Arib and Others (area of freedom, security and justice - Opinion) French Text [2018] EUECJ C-444/17_O (17 October 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C44417_O.html
Cite as: ECLI:EU:C:2018:836, [2018] EUECJ C-444/17_O, EU:C:2018:836

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 17 octobre 2018 (1)

Affaire C444/17

Préfet des Pyrénées-Orientales

contre

Abdelaziz Arib,

Procureur de la République,

Procureur général près la cour d’appel de Montpellier

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Code frontières Schengen – Article 32 – Contrôle aux frontières intérieures – Directive 2008/115/CE – Champ d’application – Article 2, paragraphe 2, sous a) – Entrée irrégulière d’un ressortissant d’un pays tiers – Exclusion de l’assimilation des frontières intérieures aux frontières extérieures »






 Introduction

1.        Selon une jurisprudence désormais constante de la Cour, les dispositions de la directive 2008/115/CE (2) s’opposent, en principe, à l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers au seul motif de l’irrégularité de son séjour. Les deux seules exceptions, de nature jurisprudentielle, sont la situation dans laquelle une procédure de retour établie par la directive 2008/115 a été appliquée et où le ressortissant continue à séjourner irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non-retour (3) et la situation dans laquelle une procédure de retour a été appliquée et que la personne concernée entre de nouveau sur le territoire de cet État membre en violation d’une interdiction d’entrée (4).

2.        La question clé qui se pose dans le présent renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (France) est de savoir si une troisième exception devrait être admise dans la situation où un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier a été intercepté à proximité d’une frontière intérieure. Partant, il s’agit de déterminer non pas la légalité d’une réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, mais uniquement les conséquences d’une telle réintroduction.

3.        Ainsi, dans le cadre de la présente affaire, la Cour est invitée une fois de plus à se prononcer sur la conformité avec la directive 2008/115 d’une disposition de droit national qui permet de prononcer une peine d’emprisonnement à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers, au seul motif de l’irrégularité de sa situation.

4.        Mon analyse me conduira à proposer à la Cour de répondre à cette question par la négative. En vertu des dispositions de la directive 2008/115, il n’y a pas de différence entre une interception à proximité de la frontière franco-espagnole et une interception sur l’avenue des Champs-Élysées. À cet égard, il est important de souligner que la réintroduction provisoire des contrôles aux frontières intérieures en vertu du code frontières Schengen (5) ne change rien à ce constat.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le code frontières Schengen

5.        L’article 5 du code frontières Schengen dispose :

« 1.      Les frontières extérieures ne peuvent être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées. Les heures d’ouverture sont indiquées clairement aux points de passage frontaliers qui ne sont pas ouverts 24 heures sur 24.

Les États membres notifient la liste de leurs points de passage frontaliers à la Commission conformément à l’article 39.

[…]

3.      Sans préjudice des exceptions prévues au paragraphe 2 et de leurs obligations en matière de protection internationale, les États membres instaurent des sanctions, conformément à leur droit national, en cas de franchissement non autorisé des frontières extérieures en dehors des points de passage frontaliers ou des heures d’ouverture fixées. Ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives. »

6.        L’article 13, paragraphe 1, de ce code prévoit :

« La surveillance des frontières a pour objet principal d’empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, de lutter contre la criminalité transfrontalière et de prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière. Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n’a pas le droit de séjourner sur le territoire de l’État membre concerné est appréhendée et fait l’objet de procédures respectant la directive 2008/115/CE. »

7.        Aux termes de l’article 14 dudit code :

« 1.      L’entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l’ensemble des conditions d’entrée énoncées à l’article 6, paragraphe 1, et qui n’appartient pas à l’une des catégories de personnes visées à l’article 6, paragraphe 5. Cette disposition est sans préjudice de l’application des dispositions particulières relatives au droit d’asile et à la protection internationale ou à la délivrance de visas de long séjour.

2.      L’entrée ne peut être refusée qu’au moyen d’une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. La décision est prise par une autorité compétente habilitée à ce titre par le droit national. Elle prend effet immédiatement.

