Makhlouf v Council (Judgment) French Text [2018] EUECJ C-458/17P (14 June 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C45817P.html
Cite as: [2018] EUECJ C-458/17P, EU:C:2018:441, ECLI:EU:C:2018:441

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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

14 juin 2018 (*)

« Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne – Mesures dirigées contre des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ainsi que contre des membres influents des familles Assad et Makhlouf – Droits de la défense – Preuve du bien–fondé de l’inscription sur les listes »

Dans l’affaire C‑458/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 31 juillet 2017,

Rami Makhlouf, demeurant à Damas (Syrie), représenté par Me E. Ruchat, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. V. Piessevaux et Mme S. Kyriakopoulou, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. L. Havas et R. Tricot, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. J. Malenovský, président de chambre, MM. M. Safjan et M. Vilaras (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Rami Makhlouf demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil (T‑410/16, non publié, ci-après l’ « arrêt attaqué », EU:T:2017:349), par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2016/850 du Conseil, du 27 mai 2016, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2016, L 141, p. 125, ci-après la « décision litigieuse »), et ses actes subséquents d’exécution, pour autant que ces actes le concernent.

 Le cadre juridique

2        Les considérants 2 et 5 à 7 de ladécision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifié par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO L 2015, L 266, p. 75) (ci-après la « décision 2013/255 »), énoncent :

« (2)      [...] [L]e Conseil a continué à condamner fermement la répression violente exercée par le régime syrien contre la population civile en Syrie. Le Conseil a fait part à maintes reprises de la vive inquiétude que lui inspire la détérioration de la situation en Syrie et, en particulier, les violations généralisées et systématiques des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

[...]

(5)      Le Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein. Le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de les empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression.

(6)      Le Conseil a estimé que, eu égard au fait que le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale, le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf. Le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour geler tous les fonds et ressources économiques appartenant à certains membres des familles Assad et Makhlouf, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes possèdent, détiennent ou contrôlent, ainsi que pour imposer des restrictions à l’admission de ces personnes, identifiées par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, tant pour influencer directement le régime par le biais de membres de ces familles afin que celui-ci modifie sa politique de répression, que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles.

(7)      Les ministres du gouvernement syrien devraient être considérés comme solidairement responsables de la politique de répression exercée par le régime syrien. Le Conseil a estimé que d’anciens ministres du gouvernement syrien, dans le contexte particulier du régime syrien actuel, sont susceptibles de continuer d’exercer une influence au sein de ce régime. Le Conseil estime dès lors qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour geler tous les fonds et ressources économiques appartenant à des ministres du gouvernement syrien ou à des ministres qui exerçaient cette fonction après mai 2011, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes possèdent, détiennent ou contrôlent, ainsi que pour imposer des restrictions à l’admission de ces personnes, identifiées par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I. »

3        L’article 27 de la décision 2013/255 prévoit :

« 1.       Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, des personnes bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci, et des personnes qui leur sont liées, dont la liste figure à l’annexe I.

2.       Conformément aux évaluations et aux constatations faites par le Conseil dans le contexte de la situation en Syrie énoncées aux considérants 5 à 11, les États membres prennent aussi les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ;

b)      des membres des familles Assad ou Makhlouf ;

[...]

3.       Les personnes relevant de l’une des catégories visées au paragraphe 2 ne sont pas inscrites ou maintenues sur la liste des personnes et entités qui figure à l’annexe I s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement.

4. Toutes les décisions d’inscription sur la liste sont prises sur une base individuelle et au cas par cas en tenant compte de la proportionnalité de la mesure.

[...] »

4        L’article 28, paragraphes 1 à 5, de cette décision dispose :

« 1.       Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci et à des personnes et entités qui leur sont liées, dont les listes figurent aux annexes I et II, de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.       Conformément aux évaluations et aux constatations faites par le Conseil dans le contexte de la situation en Syrie énoncées aux considérants 5 à 11, sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes relevant des catégories suivantes, de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, à savoir :

a)      les femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ;

b)      les membres des familles Assad ou Makhlouf ;

[...]

3.       Les personnes, entités ou organismes relevant de l’une des catégories visées au paragraphe 2 ne sont pas inscrits ou maintenus sur les listes des personnes et entités qui figurent à l’annexe I s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement.

4.       Toutes les décisions d’inscription sur la liste sont prises sur une base individuelle et au cas par cas en tenant compte de la proportionnalité de la mesure.

5.       Aucun fonds ou aucune ressource économique n’est mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales ou entités dont les listes figurent aux annexes I et II, ni utilisé à leur profit. »

5        Les paragraphes 6 à 15 de cet article 28 prévoient différentes exceptions au gel des fonds institué aux paragraphes 1 et 2 de celui-ci.

6        L’annexe I de la décision 2013/255 comporte les noms des personnes physiques et morales, entités ou organismes visés aux articles 27 et 28 de cette décision. Les noms des personnes physiques sont repris dans la section A, intitulée « Personnes », de ladite annexe. Cette partie se présente sous forme de colonnes et indique le nom, les informations d’identification, les motifs et la date d’inscription de chaque personne visée. Le nom de M. Makhlouf a figuré dans cette annexe à compter de l’adoption de la décision 2013/255.

