Cour dans l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, cette dernière était notamment appelée à interpréter les articles 1er et 4 du règlement cabotage maritime et à préciser les conditions sous lesquelles la fourniture de services de cabotage maritime pouvait être soumise à un régime d’autorisation administrative préalable.

118    En interprétant les dispositions en cause du règlement cabotage maritime, la Cour a notamment développé le raisonnement suivant :

« 34. [L]’application d’un régime d’autorisation administrative préalable comme moyen d’imposer des [OSP] présuppose que les autorités nationales compétentes ont d’abord pu constater, pour des trajets bien déterminés, l’insuffisance des services réguliers de transport dans le cas où la prestation de ceux-ci serait laissée aux seules forces du marché. En d’autres termes, l’existence d’un besoin réel de service public doit pouvoir être démontrée.

35. D’autre part, pour qu’un régime d’autorisation administrative préalable puisse être justifié, il doit encore être démontré qu’un tel régime est nécessaire pour pouvoir imposer des [OSP] et qu’il est proportionnel au but poursuivi, de manière telle que le même objectif ne saurait être atteint par des mesures moins restrictives de la libre circulation des services, notamment, par un système de déclarations a posteriori […]

36. À cet égard, il ne saurait être exclu que l’autorisation administrative préalable soit par elle-même un moyen approprié permettant de concrétiser le contenu des [OSP] à imposer à un armateur individuel en tenant compte de la situation particulière de celui-ci ou de contrôler préalablement l’aptitude d’un armateur à exécuter de telles obligations.

37. Cependant, un tel régime ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions communautaires, notamment celles relatives à une liberté fondamentale telle que celle en cause au principal, de leur effet utile […] »

119    Certes, ce qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), était un régime d’autorisation administrative préalable et non, comme dans la présente affaire, une DSP accompagnée de l’octroi de compensations. Toutefois, le raisonnement développé par la Cour dans cet arrêt, qui repose sur une interprétation du règlement cabotage maritime en fonction de son objectif fondamental, à savoir assurer la libre prestation des services de cabotage maritime et, partant, n’accepter des restrictions de cette liberté que dans des conditions très strictes, est pleinement transposable au cas d’espèce.

120    À cet égard, il doit être rappelé qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu’il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être exécutée, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre où il fournit légalement des services analogues (outre les arrêts cités dans la note en bas de page n° 63 de la décision attaquée, voir arrêt du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a., C‑515/08, EU:C:2010:589, point 29 et jurisprudence citée ; arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Belgique, C‑577/10, EU:C:2012:814, point 38 ; voir, également, arrêt du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie, C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 44 et jurisprudence citée). Or, il ne saurait être contesté que l’octroi d’une compensation financière à un prestataire de services en particulier, à savoir le délégataire de service public, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayante la prestation de ces mêmes services par les opérateurs ne bénéficiant pas de la même compensation. En effet, le montant de cette dernière permet à son bénéficiaire de jouir d’un avantage décisif sur ses concurrents et, donc, de dissuader ceux-ci d’offrir les services concernés.

121    En l’espèce, la DSP était d’autant plus de nature à porter atteinte à la libre prestation des services de cabotage maritime que, comme il ressort des constatations faites par la Commission au point 44 de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la CDSP, en son article 3, deuxième alinéa, imposait aux nouveaux entrants éventuels sur les lignes au départ de Marseille vers la Corse des conditions particulièrement restrictives. Cette disposition se lit, en effet, comme suit :

« [U]ne concurrence peut s’exercer dans le cadre suivant : pour chacune de ces lignes, toute compagnie pourra effectuer, sans compensation financière, un service régulier comportant, toute l’année, au minimum deux rotations par semaine, qui devra se faire dans des conditions telles qu’il ne pourra obérer les conditions économiques de l’opérateur du service public et qu’en conséquence le choix des jours de départs et d’arrivées sera fixé par l’[OTC] après accord de l’assemblée de Corse. Cette condition fera l’objet d’un engagement ferme. En cas de non-respect de tout ou partie de cet engagement, une pénalité de deux millions d’euros sera appliquée à la compagnie dont le versement sera garanti par une caution bancaire d’un montant équivalent. Cette caution bancaire devra être fournie par une banque établie dans l’Union européenne, de rating à long terme “Standard and Poors A+” (ou équivalent). »

122    Dans ce contexte, l’observation de la SNCM selon laquelle l’existence de la DSP n’a pas empêché Corsica Ferries d’entrer sur le marché et d’y acquérir rapidement une « position dominante » doit être rejetée. En effet, il ne saurait être exclu que, en l’absence de la DSP, l’entrée de Corsica Ferries sur le marché et le développement de ses activités sur celui-ci auraient été plus rapides encore ou que d’autres opérateurs y seraient également entrés.

123    Par ailleurs, contrairement à ce qu’allègue la SNCM, il ne saurait être déduit du fait que l’attribution de la DSP a été effectuée dans le cadre d’un appel d’offres, auquel Corsica Ferries a participé, que l’atteinte à la libre prestation des services résultant du versement de la compensation financière au seul délégataire du service public a été éliminée. Certes, lorsque la DSP intervient à l’issue d’un appel d’offres réellement ouvert, transparent et non discriminatoire, cela peut réduire l’importance de cette atteinte. Il n’en demeure pas moins, toutefois, que celle-ci persiste pendant toute la période de fourniture du service public en cause.

124    Eu égard à ce qui précède et, en particulier, à l’interprétation du règlement cabotage maritime faite par la Cour dans l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107) (voir point 118 ci-dessus), il convient de conclure que c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, pour vérifier le respect du premier des critères Altmark, la Commission a considéré que « le champ du service public tel que défini par un contrat de service public [devait] être nécessaire et proportionné par rapport à un besoin réel de service public, démontré par l’insuffisance des services réguliers de transport dans des conditions normales de marché » (considérant 136 de la décision attaquée).

125    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de se prononcer plus avant sur les considérations formulées par les parties à propos de la pertinence pour la présente affaire de l’arrêt du 16 septembre 2013, Colt Télécommunications France/Commission (T‑79/10, non publié, EU:T:2013:463). Il importe, toutefois, de souligner que, dans un cas comme celui de l’espèce, les autorités nationales ne sauraient se dispenser de démontrer l’existence d’une carence de l’initiative privée. En effet, il ressort clairement du point 34 de l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), que la démonstration de l’existence d’un besoin réel de service public est liée à celle de l’existence d’une telle carence. En d’autres termes, c’est sur la base d’un constat de carence de l’initiative privée qu’est déterminé le besoin réel de service public.

126    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les deuxième et quatrième sous-branches de la première branche du premier moyen doivent être rejetées comme non fondées.

–       Sur la troisième sous-branche, tirée de ce que la Commission a méconnu les règles de la charge de la preuve

127    La SNCM prétend que la Commission a méconnu les règles de la charge de la preuve dans son analyse du premier des critères Altmark. À cet égard, d’une part, elle affirme que la Commission a systématiquement imposé à la République française la charge de démontrer la nécessité du service public ainsi que la carence de l’initiative privée. D’autre part, citant deux appréciations de la Commission figurant aux considérants 165 et 166 de la décision attaquée, elle soutient que, à l’inverse, cette dernière s’est elle-même exonérée de toute charge de la preuve dans plusieurs volets essentiels de son analyse dudit critère.

128    Dans la réplique, la SNCM ajoute que le « test […] en trois étapes » invoqué par la Commission (voir point 130 ci-après) est inédit, n’est mentionné ni dans la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen ni dans la décision attaquée et ne repose sur aucune base juridique préalablement établie. En outre, ce test serait particulièrement difficile, voire impossible, à démontrer.

129    La Commission, soutenue par Corsica Ferries, conteste avoir méconnu les règles de la charge de la preuve.

130    D’une part, la Commission fait valoir que c’est à l’État membre concerné qu’il appartient de justifier l’entrave à la libre prestation des services ainsi que d’en établir la nécessité et la proportionnalité. Plus précisément, en l’espèce, pour établir l’existence d’un besoin réel de service public justifiant l’attribution d’une DSP, les autorités françaises auraient dû démontrer, premièrement, qu’il y avait une demande des usagers, deuxièmement, que cette demande n’était pas susceptible d’être satisfaite par les opérateurs du marché en l’absence d’une obligation en ce sens fixée par les pouvoirs publics et, troisièmement, que le recours à de simples OSP était insuffisant pour pallier cette carence. Elle précise qu’elle n’énonce pas ainsi un test entièrement nouveau, mais qu’elle rappelle simplement de manière synthétique les lacunes des autorités françaises et de la SNCM en ce qui concerne l’existence d’un besoin réel de service public. Elle ajoute que cette démonstration n’est pas inédite ni particulièrement difficile à apporter.

131    D’autre part, la Commission rejette l’allégation de la SNCM selon laquelle certaines de ses appréciations figurant aux considérants 165 et 166 de la décision attaquée ne reposent sur aucun élément de preuve.

132    Il y a lieu de considérer qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir méconnu les règles de la charge de la preuve dans son analyse du premier des critères Altmark.

133    En effet, d’une part, il ressort des considérations exposées dans le cadre de l’examen des deuxième et quatrième sous-branches de la première branche du premier moyen (voir points 111 à 126 ci-dessus) que, pour qu’un service de cabotage maritime puisse être qualifié de SIEG, il faut qu’il réponde à un besoin réel de service public, démontré par l’insuffisance des services réguliers de transport dans une situation de libre concurrence, et que le périmètre du SIEG soit nécessaire et proportionné à ce besoin. Or, c’est incontestablement à l’État membre concerné, et non à la Commission, qu’il incombe d’effectuer cette démonstration, et ce en avançant des éléments suffisamment convaincants. À cet égard, il doit être relevé que, contrairement à ce qu’a soutenu la SNCM lors de l’audience (voir point 106 ci-dessus), l’État membre ne saurait se contenter d’invoquer l’existence d’un « intérêt général au sens très large ». L’absence de preuve, fournie par l’État membre, que les critères susmentionnés sont satisfaits ou la méconnaissance de ceux-ci est susceptible de constituer une erreur manifeste d’appréciation que la Commission est tenue de prendre en considération.

134    S’agissant de la démonstration en trois étapes énoncée par la Commission pour établir l’existence d’un besoin réel de service public (voir point 130 ci-dessus), il convient de relever que, contrairement à ce que prétend la SNCM, elle ne représente nullement une exigence supplémentaire de preuve non prévue par la décision attaquée. Cette démonstration constitue simplement une présentation alternative du test utilisé par la Commission dans la décision attaquée en vue de vérifier le respect du premier des critères Altmark (voir point 45 ci-dessus) et dont le bien-fondé a été entériné lors de l’examen des deuxième et quatrième sous-branches de la première branche du premier moyen (voir points 111 à 126 ci-dessus). Ainsi, tout d’abord, s’il n’existe pas de demande des usagers pour tout ou partie des services entrant dans le périmètre du service public, tel que défini par les autorités nationales, ce service public ou son périmètre ne sauraient clairement être considérés comme nécessaires et proportionnés par rapport à un besoin réel de service public. Ensuite, il ne saurait non plus y avoir un tel besoin si la demande des usagers est déjà susceptible d’être satisfaite par les opérateurs du marché en l’absence d’obligation en ce sens fixée par les pouvoirs publics. En d’autres termes, comme cela a déjà été relevé au point 125 ci-dessus, en l’absence de carence de l’initiative privée, il ne saurait y avoir de besoin réel de service public. Enfin, s’il existe une demande des usagers et si cette demande n’est pas susceptible d’être satisfaite par le simple jeu des forces du marché, encore faut-il que les autorités nationales privilégient l’approche qui porte le moins atteinte aux libertés essentielles au bon fonctionnement du marché intérieur. Or, comme le fait valoir à juste titre la Commission dans sa réponse à l’une des questions écrites du Tribunal, s’agissant du secteur du cabotage maritime, l’imposition d’OSP applicables à tous les transporteurs désireux d’offrir leurs services sur une liaison donnée et ne donnant pas nécessairement lieu à une compensation financière (voir article 4, paragraphe 2, du règlement cabotage maritime) entraîne des restrictions moins importantes de la libre prestation des services que l’octroi d’une compensation financière à un transporteur déterminé ou à un nombre limité de transporteurs dans le cadre d’une DSP.

135    Il doit être ajouté que la démonstration ainsi critiquée par la SNCM n’est pas particulièrement difficile à apporter, les besoins de service public pouvant, en effet, être aisément évalués par le biais, notamment, d’études de marché, de consultations publiques ou d’appels à projets, ce qui n’a nullement été réalisé en l’espèce par les autorités françaises avant d’approuver le principe du renouvellement d’une DSP de la desserte maritime de la Corse.

136    D’autre part, c’est à tort que la SNCM prétend que les deux appréciations de la Commission qu’elle reproduit, figurant aux considérants 165 et 166 de la décision attaquée, ne reposent sur aucun élément de preuve. Ces appréciations résultent, en effet, de l’examen, par la Commission, d’éléments figurant dans le dossier.

137    Ainsi, s’agissant de la première appréciation critiquée, figurant au considérant 165 de la décision attaquée, il doit être relevé que la phrase dont elle est issue commence par constater que « le service fourni par Corsica Ferries répondait aux normes des OSP applicables à toute liaison entre le continent français et la Corse » et que cette constatation ne saurait être remise en cause. Ainsi, les compagnies qui, comme Corsica Ferries, offraient des services de transport maritime sur, notamment, la liaison Toulon-Corse étaient soumises à des OSP en matière de régularité, de continuité, de fréquence des traversées, de capacité à réaliser le service, de tarifs et d’équipage des navires, et ce dans le cadre du régime d’aides à caractère social décrit au point 14 ci-dessus. Ces compagnies devaient fournir toute justification sur leur capacité à assurer le service, être en règle au regard des obligations fiscales et sociales, communiquer au préalable leur programme d’exploitation à l’OTC et assurer au moins deux rotations par semaine toute l’année entre Toulon et la Corse. Les équipages de leurs navires étaient soumis aux règles prévues par le droit français. Par ailleurs, des tarifs sociaux maximaux étaient fixés pour chacune des catégories concernées.