La décision motivée indiquant les raisons précises du refus est notifiée au moyen d’un formulaire uniforme tel que celui figurant à l’annexe V, partie B, et rempli par l’autorité compétente habilitée par le droit national à refuser l’entrée. Le formulaire uniforme ainsi complété est remis au ressortissant de pays tiers concerné, qui accuse réception de la décision de refus au moyen dudit formulaire.

3.      Les personnes ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ont le droit de former un recours contre cette décision. Les recours sont formés conformément au droit national. Des indications écrites sont également mises à la disposition du ressortissant de pays tiers en ce qui concerne des points de contact en mesure de communiquer des informations sur des représentants compétents pour agir au nom du ressortissant de pays tiers conformément au droit national.

L’introduction d’un tel recours n’a pas d’effet suspensif à l’égard de la décision de refus d’entrée.

Sans préjudice de toute éventuelle compensation accordée conformément au droit national, le ressortissant de pays tiers concerné a le droit à la rectification du cachet d’entrée annulé, ainsi que de toute autre annulation ou ajout, de la part de l’État membre qui a refusé l’entrée, si, dans le cadre du recours, la décision de refus d’entrée devait être déclarée non fondée.

4.      Les gardes-frontières veillent à ce qu’un ressortissant de pays tiers ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée ne pénètre pas sur le territoire de l’État membre concerné.

5.      Les États membres établissent un relevé statistique sur le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une décision de refus d’entrée, les motifs du refus, la nationalité des personnes auxquelles l’entrée a été refusée et le type de frontière (terrestre, aérienne, maritime) auquel l’entrée leur a été refusée, et le transmettent chaque année à la Commission (Eurostat) conformément au règlement (CE) nº 862/2007 (6).

6.      Les modalités du refus d’entrée sont décrites à l’annexe V, partie A. »

8.        L’article 23 du code frontières Schengen, intitulé « Vérifications à l’intérieur du territoire », énonce :

« L’absence de contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte :

a)      à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police :

i)      n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières ;

ii)      sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière ;

iii)      sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques effectuées sur les personnes aux frontières extérieures ;

iv)      sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste ;

[…] »

9.        L’article 25 de ce code dispose :

« 1.      En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, cet État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques de ses frontières intérieures pendant une période limitée d’une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. La portée et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave.

2.      Le contrôle aux frontières intérieures n’est réintroduit qu’en dernier recours et conformément aux articles 27, 28 et 29. Les critères visés, respectivement, aux articles 26 et 30 sont pris en considération chaque fois qu’une décision de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures est envisagée en vertu de l’article 27, 28 ou 29, respectivement.

3.      Lorsque la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’État membre concerné persiste au-delà de la durée prévue au paragraphe 1 du présent article, ledit État membre peut prolonger le contrôle à ses frontières intérieures, en tenant compte des critères visés à l’article 26 et conformément à l’article 27, pour les mêmes raisons que celles visées au paragraphe 1 du présent article et, en tenant compte d’éventuels éléments nouveaux, pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours.

4.      La durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, y compris toute prolongation prévue au titre du paragraphe 3 du présent article, ne peut excéder six mois. Dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 29, cette durée totale peut être étendue à une durée maximale de deux ans conformément au paragraphe 1 dudit article. »

10.      L’article 32 dudit code énonce :

« Lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II s’appliquent mutatis mutandis. »

11.      Les articles 5, 13 et 14 dudit code font partie de son titre II, intitulé « Frontières extérieures », tandis que ses articles 23, 25 et 32 font partie de son titre III, intitulé « Frontières intérieures ».

 La directive 2008/115

12.      L’objet de la directive 2008/115 est décrit, à son article 1er, comme suit :

« La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. »

13.      L’article 2 de la directive 2008/115, intitulé « Champ d’application », dispose :

« 1.      La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

2.      Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :

a)      faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;

b)      faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition.

