Commission v Poland (Order) French Text [2018] EUECJ C-619/18_CO (19 October 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C61918_CO.html
Cite as: EU:C:2018:852, [2018] EUECJ C-619/18_CO, ECLI:EU:C:2018:852

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ORDONNANCE DE LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR

19 octobre 2018 (*)

« Référé – Article 279 TFUE – Demande de mesures provisoires – Règlement de procédure de la Cour – Article 160, paragraphes 2 et 7 – Demande tendant à ce qu’il soit statué inaudita altera parte – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial »

Dans l’affaire C‑619/18 R,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE ainsi que de l’article 160, paragraphes 2 et 7, du règlement de procédure de la Cour, introduite le 2 octobre 2018,

Commission européenne, représentée par Mme K. Banks ainsi que par MM. H. Krämer et S. L. Kaleda, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne,

partie défenderesse,

LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR,

l’avocat général, M. E. Tanchev, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande en référé, la Commission européenne sollicite la Cour d’ordonner à la République de Pologne, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond :

–        de suspendre l’application des dispositions de l’article 37, paragraphes 1 à 4, et de l’article 111, paragraphes 1 et 1a, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), de l’article 5 de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, de la loi sur la Cour suprême et de certaines autres lois), du 10 mai 2018 (Dz. U. de 2018, position 1045) (ci-après les « dispositions nationales litigieuses »), ainsi que de toute mesure prise en application de ces dispositions ;

–        de prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer que les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) concernés par lesdites dispositions puissent exercer leurs fonctions au même poste, tout en jouissant du même statut et des mêmes droits et conditions d’emploi dont ils bénéficiaient jusqu’au 3 avril 2018, date de l’entrée en vigueur de la loi sur la Cour suprême ;

–        de s’abstenir de toute mesure visant à la nomination de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême) à la place de ceux concernés par les dispositions qui sont à la base du manquement et qui font l’objet du recours principal, ainsi que de toute mesure visant à nommer le nouveau premier président de cette juridiction ou à indiquer la personne chargée de diriger ladite juridiction à la place de son premier président jusqu’à la nomination du nouveau premier président, et

–        de communiquer à la Commission, au plus tard un mois après la notification de l’ordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires sollicitées puis régulièrement, chaque mois, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de se conformer pleinement à cette ordonnance.

2        La Commission demande également, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, que celle-ci ordonne les mesures provisoires mentionnées au point précédent avant même que la partie défenderesse n’ait présenté ses observations, en raison du risque immédiat de préjudice grave et irréparable au regard du principe de protection juridictionnelle effective dans le cadre de l’application du droit de l’Union.

3        Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit par la Commission le 2 octobre 2018 (ci-après le « recours en manquement »), et tendant à faire constater que, d’une part, en abaissant l’âge de départ à la retraite et en appliquant cette mesure aux juges nommés au Sąd Najwyższy (Cour suprême) jusqu’au 3 avril 2018 et, d’autre part, en accordant au président de la République de Pologne le pouvoir discrétionnaire de prolonger la fonction judiciaire active des juges de cette juridiction, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

 Le cadre juridique

4        Le 20 décembre 2017, le président de la République de Pologne a signé la loi sur la Cour suprême, laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018. Cette loi a fait l’objet de plusieurs modifications successives.

5        En vertu de l’article 37 de la loi sur la Cour suprême, l’âge de départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a été abaissé à 65 ans. L’abaissement de l’âge de départ à la retraite s’applique à tous les juges de cette juridiction, y compris à ceux qui y ont été nommés avant l’entrée en vigueur de cette loi.

6        La prolongation de la fonction judiciaire active des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) au-delà de l’âge de 65 ans est soumise à la présentation, par ces juges, d’une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leur fonction et d’un certificat attestant que leur état de santé leur permet de siéger, ainsi qu’à l’autorisation du président de la République de Pologne. L’article 37 de la loi sur la Cour suprême régit cette prolongation.