138    La Commission pouvait légitimement tirer d’une comparaison des exigences liées à ces OSP avec les obligations prévues par le cahier des charges de la CDSP pour le service complémentaire, qui étaient moins contraignantes que celles applicables au service de base (voir considérant 141 de la décision attaquée et point 151 ci-après), l’appréciation critiquée par la SNCM selon laquelle le service fourni par Corsica Ferries « ne présentait pas de différence qualitative avec le service fourni dans le cadre du service complémentaire ».

139    S’agissant de la seconde appréciation critiquée, figurant au considérant 166 de la décision attaquée, il convient de constater qu’il résulte d’une lecture d’ensemble de ce considérant que, par celle-ci, la Commission entend faire valoir, en substance, que les services fournis par Corsica Ferries au départ de Toulon le sont de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général. Or, cette appréciation apparaît fondée non seulement eu égard aux développements figurant au point 137 ci-dessus, mais aussi, et plus généralement, en tenant compte du fait, relevé très justement par la Commission, que les conditions liées aux OSP applicables aux liaisons maritimes entre la France continentale et la Corse ont été définies par l’OTC en application du règlement cabotage maritime. Ces OSP doivent donc être regardées comme étant des obligations visant à ce que les services de cabotage maritime soient fournis dans des conditions compatibles avec l’intérêt général et qu’un armateur de l’Union n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure s’il considérait son propre intérêt commercial (voir, à cet égard, article 2, point 4, du règlement cabotage maritime et points 47 et 48 de la communication SIEG). Partant, il pouvait légitimement être considéré que toute prestation de service de cabotage maritime tombant dans le cadre de ces OSP était réalisée conformément à l’intérêt général quant aux paramètres qualitatifs régis par les OSP et énumérés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement cabotage maritime, dont ceux énoncés au considérant 166 de la décision attaquée.

140    Il convient de conclure de l’ensemble de ce qui précède que la troisième sous-branche de la première branche du premier moyen et, partant, cette première branche dans son intégralité doivent être rejetées comme non fondées.

 Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit, une erreur de fait et une erreur manifeste d’appréciation en assimilant les capacités supplémentaires à fournir durant les périodes de pointe à un service complémentaire et en évaluant ce service séparément du service de base au titre du premier des critères Altmark

141    Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, la SNCM soutient que la Commission a commis une erreur de droit, une erreur de fait et une erreur manifeste d’appréciation en assimilant les capacités supplémentaires à fournir durant les périodes de pointe à un service complémentaire et en évaluant ce service séparément du service de base au titre du premier des critères Altmark.

142    Cette deuxième branche se subdivise en trois sous-branches, la dernière étant invoquée à titre subsidiaire.

–       Sur la première sous-branche, tirée de ce que la CDSP ne fait pas de distinction entre le service de base et le service complémentaire

143    La SNCM avance que la CDSP n’établit pas de distinction entre le service de base et le service complémentaire, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 137 de la décision attaquée, lequel fonderait l’intégralité du raisonnement de la Commission. Le contenu du prétendu service complémentaire ne serait pas défini dans des dispositions spécifiques et parfaitement identifiables du cahier des charges. En prévoyant des capacités minimales additionnelles pour certaines périodes de l’année, les parties à la CDSP n’auraient aucunement entendu créer deux services pouvant être réalisés indépendamment l’un de l’autre. Quant au fait que la nouvelle DSP pour la période 2014-2023 ne couvrirait plus le service complémentaire, mais se limiterait au service de base, il ne serait pas pertinent, cette exclusion s’expliquant par des motifs budgétaires. Par ailleurs, l’inclusion dans le périmètre du service public de services concernant les périodes de pointe afin d’éviter tout risque d’écrémage serait la seule solution compatible avec la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C‑320/91, EU:C:1993:198). Enfin, la compensation de service public prévue par la CDSP serait versée chaque année et calculée de façon forfaitaire pour l’ensemble des services fournis par les délégataires.

144    La Commission, soutenue par Corsica Ferries, conteste les arguments avancés par la SNCM.

145    Force est de constater que c’est à bon droit que la Commission a affirmé, au considérant 137 de la décision attaquée, que la distinction entre les services de transport à fournir tout au long de l’année dans le cadre du service de base et les capacités supplémentaires à fournir en période de pointe, à savoir le service complémentaire, ressortait clairement du cahier des charges de la CDSP.

146    À cet égard, en premier lieu, il doit être relevé que le service complémentaire, qui ne concerne que trois lignes sur les cinq couvertes par la DSP, fait l’objet de dispositions spécifiques du cahier des charges de la CDSP, à savoir le point I, sous a), paragraphe 2 (ligne Marseille-Bastia), le point I, sous b), paragraphe 2 (ligne Marseille-Ajaccio) et le point I, sous d), paragraphe 1.4 (ligne Marseille-Propriano) de celui-ci.

147    Le fait, allégué par la SNCM dans ce contexte, que la CDSP ne fasse « à aucun moment référence » à l’expression « service complémentaire » en tant que telle n’est donc pas pertinent. En tout état de cause, cette allégation n’est pas fondée, dès lors que, à la page 1 du cahier des charges annexé à la CDSP, il est précisé que les services concernés « comprennent, sur chaque ligne, un service passager et fret permanent et, sur certaines lignes, un service passager supplémentaire pour les pointes de trafic ». Il y a lieu de remarquer, en outre, que, ainsi que le relève à juste titre Corsica Ferries, la SNCM elle-même, dans certains des rapports d’exécution de la DSP qu’elle est tenue d’établir chaque année, opère une distinction explicite entre service permanent et service complémentaire.

148    En deuxième lieu, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutient la SNCM, la conclusion de la Commission selon laquelle le service de base et le service complémentaire constituent deux types de service distincts ne repose pas dans son « intégralité » sur l’affirmation critiquée figurant au considérant 137 de la décision attaquée, qui, par la note en bas de page n° 64, renvoie aux dispositions spécifiques citées au point 146 ci-dessus. En effet, cette conclusion se fonde également sur une série d’autres éléments exposés ci-après.

149    Premièrement, il y a lieu de rappeler que le service de base concerne le transport maritime de passagers et de fret, tandis que le service complémentaire concerne uniquement le transport de passagers.

150    Deuxièmement, il convient de relever que, s’agissant du service de base, le cahier des charges de la CDSP fixe, pour chacune des lignes concernées et trajet par trajet, des capacités minimales quotidiennes, alors que, s’agissant du service complémentaire, il fixe uniquement, également pour chacune des lignes concernées et trajet par trajet, des capacités minimales globales par périodes.

151    Troisièmement, il doit être constaté que les deux types de service sont soumis à certaines obligations distinctes, en particulier en termes d’horaires et de fréquence des traversées, et que celles applicables au service de base sont plus contraignantes que celles applicables au service complémentaire. Ainsi, alors que le cahier des charges de la CDSP prévoit des horaires stricts de départ et d’arrivée pour le service de base, il n’impose aucun horaire particulier pour le service complémentaire. De même, tandis que ce cahier des charges stipule, s’agissant du service de base, que le transport des passagers doit être assuré dans chaque sens, quotidiennement (mais trois fois par semaine seulement en ce qui concerne la ligne Marseille-Propriano) et durant toute l’année, s’agissant du service complémentaire, il ne prévoit aucune contrainte en termes de fréquence des traversées. Certes, il ressort de ce même cahier des charges que, dans le cas du service complémentaire, les jours et horaires des voyages doivent faire l’objet d’un protocole d’accord « explicite et préalable » avec l’OTC. Toutefois, cela s’explique avant tout par le caractère contractuel de la CDSP et il n’en demeure pas moins que la SNCM dispose de la sorte d’une plus grande flexibilité que dans le cas du service de base. Il convient d’ajouter que, s’agissant de ce dernier service, les trajets doivent être réalisés sans escale alors que, s’agissant du service complémentaire, une telle exigence n’est pas prévue.

152    Quatrièmement, ainsi qu’il ressort de l’annexe 2 de la CDSP et qu’il sera exposé plus en détail aux points 160 et 161 ci-après, le service de base est exécuté en utilisant des cargos mixtes, lesquels permettent le transport tant de passagers que de marchandises, tandis que le service complémentaire l’est en utilisant des ferries, lesquels ne permettent que le transport de passagers (et de leurs véhicules).

153    Cinquièmement, il ressort également de l’annexe 2 de la CDSP que l’exploitation du service complémentaire était du ressort de la seule SNCM. Il y est, en effet, prévu que ce sont les navires Danielle Casanova et Napoléon Bonaparte qui sont utilisés pour « assurer les capacités supplémentaires du service passagers des lignes d’Ajaccio, [de] Bastia et [de] Propriano ». Or, ces deux navires font partie de la flotte de la SNCM et non de celle de la CMN. Ainsi, en pratique, seule la SNCM a assuré l’exploitation du service complémentaire.

154    En troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation de la SNCM selon laquelle il ne saurait être tiré argument de ce que la nouvelle DSP pour la période 2014-2023 ne couvre plus le service complémentaire, mais se limite au service de base, dès lors que, en substance, cette exclusion s’explique par des motifs budgétaires, elle doit être rejetée comme inopérante. En effet, cet argument fondé sur la nouvelle DSP est un argument qui avait été invoqué par Corsica Ferries lors de la procédure administrative, mais qui n’a pas été repris en tant que tel par la Commission dans la décision attaquée pour fonder son raisonnement. En tout état de cause, le fait que cette nouvelle DSP ne couvre plus le service complémentaire démontre effectivement que ce dernier service n’est pas indispensable au bon accomplissement du service de base, que ce soit pour des motifs techniques ou pour des considérations d’ordre économique, et que ces deux types de service sont dissociables.

155    En quatrième lieu, c’est à tort que la SNCM invoque la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C‑320/91, EU:C:1993:198). En effet, comme cela a déjà été relevé au point 101 ci-dessus, il ressort du dossier que tant le service de base que le service complémentaire présentaient un important déficit d’exploitation, ce qui excluait toute possibilité de péréquation financière entre eux. Cela est démontré plus particulièrement par les comptes de résultat analytique de la SNCM, annexés aux observations du 5 novembre 2012 que cette dernière avait présentées dans le cadre de la procédure administrative, qui font apparaître que, pour chaque année de la période 2007-2011 et en ce qui concerne tant les ferries que les cargos mixtes, les coûts directs (à savoir, notamment, les dépenses maritimes, d’équipage et d’approvisionnements) étaient supérieurs aux recettes nettes.

156    En cinquième lieu, s’il est vrai que, comme le fait valoir la SNCM et comme cela est au demeurant constaté au considérant 47 de la décision attaquée, les compensations dues à cette dernière étaient fixées de manière globale à l’article 2 de la CDSP, il n’en demeure pas moins qu’il ressort des comptes de résultat analytique mentionnés au point 155 ci-dessus que, en pratique, elles étaient réparties entre le service de base, opéré par des cargos mixtes, et le service complémentaire, opéré par des ferries. En tout état de cause, la circonstance que cet article prévoit une compensation globale pour les deux types de service n’indique pas si ceux-ci sont ou non séparables.

157    Il s’ensuit que la première sous-branche de la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la deuxième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément assimilé le service de base aux prestations offertes par les cargos et le service complémentaire à celles offertes par les ferries

158    La SNCM affirme que la Commission a erronément assimilé le service de base aux prestations offertes par les cargos et le service complémentaire à celles offertes par les ferries. Elle fait valoir que le cahier des charges de la CDSP n’exige nullement l’utilisation de navires différents pour chacun de ces types de service. Au contraire, en pratique, une partie de la fourniture du service complémentaire serait assurée par des cargos et les ferries pourraient être utilisés pour la fourniture du service de base, notamment en basse saison lors des arrêts techniques des cargos. En vue de corroborer ses allégations, la SNCM renvoie à des tableaux annexés à la requête.

159    La Commission et Corsica Ferries rejettent les allégations de la SNCM.

160    Force est de constater que, ainsi que cela a déjà été relevé au point 152 ci-dessus, il ressort de l’annexe 2 de la CDSP que le service de base est exécuté en utilisant des cargos mixtes, tandis que le service complémentaire l’est en utilisant des ferries. Comme le fait valoir à juste titre Corsica Ferries, ce constat est encore confirmé par les rapports d’exécution de la DSP établis par la SNCM. Ainsi, par exemple, le rapport d’exécution relatif à l’année 2010 fait état de ce que le service de base est fourni par le biais des « navires mixtes » et que ce sont les « car-ferries Napoléon Bonaparte et Danielle Casanova [qui] ont assuré les capacités supplémentaires pour le transport des passagers pendant les périodes d’affluence sur les ports de Bastia, [d’]Ajaccio et [de] Propriano », ce à concurrence d’un total de 251 932 passagers transportés, « soit 47 % du trafic de la DSP SNCM ».