7        En vertu de son article 34, la décision 2013/255 s’appliquait jusqu’au 1er juin 2016 et faisait l’objet d’un suivi constant. Elle pouvait être prorogée, ou modifiée selon le cas, si le Conseil estimait que les objectifs de celle-ci n’avaient pas été atteints.

 Les antécédents du litige

8        Il ressort du point 14 de l’arrêt attaqué que, par lettre du 18 mars 2016, le Conseil a communiqué à M. Makhlouf son intention de maintenir l’inscription de son nom sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives prévues par la décision 2013/255 et de modifier l’exposé des motifs d’inscription le concernant, figurant à l’annexe I de cette décision. Il lui a fourni le texte du nouvel exposé des motifs qu’il se proposait d’adopter et l’a invité à fournir ses éventuelles observations avant le 1er avril 2016.

9        Comme le Tribunal l’a relevé au point 15 de cet arrêt, le 31 mars 2016, M. Makhlouf a répondu à cette lettre. Il a, notamment, demandé que son nom soit retiré de la liste en cause et que le Conseil lui transmette, dans l’hypothèse du maintien de son nom sur cette liste, l’ensemble des éléments nouveaux à sa charge.

10      Il ressort du point 16 dudit arrêt que, par lettres des 25 et 26 mai 2016, le Conseil a communiqué à M. Makhlouf une copie des documents et des éléments d’information relatifs au maintien de l’inscription du nom de celui-ci sur ladite liste et à la modification de l’exposé des motifs justifiant cette inscription.

11      Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 17 de l’arrêt attaqué, la décision litigieuse a, d’une part, par son article 1er, modifié le libellé de l’article 34 de la décision 2013/255, en prorogeant les mesures restrictives prévues par cette dernière décision jusqu’au 1er juin 2017.

12      D’autre part, la décision litigieuse a, par son article 2, modifié l’annexe I de la décision 2013/255, en complétant ainsi les motifs de l’inscription de M. Makhlouf sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et ayant des intérêts dans les secteurs des télécommunications, des services financiers, des transports et de l’immobilier ; il détient des intérêts financiers et/ou occupe des postes d’encadrement et de direction dans la société Syriatel, le principal opérateur de téléphonie mobile en Syrie, et dans le fonds d’investissement Al Mashreq, Bena Properties et Cham Holding. Il fournit financement et soutien au régime syrien par l’intermédiaire de ses intérêts financiers. Il est un membre influent de la famille Makhlouf et entretient des liens étroits avec la famille Assad ; il est un cousin du président Bashar Al-Assad. »

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 juillet 2016, M. Makhlouf a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et de « ses actes subséquents d’exécution », en tant que ces actes le concernaient.

14      À l’appui de son recours, il a invoqué cinq moyens tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le quatrième, d’une violation des droits fondamentaux et, enfin, le cinquième, de la violation des lignes directrices du Conseil du 2 décembre 2005 concernant la mise en œuvre et l’évaluation de mesures restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne.

15      Le Tribunal a, en premier lieu, aux points 26 à 30 de l’arrêt attaqué, examiné la recevabilité du recours et indiqué que son contrôle ne pouvait porter « que sur les actes d’ores et déjà adoptés par le Conseil, identifiés avec suffisamment de précision par le requérant et attaqués dans la requête ». Le Tribunal a donc estimé que « le recours ne saurait être déclaré recevable qu’à l’égard des actes mentionnés par le requérant dans sa requête et la réplique, à savoir la seule décision [litigieuse] ».

16      En second lieu, il a, aux points 31 à 135 de l’arrêt attaqué, lors de l’examen au fond, rejeté tous les moyens invoqués par M. Makhlouf et, par voie de conséquence, le recours de celui-ci.

17      S’agissant du premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense, il ressort des points 45 et 46 de cet arrêt que le Tribunal a, en substance, estimé que les droits de la défense de M. Makhlouf avaient été suffisamment respectés, dès lors que le Conseil, d’une part, l’avait invité, par lettre du 18 mars 2016, à présenter ses éventuelles observations sur l’intention de prolonger les mesures restrictives adoptées à son égard et sur la modification des motifs d’inscription devant les justifier, ce que M. Makhlouf a fait par lettre du 31 mars 2016 et, d’autre part, en réponse à une demande de ce dernier en ce sens, lui avait communiqué, par lettres des 25 et 26 mai 2016, les éléments nouveaux à sa charge.

18      Le Tribunal a également, aux points 68 à 99 de l’arrêt attaqué, rejeté le troisième moyen du recours, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. À cet égard, il a, premièrement, relevé, aux points 80 et 81 de l’arrêt attaqué :

« 80      [...] aucun élément du dossier n’indique que le requérant n’est pas, ou n’est plus, lié au régime ou qu’il n’exerce aucune influence sur celui-ci ou qu’il n’est pas associé à un risque réel de contournement au sens [de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255] ou qu’il s’est distancié des autres membres de la famille Makhlouf ou Assad et qu’il n’est plus lié au régime en place en Syrie. Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet d’arriver à une telle conclusion.

81      Plus particulièrement, aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause les conclusions qu’il convient de tirer d’une série d’articles de presse et d’ouvrages d’origines variées que le Conseil cite dans le mémoire en défense et selon lesquels il est de notoriété publique que le requérant est lié au régime en place et qu’il le soutient, notamment des articles tels [citation de douze intitulés d’articles de presse ou d’ouvrages produits par le Conseil] ».