[...] »

14.      Aux termes de l’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2)      ‘séjour irrégulier’ : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions énoncées à l’article 5 du code frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

3)      ‘retour’ : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

–        son pays d’origine, ou

–        un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

–        un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4)      ‘décision de retour’ : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

5)      ‘éloignement’ : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre ;

[...] »

15.      L’article 4, paragraphe 4, de ladite directive dispose :

« En ce qui concerne les ressortissants de pays tiers exclus du champ d’application de la présente directive conformément à l’article 2, paragraphe 2, point a), les États membres :

a)      veillent à ce que le traitement et le niveau de protection qui leur sont accordés ne soient pas moins favorables que ceux prévus à l’article 8, paragraphes 4 et 5 (limitations du recours aux mesures coercitives), à l’article 9, paragraphe 2, point a) (report de l’éloignement), à l’article 14, paragraphe 1, points b) et d) (soins médicaux d’urgence et prise en considération des besoins des personnes vulnérables), ainsi qu’aux articles 16 et 17 (conditions de rétention), et

b)      respectent le principe de non-refoulement. »

16.      En vertu de l’article 6 (« Décision de retour »), paragraphe 1, de cette même directive, « [l]es États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5 ».

17.      Aux termes de l’article 16 de la même directive :

« 1.      La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun.

2.      Les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont autorisés – à leur demande – à entrer en contact en temps utile avec leurs représentants légaux, les membres de leur famille et les autorités consulaires compétentes.

3.      Une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables. Les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés.

4.      Les organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité de visiter les centres de rétention visés au paragraphe 1, dans la mesure où ils sont utilisés pour la rétention de ressortissants de pays tiers conformément au présent chapitre. Ces visites peuvent être soumises à une autorisation.

5.      Les ressortissants de pays tiers placés en rétention se voient communiquer systématiquement des informations expliquant le règlement des lieux et énonçant leurs droits et leurs devoirs. Ces informations portent notamment sur leur droit, conformément au droit national, de contacter les organisations et instances visées au paragraphe 4. »

 Le droit français

18.      L’article L. 621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1560, du 31 décembre 2012, relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (7) (ci-après le « Ceseda »), dispose :

« Est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros l’étranger qui n’est pas ressortissant d’un État membre de l’Union européenne :

1°      S’il a pénétré sur le territoire métropolitain sans remplir les conditions mentionnées aux points a, b ou c du paragraphe 1 de l’article 5 du règlement (CE) nº 562/2006 [(8)] du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) [(9)] et sans avoir été admis sur le territoire en application des points a et c du paragraphe 4 de l’article 5 de ce même règlement [(10)] ; il en est de même lorsque l’étranger fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission en application d’une décision exécutoire prise par un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ;

2°      Ou si, en provenance directe du territoire d’un État partie à cette convention, il est entré sur le territoire métropolitain sans se conformer aux stipulations de ses articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, et 21, paragraphe 1 ou 2, à l’exception des conditions mentionnées au point e du paragraphe 1 de l’article 5 du règlement [nº 562/2006], précité et au point d lorsque le signalement aux fins de non-admission ne résulte pas d’une décision exécutoire prise par un autre État partie à la convention ;

[…]

Pour l’application du présent article, l’action publique ne peut être mise en mouvement que lorsque les faits ont été constatés dans les circonstances prévues à l’article 53 du code de procédure pénale ».

19.      L’article 53 du code de procédure pénale dispose :

« Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit.

À la suite de la constatation d’un crime ou d’un délit flagrant, l’enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit jours.

Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation, dans les mêmes conditions, de l’enquête pour une durée maximale de huit jours. »

20.      L’article 62-2 du code de procédure pénale énonce :

« La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.

[…] »

21.      L’article 78-2 du code de procédure pénale dispose :

« Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

–        qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;

–        ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;

–        ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;

–        ou qu’elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’une mesure d’assignation à résidence avec surveillance électronique, d’une peine ou d’une mesure suivie par le juge de l’application des peines ;

–        ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. Pour l’application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa.

[...] »

 Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

22.      Après être entré sur le territoire français à une date inconnue, M. Abdelaziz Arib, un ressortissant marocain, a quitté la France à la suite d’une mesure d’éloignement qui lui a été notifiée le 10 août 2013.

23.      Le 15 juin 2016, M. Arib a été contrôlé au Boulou (Pyrénées-Orientales, France), dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec l’Espagne et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, en application de l’article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, alors qu’il se trouvait à bord d’un autocar en provenance du Maroc. Il n’a pas justifié être en possession d’un visa ou d’un autre titre l’autorisant à séjourner sur le territoire français.