161    L’allégation de la SNCM selon laquelle, dans les faits, des cargos mixtes ont été utilisés aux fins du service complémentaire et, inversement, des ferries ont été utilisés aux fins du service de base n’est pas démontrée à suffisance de droit. Plus particulièrement, les tableaux fournis par la SNCM pour tenter de corroborer cette allégation ne sont pas concluants. En effet, tout d’abord, l’un de ces tableaux, à savoir celui intitulé « service complémentaire effectué par les cargos », comporte des erreurs de calcul. Ensuite et surtout, comme le relève à juste titre la Commission, lesdits tableaux contiennent une allocation artificielle des surcapacités (en nombre de places à bord) des différents navires qui est sans rapport avec la manière dont les deux types de service ont été réalisés en pratique. Ainsi, le tableau intitulé « service complémentaire effectué par les cargos » présente, en ce qui concerne les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Ajaccio et pour la seconde moitié de l’année 2007 ainsi que pour chacune des années de la période 2008-2013, la différence entre les capacités offertes par les cargos des délégataires pour ces lignes dans le cadre du service de base (tableau intitulé « service permanent effectué par les cargos ») et les capacités exigées par le cahier des charges de la CDSP pour ces mêmes service et lignes (tableau intitulé « cahier des charges service permanent »). En d’autres termes, ledit tableau ne représente qu’un simple inventaire des surcapacités des navires assurant le service de base par rapport aux exigences du cahier des charges, surcapacités que la SNCM alloue arbitrairement à une prétendue prestation du service complémentaire au moyen de cargos. Dans le même sens, le tableau intitulé « service complémentaire effectué par les ferries » fixe arbitrairement les capacités offertes par les ferries de la SNCM dans le cadre du service complémentaire comme résultant de la différence entre les capacités exigées par le cahier des charges de la CDSP pour ce service (tableau intitulé « cahier des charges service complémentaire ») et les surcapacités reprises dans le tableau intitulé « service complémentaire effectué par les cargos ». Or, il ressort du dossier que les capacités offertes par lesdits ferries étaient largement supérieures à celles mentionnées dans le tableau intitulé « service complémentaire effectué par les ferries », de sorte que, hors circonstances exceptionnelles, il n’y avait pas lieu de recourir à des cargos pour assurer la prestation du service complémentaire. Quant au tableau intitulé « service permanent effectué par les ferries », il indique simplement, et sans que soit fournie la moindre justification, que les ferries ont contribué chaque année au service de base à hauteur d’un certain nombre de places sur les lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Bastia (notamment 13 000 places pour la seconde moitié de l’année 2007 et 26 000 places en 2008). Enfin, il convient de relever que le fait qu’il ait pu y avoir des cas isolés dans lesquels un navire normalement destiné au service de base a été utilisé dans le cadre du service complémentaire, et inversement, ne suffit pas en lui-même pour remettre en cause le constat de principe selon lequel les cargos étaient affectés au service de base et les ferries au service complémentaire.

162    Il résulte de ce qui précède que la deuxième sous-branche de la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la troisième sous-branche, invoquée à titre subsidiaire, tirée de ce que le service complémentaire est justifié par le besoin réel de service public auquel satisfait le service de base

163    À titre subsidiaire, la SNCM prétend que le service complémentaire est justifié par le besoin réel de service public auquel satisfait le service de base. Elle affirme que, quand bien même il existerait un service complémentaire à distinguer du service de base, quod non, ces deux types de service ne pourraient être appréciés indépendamment l’un de l’autre aux fins de l’analyse du premier des critères Altmark.

164    Au soutien de cette troisième sous-branche, la SNCM fait valoir deux séries d’arguments. Par la première, elle vise à établir, en substance, qu’une analyse globale du service de base et du service complémentaire s’imposait sur le fondement de certaines considérations autres que techniques et économiques. Par la seconde, elle entend démontrer qu’il existe une complémentarité technique et économique entre ces deux types de service.

165    La Commission, soutenue par Corsica Ferries, conclut au rejet de cette troisième sous-branche.

166    S’agissant de la première série d’arguments, force est de constater qu’aucun de ceux-ci ne permet de conclure que la Commission a commis une erreur de droit en ne procédant pas, en l’espèce, à une analyse globale du service complémentaire et du service de base.

167    À cet égard, en premier lieu, il doit être relevé que c’est erronément que la SNCM tente de remettre en cause l’appréciation de la Commission, figurant au considérant 139 de la décision attaquée, selon laquelle « il ne serait légitime de considérer que le service complémentaire peut être justifié par le besoin réel de service public auquel satisfait le service de base que s’il est établi que son exploitation est […] indispensable à celle du service de base, sur le fondement d’un ensemble de considérations techniques et économiques ». En effet, si le service complémentaire, qui est clairement un service distinct du service de base (voir points 145 à 154 ci-dessus), était inclus dans le périmètre du service public sans que cela ne se justifie par l’existence de complémentarités techniques entre les deux types de service ou par des considérations d’efficacité économique, il ne serait manifestement pas satisfait aux exigences de nécessité et de proportionnalité (s’agissant de ces exigences, voir point 124 ci-dessus).

168    En deuxième lieu, il convient de relever que c’est erronément également que la SNCM prétend qu’il n’existe aucune différence de nature entre le service de base et le service complémentaire. En effet, il ressort des éléments exposés aux points 145 à 154 ci-dessus que ces deux types de service présentent en réalité des différences significatives.

169    En troisième lieu, à supposer que l’argument de la SNCM repris au point 168 ci-dessus doive également se comprendre comme étant tiré de ce que les deux types de service ont un objectif commun, à savoir garantir la continuité territoriale, force est de constater qu’il ne saurait davantage prospérer.

170    En effet, d’une part, et à titre général, il convient de relever que ce n’est pas parce que deux types de service ont un même objectif qu’ils doivent automatiquement être considérés comme ne constituant en réalité qu’un seul et même type de service.

171    D’autre part, la circonstance que le service de base et le service complémentaire visent prétendument tous deux à assurer la continuité territoriale n’implique pas nécessairement, s’agissant, en particulier, de la question de l’existence d’un besoin réel de service public, qu’ils doivent être examinés ensemble, comme formant un tout indissociable.

172    En effet, comme le relève très justement la Commission, un objectif de continuité territoriale peut très bien être atteint à la fois par les forces du marché et par le service public. À cet égard, il doit être rappelé, d’une part, que, même si l’État membre dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, il ne peut établir un SIEG que dans la mesure où celui-ci répond à un besoin réel de service public et, d’autre part, que, si la demande est déjà satisfaite par les forces du marché, un tel besoin ne saurait exister (voir points 111 à 124 ci-dessus). Ainsi, pour pouvoir établir un SIEG dans le secteur du cabotage maritime, il ne suffit pas que l’État membre invoque la poursuite d’un objectif de continuité territoriale. Encore faut-il que la réalisation de cet objectif ne soit pas déjà assurée par le simple jeu des forces du marché. Si ce dernier permet d’atteindre une partie dudit objectif, la création d’un tel SIEG n’est justifiée que dans la mesure où elle répond à la carence correspondante du marché.

173    En l’espèce, la Commission a constaté, et ce à bon droit, ainsi que cela sera exposé ci-après dans le cadre de l’examen de la troisième branche du premier moyen, que la continuité territoriale entre la Corse et le continent français était déjà assurée par le service de base complété par les forces du marché, soumises à des OSP. Dès lors, outre le fait que le service complémentaire ne répondait clairement pas à un besoin réel de service public, il n’était même pas indispensable à la réalisation de l’objectif théorique de continuité territoriale qui lui avait été assigné par les autorités françaises.

174    En quatrième lieu, il doit être considéré que c’est en vain que la SNCM prétend que l’approche adoptée par la Commission rend en pratique impossible la bonne opération du service public en ce qu’elle revient à réserver ce dernier aux seules activités non rentables, excluant ainsi tout mécanisme de péréquation et dissuadant tout opérateur économique prudent et avisé de fournir une prestation de service public. En effet, ainsi que cela a déjà été souligné aux points 101 et 155 ci-dessus, tant le service de base que le service complémentaire présentaient un déficit d’exploitation important et récurrent, ce qui excluait toute possibilité de péréquation financière entre eux.

175    En cinquième lieu, la SNCM affirme que la nécessité d’une analyse globale du service de base et du service complémentaire se déduit également du point 6 de la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2012 et de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission relative aux précédentes DSP pour la desserte maritime de la Corse.

176    Or, d’une part, la SNCM ne saurait se prévaloir du passage du point 6 de la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2012 qu’elle cite. En effet, ni la Commission ni le juge de l’Union ne sont liés par l’interprétation que le Conseil d’État donne aux dispositions du règlement cabotage maritime. En l’espèce, la SNCM est d’autant moins fondée à invoquer ledit passage que, à la date à laquelle le Conseil d’État a rendu sa décision, la procédure formelle d’examen ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée avait déjà été ouverte par la Commission.

177    D’autre part, la SNCM ne saurait davantage invoquer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission relative aux précédentes DSP pour la desserte maritime de la Corse, ce pour les motifs déjà exposés aux points 98 et 99 ci-dessus.

178    S’agissant de la seconde série d’arguments, en premier lieu, il convient de constater que c’est à bon droit que la Commission a relevé, au considérant 141 de la décision attaquée, qu’aucune complémentarité technique n’avait été établie entre le service de base et le service complémentaire.

179    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, outre le fait que ces services sont soumis à des obligations distinctes, en particulier en termes d’horaires et de fréquence des traversées (voir point 151 ci-dessus), ils sont également exécutés en utilisant des navires de types différents et ayant des finalités distinctes (voir points 152, 160 et 161 ci-dessus). En effet, le service de base est opéré par des cargos mixtes, permettant le transport de marchandises et de passagers, tandis que le service complémentaire est opéré par des ferries, ne permettant le transport que de passagers et de leurs véhicules. Les différences techniques entre ces deux types de navires empêchent non seulement que, notamment, ceux utilisés pour la fourniture du service complémentaire le soient pour la fourniture du service de base, mais aussi que des économies d’échelle soient réalisées, en particulier sur le plan de la maintenance et de la réparation des moyens nautiques. À cela s’ajoute le fait que les équipages doivent faire l’objet d’une certification différente selon le type de navire et ne sont donc pas interchangeables.

180    Ces constatations ne sauraient être remises en cause par l’allégation de la SNCM selon laquelle les deux types de service présentent de « nombreuses caractéristiques techniques communes, notamment en termes de qualité de service » et selon laquelle il existe d’importantes synergies entre eux du fait qu’ils partagent les mêmes infrastructures portuaires, le même réseau d’agences et les mêmes moyens téléphoniques et télématiques pour la réservation des billets ainsi que le même personnel à quai et peuvent utiliser les mêmes procédures de certification et de contrôle d’hygiène et de sécurité alimentaire. En effet, comme le fait valoir très justement la Commission, d’une part, les synergies ainsi invoquées n’ont qu’un caractère relativement marginal, les principales sources de coûts des services concernés résidant dans les moyens nautiques et les équipages et, d’autre part, le partage de structures administratives et commerciales communes ne saurait constituer une complémentarité valable aux fins de la présente problématique puisqu’il pourrait, en toute hypothèse, s’appliquer à toutes les activités de la SNCM.

181    Ne saurait davantage être accueillie l’allégation de la SNCM selon laquelle les ferries ont vocation à remplacer les cargos mixtes lors des arrêts techniques de ces derniers. En effet, outre le fait que les ferries ne permettent pas le transport de fret, il ressort clairement des tableaux figurant sous le point B « Présentation des années type » de l’annexe 2 de la CDSP que, durant les arrêts techniques des cargos mixtes, les traversées concernées devaient toujours être assurées par d’autres cargos mixtes, nommément désignés dans ces tableaux, et non par des ferries.

182    En second lieu, force est de constater qu’aucun des arguments invoqués par la SNCM ne permet de conclure que l’inclusion du service complémentaire dans le périmètre du service public était justifiée par des considérations d’efficacité économique.

183    À cet égard, il convient de rappeler qu’il a déjà été constaté aux points 101, 155 et 174 ci-dessus que le service complémentaire présentait un déficit d’exploitation.

184    L’argumentation de la SNCM selon laquelle ce dernier service contribuait de façon fondamentale, à travers les revenus qu’il générait du fait de l’exploitation de la desserte maritime de la Corse aux périodes les plus rémunératrices, à l’équilibre économique global du service de base et de la DSP ainsi qu’au financement de la continuité territoriale ne saurait prospérer.

185    À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de considérer que c’est à tort que la SNCM reproche à la Commission de ne pas avoir examiné si « [le service complémentaire], en couvrant au moins ses coûts variables spécifiques, aurait pu contribuer à couvrir une partie des coûts fixes communs avec le service [de base] ». En effet, il ressort des comptes de résultat analytique de la SNCM, produits par celle-ci lors de la procédure administrative, que, pour chaque année de la période 2007-2011, les recettes nettes générées par les ferries étaient inférieures aux coûts directs de ce service (à savoir, notamment, les dépenses maritimes, d’équipage et d’approvisionnements) (voir point 155 ci-dessus).

186    Ensuite, c’est en vain que, au soutien de ladite argumentation, la SNCM réitère son allégation selon laquelle les ferries pouvaient également être utilisés pour la fourniture du service de base. Cette allégation doit, en effet, être rejetée pour les motifs déjà exposés aux points 152, 160, 161 et 181 ci-dessus.

187    Enfin, s’agissant de l’argument de la SNCM selon lequel la contribution des recettes générées par le service complémentaire à la rémunération globale de cette société est très importante, dès lors que les périodes correspondant à ce service sont celles qui sont les plus rentables, il doit être rejeté comme inopérant. En effet, à supposer que cela soit exact, il n’en demeure pas moins que lesdites recettes n’étaient pas suffisantes pour compenser les coûts directs liés à la fourniture de ce service (voir points 101, 155, 174 et 185 ci-dessus).

188    Il convient de conclure de l’ensemble de ce qui précède que la troisième sous-branche de la deuxième branche du premier moyen et, partant, cette deuxième branche dans son intégralité doivent être rejetées comme non fondées.

 Sur la troisième branche, invoquée à titre subsidiaire, tirée de ce que le service complémentaire, considéré isolément, remplit le premier des critères Altmark

189    Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, invoquée à titre subsidiaire, la SNCM fait valoir que le service complémentaire, considéré isolément, remplit le premier des critères Altmark et que la Commission a donc commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que l’inclusion de ce service dans le périmètre du service public ne correspondait pas à un besoin réel de service public.

190    Cette troisième branche peut être divisée en quatre sous-branches.

–       Sur la première sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément apprécié la substituabilité des services de transport de passagers au départ de Marseille avec ceux au départ de Toulon

191    La SNCM soutient que le constat de la Commission, figurant au considérant 160 de la décision attaquée, selon lequel « le service complémentaire était largement substituable, du point de vue de la demande des passagers, aux services au départ de Toulon et à destination de Bastia et [d’]Ajaccio, lors de l’octroi de la DSP » repose sur un raisonnement manifestement erroné.

192    La Commission, soutenue par Corsica Ferries, conteste les arguments avancés par la SNCM.

193    Au soutien de sa thèse, en premier lieu, la SNCM affirme que le raisonnement de la Commission repose sur une analyse biaisée et contradictoire des statistiques du trafic passagers.

194    Il convient de constater qu’aucune des critiques formulées par la SNCM au soutien de cette affirmation n’est fondée.