19      Deuxièmement, il a rejeté, aux points 86 et 87 de l’arrêt attaqué, l’argument du requérant selon lequel les articles 27 et 28 de la décision 2013/255 instauraient une présomption irréfragable de soutien ou de lien au régime syrien à l’encontre des membres de la famille Al-Assad et Makhlouf. Il a ainsi jugé :

« 86      Par ailleurs, la décision 2013/255, telle qu’applicable en l’espèce, n’instaure pas de présomption irréfragable de soutien ou de lien au régime syrien à l’encontre des membres des familles Al-Assad et Makhlouf. Au contraire [...], les noms des personnes appartenant à ces familles ne sont pas inscrits dans l’annexe litigieuse s’il est établi que ces personnes ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime en place. Or, [...] aucun élément du dossier n’est susceptible de remettre en cause les éléments sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour fonder l’inscription du nom du requérant dans l’annexe litigieuse et démontrer [les] liens [de celui-ci] avec le régime en place.

87      Force est, en outre, de constater que, en dehors de l’arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138), le requérant n’invoque aucun principe général, ni aucune règle du droit de l’Union qui s’opposerait à l’adoption d’un critère tel que celui applicable en l’espèce. Par conséquent, il y a lieu de constater que le second motif de maintien du nom du requérant dans l’annexe litigieuse est valable. »

20      Troisièmement, au point 92 de l’arrêt attaqué, il a relevé qu’« il ne saurait être contesté [que M. Makhlouf] est un homme d’affaires important, dans la mesure où il est, toujours, président du principal opérateur de téléphonie mobile en Syrie, motif qui justifie également, à lui seul, au regard des articles 27 et 28 de la décision 2013/255, que son nom figure sur la liste en cause ».

21      Le Tribunal a également examiné et rejeté les deuxième, quatrième et cinquième moyens invoqués devant lui par M. Makhlouf, respectivement aux points 51 à 67, 100 à 131 et 132 à 135 de l’arrêt attaqué.

22      En particulier, au point 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé ce qui suit :

« Quant aux deux articles de presse français produits par le requérant, dans lesquels il serait désigné comme étant lié au régime syrien, à supposer que ce soit à tort que ces articles le désignent de la sorte, il convient de rappeler que l’importance des objectifs poursuivis par la décision attaquée est de nature à justifier que ceux-ci aient pu avoir des conséquences négatives, même considérables, pour le requérant sans que cela affecte leur légalité […] »

23      Les points 51 à 67, 100 à 131 et 132 à 135 de l’arrêt attaqué ne sont pas contestés par M. Makhlouf dans son pourvoi.

 Les conclusions des parties devant la Cour

24      Le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler la décision litigieuse et ses actes subséquents d’exécution, en tant qu’ils le concernent ;

–        de condamner le Conseil aux dépens.

25      Le Conseil et la Commission européenne demandent à la Cour de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondé et de condamner le requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité du pourvoi

26      La Commission, soutenue par le Conseil, relève que, dans son pourvoi, M. Makhlouf se limite à répéter les moyens qu’il avait avancés devant le Tribunal et cherche, en réalité, à obtenir le réexamen par la Cour de l’affaire jugée par le Tribunal. Elle estime, par conséquent, que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité comme étant irrecevable.

27      Cette argumentation ne saurait être admise. Contrairement aux allégations de la Commission, M. Makhlouf a identifié, dans son pourvoi, les points de l’arrêt attaqué visés et exposé les motifs pour lesquels ceux-ci sont, selon lui, erronés. Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité du pourvoi dans son intégralité doit être écartée.

28      Il y a lieu de relever, par ailleurs, que tant la Commission que le Conseil dans son mémoire en duplique ont avancé plusieurs arguments pour contester la recevabilité des différents moyens invoqués par M. Makhlouf à l’appui de son pourvoi. Il convient d’examiner ces arguments lors de l’analyse de chacun de ces moyens.

 Sur la recevabilité du mémoire en réponse de la Commission

29      Dans son mémoire en réplique, M. Makhlouf conteste la recevabilité du mémoire en réponse de la Commission. Il fait valoir que, dans la mesure où le mémoire en réponse du Conseil, déposé hors délai, n’a pas été versé au dossier, la Commission, partie intervenante en première instance, doit, en application de l’article 129, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, accepter la procédure dans son état. Par ailleurs, il soutient qu’il ressort de l’article 190, paragraphe 2, de ce règlement que l’intervention présente un caractère strictement accessoire. Par conséquent, en cas d’inexistence des mémoires de la partie principale, les mémoires de la Commission ne sauraient revêtir un caractère substitutif et autonome.

30      Force est, toutefois, de constater que cette argumentation est fondée sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission est une partie intervenante devant la Cour.

31      Tel n’est pas le cas. Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 172 du règlement de procédure, « [t]oute partie à l’affaire en cause devant le Tribunal ayant un intérêt à l’accueil ou au rejet du pourvoi peut présenter un mémoire en réponse dans un délai de deux mois à compter de la signification du pourvoi ».

32      Il s’ensuit que la Commission, partie intervenante au soutien des conclusions du Conseil devant le Tribunal, était en droit de présenter un mémoire en réponse en tant que partie au pourvoi devant la Cour, et ce indépendamment de la présentation d’un tel mémoire par le Conseil.