24.      Suspecté d’être entré irrégulièrement sur le territoire français, délit prévu à l’article L. 621-2 du Ceseda, il a été placé en garde à vue.

25.      Le 16 juin 2016, le préfet des Pyrénées-Orientales (France) a pris à l’encontre de M. Arib un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et ordonné son placement en rétention administrative.

26.      Par ordonnance du 21 juin 2016, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Perpignan (France) a prononcé la nullité du placement en garde à vue de M. Arib et de toute la procédure subséquente, y compris la rétention administrative, au motif que ladite garde à vue ne pouvait pas être mise en œuvre. En effet, M. Arib, étranger en situation irrégulière, venait de franchir une frontière intérieure entre la France et l’Espagne, ce qui devait, selon ce juge, entraîner l’application de la directive 2008/115 qui ne permettrait pas de prononcer une peine d’emprisonnement dans des circonstances telles que celles de l’espèce.

27.      Le préfet des Pyrénées-Orientales a interjeté appel.

28.      Par ordonnance du 22 juin 2016, le premier président de la cour d’appel de Montpellier (France) a confirmé la décision de première instance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Perpignan.

29.      Le préfet des Pyrénées-Orientales s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance devant la juridiction de renvoi. Il invoque à l’appui de son pourvoi une violation des articles 2, 14, 25, 27 et 32 du code frontières Schengen ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, sous a), et des articles 8 et 15 de la directive 2008/115. Il fait valoir, notamment, qu’en cas de menace grave pour l’ordre public ou pour la sécurité intérieure, un État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures, paralysant ainsi partiellement l’application de la directive 2008/115, et que, dans cette circonstance, les mesures protectrices de la directive 2008/115 n’étant pas applicables, une personne entrée irrégulièrement en France peut être contrôlée selon les dispositions de l’article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale et, étant en situation irrégulière, être alors susceptible de recevoir une peine de prison et d’être placée en garde à vue.

30.      La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le contrôle réintroduit à une frontière intérieure d’un État membre est assimilable au contrôle à une frontière extérieure lors de son franchissement par un ressortissant d’un pays tiers, dépourvu du droit d’entrée, et que le contrôle est opéré en flagrance. Elle se demande dès lors si un État membre qui a rétabli le contrôle aux frontières intérieures peut se prévaloir de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 pour soustraire à cette directive ledit ressortissant d’un pays tiers. En cas de réponse affirmative, se poserait encore la question de savoir si l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, dans les circonstances de fait de l’espèce.

31.      C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 32 du [code frontières Schengen], qui prévoit que, lorsque le contrôle aux frontières intérieures est rétabli, les dispositions pertinentes du titre II (sur les frontières extérieures) s’appliquent mutatis mutandis, doit-il être interprété en ce sens que le contrôle réintroduit à une frontière intérieure d’un État membre est assimilable au contrôle effectué à une frontière extérieure, lors de son franchissement par un ressortissant d’un pays tiers, dépourvu du droit d’entrée ?

2)      Dans les mêmes circonstances de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, ce [code] et la directive [2008/115] permettent-ils d’appliquer à la situation d’un ressortissant de pays tiers, franchissant une frontière où le contrôle est rétabli, la faculté prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive [2008/115], ouvrant aux États membres la possibilité de continuer à appliquer à leurs frontières extérieures des procédures de retour nationales simplifiées ?

3)      En cas de réponse affirmative à cette dernière question, les dispositions de l’article 2, paragraphe 2, sous a), et de l’article 4, paragraphe 4, de la directive [2008/115] s’opposent-elles à une réglementation nationale telle que l’article L. 621-2 du [Ceseda], sanctionnant d’une peine d’emprisonnement l’irrégularité de l’entrée sur le territoire national d’un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme ? »

32.      Le préfet des Pyrénées-Orientales, les gouvernements français et allemand ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations. Les gouvernements français et allemand ainsi que la Commission ont été entendus lors de l’audience qui s’est tenue le 12 juin 2018.

 Analyse

33.      Si la présente affaire constitue désormais la troisième affaire ayant pour objet, dans le cadre du litige au principal, la conformité de l’article L. 621 du Ceseda avec les dispositions de la directive 2008/115 (11), sa particularité réside dans l’articulation des dispositions de cette directive avec celles du code frontières Schengen.