195    Ainsi, premièrement, c’est en vain que la SNCM reproche à la Commission d’avoir analysé, aux considérants 154 et 155 de la décision attaquée, l’évolution du trafic passagers entre le continent français et la Corse entre 2002 et 2009, à savoir une période qui inclut deux années postérieures à l’attribution de la DSP. En effet, la prise en compte de ces deux années, en sus des années 2002 à 2007, permet de percevoir les grandes tendances de l’évolution du trafic passagers sur une période prolongée et de constater qu’elle ne s’était pas infléchie postérieurement à l’attribution de la DSP. Au demeurant, il y a lieu de remarquer qu’il n’est même pas allégué par la SNCM que l’évolution du trafic passagers après l’année 2007 présentait des différences significatives par rapport à celle relative aux années antérieures.

196    Deuxièmement, il y a lieu de considérer que l’observation de la SNCM selon laquelle, au cours de la période 2002-2009, le trafic passagers au départ de Marseille est resté à peu près stable alors que celui au départ de Toulon a fortement augmenté ne contredit nullement la conclusion de la Commission relative à l’existence d’une substituabilité, du point de vue de la demande, des services de transport maritime de passagers offerts sur la liaison Marseille-Corse avec ceux offerts sur la liaison Toulon-Corse.

197    En effet, il ressort du dossier que, comme cela est constaté au considérant 154 de la décision attaquée, le trafic global pour le transport maritime de passagers entre le continent français et la Corse a sensiblement augmenté durant la période 2002-2009 (+ 31,6 %) et que cette augmentation a été absorbée, et ce dans une très large mesure, par les prestataires opérant au départ de Toulon (+ 150 %), et non par ceux opérant au départ de Marseille (- 1,7 %). L’observation de la SNCM selon laquelle l’augmentation du trafic au départ de Toulon s’est accompagnée d’une quasi-stabilité du trafic au départ de Marseille omet de tenir compte de la croissance du trafic global et de l’évolution des parts de marché des opérateurs. Or, il est incontestable que, dans ce contexte d’augmentation générale du trafic entre la Corse et le continent français, la part de marché des prestataires opérant au départ de Toulon a considérablement augmenté, tandis que celle des prestataires opérant au départ de Marseille a diminué. Il n’est pas déterminant à cet égard qu’en nombre absolu de passagers la liaison Marseille-Corse ait connu une quasi-stagnation, dès lors qu’en proportion de parts de marché elle a subi un très net recul. Pouvait clairement en être déduite l’existence d’un report du trafic de transport maritime de passagers de la liaison Marseille-Corse vers la liaison Toulon-Corse et, partant, d’une substituabilité, du point de vue de la demande, des services offerts sur la première liaison avec ceux offerts sur la seconde.

198    Il doit être ajouté que la SNCM ne conteste pas les développements figurant au considérant 157 de la décision attaquée, qui se lit comme suit :

« De fait, l’évolution du trafic entre le continent français et la Corse au bénéfice des liaisons au départ de Toulon est d’autant plus marquée pour le service complémentaire. Entre 2002 et 2005, le trafic réel constaté sur le service complémentaire a diminué de 208 213 passagers sur la liaison Marseille-Corse, tandis que le trafic a augmenté de 324 466 passagers sur la liaison Toulon-Corse sur la même période. La diminution de la part du trafic assurée par le service complémentaire au profit d’autres opérateurs de marché, dans un contexte d’augmentation globale du trafic depuis 2002, indique un fort degré de substituabilité entre ces deux services. »

199    Troisièmement, c’est à tort que la SNCM prétend que l’analyse de la Commission figurant au considérant 154 de la décision attaquée entre en contradiction avec le considérant 155 de cette décision, où cette dernière aurait déclaré que l’évolution constatée ne semblait pas devoir être imputable à un effet de vases communicants avec l’Italie puisque le trafic maritime de passagers entre la Corse et l’Italie était resté stable pendant la période concernée. En effet, audit considérant 155, la Commission n’a nullement fait état d’une telle stabilité du trafic entre la Corse et l’Italie. Elle y réfute un argument des autorités françaises selon lequel les liaisons entre la Corse et l’Italie ont absorbé une part du trafic des lignes Marseille-Corse en se fondant, au contraire, sur le fait que la part du trafic maritime de passagers en provenance ou à destination de l’ensemble des ports corses représentée par les liaisons vers l’Italie avait globalement décru au cours de la période concernée. À cet égard, il doit être relevé qu’il ressort effectivement des données publiées par l’observatoire régional des transports de la Corse que, entre 2002 et 2009, si le trafic entre la Corse et l’Italie s’est accru de 4,6 %, toutefois, le trafic global entre la Corse et les différents ports continentaux a progressé de plus de 21 %. Ainsi, la part du trafic corse représentée par les liaisons vers l’Italie est passée de 39,1 % en 2002 à 33,8 % en 2009.

200    Quatrièmement, c’est à tort que la SNCM reproche à la Commission d’avoir pris en compte, dans le cadre de son analyse de la substituabilité des services, les reports de trafic de la liaison Marseille-Corse vers la liaison Toulon-Corse pendant les années 2004 et 2005, au motif que ces années avaient été marquées par d’importantes grèves qui avaient fortement perturbé le trafic au départ de Marseille.

201    En effet, tout d’abord, il doit être rappelé que l’analyse à laquelle la Commission procède aux considérants 154 à 160 de la décision attaquée ne se limite pas aux années 2004 et 2005, mais couvre une période s’étendant de 2002 à 2009. Ensuite, les conflits sociaux auxquels se réfère la SNCM sont intervenus durant les seuls mois de septembre 2004, de septembre 2005 et d’octobre 2005, et non sur l’ensemble des années 2004 et 2005, comme elle semble le soutenir. Enfin, ainsi que le relève à juste titre la Commission en renvoyant au point 38 de sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5), en droit de la concurrence, l’expérience d’une grève peut être utilisée pour délimiter un marché.

202    En second lieu, il convient de considérer que c’est à tort que la SNCM qualifie l’analyse de la substituabilité des services réalisée par la Commission de « particulièrement fruste » en ce qu’elle ne tiendrait compte que de l’évolution des volumes, sans vérifier si les services offerts par Corsica Ferries étaient substituables à ses propres services, ce en termes d’horaires à respecter, de tarifs plafonds, de qualité du service et de destinations desservies.

203    L’analyse de la Commission repose, en effet, sur un examen sérieux du comportement des consommateurs ainsi que d’éléments rationnels et de constatations factuelles découlant, notamment, de données publiques relatives à l’offre et à la demande de services de transport maritime. Ainsi, comme le fait remarquer à juste titre la Commission, lorsqu’un usager fait le choix de rejoindre la Corse au départ de Toulon plutôt qu’au départ de Marseille, il prend nécessairement en compte l’ensemble des paramètres invoqués par la SNCM. Il peut légitimement être supposé que, s’il avait existé une réelle différence qualitative entre les prestations fournies par cette compagnie au départ de Marseille et celles fournies par Corsica Ferries au départ de Toulon, cela aurait freiné les importants reports de trafic constatés aux points 197 et 198 ci-dessus. Par ailleurs, comme cela a déjà été exposé aux points 137 et 139 ci-dessus, les prestations fournies par Corsica Ferries devaient répondre à une série d’exigences en termes de régularité, de continuité, de fréquence des traversées, de capacité de réalisation du service, de tarifs et d’équipage des navires et intervenir dans des conditions compatibles avec l’intérêt général.

204    Dans ce contexte, il convient d’ajouter que, au considérant 158 de la décision attaquée, la Commission tient également compte, aux fins de son analyse de la substituabilité des services, ce « [d]e manière plus qualitative », de la faible distance entre Marseille et Toulon. À cet égard, force est de constater que c’est à bon droit qu’elle a considéré que cette faible distance, à savoir environ 50 km à vol d’oiseau et 65 km par la route, et le fait que le temps de déplacement par la route entre ces deux villes n’est que de 45 minutes, ce qui constitue une durée largement inférieure à celle du temps de traversée vers la Corse à partir du continent français, constituaient des indices pertinents de la substituabilité, du point de vue de la demande, des services de transport maritime de passagers au départ de Marseille et de ceux au départ de Toulon. À cela s’ajoute le fait que le port de Toulon est plus proche de la Corse que celui de Marseille, ce qui permet aux navires opérant au départ du premier port d’effectuer la traversée en moins de temps que ceux opérant au départ du second. Eu égard à ces éléments, il est peu plausible que ces 45 minutes supplémentaires de trajet en voiture découragent des personnes résidant ou travaillant à Marseille d’emprunter la liaison Toulon-Corse. La pertinence de ces différentes constatations n’est, au demeurant, pas contestée par la SNCM.

205    Certes, comme le relève à juste titre la SNCM, le port de Propriano, qui était l’un des trois ports corses couverts par le service complémentaire, n’était pas desservi par les navires au départ de Toulon. Il était toutefois desservi par les navires du groupement SNCM-CMN au départ de Marseille dans le cadre du service de base [voir point I, sous d), paragraphe 1.3, du cahier des charges de la CDSP]. Il était même prévu, pour la ligne Marseille-Propriano et pour ce service, une augmentation des capacités minimales pendant la période du 1er mai au 30 septembre [voir point I, sous d), paragraphe 1.3, sous i), du cahier des charges de la CDSP]. Comme le relève à juste titre la Commission, il n’existe pas la moindre indication selon laquelle le service de base, ainsi renforcé pendant cinq mois au cours de la période printemps-été, n’aurait pas suffi à lui seul pour répondre à la demande des usagers sur cette ligne, même en période de pointe. Partant, il doit être considéré que les services fournis sur ladite ligne dans le cadre du service complémentaire ne répondaient pas à un besoin réel de service public et que la question de la substituabilité des ports de Marseille et de Toulon pour la desserte de Propriano ne se posait donc même pas.

206    En outre, et en tout état de cause, il convient de constater que, ainsi que le relève la Commission au considérant 164 et dans la note en bas de page n° 98 de la décision attaquée, le trafic sur la ligne Marseille-Propriano ne représentait qu’une faible proportion (10 % environ) de l’ensemble de l’activité couverte par le service complémentaire. Une proportion aussi faible ne permettait pas de justifier l’existence d’un service public ayant l’ampleur du service complémentaire, lequel ne se résumait pas à cette ligne. Comme cela est indiqué audit considérant, « la faible proportion du trafic représenté par [ladite] ligne ne permet pas de considérer que la carence de l’initiative privée sur cette seule ligne invalide la conclusion concernant l’ensemble du service complémentaire ».

207    Enfin, il convient de souligner que, pour pouvoir conclure à l’existence d’une substituabilité en l’espèce, il n’était pas nécessaire que les exigences applicables aux services au départ de Marseille et à ceux au départ de Toulon soient rigoureusement identiques.

208    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que la Commission a considéré que les services de transport maritime fournis sur la liaison Marseille-Corse dans le cadre du service complémentaire et ceux fournis sur la liaison Toulon-Corse étaient, du point de vue de la demande des passagers, substituables entre eux.

–       Sur la deuxième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément apprécié la carence de l’initiative privée

209    Dans le cadre de cette deuxième sous-branche, la SNCM fait valoir que l’analyse de la carence de l’initiative privée effectuée par la Commission aux considérants 161 à 166 de la décision attaquée est insuffisamment motivée et manifestement erronée.

210    Cette analyse est résumée comme suit au considérant 162 de la décision attaquée :

« […] la Commission a comparé le trafic réel de passagers à destination de chacun des ports du service complémentaire avec l’offre de transport fournie par Corsica Ferries au départ de Toulon et par le service de base de la DSP. Il en ressort que, pour les ports de Bastia et d’Ajaccio, qui représentent 90 % des capacités requises par le service complémentaire, la combinaison des capacités offertes par le service de base de la DSP, au départ de Marseille, et du service d’initiative privée existant entre 2004 et 2006 au départ de Toulon suffisait à assurer la demande effectivement constatée, et ce aussi bien pour la période printemps-automne que pour la période d’été, pour chacun des deux ports et pour chaque année entre 2004 et 2006. »

211    La Commission et Corsica Ferries contestent les allégations de la SNCM.

212    Au soutien de sa thèse, en premier lieu, la SNCM fait grief à la Commission de n’avoir fourni aucun détail ou chiffre sur le calcul comparé de l’offre et de la demande décrit au considérant 162 de la décision attaquée.

213    Il convient de rejeter ce grief comme non fondé. En effet, ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse à une question écrite du Tribunal, les données qu’elle a utilisées aux fins de l’analyse critiquée sont des données publiques émanant de l’observatoire régional des transports de la Corse, qui lui avaient été communiquées par Corsica Ferries lors de la procédure administrative et n’avaient fait l’objet d’aucune contestation de la part des autorités françaises lors de cette procédure. La SNCM, qui est particulièrement bien placée pour connaître l’état de l’offre et de la demande de transport maritime entre le continent français et la Corse ainsi que les données relatives aux capacités prévues par la CDSP, ne saurait donc sérieusement prétendre, comme elle le fait dans ses écritures, qu’il lui est impossible de comprendre le raisonnement de la Commission et de vérifier si les chiffres utilisés par cette dernière sont exacts ou non. Quant à la méthodologie employée par la Commission aux fins de son analyse, il ressort clairement du considérant 162 de la décision attaquée qu’elle consiste simplement en une comparaison, pour chaque année de 2004 à 2006, en distinguant la période dite de « printemps-automne » et celle dite d’« été », et pour chacun des trois ports corses couverts par le service complémentaire, de la combinaison des capacités offertes par Corsica Ferries au départ de Toulon et de celles offertes par les codélégataires dans le cadre du service de base au départ de Marseille avec la demande réellement constatée (à savoir le trafic réel de passagers). Se concentrant sur les ports de Bastia et d’Ajaccio, qui représentaient 90 % des capacités requises par le service complémentaire, la Commission a constaté que cette combinaison suffisait à assurer la demande effectivement constatée, en se fondant sur le fait que la différence entre la première et la seconde était systématiquement positive. Dès lors, la Commission a motivé son analyse de la carence de l’initiative privée à suffisance de droit.