33      Par conséquent, le mémoire en réponse de la Commission, déposé dans le délai prévu à l’article 172 du règlement de procédure, est recevable.

 Sur le fond

34      À l’appui de son pourvoi, M. Makhlouf soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit, d’une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et d’une « distorsion des faits », en ce que le Tribunal a estimé que le requérant avait été entendu préalablement à l’adoption de la décision litigieuse. Le deuxième moyen est tiré d’un renversement de la charge de la preuve, d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation commis par le Tribunal, en ce que le Tribunal n’a pas tenu compte des éléments à décharge apportés par le requérant. Le troisième moyen porte sur l’erreur de droit, le renversement de la charge de la preuve ainsi que la violation de la « foi due aux actes », en ce que le Tribunal a jugé que les articles 27 et 28 de la décision 2013/255 n’étaient pas contraires au droit de l’Union. Enfin, le quatrième moyen est relatif à une erreur de droit et un défaut de motivation de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne l’appréciation du Tribunal quant à l’importance de l’influence du requérant en Syrie.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit, d’une violation de l’article 41 de la Charte et d’une « distorsion des faits » 

–       Argumentation des parties

35      Par son premier moyen, M. Makhlouf fait valoir que, afin de garantir un effet utile aux droits de la défense des personnes visées par des mesures restrictives, il appartient au Conseil de leur fournir les éléments à charge qui leur sont reprochés avant de leur donner la possibilité de formuler leurs observations quant à une éventuelle prolongation desdites mesures.

36      Or, en l’espèce, le Conseil se serait contenté, dans un premier temps, de fournir à M. Makhlouf les motifs d’inscription retenus à son encontre. Ce ne serait qu’en réponse aux observations de celui-ci que le Conseil lui aurait fourni, les 25 et 26 mai 2016, les éléments nouveaux retenus contre lui. La décision litigieuse ayant été adoptée le 27 mai 2016, soit un jour après que M. Makhlouf a eu connaissance de ces éléments nouveaux, il lui aurait été impossible de présenter des observations éclairées. Par conséquent, M. Makhlouf estime qu’il n’a pu faire un usage utile de son droit à être entendu, en violation des droits de la défense.

37      Sur la base des considérations qui précèdent, M. Makhlouf considère que le Tribunal a commis une « distorsion des faits » en estimant, aux points 45 et 46 de l’arrêt attaqué, qu’il avait été entendu préalablement à l’adoption de la décision litigieuse. De surcroît, le Tribunal aurait commis une erreur de droit et une violation de l’article 41 de la Charte, en jugeant que le Conseil n’était pas tenu de lui fournir les éléments nouveaux à charge qui lui sont reprochés, afin de justifier son maintien sur la liste des personnes et entités visées par les mesures restrictives instituées par la décision 2013/255.

38      Le Conseil relève que M. Makhlouf n’avait pas invoqué, devant le Tribunal, l’argument selon lequel le nouvel exposé des motifs de son inscription sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives et les éléments de preuve justifiant cette inscription auraient dû lui être communiqués simultanément. Par conséquent, ce moyen tendrait à modifier l’objet du litige devant le Tribunal et devrait être déclaré irrecevable, en application de l’article 170, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement de procédure.

–       Appréciation de la Cour

39      À titre liminaire, il convient de relever que l’exception d’irrecevabilité du présent moyen, soulevée par le Conseil, ne saurait prospérer.

40      D’une part, contrairement à ce qu’allègue le Conseil, par son premier moyen, M. Makhlouf ne fait pas valoir que le nouvel exposé des motifs de son inscription sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses et les éléments de preuve qui la justifiaient auraient dû nécessairement lui être communiqués simultanément. Il soutient uniquement qu’il n’a pas pu présenter ses observations sur ces éléments de preuve, dès lors que ceux-ci ne lui ont été communiqués que la veille de l’adoption de la décision litigieuse.

41      D’autre part, il convient de constater que M. Makhlouf avait, en substance, avancé le même argument au point 37 de sa requête introductive d’instance. Par conséquent, le Tribunal a eu à connaître de l’argumentation du requérant formulée au soutien de son premier moyen de pourvoi, qui ne peut dès lors être considérée comme étant nouvelle et modifiant l’objet du litige.

42      S’agissant, ensuite, de l’examen du premier moyen quant au fond, il suffit de relever que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 79 ainsi que jurisprudence citée). Cette jurisprudence a vocation à s’appliquer également dans le domaine des mesures restrictives (voir, en ce sens, ordonnance du 1er décembre 2015, Georgias e.a./Conseil et Commission, C‑545/14 P, non publiée, EU:C:2015:791, point 55).

43      En l’espèce, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué, et M. Makhlouf n’allègue pas, que, devant le Tribunal, il avait indiqué les arguments ou les éléments qu’il aurait pu présenter au Conseil pour contester la pertinence ou la force probante des documents que ce dernier lui avait communiqués et qu’il n’a pas pu présenter, faute pour le Conseil de lui avoir donné l’occasion de le faire.