 Première et deuxième questions

34.      Par les première et deuxième questions, qui méritent d’être abordées ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir s’il ressort de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 et de l’article 32 du code frontières Schengen que les autorités d’un État membre peuvent décider de ne pas appliquer la directive 2008/115 à la situation d’un ressortissant d’un pays tiers arrêté ou intercepté lors du franchissement irrégulier d’une frontière intérieure à laquelle les contrôles ont été rétablis en application de l’article 25 du code frontière Schengen (12).

35.      La question qui se pose est donc de savoir si les dispositions de la directive 2008/115 s’appliquent de manière obligatoire dans une situation où un État membre a réintroduit temporairement des contrôles aux frontières intérieures en vertu de l’article 25 du code frontières Schengen.

36.      Conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous a), deuxième hypothèse (13), de la directive 2008/115, les États membres peuvent décider de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers qui ont été arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre.

 Franchissement d’une frontière

37.      M. Arib a été arrêté lors d’un contrôle au Boulou (Pyrénées-Orientales), c’est-à-dire à moins de vingt kilomètres de la frontières franco-espagnole (14). Étant donné que, physiquement, ce contrôle a eu lieu à l’intérieur du territoire français, il convient de se demander si M. Arib a été arrêté à l’occasion du franchissement d’une frontière.

38.      En vertu de la jurisprudence de la Cour, l’expression « l’occasion du franchissement irrégulier » d’une frontière (extérieure) implique un lien temporel et spatial direct avec ce franchissement de la frontière et suppose que soient ainsi visés des ressortissants de pays tiers qui ont été arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes au moment même du franchissement irrégulier de la frontière (extérieure) ou après ce franchissement dans la proximité de cette frontière (15).

39.      Dans la présente affaire, selon moi, il existe bien un lien temporel et spatial direct avec le franchissement de la frontière franco-espagnole (16).

40.      La question qui se pose alors est de savoir si, en l’espèce, nous sommes en présence d’une frontière extérieure également aux fins de la directive 2008/115, et plus précisément de son article 2, paragraphe 2, sous a).

 Sur l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 : une frontière extérieure ?

41.      La directive 2008/115 ne comporte pas elle-même de définition des termes « frontière intérieure » ou « frontière extérieure ». Toutefois, dans la mesure où le code frontières Schengen y est mentionné à plusieurs reprises, il me semble clair que la définition donnée par ce code est applicable (17).

42.      Ainsi, en vertu de l’article 2, point 1, du code frontières Schengen, aux fins de ce code, on entend par « frontières intérieures » les frontières terrestres communes (18) des États membres [sous a)], les aéroports des États membres pour les vols intérieurs [sous b)] et les ports maritimes, fluviaux et lacustres des États membres pour les liaisons régulières intérieures par transbordeur. Quant aux « frontières extérieures », elles sont définies comme les frontières terrestres des États membres (19) et les frontières maritimes, ainsi que leurs aéroports, ports fluviaux, ports maritimes et ports lacustres, pour autant qu’ils ne soient pas des frontières intérieures.

43.      Il convient de préciser que les termes « États membres » n’incluent que les États membres de l’Union européenne qui participent à l’acquis de Schengen ainsi que les États tiers y participant (20).

44.      La frontière franco-espagnole en cause constitue bien une frontière intérieure au regard de ces définitions.

45.      Sur le fondement du libellé de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, l’analyse devrait s’arrêter là. La République française ne peut pas décider de ne pas appliquer la directive 2008/115 à M. Arib.

46.      Cela résulte également clairement de l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115 donnée par la Cour dans l’arrêt Affum (21). Dans cet arrêt, la Cour a en effet souligné que les deux situations visées à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette directive se rapportent exclusivement au franchissement d’une frontière extérieure d’un État membre, telle que définie à l’article 2, point 2, du code frontières Schengen, et ne concernent donc pas le franchissement d’une frontière commune à des États membres faisant partie de l’espace Schengen. La Cour a considéré que cette disposition ne saurait dès lors permettre aux États membres de soustraire des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier du champ d’application de la directive 2008/115 au motif de leur entrée irrégulière par une frontière intérieure (22).