214    En deuxième lieu, la SNCM fait valoir que l’analyse comparée du trafic réel de passagers avec la combinaison de l’offre de transport fournie par Corsica Ferries et de celle fournie dans le cadre du service de base est manifestement erronée dans la mesure où elle ne prend pas en compte les caractéristiques du marché et, plus particulièrement, l’important déséquilibre de la demande au sein même de la période de pointe. En effet, même au cœur de l’été, il existerait des pointes de trafic, notamment en fin de semaine, que ladite combinaison ne permettrait pas de couvrir entièrement.

215    Force est de constater que la SNCM ne démontre pas à suffisance de droit le déséquilibre prétendument important de la demande qu’elle invoque. Elle se contente, à cet égard, de renvoyer à un passage de la décision 2004/166/CE de la Commission, du 9 juillet 2003, concernant l’aide à la restructuration que la France envisage de mettre à exécution en faveur de la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM) (JO 2004, L 61, p. 13), qui se réfère à une étude de marché menée, selon elle, par la Commission. En réalité, ainsi que cela ressort du considérant 50 de cette décision, cette étude de marché n’émanait nullement de la Commission, mais avait été présentée par les autorités françaises. En outre, ladite étude de marché se fondait sur les données disponibles jusqu’en 2001. Or, les conditions de marché ont sensiblement évolué entre 2001 et 2007. Enfin, il doit être relevé que la décision 2004/166 a été annulée par le Tribunal par l’arrêt du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission (T‑349/03, EU:T:2005:221).

216    En troisième lieu, la SNCM affirme que, pour examiner la question de la carence de l’initiative privée, la Commission ne pouvait se contenter de procéder à une analyse quantitative de l’offre fournie par Corsica Ferries. En effet, elle aurait dû raisonner en termes non seulement de capacité, mais également de tarifs, de continuité et de régularité et démontrer que Corsica Ferries offrait ses services dans des conditions analogues à celles fournies par la SNCM dans le cadre du service complémentaire. La SNCM relève, dans ce contexte, que la Commission ne démontre à aucun moment que les services fournis par Corsica Ferries répondaient aux exigences de qualité posées par le cahier des charges.

217    Les griefs ainsi formulés à l’encontre de la Commission ne sauraient être accueillis.

218    Certes, ainsi qu’il ressort du dossier, et qu’il est d’ailleurs constant entre les parties, les obligations de la CDSP applicables au service complémentaire et les OSP auxquelles sont soumis les services de transport au départ de Toulon ne sont pas strictement identiques. Toutefois, comme le relève à juste titre la Commission au considérant 165 de la décision attaquée, l’existence d’une différence qualitative significative entre les services de transport maritime fournis au départ de Marseille dans le cadre du service complémentaire et les services de transport maritime fournis au départ de Toulon de nature à dissuader les usagers des premiers de se reporter sur les seconds n’a pas pour autant été démontrée.

219    À cet égard, tout d’abord, il importe de rappeler que les obligations prévues par le cahier des charges de la CDSP sont moins contraignantes pour ce qui est du service complémentaire que pour ce qui est du service de base (voir point 151 ci-dessus). Ensuite, il y a lieu de renvoyer aux considérations exposées aux points 202 à 204 ci-dessus, d’où il ressort que, outre le fait que les prestations fournies par Corsica Ferries devaient répondre à une série d’exigences en termes de régularité, de continuité, de fréquence des traversées, de capacité de réalisation du service, de tarifs et d’équipage des navires et intervenir dans des conditions compatibles avec l’intérêt général, il n’est pas établi qu’il existait une réelle différence qualitative entre lesdites prestations et celles fournies par la SNCM au départ de Marseille. Enfin, s’agissant, plus précisément, des obligations de qualité du service offert prévues par le cahier des charges de la CDSP pour le service complémentaire, invoquées par la SNCM, il suffit de constater que cette dernière n’a pas fait valoir le moindre élément de nature à établir qu’il existait un quelconque besoin particulier des voyageurs qui n’aurait pas été satisfait dans le cadre de la fourniture des services de transport maritime par les compagnies opérant au départ de Toulon. Le service complémentaire n’était d’ailleurs assorti que de peu d’obligations en termes de qualité du service offert et celles-ci ne se distinguaient pas fondamentalement de celles applicables aux services de transport fournis par les compagnies concurrentes, en particulier par Corsica Ferries.

220    Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a considéré qu’aucune preuve de la carence de l’initiative privée concernant le service complémentaire n’avait été rapportée en l’espèce.

–       Sur la troisième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis d’analyser l’impact qu’aurait eu la suppression du service complémentaire sur l’offre effectivement constatée

221    La SNCM fait grief à la Commission de ne pas avoir analysé l’impact qu’aurait eu la suppression du service complémentaire sur l’offre effectivement constatée, ce qui aurait conduit cette dernière à surévaluer l’initiative privée susceptible de se substituer à ce service. En effet, tout d’abord, rien dans la décision attaquée n’indiquerait que les services de Corsica Ferries au départ de Toulon et ceux de la SNCM au départ de Marseille seraient parfaitement substituables. Ensuite, rien n’établirait que, en dehors de tout contrat de service public, l’offre de Corsica Ferries aurait été en mesure de garantir une continuité et une régularité de service équivalentes à celles du service complémentaire. Enfin, en cas de suppression des compensations versées, la présence même de la SNCM sur le marché serait remise en cause, ce qui placerait Corsica Ferries en situation de quasi-monopole et pousserait cette dernière à augmenter significativement ses tarifs et à diminuer la qualité de son service.

222    La Commission rejette les allégations de la SNCM.

223    Cette troisième sous-branche ne saurait être accueillie. En effet, les trois prémisses sur lesquelles se fonde le grief formulé par la SNCM à l’encontre de la Commission sont erronées.

224    Ainsi, en premier lieu, il ne saurait raisonnablement être exigé de la Commission qu’elle démontre l’existence d’une parfaite substituabilité entre les services de transport fournis au départ de Toulon et ceux fournis au départ de Marseille. C’est à bon droit qu’elle a tenu compte, au considérant 160 de la décision attaquée, de ce que ces services étaient « largement substituables ».

225    En deuxième lieu, force est de constater que l’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée permet d’établir à suffisance de droit que, en l’absence de DSP pour le service complémentaire, l’offre de Corsica Ferries au départ de Toulon, combinée à celle du groupement SNCM-CMN dans le cadre du service de base, aurait permis de garantir la continuité territoriale pendant toute l’année, y compris pendant les périodes de pointe, ou, en d’autres termes, que la demande des passagers aurait toujours été satisfaite (voir l’examen des première et deuxième sous-branches de la présente troisième branche ci-dessus).

226    L’allégation que la SNCM formule dans ce contexte, selon laquelle, en l’absence de DSP pour le service complémentaire, Corsica Ferries pourrait, progressivement ou brutalement, réaffecter sa flotte vers d’autres destinations que la Corse, n’est que pure spéculation et ne saurait donc être acceptée.

227    En troisième lieu, il doit être considéré que ne sont également que pures spéculations et doivent donc être rejetées les allégations de la SNCM relatives aux conséquences, sur sa situation et celle de Corsica Ferries, d’une suppression des compensations versées au titre du service complémentaire.

–       Sur la quatrième sous-branche, tirée de ce que les concurrents de la SNCM opérant au départ de Toulon ne sauraient être considérés comme exerçant leurs activités dans des conditions normales de marché

228    La SNCM prétend que, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 166 de la décision attaquée, ses concurrents opérant au départ de Toulon ne sauraient être considérés comme exerçant leurs activités dans des conditions normales de marché. En effet, la desserte au départ de Toulon serait subventionnée par une aide d’État, à savoir le dispositif d’aide sociale, et serait soumise à des OSP au titre de ce dispositif.

229    La Commission et Corsica Ferries concluent au rejet de cette sous-branche.

230    Il convient de constater que la Commission, en relevant, à la dernière phrase du considérant 166 de la décision attaquée, que « les concurrents de la SNCM concernant le transport de passagers et opérant au départ de Toulon pouvaient être considérés comme exerçant dans des conditions normales de marché », ne visait pas une situation d’absence d’intervention publique sur le marché. Ainsi qu’il ressort du premier membre de ladite phrase – « compte tenu de la présence des OSP et du dispositif d’aide sociale sur l’ensemble des lignes entre le continent français et la Corse » –, la Commission entendait simplement indiquer que l’ensemble des compagnies maritimes offrant des services de transport de passagers entre, notamment, le port de Toulon et les ports corses étaient couvertes par le régime d’aides à caractère social décrit au point 14 ci-dessus et, de ce fait, soumises aux exigences posées par les OSP prévues dans le cadre de ce régime, de sorte qu’elles devaient être regardées comme exerçant leurs activités sur le marché dans des conditions équivalentes. En d’autres termes, les « conditions normales de marché » étaient celles qui intégraient ledit régime et les OSP associées.

231    Partant, la quatrième sous-branche de la troisième branche et cette dernière branche dans son ensemble doivent être rejetées comme non fondées.

 Sur la quatrième branche, invoquée à titre très subsidiaire, tirée de ce que la Commission n’a pas démontré que les prestations fournies au titre du service complémentaire ne constituaient pas une transaction commerciale normale

232    À titre très subsidiaire, à savoir dans l’hypothèse où il devrait être considéré que le service complémentaire ne constitue pas un SIEG, la SNCM reproche à la Commission de ne pas avoir démontré que les autorités françaises, en contractant avec la SNCM au titre dudit service, n’avaient pas agi de la même manière qu’un investisseur privé dans des conditions normales de marché et que l’achat des prestations fournies dans le cadre dudit service ne pouvait donc être qualifié de transaction commerciale normale.

233    Force est de constater que, ainsi que la Commission et Corsica Ferries le font valoir à juste titre, le critère de l’investisseur privé en économie de marché n’est pas applicable dans une hypothèse comme celle de l’espèce. En effet, d’une part, lorsqu’une autorité publique se présente elle-même comme autorité organisatrice et délégante du service public, elle écarte par là même l’applicabilité dudit critère puisqu’elle agit par définition en tant que puissance publique. D’autre part, contrairement à la position défendue par la SNCM, le comportement des autorités françaises dans la présente affaire ne saurait être assimilé à une acquisition, par celles-ci, contre le paiement d’un prix, de services de transport maritime. En réalité, ce qui est en cause en l’espèce est une convention par laquelle une autorité publique confie la gestion d’un service public à des opérateurs économiques, moyennant le versement d’une compensation financière à ces derniers. Dans une telle situation, ce sont les quatre critères Altmark qui s’appliquent pour déterminer si cette compensation constitue une aide d’État et, en particulier, un avantage sélectif.

234    Partant, la quatrième branche du premier moyen ne saurait être accueillie.

235    Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé dans son ensemble. Il doit donc être conclu que c’est à bon droit que la Commission a considéré que l’inclusion du service complémentaire dans le périmètre du service public ne répondait pas à un besoin réel de service public et que la République française avait, dès lors, commis une erreur manifeste d’appréciation en qualifiant le service complémentaire de SIEG.

 Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que la CDSP ne remplissait pas le quatrième des critères Altmark

236    Par son deuxième moyen, la SNCM prétend que la Commission a erronément considéré que le quatrième des critères Altmark n’était pas rempli s’agissant tant du service de base que du service complémentaire. Elle soutient que la procédure de passation de la CDSP a permis d’assurer une concurrence effective entre les opérateurs et, partant, de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse pour la collectivité.

237    La Commission et Corsica Ferries rejettent les arguments de la SNCM.

238    Il convient de rappeler qu’il est satisfait au quatrième des critères Altmark dans deux hypothèses alternatives. Selon la première, le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’OSP doit avoir été effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité. Selon la seconde, le niveau de la compensation doit avoir été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations.

239    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré qu’aucune de ces deux hypothèses n’était avérée en l’espèce (voir considérants 169 à 178 et 179 à 183 de la décision attaquée). Dans le cadre du présent recours, la SNCM ne remet en cause que les conclusions de la Commission relatives à la première desdites hypothèses.

240    Force est de constater qu’il ressort d’un faisceau d’indices convergents que la procédure d’appel d’offres suivie en l’espèce n’a manifestement pas entraîné une concurrence réelle et ouverte suffisante permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services de transport maritime en cause au moindre coût pour la collectivité.

241    Ainsi, en premier lieu, il convient de relever que la CDSP a été attribuée au groupement SNCM-CMN à l’issue d’une procédure négociée avec publication, et ce après annulation, par le Conseil d’État, le 15 décembre 2006, d’une première procédure de passation de la DSP dans son intégralité. Or, comme il ressort du considérant 170 de la décision attaquée et du point 66 de la communication SIEG, une procédure négociée avec publication confère une large marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur et peut restreindre la participation des opérateurs intéressés. Une telle procédure ne peut donc être considérée comme suffisante pour satisfaire au quatrième des critères Altmark que dans des cas exceptionnels. Il y a lieu d’ajouter que le point 68 de la même communication rappelle qu’il peut arriver qu’une procédure de passation de marché ne puisse permettre un moindre coût pour la collectivité du fait qu’elle n’entraîne pas une concurrence ouverte et réelle suffisante.

242    En deuxième lieu, il doit être relevé que deux offres seulement ont été présentées à la suite de la publication de l’avis d’appel d’offres, à savoir l’offre groupée de la SNCM et de la CMN, d’une part, et l’offre de Corsica Ferries, d’autre part. Or, en théorie, plusieurs autres compagnies maritimes auraient pu soumissionner à cet appel d’offres, dont au moins trois compagnies fournissant des services réguliers de transport maritime entre le continent et la Corse [Saremar (Italie-Corse), Lauro (Italie-Corse) et Moby (Italie-Corse mais aussi, pendant un certain temps, France continentale-Corse)].

243    En troisième lieu, et dans le prolongement de ce qui est exposé au point 242 ci-dessus, il convient de constater que, comme il ressort des considérants 174 à 177 de la décision attaquée, une série de facteurs ont, en effet, indubitablement dissuadé, voire empêché, des candidats potentiels de participer à l’appel d’offres.