44      Dans ces conditions, il ne saurait être admis que, en l’absence de l’irrégularité alléguée par M. Makhlouf devant le Tribunal, à savoir le défaut, par le Conseil, d’invitation adressée au requérant à présenter ses observations sur les documents qu’il lui a communiqués, la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse aurait pu aboutir à un résultat différent.

45      Par conséquent, à supposer même que le Tribunal ait à tort omis de constater une violation, par le Conseil, des droits de la défense de M. Makhlouf, cette violation ne serait pas de nature, dans les circonstances de l’espèce, à justifier l’annulation de la décision litigieuse.

46      Il s’ensuit que la prétendue erreur de droit, reprochée au Tribunal dans le cadre du premier moyen du pourvoi, à la supposer avérée, ne saurait, en tout état de cause, justifier l’annulation de l’arrêt attaqué. Le premier moyen doit, de ce fait, être écarté comme étant inopérant.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’un renversement de la charge de la preuve, d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation 

–       Argumentation des parties

47      Le deuxième moyen vise les points 80 et 81 de l’arrêt attaqué. Par ce moyen, M. Makhlouf reproche au Tribunal d’avoir estimé, sur le fondement de différents articles de presse et d’ouvrages cités par le Conseil, mentionnés au point 81 de l’arrêt attaqué, qu’il est de notoriété publique que le requérant est lié au régime syrien et qu’il le soutient, sans répondre à l’argument qu’il avait avancé en première instance, tiré du manque d’impartialité de la presse en cause. Il fait valoir à cet égard qu’il avait notamment obtenu un droit de réponse à un article le concernant, publié le 6 aout 2015 par un magazine français, produit en annexe de la requête en annulation, dont le Tribunal n’a pas tenu compte.

48      M. Makhlouf estime que son argumentation, invoquée au point précédent, présentait les éléments de preuves invoqués par le Conseil de l’Union de manière différente et décrédibilisait la thèse selon laquelle les articles de presse versés au dossier par le Conseil constituaient un faisceau d’indices établissant la réalité du prétendu soutien apporté par le requérant au régime syrien.

49      Or, le Tribunal aurait omis de vérifier la force probante des éléments invoqués par le Conseil. À cet égard, M. Makhlouf déplore que, actuellement, la vitesse de l’information prime le contenu de celle-ci et que de nombreux articles présentent des faits tronqués, voire erronés, de telle sorte qu’il n’est pas possible de juger qu’un fait est établi sur la seule base des articles de presse. Il estime que l’absence de fiabilité de ces articles provient également du fait que les informations diffusées sont souvent issues d’une même source, de telle sorte que, si celle-ci transmet des informations erronées, tous les articles qui en découleront risquent de l’être également.

50      M. Makhlouf invoque, à l’appui de cette argumentation, un reportage, produit en annexe au pourvoi, portant sur un journaliste qui publiait des articles dans le domaine de l’actualité internationale dont le contenu s’est révélé être totalement inexact.

51      Aussi, selon M. Makhlouf, le Tribunal ne pouvait juger que le prétendu soutien au régime syrien qui lui est reproché était établi sur la seule base des articles de presse versés au dossier par le Conseil, sans répondre à son argumentation, qui remettait en question la crédibilité de ces sources d’information.

52      Par conséquent, M. Makhlouf considère que le Tribunal a violé l’obligation de motivation qui lui incombait et a procédé, à tort, à un renversement de la charge de la preuve en imposant au requérant de démontrer qu’il n’était pas, ou qu’il n’était plus, lié au régime syrien.

53      Le Conseil estime que le deuxième moyen, par lequel M. Makhlouf soutient que le Tribunal a commis une erreur en ayant jugé que le requérant n’avait pas démontré qu’il n’était pas ou n’était plus lié au régime syrien, soulève une question de fait dont l’appréciation ne relève pas du contrôle de la Cour au stade du pourvoi.

54      La Commission fait valoir que, s’agissant des allégations de M. Makhlouf relatives à un prétendu renversement de la charge de la preuve, il n’est nullement illégal de déduire certaines considérations de faits connus en ce qui concerne des questions inconnues ni de considérer que la charge de la preuve est satisfaite par un faisceau d’indices. De surcroît, dans le contexte des mesures restrictives, le niveau de preuve requis pour justifier l’application à une personne de ces mesures serait inférieur au niveau nécessaire, par exemple, en droit pénal. Les principes de droit pénal, dont la présomption d’innocence invoquée par M. Makhlouf, ne seraient pas d’application en l’espèce, dès lors que les mesures restrictives seraient des expressions de la politique étrangère et de sécurité commune et, en tant que telles, soumises à un contrôle juridictionnel beaucoup plus restreint.

55      La Commission ajoute que la Cour a déjà admis l’utilisation de présomptions dans le domaine des mesures restrictives, dans les arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil (C‑605/13 P, EU:C:2015:248), et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil (C‑630/13 P, EU:C:2015:247). Il ressortirait, en outre, de la jurisprudence de la Cour, qu’il n’est pas nécessaire de produire exclusivement des « éléments de preuve », de simples « informations » suffisant à justifier l’adoption de mesures restrictives. Elle estime que le Conseil aurait procédé de la sorte en l’espèce, en produisant, devant le Tribunal, de multiples éléments d’information issus de la presse, sur lesquels il se serait appuyé pour adopter les mesures restrictives en cause à l’égard de M. Makhlouf. Pour sa part, le Tribunal aurait considéré, à juste titre, que ces éléments d’information correspondaient au niveau de preuve requis et constituaient une base factuelle suffisante pour l’adoption de ces mesures.