7        En vertu de l’article 111, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui ont atteint l’âge de 65 ans à la date de l’entrée en vigueur de cette loi ou au plus tard le 3 juillet 2018 partent à la retraite le 4 juillet 2018, sauf s’ils ont présenté, jusqu’au 3 mai 2018 inclus, la déclaration et le certificat mentionnés au point précédent, et si le président de la République de Pologne a autorisé la prolongation de leur fonction au service de cette juridiction. L’article 5 de la loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, de la loi sur la Cour suprême et de certaines autres lois contient des dispositions autonomes régissant la procédure de prolongation de la fonction judiciaire active des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ayant atteint l’âge de la retraite au plus tard le 3 juillet 2018.

8        Conformément à l’article 111, paragraphe 1a, de la loi sur la Cour suprême, les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui atteindront l’âge de 65 ans entre le 4 juillet 2018 et le 3 avril 2019 partiront à la retraite le 3 avril 2019, sauf s’ils déposent, avant le 3 avril 2019, la déclaration ainsi que le certificat mentionnés au point 6 de la présente ordonnance, et si le président de la République de Pologne autorise la prolongation de leur fonction au service de cette juridiction.

9        Quant aux juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui y ont été nommés avant le 3 avril 2018 et qui atteindront l’âge de 65 ans après le 3 avril 2019, l’article 37, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême prévoit que la prolongation de la fonction judiciaire active de ces juges au-delà de l’âge de 65 ans est soumise au régime général, qui requiert la présentation d’une déclaration et d’un certificat ainsi que l’autorisation du président de la République de Pologne, tels que mentionnés au point 6 de la présente ordonnance.

10      Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, conformément aux dispositions nationales litigieuses, lorsqu’il prend sa décision sur la prolongation de la fonction judiciaire active de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), le président de la République de Pologne n’est lié par aucun critère et sa décision ne fait pas l’objet d’un contrôle juridictionnel.

11      Enfin, il ressort de la demande en référé que la loi sur la Cour suprême habilite le président de la République de Pologne à décider librement, jusqu’au 3 avril 2019, d’augmenter le nombre de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême).

 Sur la demande tendant à ce qu’il soit statué inaudita altera parte

12      Conformément à l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure, le juge des référés peut faire droit à la demande en référé avant même que l’autre partie n’ait présenté ses observations et cette mesure peut être ultérieurement modifiée ou rapportée, même d’office.

13      Selon la jurisprudence, en particulier lorsqu’il est souhaitable dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’éviter que la procédure en référé ne soit vidée de toute sa substance et de tout effet, l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure autorise le juge connaissant d’une demande de mesures provisoires à arrêter de telles mesures, à titre conservatoire, soit jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à l’instance en référé, soit jusqu’à la clôture de la procédure principale, si celle-ci a lieu plus tôt [ordonnance du 2 février 2018, Nexans France et Nexans/Commission, C‑65/18 P(R)‑R, non publiée, EU:C:2018:62, point 4 ainsi que jurisprudence citée].

14      Lorsqu’il examine la nécessité de rendre une telle ordonnance, ledit juge doit examiner les circonstances du cas d’espèce [ordonnance du 2 février 2018, Nexans France et Nexans/Commission, C‑65/18 P(R)‑R, non publiée, EU:C:2018:62, point 5 ainsi que jurisprudence citée].

 Sur le fumus boni juris

15      Les arguments présentés par la Commission ne paraissent pas, à première vue, manifestement irrecevables ni dénués de tout fondement.

16      En effet, sans qu’il soit possible de se prononcer, au présent stade de la procédure, sur la question du bien-fondé de ces arguments ou même sur celle de l’existence d’un fumus boni juris en tant que tel, il y a lieu de constater que cette dernière question nécessitera un examen approfondi en l’espèce, eu égard aux arguments présentés.

17      Il suffit donc de constater, aux fins de la présente procédure inaudita altera parte, qu’il ne saurait être exclu que la condition relative au fumus boni juris soit remplie.