244    Premièrement, il doit être tenu compte de ce que, comme cela est indiqué au considérant 175 de la décision attaquée et comme il ressort des points 60 et 106 de la décision 06-MC-03 du Conseil de la concurrence (France), du 11 décembre 2006, relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, le groupement SNCM-CMN possédait un important avantage concurrentiel du fait de sa position d’opérateur historique sur la liaison Marseille-Corse disposant déjà des navires adaptés aux spécifications du cahier des charges de la CDSP.

245    Deuxièmement, a nécessairement eu un effet d’éviction la brièveté des délais imposés dans le cadre de la procédure de passation de la CDSP. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le nouvel avis d’appel d’offres et le cahier des charges définitif ont été publiés le 30 décembre 2006, pour une mise en œuvre de la DSP à compter du 1er mai 2007, à savoir quatre mois plus tard seulement, cette dernière date ayant été portée au 1er juillet 2007 par délibération de l’assemblée de Corse du 27 avril 2007. Il en a résulté que le délai entre la date d’attribution de la DSP, laquelle attribution est finalement intervenue le 7 juin 2007, et la date de mise en œuvre de la DSP ne pouvait être qu’extrêmement bref. Ainsi, ledit délai n’a été que de 23 jours. Or, des délais aussi courts ne permettaient manifestement pas aux opérateurs qui n’étaient pas déjà présents sur la liaison Marseille-Corse de déployer leurs navires à partir d’autres liaisons ou d’acquérir d’autres navires remplissant les prescriptions du cahier des charges. Ces opérateurs n’auraient pas pris le risque économique, très élevé, d’adapter par avance leur flotte en l’absence de toute indication favorable quant à la possibilité d’emporter le marché.

246    Certes, en dépit des obstacles constitués par ces très brefs délais, Corsica Ferries a pu soumissionner à l’appel d’offres en cause. Toutefois, il doit être relevé que cette dernière s’est trouvée dans l’impossibilité de proposer une date antérieure au 12 novembre 2007 pour le début de l’exploitation de la DSP en raison, précisément, du fait que sa flotte devait rester mobilisée sur Nice et Toulon jusqu’à cette dernière date, puisque les billets de transport pour la saison touristique avaient été mis en vente dès le mois de janvier.

247    Troisièmement, force est de constater que certaines contraintes de nature technique ont également limité le nombre de candidats susceptibles de soumissionner à l’appel d’offres. Ainsi, les navires devaient répondre à des exigences techniques précises pour pouvoir manœuvrer dans certains des ports corses. Par exemple, comme cela est indiqué dans la note en bas de page n° 107 de la décision attaquée, en 2007, le port de Bastia ne permettait pas la manœuvre de navires mesurant plus de 180 mètres. Cette contrainte, conjuguée à l’exigence d’un nombre minimal élevé de mètres linéaires prévue par le cahier des charges de la CDSP pour le transport du fret, impliquait la construction de navires presque sur mesure, analogues à certains des navires de la SNCM, tels que le Paglia Orba et le Pascal Paoli. Or, ainsi que cela est relevé dans la note en bas de page n° 109 de la décision attaquée, le coût de navires susceptibles de remplir les conditions de ce cahier des charges était particulièrement élevé. À ces éléments s’ajoute le fait que ledit cahier des charges prévoyait que les navires destinés à assurer le service public ne pouvaient être âgés de plus de 20 ans, avec possibilité d’une dérogation pour les années 2007 et 2008, ce qui bénéficiait directement à la SNCM, tout en ayant pour effet d’exclure cinq navires de la flotte de Corsica Ferries disponible pour l’exploitation de la DSP, comme l’explique de manière très convaincante la Commission dans sa réponse à l’une des questions écrites du Tribunal.

248    Il convient d’ajouter que, au point 56 de sa décision 06-MC-03 du 11 décembre 2006 (voir point 244 ci-dessus), citée dans la note en bas de page n° 106 de la décision attaquée, le Conseil de la concurrence a conclu que, « [s]i, en théorie, plusieurs compagnies disposaient des navires nécessaires et auraient pu répondre à l’appel d’offres, un certain nombre de particularités du règlement de consultation, les délais impartis pour y répondre ainsi que plusieurs contraintes de nature technique ou commerciale ont réduit en pratique leur nombre aux trois compagnies déjà actives sur le service de la Corse depuis les ports de Marseille, [de] Toulon et [de] Nice » (voir aussi points 120 à 133 de la décision 09-D-10 du Conseil de la concurrence, du 27 février 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent).

249    En quatrième lieu, comme cela est constaté à juste titre au considérant 172 de la décision attaquée, l’offre de Corsica Ferries, qui était donc l’unique offre concurrente de celle du groupement SNCM-CMN, a été rejetée sur la base de critères de sélection, et non de critères d’attribution, c’est-à-dire sans même qu’intervienne une comparaison des mérites propres des offres en présence pour retenir celle qui était économiquement la plus avantageuse. Ainsi, il ressort de la délibération de l’assemblée de Corse du 7 juin 2007 que l’offre de Corsica Ferries a été rejetée au motif que cette dernière n’était pas en mesure de « fixer, de manière ferme et définitive, la date à laquelle elle serait capable d’exploiter la [DSP] ». Plus précisément, comme cela est déjà indiqué au point 246 ci-dessus, Corsica Ferries se trouvait dans l’impossibilité de proposer une date antérieure au 12 novembre 2007 pour la mise en œuvre de la DSP, alors que le début de celle-ci avait été fixé au 1er juillet 2007. Par ailleurs, il ressort du rapport du président du conseil exécutif de Corse sur la desserte maritime de service public entre Marseille et la Corse, au regard duquel a été adoptée cette délibération, que certains des navires de Corsica Ferries ne répondaient pas à la condition d’âge maximal fixée par le règlement particulier d’appel d’offres, dès lors qu’ils avaient été mis en ligne avant le 1er janvier 1987 (voir aussi note en bas de page n° 20 de la décision attaquée).

250    Il ne saurait donc être considéré que, ainsi que l’avance la SNCM, l’offre de Corsica Ferries a été rejetée au motif qu’elle n’était pas économiquement la plus avantageuse. Il doit être ajouté que les raisons qui ont justifié ce rejet ne figurent pas parmi les critères d’attribution énoncés par le règlement particulier d’appel d’offres, lequel, sous le titre « critère de choix », prévoit notamment ce qui suit :

« Pour l’attribution des contrats, la [CTC] se déterminera en fonction de l’engagement financier global qu’elle sera amenée à prendre et des éléments de qualité de service et de développement économique de l’île fournis par les entreprises soumissionnaires, notamment la part des services et activités envisagés sur le marché insulaire, dans la limite des capacités et des types de production. »

251    En cinquième lieu, il convient d’entériner la constatation de la Commission, figurant au considérant 177 de la décision attaquée, selon laquelle « l’existence de nombreuses clauses de rencontre, associée à la liberté laissée à l’OTC de décider d’exemptions aux règles applicables, a également pu contribuer à décourager la participation à l’appel d’offres en entretenant le doute sur certains paramètres techniques et économiques cruciaux pour l’élaboration d’une offre ».

252    Ainsi, premièrement, l’article 2 de la CDSP prévoit que les obligations du cahier des charges peuvent faire l’objet d’aménagements pendant une période transitoire se terminant le 31 décembre 2008. Les obligations ainsi visées, qui peuvent être assouplies à la discrétion de l’OTC, portent sur des points essentiels de la DSP, puisqu’elles concernent les capacités minimales [voir point I, sous a), paragraphe 1.3, point I, sous b), paragraphe 1.3, point I, sous c), paragraphe 1.3, point I, sous d), paragraphe 1.3 et point I, sous e), paragraphe 1.3, du cahier des charges], la qualité du service et la date de mise en service des navires (voir introduction du point III du cahier des charges). Certes, les dérogations n’étaient prévues que pour une période de 18 mois, mais elles n’en étaient pas moins significatives, un tel délai étant suffisant pour réorganiser, le cas échéant, une flotte de navires.

253    Deuxièmement, le cahier des charges de la CDSP prévoit qu’« il pourra être admis, après l’accord de l’OTC, notamment pour permettre de satisfaire aux obligations réglementaires d’entretien/[de] réparation/[de] reclassification des navires, qu’un niveau de service plus réduit, pour les capacités prévues ci-dessus, notamment pour les passagers (dans la limite de 30 % de réduction), soit mis en place pendant la période du 1er octobre au 31 mars, hors période de vacances scolaires et quelle que soit la période de l’année en cas d’évènement imprévu » [voir point I, sous a), paragraphe 1.4, point I, sous b), paragraphe 1.4, point I, sous c), paragraphe 1.4, point I, sous d), paragraphe 1.4 et point I, sous e), paragraphe 1.4, du cahier des charges]. Il convient de relever qu’une réduction du service était possible « notamment » pour satisfaire aux obligations réglementaires d’entretien, de réparation et de reclassification des navires, et pas « uniquement » pour ce motif, comme semble le prétendre la SNCM. Par ailleurs, ainsi que le souligne à très juste titre la Commission, la marge d’appréciation que cette disposition conférait à l’OTC était très large, puisqu’elle laissait ouverts tant le motif pour lequel les réductions pouvaient être effectuées que leur périmètre (« notamment pour les passagers ») et leur ampleur (avec un maximum de 30 %), et ce durant l’ensemble des périodes creuses, c’est-à-dire celles durant lesquelles l’exploitation des différentes lignes maritimes était, par définition, la plus déficitaire et, partant, durant lesquelles une réduction des services était la plus rentable pour les délégataires.

254    Troisièmement, eu égard à leur portée, ont également pu entretenir le doute sur certains paramètres techniques et économiques la clause de sauvegarde et la clause d’adaptation prévues par l’article 7 et l’article 8 de la CDSP, respectivement (voir points 33 à 35 ci-dessus).

255    Par ailleurs, aucun des autres arguments avancés par la SNCM ne permet de remettre en cause les considérations qui précèdent.

256    Ainsi, en premier lieu, c’est à tort que la SNCM prétend que, au point 59 de son arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415), le Tribunal a conclu que la DSP pour la période 2007-2013 avait été obtenue par le groupement SNCM-CMN « conformément aux nouvelles règles communautaires et à la suite d’un appel d’offres européen ». En effet, d’une part, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne concernait pas la DSP pour la période 2007-2013, mais un SIEG relatif à la période 1991-2001. D’autre part, au point 59 dudit arrêt, le Tribunal s’est limité à constater que la SNCM et la CMN avaient conjointement obtenu les DSP postérieures à 2001 en application des nouvelles règles de l’Union, à la suite d’un appel d’offres européen, ce sans examiner la régularité de ces appels d’offres, qui ne faisaient d’ailleurs pas l’objet du litige, ni, a fortiori, leur aptitude à remplir le quatrième des critères Altmark.

257    En deuxième lieu, la SNCM ne saurait utilement invoquer la circonstance que la CTC n’a jamais été saisie d’une demande de candidats potentiels ayant renoncé à participer à la consultation en raison de contraintes imposées par le cahier des charges ou par le calendrier d’attribution de la DSP. Cette circonstance, à la supposer établie, n’est, en effet, pas en elle-même de nature à influencer le raisonnement et les conclusions de la Commission formulés dans la décision attaquée relativement au non-respect du quatrième des critères Altmark.

258    En troisième lieu, la SNCM ne saurait davantage tirer argument de ce que tant le Conseil d’État, dans une décision du 5 juin 2007 ainsi que dans sa décision du 13 juillet 2012 mentionnée au point 27 ci-dessus, que le Conseil de la concurrence, dans sa décision 07‑D‑13, du 6 avril 2007, relative à de nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, ont prétendument considéré que la procédure suivie par la CTC pour l’attribution de la CDSP était parfaitement légale.

259    En effet, tout d’abord, s’agissant de la décision du Conseil d’État du 5 juin 2007, il y a lieu de faire remarquer qu’il s’agit d’une décision qui a été rendue à la suite d’un pourvoi en cassation formé par Corsica Ferries contre l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia du 27 avril 2007 mentionnée au point 20 ci-dessus, qui n’avait fait que partiellement droit à sa demande d’annulation de l’ensemble de la procédure organisée par la CTC et l’OTC pour le renouvellement de la DSP de la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille. Outre le fait que, par nature, la compétence du juge des référés est limitée, il doit être relevé que, dans sa décision, le Conseil d’État s’est borné, en substance, s’agissant du bien-fondé de l’ordonnance attaquée, à constater que le juge des référés du tribunal administratif de Bastia n’avait commis aucune dénaturation des faits ou des éléments du dossier. Il convient d’ajouter que ladite décision ne porte que sur la partie des conclusions de Corsica Ferries qui avait été rejetée par ce dernier juge, celui-ci ayant par ailleurs annulé, en raison d’une rupture d’égalité entre les candidats, la phase de négociation de la procédure et, par voie de conséquence, la décision de retenir l’offre du groupement SNCM-CMN et de proposer à l’assemblée de Corse d’attribuer la DSP à ce groupement.

260    Ensuite, contrairement à ce que prétend la SNCM, il ne saurait être déduit de la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2012 que ce dernier y a confirmé la légalité de la procédure suivie par la CTC pour l’attribution de la CDSP. Dans la seconde partie de sa décision, qui porte sur le droit des aides d’État et, plus particulièrement, sur le respect de l’obligation de notification préalable prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le Conseil d’État s’est limité à examiner si la clause de sauvegarde prévue par l’article 7, paragraphe 1, de la CDSP, considérée isolément, était susceptible de constituer une aide d’État. Il doit être ajouté que, à la suite de l’annulation, par cette décision du Conseil d’État du 13 juillet 2012, de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 7 novembre 2011 et du renvoi de l’affaire à celle-ci, ladite cour, par arrêt du 6 avril 2016, a annulé le jugement du tribunal administratif de Bastia du 24 janvier 2008 ainsi que la délibération et la décision visées aux points 23 et 25 ci-dessus après avoir précisément constaté que le quatrième des critères Altmark n’était pas rempli.