 Sur la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures

47.      Il convient de déterminer les conséquences éventuelles de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures sur l’applicabilité de la directive 2008/115.

48.      À cet égard, selon la République française et la République fédérale d’Allemagne, il résulte de l’article 32 du code frontières Schengen que la frontière franco-espagnole doit, en l’occurrence, être traitée comme une frontière extérieure.

49.      Je ne saurais me rallier à ce point de vue.

50.      Si, conformément à l’article 32 du code frontières Schengen, lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II de ce code (frontières extérieures) s’appliquent mutatis mutandis, cela ne signifie justement pas que l’expression « frontière extérieure » remplace intégralement l’expression « frontière intérieure » (aux fins du code frontières Schengen ou d’autres instruments juridiques tel que la directive 2008/15).

51.      Le titre III du code frontières Schengen régit les frontières intérieures. La règle générale, qui constitue la raison d’être et la disposition clé de ce code, est formulée, dans le titre III, à l’article 22 : les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes (23). Outre l’absence de contrôles aux frontières intérieures, le titre III du code frontières Schengen (chapitre I – articles 22 à 24) traite de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures (chapitre II – articles 25 à 35).

52.      C’est à cet égard que l’article 32 du code frontières Schengen stipule que lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II s’appliquent mutatis mutandis. Cette disposition se réfère donc clairement aux autres dispositions du code frontières Schengen. La directive 2008/115 n’y est nullement mentionnée.

53.      Le libellé de l’article 2, paragraphe 2, sous a) de la directive 2008/115 est clair : cette disposition parle bien d’une frontière extérieure.

54.      Ce libellé me semble corroboré par l’objet et la finalité de cette disposition. L’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 est également soumise à l’objet général de cette directive qui consiste, selon son article 1er, à fixer les normes et les procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (24). Partant, si les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la directive 2008/115, c’est pour renvoyer (encore) plus efficacement le ressortissant de pays tiers.

55.      Si les États membres exercent cette faculté (25), prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre, c’est parce qu’il est beaucoup plus facile de renvoyer un ressortissant d’un pays tiers depuis une frontière extérieure.

56.      En effet, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, et ainsi que la Cour l’a déjà constaté (26), l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 permet aux États membres de continuer à appliquer à leurs frontières extérieures des procédures de retour nationales simplifiées, sans devoir suivre toutes les étapes de procédures prévues par ladite directive, afin de pouvoir éloigner plus rapidement les ressortissants de pays tiers interceptés lors du franchissement de ces frontières.

57.      Néanmoins, la situation d’un ressortissant d’un pays tiers se trouvant déjà dans l’espace Schengen se distingue nettement de la situation prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115.

58.      De surcroît, les États membres ne protègent pas les mêmes intérêts juridiques aux frontières extérieures et aux frontières intérieures.

59.      Un État membre qui, en vertu du code frontières Schengen, est chargé de contrôler les frontières extérieures de cet espace agit dans l’intérêt de tous les États membres de l’espace Schengen. Par contre, un État membre qui décide de rétablir les contrôles aux frontières intérieures le fait dans son propre intérêt.

60.      Par conséquent, je propose à la Cour de répondre aux première et deuxième questions que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 et l’article 32 du code frontières Schengen doivent être interprétés en ce sens que les autorités d’un État membre ne peuvent pas décider de ne pas appliquer la directive 2008/115 à la situation d’un ressortissant d’un pays tiers arrêté ou intercepté lors du franchissement irrégulier d’une frontière intérieure à laquelle les contrôles ont été rétablis en application de l’article 25 du code frontière Schengen.

 Troisième question

61.      Par la troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, en cas de réponse affirmative à la deuxième question, les dispositions de l’article 2, paragraphe 2, sous a), et de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2008/115 s’opposent à une réglementation nationale telle que l’article L. 621-2 du Ceseda, sanctionnant d’une peine d’emprisonnement l’irrégularité de l’entrée sur le territoire national d’un ressortissant d’un pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme.

62.      Au vu de ma réponse aux première et deuxième questions, cette question est hypothétique. C’est pourquoi je l’examinerai seulement pour le cas où la Cour ne serait pas d’accord avec moi sur la réponse à donner aux deux premières questions de la juridiction de renvoi.