 Sur l’urgence

18      Ainsi qu’il ressort de la demande en référé, les dispositions nationales litigieuses ont déjà commencé à s’appliquer avec pour conséquence la mise à la retraite d’un nombre important de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) dont la présidente et deux présidents de chambre. Cette circonstance combinée à l’augmentation parallèle du nombre de juges de cette juridiction de 93 à 120, accordée par le président de la République de Pologne, à la publication de plus de 44 postes vacants de juges dans ladite juridiction, dont celui qui était occupé par sa première présidente, et à la nomination par le président de la République de Pologne d’au moins 27 nouveaux juges, ainsi qu’il ressort des informations dont dispose la Cour, entraîne une recomposition profonde et immédiate du Sąd Najwyższy (Cour suprême), laquelle est, par ailleurs, susceptible d’être étendue par de nouvelles autres nominations.

19      Or, si le recours en manquement était finalement accueilli, il en résulterait que toutes les décisions rendues par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) jusqu’à la décision de la Cour sur ledit recours en manquement le seraient sans les garanties liées au droit fondamental de tous les justiciables à accéder à un tribunal indépendant, tel que consacré à l’article 47 de la Charte.

20      À cet égard, il importe de rappeler que l’exigence d’indépendance des juges relève du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment, de la valeur de l’État de droit [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 48].

21      La violation d’un droit fondamental tel que le droit fondamental à un tribunal indépendant, consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, est ainsi susceptible, en raison de la nature même du droit violé, de donner lieu par elle-même à un préjudice grave et irréparable.

22      En l’occurrence, la condition de juridiction de dernier ressort du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et l’autorité de chose jugée dont seront, dès lors, revêtues les décisions que ladite juridiction rendra jusqu’à l’arrêt de la Cour statuant sur le recours en manquement permettent d’établir l’existence, dans les circonstances de l’espèce, d’un risque réel d’un préjudice grave et irréparable pour les justiciables, au cas où les mesures provisoires sollicitées n’étaient pas ordonnées et le recours en manquement était finalement accueilli par la Cour.

23      Dans ces conditions, il y a lieu de constater, à ce stade de la procédure, que la condition relative à l’urgence apparaît remplie.

 Sur la mise en balance des intérêts

24      Il convient de relever que, si le recours en manquement n’était pas accueilli, l’octroi des mesures provisoires sollicitées n’aurait pour effet que de reporter l’application des dispositions nationales litigieuses. Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que l’octroi de telles mesures n’est pas de nature à compromettre gravement l’objectif poursuivi par ces dispositions.

25      En revanche, si le recours en manquement était finalement accueilli, l’application immédiate de telles dispositions serait susceptible de porter préjudice d’une manière irrémédiable au droit fondamental d’accéder à un tribunal indépendant, tel que consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

26      Dans ces conditions, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’ordonner les mesures provisoires sollicitées par la Commission, et ce jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé.

Par ces motifs, la vice-présidente de la Cour ordonne :

1)      La République de Pologne est tenue, immédiatement et jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé,

–        de suspendre l’application des dispositions de l’article 37, paragraphes 1 à 4, et de l’article 111, paragraphes 1 et 1a, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017, de l’article 5 de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, de la loi sur la Cour suprême et de certaines autres lois), du 10 mai 2018, ainsi que de toute mesure prise en application de ces dispositions ;

–        de prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer que les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) concernés par lesdites dispositions puissent exercer leurs fonctions au même poste, tout en jouissant du même statut et des mêmes droits et conditions d’emploi dont ils bénéficiaient jusqu’au 3 avril 2018, date de l’entrée en vigueur de la loi sur la Cour suprême ;

–        de s’abstenir de toute mesure visant à la nomination de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême) à la place de ceux concernés par les dispositions qui sont à la base du manquement et qui font l’objet du recours principal, ainsi que de toute mesure visant à nommer le nouveau premier président de cette juridiction ou à indiquer la personne chargée de diriger ladite juridiction à la place de son premier président jusqu’à la nomination du nouveau premier président, et

–        de communiquer à la Commission européenne, au plus tard un mois après la notification de la présente ordonnance puis régulièrement chaque mois, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de se conformer pleinement à cette ordonnance.

2)      Les dépens sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.

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