261    Enfin, s’agissant de la décision du Conseil de la concurrence du 6 avril 2007, il doit être relevé que celle-ci se rapportait à des demandes de mesures conservatoires et ne pouvait donc préjuger la solution quant au fond du litige en cause. Par ailleurs, aucune conclusion ne saurait être tirée de cette décision en ce qui concerne le respect du quatrième des critères Altmark. En effet, les questions dont le Conseil de la concurrence était saisi portaient, en fait, sur l’éventuel caractère anticoncurrentiel de la constitution du groupement momentané entre la SNCM et la CMN ainsi que sur le niveau prétendument excessif du montant de la subvention demandée par ce groupement dans son offre déposée à la suite de la publication du nouvel appel d’offres. Enfin, il doit être relevé que, au point 46 de sa décision, le Conseil de la concurrence souligne lui-même que la décision de choisir le 1er mai 2007 comme date de mise en œuvre de la DSP (cette dernière date ayant été ultérieurement portée au 1er juillet 2007) avait un effet d’éviction.

262    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que le quatrième des critères Altmark n’était pas rempli s’agissant du service de base et du service complémentaire. Le deuxième moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, invoqué à titre subsidiaire, tiré de ce que la Commission a erronément calculé le montant de l’aide à récupérer

263    Le troisième moyen soulevé par la SNCM est dirigé contre le considérant 218 de la décision attaquée, qui se lit comme suit :

« Pour la détermination du montant de l’aide à récupérer, hors intérêts, la Commission considère que la comptabilité analytique de la SNCM constitue une base adéquate pour l’allocation des compensations entre service de base et service complémentaire. Sur cette base, le montant d’aide à récupérer inclut les éléments suivants :

le montant des compensations effectivement versées de 2007 à 2011 au titre du service complémentaire qui s’élève à un montant de 172,744 millions d’euros […] ;

les acomptes versés mensuellement pour l’année 2012 au titre du service complémentaire, estimés actuellement à 38 millions d’euros, ainsi que le reliquat de la compensation, qui doit être versé après transmission du rapport définitif d’exécution des services, si ce dernier a déjà été versé ;

les acomptes versés mensuellement pour l’année 2013 au titre du service complémentaire jusqu’à la date de la présente décision, estimés actuellement à 9,5 millions d’euros, étant rappelé que la France doit annuler tous les versements postérieurs à cette date. »

264    Par ce moyen, qui se subdivise en trois branches, la SNCM prétend que, à supposer même que le service complémentaire puisse être distingué du service de base et que les compensations versées au titre du service complémentaire ne remplissent pas les critères Altmark, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et a violé l’article 106, paragraphe 2, et l’article 107 TFUE ainsi que les principes de proportionnalité et d’interdiction de l’enrichissement sans cause en fixant le montant de l’aide à récupérer à hauteur de l’intégralité desdites compensations.

265    La Commission et Corsica Ferries considèrent que ce troisième moyen doit être rejeté comme non fondé en chacune de ses branches.

 Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis de tenir compte, pour déterminer le montant de l’aide à récupérer, des coûts encourus au titre de la fourniture du service complémentaire

266    La SNCM reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, lors de la détermination du montant de l’aide devant être restituée, des coûts qu’elle a encourus au titre de la fourniture du service complémentaire, lesquels auraient été considérables et n’auraient pas été couverts par le montant des compensations versées au titre de ce service ni par le chiffre d’affaires réalisé auprès des passagers. Ce faisant, la Commission aurait méconnu l’article 106, paragraphe 2, et l’article 107 TFUE ainsi que les principes de proportionnalité et d’interdiction de l’enrichissement sans cause et commis une erreur manifeste d’appréciation.

267    Il convient de rappeler que, comme cela a déjà été relevé au point 233 ci-dessus, et comme le souligne très justement la Commission, la présente affaire ne concerne pas une situation dans laquelle l’État acquiert, contre le paiement d’un prix, un bien ou un service déterminé. Ce qui est en cause en l’espèce est une convention par laquelle une autorité publique confie la gestion d’un service public à des opérateurs économiques, moyennant le versement d’une compensation financière à ces derniers. Dans une telle hypothèse, c’est la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), qui s’applique. Ainsi, si la compensation ne satisfait pas cumulativement aux quatre critères Altmark, elle sera regardée comme conférant un avantage à ses bénéficiaires et, pour autant que les autres conditions requises pour constater l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur soient remplies, elle devra être remboursée dans son intégralité par lesdits bénéficiaires.

268    En l’espèce, dès lors que, ainsi que cela a été constaté dans le cadre de l’examen des premier et deuxième moyens ci-dessus, les premier et quatrième critères Altmark n’étaient pas remplis en ce qui concerne les compensations versées à la SNCM au titre du service complémentaire, ces dernières constituaient dans leur ensemble un avantage en faveur de cette société. Les autres conditions permettant d’établir que lesdites compensations devaient être qualifiées d’aides d’État incompatibles avec le marché intérieur étant réunies, il doit être considéré que c’est sans méconnaître l’article 106, paragraphe 2, et l’article 107 TFUE ni les principes de proportionnalité et d’interdiction de l’enrichissement sans cause que la Commission a ordonné la récupération de l’intégralité de leur montant. À cet égard, il doit notamment être relevé que la suppression d’une aide étatique illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Par conséquent, pareille récupération, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État (arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C‑142/87, EU:C:1990:125, point 66).

269    En particulier, il ne saurait être considéré que l’obligation de rembourser ledit montant aux autorités françaises entraîne au profit de ces dernières un enrichissement sans cause puisqu’elles se contentent de la sorte de récupérer un montant qui ne pouvait être versé à la SNCM.

270    Quant à l’allégation avancée par la SNCM dans la réplique, selon laquelle la récupération du montant fixé par la Commission signifie sa « condamnation à mort » et sa liquidation, il suffit de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que le fait que l’entreprise concernée soit en difficulté ou en faillite n’influe pas sur l’obligation de récupération (arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 71).

271    Enfin, en ce qui concerne l’allégation de la SNCM selon laquelle le service complémentaire a enregistré une « sous-compensation chronique », il convient de constater qu’elle n’est pas établie à suffisance de droit. Au contraire, les explications données par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal ainsi que lors de l’audience tendent à démontrer que ce service a, en réalité, bénéficié d’une surcompensation.

272    Eu égard à ce qui précède, la première branche du troisième moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis de tenir compte, pour déterminer le montant de l’aide à récupérer, de la sous-compensation dont a fait l’objet le service de base

273    La SNCM prétend que la Commission aurait dû tenir compte, dans son évaluation du montant de l’aide devant être restituée, de la sous-compensation « chronique et massive » dont le service de base, qui relevait de la même DSP que le service complémentaire, aurait fait l’objet entre 2007 et 2011. Elle aurait, de ce fait, commis une erreur de droit ainsi qu’une erreur d’appréciation du montant de l’avantage octroyé à la SNCM et méconnu les principes de proportionnalité et d’interdiction de l’enrichissement sans cause.

274    Ce grief ne saurait être accueilli.

275    En effet, d’une part, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il ne saurait être admis qu’une compensation accordée en contrepartie de la réalisation d’un service déterminé et qui constitue une aide d’État soit artificiellement affectée à la compensation d’un service public, quand bien même ces deux services seraient prévus par une seule et même convention. Une compensation de service public octroyée à une entreprise chargée de l’exploitation d’un SIEG doit, en effet, être établie au regard des coûts occasionnés par la fourniture de ce seul SIEG.

276    D’autre part, et en tout état de cause, il est erroné de prétendre que le service de base a fait l’objet d’une sous-compensation « chronique et massive ». Il résulte, en effet, des calculs effectués par la Commission sur la base de l’indicateur financier « return on assets » (ROA, rendement de l’actif investi), qui mesure en pourcentage le rapport entre le résultat net et le total des actifs, et des comptes de résultat analytique de la SNCM mentionnés au point 155 ci-dessus, lesquels calculs ont été explicités par la Commission dans sa réponse à l’une des questions écrites du Tribunal ainsi que lors de l’audience, que ce service n’a été ni surcompensé ni sous-compensé (voir également le tableau figurant au considérant 207 de la décision attaquée).

 Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination de la part de la compensation annuelle attribuable au service complémentaire

277    La SNCM fait valoir que, à supposer même que le montant de l’avantage devant être restitué corresponde à l’intégralité de la compensation allouée au titre du service complémentaire, quod non, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en déterminant ce montant. Elle considère que cette dernière a opéré un choix arbitraire et erroné en s’appuyant sur sa comptabilité analytique et, plus précisément, sur la répartition du compte de résultat effectuée par type de navire (le compte de résultat cumulé des cargos mixtes étant assimilé au compte de résultat du service de base et celui des ferries au compte de résultat du service complémentaire) pour déterminer la part de la compensation annuelle attribuable au service complémentaire. Elle propose deux autres méthodes qui auraient pu être utilisées par la Commission à cette fin.

278    Il convient de relever que la présente branche repose entièrement sur la prémisse selon laquelle la Commission ne pouvait assimiler le service de base aux prestations offertes par les cargos et le service complémentaire à celles offertes par les ferries. Or, ainsi que cela a déjà été démontré aux points 158 à 162 ci-dessus, cette prémisse est erronée. Il doit donc être considéré que la méthode retenue par la Commission pour évaluer le montant de l’avantage lié à la compensation du service complémentaire, qui se fonde sur les propres comptes de résultat analytique de la SNCM (lesquels font une distinction claire entre paquebots/ferries, d’une part, et cargos, d’autre part), était particulièrement adéquate, ce à la différence des deux méthodes alternatives proposées par la SNCM, qui ne sauraient être acceptées, dès lors qu’elles conduisent à une confusion du service de base et du service complémentaire ainsi que des moyens employés pour fournir ces services.

279    Il résulte de ce qui précède que la troisième branche du troisième moyen et ce moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

280    Dans le cadre du quatrième moyen, la SNCM invoque quatre circonstances prétendument exceptionnelles qui étaient de nature à fonder sa confiance légitime dans le caractère régulier de l’aide en cause et, partant, s’opposent à ce que la Commission puisse ordonner la restitution de celle-ci.

281    La Commission et Corsica Ferries contestent les arguments de la SNCM.

282    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées [arrêt du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, EU:C:1987:121, point 44]. Il suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration de l’Union. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêt du 30 juin 2005, Branco/Commission, T‑347/03, EU:T:2005:265, point 102 et jurisprudence citée ; arrêts du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 77, et du 30 juin 2009, CPEM/Commission, T‑444/07, EU:T:2009:227, point 126).

283    Il est également de jurisprudence constante que les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par le traité FUE. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée (voir arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland, C‑24/95, EU:C:1997:163, point 25 et jurisprudence citée). En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir arrêt du 27 septembre 2012, Fedecom/Commission, T‑243/09, non publié, EU:T:2012:497, point 93 et jurisprudence citée).

284    Force est de constater qu’aucune des quatre circonstances prétendument exceptionnelles invoquées par la SNCM ne saurait avoir fondé sa confiance légitime dans le caractère régulier de l’aide en cause.

285    Ainsi, en premier lieu, c’est en vain que la SNCM tente de tirer argument de ce que la Commission, dans ses décisions antérieures relatives aux précédentes DSP pour la desserte maritime de la Corse, à savoir la décision 2002/149 et la décision 2009/611/CE, du 8 juillet 2008, concernant les mesures C 58/02 (ex N 118/02) que la France a mises à exécution en faveur de la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM) (JO 2009, L 225, p. 180), n’aurait pas conclu à la nécessité de conduire une analyse séparée du service de base et du service complémentaire.

286    En effet, le fait que la Commission ait pu considérer qu’un SIEG pour la desserte maritime de la Corse répondait à un besoin réel de service public durant une période antérieure ne donne aucune indication, et a fortiori aucune assurance, sur le fait qu’un tel besoin existerait encore pour la période 2007-2013. Ainsi que cela a déjà été relevé au point 99 ci-dessus, l’appréciation de l’existence d’un tel besoin peut tout à fait évoluer au cours du temps, en fonction du développement des forces du marché. Or, les décisions mentionnées au point 285 ci-dessus ont été adoptées par la Commission en 2001 et en 2008 en tenant compte d’un contexte factuel différent de celui ayant présidé à l’adoption de la décision attaquée, notamment en termes d’évolution des parts de marché. Ce point de vue est d’ailleurs confirmé par les passages des considérants 78 et 80 de la décision 2002/149 cités au point 99 ci-dessus ainsi que par le point 70 de l’arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415), arrêt pourtant invoqué par la SNCM à l’appui de la présente allégation, d’où il ressort que, eu égard au développement particulièrement rapide du jeu concurrentiel sur le marché concerné, les analyses portant sur l’existence d’un besoin de service public réel lors d’une période donnée ne sauraient être susceptibles d’apporter quelque élément probant à même de remettre en cause l’appréciation que fait la Commission de ce même besoin pour une autre période.

287    En deuxième lieu, la SNCM ne saurait reprocher à la Commission d’avoir appliqué le point 48 de la communication SIEG au motif que, à la date de la signature de la CDSP, cette communication n’avait pas encore été adoptée.

288    Le point 48 de la communication SIEG, qui figure sous le titre 3.2 « Existence d’un [SIEG] », se lit comme suit :

« La Commission considère […] qu’il ne serait pas opportun d’assortir d’[OSP] spécifiques une activité qui est déjà fournie ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État, par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales […] »

289    Au considérant 166 de la décision attaquée, après avoir reproduit le passage mentionné au point 288 ci-dessus, la Commission indique que, « [d]ans ce contexte, [elle] considère que les éléments ci-dessus établissent que la compensation des coûts encourus par la SNCM pour la prestation du service complémentaire va également à l’encontre de [sa] pratique en la matière ».

290    Le reproche que la SNCM formule à l’encontre de la Commission ne saurait être accueilli. En effet, ainsi qu’il ressort de son point 3, la communication SIEG n’a pour objet que de clarifier les notions fondamentales sur lesquelles repose l’application des règles en matière d’aides d’État aux compensations de service public. Ainsi, pour apprécier si le premier des critères Altmark était ou non rempli en l’espèce, la Commission n’a fait qu’appliquer les règles objectives du traité et que tenir compte des dispositions pertinentes du règlement cabotage maritime, telles qu’interprétées par la Cour dans son arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), à savoir des principes qui, quant à leur substance, existaient déjà lors de la conclusion de la DSP.