63.      Il convient de souligner d’emblée que, en principe, dans une hypothèse telle que celle formulée dans cette question, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, cette directive ne s’applique pas au ressortissant d’un pays tiers. Cela étant, conformément l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2008/115, les États membres sont tenus néanmoins de veiller à ce que le traitement et le niveau de protection accordés aux ressortissants de pays tiers ne soient pas moins favorables que ceux prévus, notamment, aux articles 16 et 17 (conditions de rétention) (27).

64.      Ainsi que la Cour l’a relevé dans l’arrêt Affum, la finalité de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, telle qu’elle résulte de la genèse de cette directive, consiste à permettre aux États membres de continuer à appliquer à leurs frontières extérieures des procédures de retour nationales simplifiées, sans devoir suivre toutes les étapes de procédures prévues par ladite directive, afin de pouvoir éloigner plus rapidement les ressortissants de pays tiers interceptés lors du franchissement de ces frontières (28).n outre qui, selon la Cour, « encadre […] de manière détaillée l’exercice par les États membres de la faculté prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a) » (29) et qui « vise dans ce contexte à assurer que ces procédures nationales simplifiées respectent les garanties minimales prévues par la directive 2008/115 » (30).

65.      Il ressort selon moi de cette analyse que, aux yeux du législateur de l’Union, l’exercice par un État membre de la faculté prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/15 présuppose logiquement que cet État membre applique une procédure nationale de retour simplifiée.

66.      Il est par conséquent tentant de transposer la jurisprudence issue de l’arrêt Affum à une situation visée à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115 et de considérer qu’il est impossible d’emprisonner un ressortissant d’un pays tiers.

67.      Néanmoins, je ne pense pas qu’une telle interprétation puisse prospérer, car elle va au-delà du libellé de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, y ajoutant une condition supplémentaire. En effet, la jurisprudence de la Cour relative à la privation de liberté d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier (31), principalement guidée par des considérations relatives à l’effet utile de la directive 2008/115 (32), en particulier de l’article 6, paragraphe 1 (33), et de l’article 8, paragraphe 1 (34), se réfère précisément au champ d’application de cette directive. Or, dès lors qu’un État membre applique l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115, la situation du ressortissant n’est plus régie par cette directive et l’on ne peut plus recourir à des considérations relatives à son effet utile.

68.      Par conséquent, même si l’on peut légitimement douter qu’une garde à vue puisse contribuer à un éloignement plus rapide de la personne concernée, cette question ne se pose pas, faute d’ouverture du champ d’application de la directive 2008/115.

69.      C’est pourquoi je répondrais à la troisième question (hypothétique) que les dispositions de l’article 2, paragraphe 2, sous a), et de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 2008/115 ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que l’article L. 621-2 du Ceseda sanctionnant d’une peine d’emprisonnement l’irrégularité de l’entrée sur le territoire national d’un ressortissant d’un pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme.

 Conclusion

70.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation (France) comme suit :

L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et l’article 32 du règlement (UE) nº 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doivent être interprétés en ce sens que les autorités d’un État membre ne peuvent pas décider de ne pas appliquer la directive 2008/115 à la situation d’un ressortissant d’un pays tiers arrêté ou intercepté lors du franchissement irrégulier d’une frontière intérieure à laquelle les contrôles ont été rétablis en application de l’article 25 du code frontière Schengen.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).


3      Voir arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C‑329/11, EU:C:2011:807, point 50 et deuxième tiret du dispositif).


4      Voir arrêt du 1er octobre 2015, Celaj (C‑290/14, EU:C:2015:640), point 28 et dispositif).


5      Règlement (UE) nº 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1).


6      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, relatif aux statistiques communautaires sur la migration et la protection internationale, et abrogeant le règlement (CEE) nº 311/76 du Conseil relatif à l’établissement de statistiques concernant les travailleurs étrangers (JO 2007, L 199, p. 23).


7      JORF du 1er janvier 2013, p. 48.


8      Qui correspond à l’article 6, paragraphe 1, sous a), b) et c) du code frontières Schengen.


9      JO 2006, L 105, p. 1.


10      Qui correspond à l’article 6, paragraphe 5, sous a) et c), du code frontières Schengen.


11      Voir arrêts du 6 décembre 2011, Achughbabian (C‑329/11, EU:C:2011:807), et du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408).