–       Appréciation de la Cour

56       À titre liminaire, en ce qui concerne l’argument du Conseil selon lequel, par le présent moyen, M. Makhlouf chercherait à obtenir une nouvelle appréciation des faits par la Cour, il convient de constater que les arguments de M. Makhlouf, résumés aux points 48 à 50 du présent arrêt, ne peuvent être compris que comme tendant à une telle appréciation.

57      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, en cas de pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise au contrôle de la Cour. En revanche, le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend, notamment, à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 39 et jurisprudence citée).

58      Dans la mesure où, par le présent moyen, M. Makhlouf n’invoque pas une dénaturation des faits et des éléments de preuve par le Tribunal, ce moyen, pour autant qu’il tend à une nouvelle appréciation des faits par la Cour, doit être écarté comme étant irrecevable.

59      Cependant, M. Makhlouf invoque également, dans le cadre du présent moyen, d’une part, la violation, par le Tribunal, des règles en matière de charge et d’administration de la preuve, en ce qu’il lui aurait, à tort, imposé la charge de prouver qu’il n’était pas, ou qu’il n’était plus, lié au régime syrien. D’autre part, le requérant soutient que le Tribunal a méconnu son obligation de motivation de ses décisions, en ce qu’il aurait omis de répondre à un argument avancé devant lui. Ces deux branches du présent moyen sont recevables (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, points 39 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

60      Il convient de constater que la première de ces deux branches procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. La simple affirmation, au point 81 dudit arrêt, selon laquelle « aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause les conclusions qu’il convient de tirer » des articles et des ouvrages cités au même point ne signifie aucunement que le Tribunal a estimé qu’il incombait à M. Makhlouf de démontrer qu’il n’existait pas, à son égard, des raisons justifiant son inscription sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses et que le Tribunal a, partant, renversé la charge de la preuve.

61      En effet, il ressort du point 81 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que, au regard des articles et des ouvrages qui y sont cités et qui n’étaient contredits par aucun autre élément du dossier, le Conseil avait démontré que M. Makhlouf était lié au régime syrien et qu’il le soutenait.

62      S’agissant de la seconde branche du deuxième moyen, il y a lieu de relever que M. Makhlouf reproche au Tribunal de s’être appuyé sur les différents articles de presse mentionnés au point 81 de l’arrêt attaqué, sans avoir répondu à son argument selon lequel la presse manquait d’impartialité, ainsi que cela ressortirait d’un article le concernant publié par un magazine français, lequel contiendrait des inexactitudes et à l’égard duquel il aurait fait publier un droit de réponse.

63      Il convient toutefois de constater que l’argument invoqué par M. Makhlouf avait été soulevé non pas dans le cadre du troisième moyen de son recours introductif d’instance, examiné notamment aux points 80 et 81 de l’arrêt attaqué, mais dans celui du quatrième moyen dudit recours, lequel a été examiné et rejeté aux points 106 à 126 de cet arrêt. En particulier, l’argument portant sur la force probante de l’article publié dans un magazine français a été résumé au point 102 dudit arrêt, puis examiné et rejeté au point 120 du même arrêt, lequel n’est pas contesté par M. Makhlouf. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir répondu audit argument.

64      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit en ce qui concerne l’attribution de la charge de la preuve et de la violation de la « foi due aux actes »

–       Argumentation des parties

65      Le troisième moyen s’articule en deux branches. Dans le cadre de la première branche de ce moyen, M. Makhlouf fait valoir que, par les considérations figurant aux points 86 et 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a créé une situation de probatio diabolica, dans la mesure où il lui a imposé de rapporter une preuve négative, en l’occurrence celle qu’il ne soutient pas le régime syrien.

66      Il estime que, malgré son retrait des affaires et malgré ses investissements massifs dans l’aide humanitaire, le seul fait qu’il soit un membre de la famille Makhlouf constitue l’élément principal justifiant l’inclusion de son nom sur les listes des personnes et des entités visées par les mesures restrictives à l’encontre de la République arabe syrienne. Une telle présomption serait contraire au principe de proportionnalité en ce sens qu’elle imposerait des restrictions trop importantes par rapport aux objectifs poursuivis et aux résultats qui pourraient en découler.

67       Par conséquent, M. Makhlouf estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a renversé la charge de la preuve et qu’il a jugé que les articles 27 et 28 de la décision 2013/255 sont conformes au droit de l’Union.

68      Dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen, M. Makhlouf fait valoir que le Tribunal a violé la « foi due aux actes », en affirmant, au point 87 de l’arrêt attaqué, qu’il n’avait invoqué « aucun principe général, ni aucune règle du droit de l’Union qui s’opposerait à l’adoption d’un critère tel que celui applicable en l’espèce ».

69      M. Makhlouf allègue qu’il avait invoqué la méconnaissance du principe de proportionnalité ainsi que de divers principes inhérents à la Charte, tels que le principe de la présomption d’innocence, consacré à l’article 48 de celle-ci. Il serait, alors, erroné de considérer qu’il n’avait invoqué « aucun principe qui s’opposerait à la création d’une présomption qui s’avère, de facto, irréfragable, et serait fondée sur les liens de parenté ».