291    En troisième lieu, il convient de considérer que la SNCM ne saurait se prévaloir de la durée prétendument excessive de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée pour fonder sa confiance légitime dans la régularité de l’aide en cause.

292    En effet, tout d’abord, il y a lieu de souligner qu’il est de jurisprudence constante que, lorsque, comme en l’espèce, une aide n’a pas été notifiée à la Commission, l’inaction de celle-ci à l’égard de cette mesure est dépourvue de signification (arrêts du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, C‑183/02 P et C‑187/02 P, EU:C:2004:701, point 52, et du 27 septembre 2012, Fedecom/Commission, T‑243/09, non publié, EU:T:2012:497, point 93). Au demeurant, ainsi que cela ressort des constatations exposées aux points 294 à 296 ci-après, la Commission n’est, à aucun moment, restée inactive après avoir reçu la plainte déposée dans la présente affaire par Corsica Ferries.

293    Ensuite, il convient de rappeler que, le 27 juin 2012, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sur les aides potentielles au bénéfice de la SNCM et de la CMN contenues dans la CDSP et que cette décision a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 5 octobre 2012. À supposer même que, préalablement à ladite publication, un opérateur économique diligent ait pu prétendre à une confiance légitime dans l’octroi de l’aide en cause, il ne pouvait plus entretenir une telle confiance à partir de cette publication. En effet, l’ouverture de la procédure formelle d’examen implique que la Commission nourrit des doutes sérieux quant à la compatibilité de l’aide en cause avec le droit de l’Union. Un opérateur économique diligent ne peut donc plus, à partir de ce moment, se fier à la pérennité de cette aide (arrêt du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, point 47).

294    Enfin, et en tout état de cause, il convient de constater que, si, certes, la durée de la procédure administrative a été relativement longue, toutefois, elle ne saurait être qualifiée de déraisonnable. S’il est vrai que les principes et le contexte qui sous-tendent la décision attaquée ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui sous-tendaient les précédentes décisions de la Commission relatives à la desserte maritime de la Corse, il n’en demeure pas moins, cependant, que la présente affaire présentait une certaine complexité et nécessitait l’établissement de nombreux éléments de fait, ce qui était rendu plus difficile par l’absence de notification préalable de la part des autorités françaises.

295    Dans ce contexte, il doit être relevé que, contrairement à ce que prétend la SNCM, la Commission n’a pas attendu plus de six mois avant d’adopter une quelconque mesure à la suite du dépôt, le 27 septembre 2007, de la plainte de Corsica Ferries. La SNCM omet, en effet, de mentionner que cette plainte a fait l’objet de compléments de la part de Corsica Ferries les 30 novembre et 20 décembre 2007, de sorte qu’il convient de considérer que c’est dans un délai de moins de trois mois, à savoir le 13 mars 2008, que la Commission a pris une première mesure concrète en l’espèce, ce en adressant une demande de renseignements aux autorités françaises, à laquelle ces dernières ont répondu le 3 juin 2008. Une deuxième demande de renseignements a été adressée par la Commission aux autorités françaises le 12 novembre 2008, à laquelle elles ont répondu le 14 janvier 2009.

296    L’allégation de la SNCM selon laquelle la Commission est ensuite restée inactive pendant près de trois ans, à savoir jusqu’au 13 octobre 2011, date à laquelle elle a adressé une troisième demande de renseignements aux autorités françaises, est trompeuse. En effet, les 20 mai et 16 juillet 2010, 22 mars et 22 juin 2011, la Commission a reçu des informations complémentaires de la part de Corsica Ferries au soutien de sa plainte, qu’elle a dû examiner et traiter. Les autorités françaises ont répondu à cette troisième demande de renseignements le 7 décembre 2011. Le 15 décembre 2011 et le 10 janvier 2012, Corsica Ferries a communiqué des informations complémentaires à la Commission. Le 20 janvier 2012, les autorités françaises ont répondu à une quatrième demande de renseignements de la Commission, qui leur avait été adressée le 14 décembre 2011.

297    Le délai de cinq mois environ qui s’est ensuite écoulé jusqu’au 27 juin 2012, date de la notification, par la Commission, à la République française de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, ne saurait être qualifié d’excessif. Il en va de même en ce qui concerne le délai d’un peu plus de dix mois qui s’est écoulé entre cette dernière date et celle de l’adoption de la décision attaquée, le 2 mai 2013. À cet égard, il doit être rappelé que les autorités françaises ont présenté leurs observations sur la décision d’ouverture les 13 juillet et 7 septembre 2012, que Corsica Ferries, la SNCM et la CMN ont également présenté des observations sur ladite décision, qui ont été communiquées aux autorités françaises et ont fait l’objet de commentaires de la part de celles-ci par courriers du 14 novembre 2012 et des 3 janvier, 16 janvier et 12 février 2013.

298    En quatrième lieu, c’est en vain également que la SNCM invoque la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2012 et, plus particulièrement, le fait que ce dernier y aurait confirmé la nécessité d’une analyse globale du service de base et du service complémentaire.

299    En effet, tout d’abord, il y a lieu de souligner que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 282 ci-dessus, seules les institutions de l’Union, et non une juridiction d’un État membre, peuvent être à l’origine d’une attente légitime. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, comme cela a déjà été exposé au point 176 ci-dessus, la Commission n’aurait d’ailleurs pas pu être liée par l’interprétation donnée par le Conseil d’État aux dispositions du règlement cabotage maritime.

300    Ensuite, il doit être relevé que, lorsque le Conseil d’État a rendu sa décision le 13 juillet 2012, la Commission avait déjà décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’encontre des aides potentielles au bénéfice de la SNCM et de la CMN contenues dans la CDSP. Partant, et eu égard à ce qui est exposé au point 293 ci-dessus, il y a lieu de considérer que, tant que la Commission n’avait pas rendu sa décision finale, toute confiance légitime en la régularité de l’aide en cause était exclue, quoi qu’ait pu décider le Conseil d’État.

301    Enfin, il convient de remarquer que, comme le relève pertinemment la Commission, depuis la fin de l’année 2006, la question de la DSP de la desserte maritime de la Corse a fait l’objet de nombre de recours devant les juridictions françaises, qui ont donné lieu à plusieurs revirements de jurisprudence et dont l’épilogue a été l’arrêt du 6 avril 2016 de la cour administrative d’appel de Marseille annulant le jugement du tribunal administratif de Bastia du 24 janvier 2008 ainsi que la délibération de l’assemblée de Corse du 7 juin 2007 et la décision du président du conseil exécutif de Corse du même jour (voir points 17, 20 et 27 ci-dessus).

302    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

303    Dans le cadre du cinquième moyen, la SNCM prétend que la décision attaquée, en ordonnant à la République française de récupérer les sommes qui lui ont été versées en application de la CDSP au titre du service complémentaire sans prévoir aucune autre possibilité de compensation pour ce service, instaure une différence de traitement injustifiée entre elle-même et les autres opérateurs de lignes maritimes entre la Corse et le continent, qu’il s’agisse de la CMN ou des concurrents opérant en dehors du cadre de la DSP.

304    La Commission et Corsica Ferries concluent au rejet, comme non fondé, de ce cinquième moyen.

305    Il convient de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a., C‑44/94, EU:C:1995:325, point 46, et du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C‑87/03 et C‑100/03, EU:C:2006:207, point 48).

306    En l’espèce, force est de constater qu’aucune des deux situations invoquées par la SNCM n’est de nature à constituer une violation du principe d’égalité de traitement.

307    Ainsi, en premier lieu, c’est erronément que la SNCM critique le fait que, dans la décision attaquée, la Commission a qualifié d’aides d’État incompatibles avec le marché intérieur les compensations qu’elle a perçues au titre de la fourniture du service complémentaire sur la ligne Marseille-Propriano [voir point I, sous d), paragraphe 1.4, du cahier des charges de la CDSP] alors qu’elle n’a pas qualifié de la même manière les compensations qui auraient été versées à la CMN pour les « capacités supplémentaires que cette dernière [mettait] en place sur cette même ligne entre mai et septembre ».

308    En effet, les « capacités supplémentaires » visées par la SNCM relèvent du point I, sous d), paragraphe 1.3, sous i), du cahier des charges de la CDSP et font donc partie intégrante du service de base, et non du service complémentaire comme le prétend la SNCM. Cela est notamment confirmé par l’un des tableaux figurant sous le point B « Présentation des années type » de l’annexe 2 de la CDSP, d’où il ressort que le renforcement du service de base ainsi prévu par cette disposition du cahier des charges était réalisé en pratique par l’ajout d’une rotation par semaine des cargos mixtes de la CMN, le Kalliste ou le Girolata, aux rotations de son cargo mixte, le Scandola. Or, ainsi que cela a déjà été exposé aux points 160 et 161 ci-dessus, le service de base était exécuté en utilisant des cargos mixtes, tandis que le service complémentaire l’était en utilisant des ferries.

309    Dès lors que le service complémentaire était uniquement fourni par la SNCM et que seules les compensations versées au titre de ce service ont été considérées par la Commission comme étant des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur, c’est sans violer le principe d’égalité de traitement que cette dernière n’a ordonné la récupération que de ces compensations et non de celles versées à la CMN pour des prestations relevant du service de base.

310    En second lieu, la SNCM invoque à tort une prétendue différence de traitement entre elle et les opérateurs offrant des services de transport maritime sur les liaisons Toulon-Corse et Nice-Corse. En effet, elle ne se trouvait pas dans une situation comparable à celle de ces opérateurs, puisqu’elle seule fournissait le service complémentaire dans le cadre de la CDSP et bénéficiait d’une compensation à ce titre, tandis que lesdits opérateurs étaient couverts par le régime d’aides à caractère social visé au point 14 ci-dessus. Il doit être ajouté que, à la différence de ladite compensation, ce régime d’aides a été déclaré compatible avec le marché intérieur par la Commission (voir point 14 ci-dessus).

311    Dans ce contexte, c’est erronément également que la SNCM prétend qu’il résulte de la décision attaquée qu’elle a été contrainte d’offrir certaines capacités de transport sur la liaison Marseille-Corse sans pouvoir prétendre à aucune compensation, que ce soit au titre de la CDSP ou au titre du régime d’aides à caractère social, alors que les compagnies maritimes opérant depuis Toulon ou Nice pouvaient bénéficier d’une compensation au titre de ce dernier régime. Cette situation est, en effet, imputable non pas à la Commission mais aux autorités françaises qui, à partir du 1er janvier 2002, ont organisé le service public de transport maritime entre la Corse et la France continentale selon deux modes de gestion parallèles, à savoir, d’une part, une convention de DSP pour les lignes au départ de Marseille, donnant lieu à une compensation financière pour les délégataires, et, d’autre part, un système d’aide sociale aux passagers transportés pour les lignes au départ de Nice et de Toulon.

312    Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

313    Partant, le recours doit être rejeté comme non fondé dans son ensemble.

 Sur les dépens

314    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La SNCM ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Corsica Ferries, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par Corsica Ferries France SAS.


Frimodt Nielsen

Collins

Valančius

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er mars 2017.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      S. Gervasoni

Table des matières


Antécédents du litige

Principaux acteurs

Service de transport maritime entre la France continentale et la Corse et conventions de délégation de service public

Procédure devant la Commission et décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Observations liminaires

Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que le service complémentaire ne constituait pas un SIEG

Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit en exerçant un contrôle détaillé de la nécessité du service au regard d’un besoin réel de service public

– Sur la première sous-branche, tirée de ce que la Commission a méconnu sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que la jurisprudence

– Sur les deuxième et quatrième sous-branches, tirées de ce que la Commission a méconnu la large marge d’appréciation des États membres ainsi que la portée de l’arrêt du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107), et du règlement cabotage maritime

– Sur la troisième sous-branche, tirée de ce que la Commission a méconnu les règles de la charge de la preuve

Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur de droit, une erreur de fait et une erreur manifeste d’appréciation en assimilant les capacités supplémentaires à fournir durant les périodes de pointe à un service complémentaire et en évaluant ce service séparément du service de base au titre du premier des critères Altmark

– Sur la première sous-branche, tirée de ce que la CDSP ne fait pas de distinction entre le service de base et le service complémentaire

– Sur la deuxième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément assimilé le service de base aux prestations offertes par les cargos et le service complémentaire à celles offertes par les ferries

– Sur la troisième sous-branche, invoquée à titre subsidiaire, tirée de ce que le service complémentaire est justifié par le besoin réel de service public auquel satisfait le service de base

Sur la troisième branche, invoquée à titre subsidiaire, tirée de ce que le service complémentaire, considéré isolément, remplit le premier des critères Altmark

– Sur la première sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément apprécié la substituabilité des services de transport de passagers au départ de Marseille avec ceux au départ de Toulon

– Sur la deuxième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément apprécié la carence de l’initiative privée

– Sur la troisième sous-branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis d’analyser l’impact qu’aurait eu la suppression du service complémentaire sur l’offre effectivement constatée

– Sur la quatrième sous-branche, tirée de ce que les concurrents de la SNCM opérant au départ de Toulon ne sauraient être considérés comme exerçant leurs activités dans des conditions normales de marché

Sur la quatrième branche, invoquée à titre très subsidiaire, tirée de ce que la Commission n’a pas démontré que les prestations fournies au titre du service complémentaire ne constituaient pas une transaction commerciale normale

Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que la CDSP ne remplissait pas le quatrième des critères Altmark

Sur le troisième moyen, invoqué à titre subsidiaire, tiré de ce que la Commission a erronément calculé le montant de l’aide à récupérer

Sur la première branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis de tenir compte, pour déterminer le montant de l’aide à récupérer, des coûts encourus au titre de la fourniture du service complémentaire

Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission a erronément omis de tenir compte, pour déterminer le montant de l’aide à récupérer, de la sous-compensation dont a fait l’objet le service de base

Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination de la part de la compensation annuelle attribuable au service complémentaire

Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.

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