12      La première question, à elle seule, me semble en effet dépasser le litige au principal, dans la mesure où elle a pour objet un éventail de situations hypothétiques.


13      La première hypothèse, qui concerne les ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ne s’applique pas en espèce, en l’absence d’une telle décision.


14      Sur le fondement de l’ancien article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale, devenu article 78-2, alinéa 9, dudit code.


15      Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 72), ainsi que mes conclusions dans cette affaire (C‑47/15, EU:C:2016:68, point 71).


16      Par ailleurs, la Cour, dans le cadre de l’ancien code frontières Schengen (règlement nº°562/2006), a dit pour droit que les contrôles d’identité réalisés sur le fondement de l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale (devenu article 78-2, alinéa 9, de ce même code) pouvaient avoir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières (voir arrêt du 22 juin 2010, Melki et AbdeliMelki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, points 71 à 75)). Néanmoins, la Cour ayant déjà interprété les termes « l’occasion du franchissement irrégulier » d’une frontière dans le cadre de la directive 2008/115, il n’est plus nécessaire de recourir à cette jurisprudence dans le cadre de l’article 23 du code frontières Schengen (anciennement article 21 du règlement n° 562/2006).


17      Voir mes conclusions dans l’affaire Affum (C‑47/15, EU:C:2016:68, point 42).


18      Y compris fluviales et lacustres.


19      Y compris les frontières fluviales et lacustres.


20      Voir considérants 37 à 44 du code frontières Schengen.


21      Arrêt du 7 juin 2016 (C‑47/15, EU:C:2016:408).


22      Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 69).


23      « [Q]uelle que soit leur nationalité », comme ne manque pas de le préciser cette disposition avec une logique implacable. En effet, le franchissement des frontières sans aucun contrôle n’est possible que s’il concerne tout le monde. La suppression des contrôles aux frontières intérieures que cette disposition vise à réaliser s’étend nécessairement aux ressortissants de pays tiers en raison de la nature de l’absence de contrôles. Voir, à cet égard, Hoppe, M., dans Lenz C. O. et Borchardt K.-D. (éds), EU-Verträge Kommentar, Bundeanzeiger Verlag, 6e éd, Cologne, 2013, article 77 AEUV, point 5, et Müller-Graff, P.-Chr., dans Pechstein M., Nowak C., Häde U. (éds), Frankfurter Kommentar zu EUV, GRC und AEUV, Band II, Mohr Siebeck, Tübingen, 2017, article 77 AEUV, point 1.


24      Conformément aux droits fondamentaux ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme.


25      La Cour parle, bien entendu, d’une « exception » (voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 73), ce qui, selon moi, implique que la disposition en cause est d’interprétation stricte. Voir, en ce sens, également, Peers, S., EU Justice and Home Affairs Law (Volume I : EU Justice and Home Affairs Law), 4e édition, OUP, Oxford, 2016, p. 504.


26      Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 74).


27      Ainsi qu’à l’article 8, paragraphes 4 et 5 (limitations du recours aux mesures coercitives), à l’article 9, paragraphe 2, point a) (report de l’éloignement) et à l’article 14, paragraphe 1, points b) et d) (soins médicaux d’urgence et prise en considération des besoins des personnes vulnérables).


28      Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 74).


29      Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 74).


30      Ibidem.


31      Pour un aperçu de la jurisprudence de la Cour, voir mes conclusions dans l’affaire Affum (C‑47/15, EU:C:2016:68, points 48 à 56).


32      Voir, notamment, arrêt Achughbabian (C‑329/11, EU:C:2011:807, point 33). Voir également mes conclusions dans l’affaire Celaj (C‑290/14, EU:C:2015:285, point 60). Voir, également, Bartolini, S., Bombois, Th., « Immigration Detention before the CJEU : The Interrelationship between the Returns Directive and the Recast Reception Conditions Directive and their Impact on the Rights of Third Country Nationals », European Human Rights Law Review, 2016, p. 518 à 529 et, en particulier, p. 523.


33      Prévoyant que les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice de certaines exceptions.


34      Disposant que les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour (si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115 ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7 de cette directive).

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