70      Le Conseil soutient que le troisième moyen doit être écarté comme étant irrecevable. Il fait ainsi valoir que M. Makhlouf ne mentionne pas de façon précise les arguments de droit qu’il avance à l’appui de son argument tiré de la violation du principe de proportionnalité. En particulier, il ne préciserait ni les restrictions qui découlent de la présomption fondée sur le lien familial ni les raisons pour lesquelles ces restrictions sont trop importantes par rapport à l’objectif poursuivi. En outre, M. Makhlouf ne préciserait pas non plus s’il entend contester la décision litigieuse, en ce que le Conseil a, par celle-ci, décidé de maintenir son nom sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives en cause, ou les articles 27 et 28 de la décision 2013/255. Le Conseil ajoute, à cet égard, que, devant le Tribunal, M. Makhlouf n’avait pas invoqué, par voie d’exception, l’illégalité de ces deux articles. Pour autant qu’il entende soulever une telle exception devant la Cour, il s’agirait d’un moyen nouveau, modifiant l’objet du litige et, partant, irrecevable.

71      La Commission relève que, lorsqu’il a adopté la décision 2015/1836 à la suite des tentatives du régime syrien de contourner les mesures restrictives de l’Union, le Conseil a recouru à des critères généraux de désignation pour les différentes catégories de personnes concernées. Il aurait ainsi distingué sept groupes différents de personnes, en fonction de leur responsabilité dans les violations généralisées et systématiques des droits de l’homme en Syrie, de leurs liens avec le régime ou du risque de contournement des mesures restrictives par des membres de la famille des personnes visées qu’ils présenteraient. M. Makhlouf appartiendrait à deux des groupes visés, à savoir celui des hommes d’affaires syriens influents et celui des membres des familles Assad et Makhlouf.

72      Les raisons pour lesquelles ces deux groupes avaient été retenus seraient exposées aux considérants 5 et 6 de la décision 2013/255. En indiquant que M. Makhlouf était un homme d’affaires syrien influent et membre important de la famille Makhlouf, le Conseil aurait clairement défini la catégorie de personnes visées à laquelle M. Makhlouf était rattaché. En tant qu’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, celui-ci bénéficierait des politiques menées par le régime et soutiendrait ce dernier. La Commission estime de ce fait que le requérant ne peut prétendre que l’exposé des motifs et les critères d’inscription ne lui permettaient pas de comprendre les motifs pour lesquels il figurait sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives. Le Conseil et, par voie de conséquence, le Tribunal, qui a accepté les arguments du Conseil, auraient respecté leur obligation de motivation.

–       Appréciation de la Cour

73      Aux fins de se prononcer sur la recevabilité du troisième moyen, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.

74      Ainsi, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 50 et jurisprudence citée).

75      Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (ordonnance du 22 février 2018, Valkov/Cour européenne des droits de l’homme et Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, C‑701/17 P, non publiée, EU:C:2018:106, point 10 et jurisprudence citée).

76      Ensuite, il y a lieu de relever que la décision 2013/255, dans sa version en vigueur lors de l’adoption de la décision litigieuse, prévoyait, respectivement à son article 27, paragraphe 2, et à son article 28, paragraphe 2, que les États membres devaient prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres de l’Union de plusieurs catégories de personnes et que les fonds et les ressources économiques appartenant à ces mêmes catégories de personnes étaient gelés. Parmi les catégories de personnes énumérées à ces dispositions, figurent, aux points a) et b) de chacune d’elles, « les femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » et « les membres des familles Assad ou Makhlouf ».

77      Les motifs pour lesquels ces deux catégories de personnes font l’objet de mesures restrictives sont énoncés aux considérants 5 et 6 de cette décision.

78      Ainsi, le Conseil a estimé que, « en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein » et qu’il y a lieu « de les empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

79      D’autre part, il a considéré que, « eu égard au fait que le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale, le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf » et que, partant, il convenait de « prévoir des mesures restrictives pour geler tous les fonds et ressources économiques appartenant à certains membres des familles Assad et Makhlouf [...] tant pour influencer directement le régime par le biais de membres de ces familles afin que celui-ci modifie sa politique de répression, que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles ».

80      Par ailleurs, aux termes de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, les personnes relevant des catégories visées aux paragraphes 2 de ces mêmes articles ne sont pas inscrites sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses « s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement ».

81      Or, il convient de constater que, comme le fait valoir à juste titre le Conseil, M. Makhlouf n’a pas allégué, devant le Tribunal, que les dispositions de l’article 27, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255 étaient contraires au droit de l’Union. Par ailleurs, devant la Cour, M. Makhlouf s’est limité à affirmer que ces deux dispositions n’étaient pas conformes au droit de l’Union sans invoquer d’argument juridique au soutien de cette affirmation.

82      Dans ces conditions, l’argumentation de M. Makhlouf selon laquelle les dispositions de la décision 2013/255 mentionnées au point précédent sont contraires au droit de l’Union doit être rejetée comme étant irrecevable, dès lors qu’elle tend à modifier l’objet du litige devant le Tribunal et, au demeurant, ne répond pas aux exigences de la jurisprudence citée au point 75 du présent arrêt.

83      Par son troisième moyen, M. Makhlouf reproche également au Tribunal, d’une part, d’avoir violé les règles en matière de charge et d’administration de la preuve (première branche) ainsi que, d’autre part, d’avoir omis de statuer sur son argumentation tirée du principe de proportionnalité et des « principes inhérents à la Charte » (seconde branche).

84      Une telle argumentation est recevable au stade du pourvoi (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 39, ainsi que du 14 septembre 2017, LG Electronics et Koninklijke Philips Electronics/Commission, C‑588/15 P et C‑622/15 P, EU:C:2017:679, point 88).

85      Quant au fond, il y a lieu de relever, en ce qui concerne la première branche du troisième moyen, que M. Makhlouf fait une lecture erronée de l’arrêt attaqué, en particulier du point 86 de celui-ci.

86      En effet, le Tribunal a seulement affirmé, audit point, qu’« aucun élément du dossier n’est susceptible de remettre en cause les éléments sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour fonder l’inscription du nom du requérant » sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses. Il n’a nullement considéré, comme semble le supposer M. Makhlouf, que c’est sur ce dernier que pesait la charge de prouver que les constatations du Conseil, figurant dans la décision litigieuse, étaient erronées ou qu’il existait, à son égard, des informations suffisantes, au sens de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, indiquant qu’il n’était pas, ou n’était plus, lié au régime syrien, qu’il n’exerçait aucune influence sur celui-ci et qu’il n’était pas associé à un risque réel de contournement des mesures restrictives adoptées à l’égard de ce régime.

87      Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la première branche du troisième moyen comme étant non fondée.

88      S’agissant de la seconde branche de ce moyen, il convient de constater que M. Makhlouf avait invoqué devant le Tribunal l’argumentation dont il fait état dans le cadre de cette branche non pas dans le cadre du troisième moyen de son recours introductif d’instance, examiné aux points 86 et 87 de l’arrêt attaqué, mais dans celui du quatrième moyen de ce recours, analysé aux points 100 à 131 de cet arrêt, lesquels ne sont pas visés par le présent pourvoi.

89      En particulier, l’argumentation invoquée par M. Makhlouf a été résumée par le Tribunal aux points 100 à 104 dudit arrêt, puis examinée et rejetée aux points 106 à 126 du même arrêt.

90      Par conséquent, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir omis de statuer sur ladite argumentation.

91      Au demeurant, dans la mesure où M. Makhlouf allègue que cette argumentation s’opposait à la création d’une présomption irréfragable, il doit être constaté que le point 87 de l’arrêt attaqué se réfère non pas à une présomption, réfragable ou non, mais seulement à un « critère » d’inscription sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives litigieuses, tel que celui institué par l’article 27, paragraphe 2, sous b), et par l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, à l’égard des membres des familles Assad ou Makhlouf.

92      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le troisième moyen comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

93      Par son quatrième moyen, M. Makhlouf estime que le Tribunal, en ayant jugé, au point 92 de l’arrêt attaqué, qu’il « ne saurait être contesté [que M. Makhlouf] est un homme d’affaires important, dans la mesure où il est, toujours, président du principal opérateur de téléphonie mobile en Syrie, motif qui justifie également, à lui seul, au regard des articles 27 et 28 de la décision 2013/255, que son nom figure sur la liste en cause », a commis, en substance, une erreur de droit ainsi qu’une violation de son obligation de motivation.

94      À cet égard, il convient de rappeler que le Conseil a justifié l’inscription, dans la décision litigieuse, du nom de M. Makhlouf sur la liste des personnes et entités visées par les mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne pour deux motifs distincts, à savoir, d’une part, au titre de sa qualité de « membre influent de la famille Makhlouf » et, d’autre part, au titre de sa qualité d’« homme d’affaires influent ».

95      Il ressort de l’article 27, paragraphe 2, sous a) et b), ainsi que de l’article 28, paragraphe 2, sous a) et b), de la décision 2013/255 que chacun de ces deux motifs aurait été, à lui seul, suffisant pour justifier cette inscription, comme le Tribunal l’a, d’ailleurs, lui-même relevé au point 88 de l’arrêt attaqué.

96      Or, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dès lors que l’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de son arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l’arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de telle sorte que le moyen qui les invoque est inopérant et doit être rejeté (voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 68, et du 29 novembre 2012, Royaume-Uni/Commission, C‑416/11 P, non publié, EU:C:2012:761, point 45).

97      Dans la mesure où les trois premiers moyens de pourvoi, qui seraient de nature, s’ils étaient accueillis, à remettre en cause la légalité de l’inscription du nom de M. Makhlouf sur la liste des mesures restrictives en cause, au titre de sa qualité de membre de la famille Makhlouf, doivent tous être rejetés, le quatrième moyen, dirigé contre le second motif d’inscription sur cette liste, est, conformément à la jurisprudence citée au point précédent, inopérant et doit être rejeté comme tel (voir, en ce sens, ordonnance du 30 juin 2016, Slovenská pošta/Commission, C‑293/15 P, non publiée, EU:C:2016:511, point 47).

98      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

99      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de M. Makhlouf et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil et par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Rami Makhlouf est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et par la Commission européenne.

Malenovský

Safjan

Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juin 2018.

Le greffier

Le président de la VIIIème chambre

A. Calot Escobar

 

J. Malenovský


*      Langue de procédure : le français.

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