Abel and Others v Commission (not supplied - Order) French Text [2018] EUECJ T-197/17_CO (04 May 2018)


BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Abel and Others v Commission (not supplied - Order) French Text [2018] EUECJ T-197/17_CO (04 May 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T19717_CO.html
Cite as: [2018] EUECJ T-197/17_CO, ECLI:EU:T:2018:258, EU:T:2018:258

[New search] [Contents list] [Help]


ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

4 mai 2018 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Environnement – Adoption par la Commission d’un règlement concernant les émissions polluantes de véhicules particuliers et utilitaires légers – Demande en réparation des préjudices matériels et moraux prétendument subis par les requérants – Absence de caractère réel et certain du préjudice – Situation susceptible d’affecter moralement toute personne – Absence de préjudice réparable – Demande d’injonction »

Dans l’affaire T‑197/17,

Marc Abel, demeurant à Montreuil (France), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe(1), représentés par MJ. Assous, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland, M. Huttunen et Mme A. Becker, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation des préjudices que les requérants auraient subis à la suite de l’adoption du règlement (UE) 2016/646 de la Commission, du 20 avril 2016, portant modification du règlement (CE) n° 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) (JO 2016, L 109, p. 1)

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise (rapporteur) et R. da Silva Passos, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre) (JO 2007, L 263, p. 1), qui résulte de la consolidation de différents textes, prévoit que les exigences techniques applicables aux véhicules à moteur doivent être harmonisées et définies dans des « actes réglementaires » ayant pour objectif principal de garantir un niveau élevé de sécurité routière, de protection de la santé et de l’environnement, de rendement énergétique et de protection contre une utilisation non autorisée. Ses dispositions organisent un système de réception par type pour toutes les catégories de véhicules. À cet égard, ainsi qu’il résulte de l’article 3 de cette directive, lorsqu’un État membre accorde une « réception CE par type » à un type de véhicule, il certifie que celui-ci satisfait aux dispositions administratives et aux exigences techniques applicables de ladite directive et des « actes réglementaires » énumérés dans une annexe de celle-ci. Ces « actes réglementaires » peuvent, au sens de la même directive, notamment être d’autres directives ou des règlements particuliers, chacun de ces « actes réglementaires » portant sur un aspect spécifique. Ainsi qu’il résulte de l’annexe IV de la directive en question, la réception CE d’un type de véhicule suppose sa conformité aux dispositions de dizaines d’« actes réglementaires », portant, par exemple, sur la prévention des risques d’incendie, les équipements de direction, le freinage ou, pour ce qui concerne la présente affaire, les émissions polluantes. L’« acte réglementaire » visé pour ce dernier aspect, en ce qui concerne les véhicules particuliers et utilitaires légers, est le règlement n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1).

2        L’article 10 du règlement n° 715/2007, intitulé « Réception », prévoit notamment, pour les véhicules particuliers et de transport de personnes, que les limites polluantes fixées au titre de la norme Euro 5 s’appliqueront à compter du 1er septembre 2009 pour la réception par type, qu’à compter du 1er janvier 2011 les véhicules neufs ne respectant pas cette norme ne pourront plus être immatriculés, mis en vente ou mis en service, que les limites fixées au titre de la norme Euro 6 s’appliqueront à compter du 1er septembre 2014 pour la réception par type et qu’à compter du 1er septembre 2015 les véhicules neufs ne respectant pas cette norme ne pourront plus être immatriculés, mis en vente ou mis en service. L’annexe I, tableaux 1 et 2, du règlement n° 715/2007 fixe, par exemple, la limite d’émission des oxydes d’azote pour un véhicule diesel particulier ou de transport de personnes à 180 mg/km sous la norme Euro 5 et à 80 mg/km sous la norme Euro 6.

3        À l’article 5 du règlement n° 715/2007, intitulé « Exigences et essais », le paragraphe 1 dispose tout d’abord que « [l]e constructeur équipe les véhicules [pour leur permettre], en utilisation normale, de se conformer au présent règlement et à ses mesures d’exécution ». Le paragraphe 2 dudit article prévoit ensuite que, sauf situations spécifiques, l’utilisation de dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite. Enfin, le paragraphe 3 de cet article indique :

« Les procédures, essais et exigences spécifiques pour la réception établis au présent paragraphe, ainsi que les exigences pour la mise en œuvre des dispositions du paragraphe 2, ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels du présent règlement en le complétant, sont mis en place conformément à la procédure […] visée à l’article 15, paragraphe 3. […] ».

4        Le règlement (CE) n° 692/2008 de la Commission, du 18 juillet 2008, portant application du règlement n° 715/2007 (JO 2008, L 199, p. 1), a été arrêté, en particulier, en application de l’article 5 de ce dernier. Le considérant 2 du règlement n° 692/2008 rappelle que les nouveaux véhicules légers doivent respecter de nouvelles valeurs limites d’émission et que ces exigences techniques prennent effet en deux étapes, Euro 5 à partir du 1er septembre 2009, Euro 6 à partir du 1er septembre 2014 et qu’en conséquence le règlement vise à établir les exigences requises pour la réception des véhicules respectant les normes Euro 5 et 6.

5        L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 692/2008 prévoit qu’une réception CE est accordée en ce qui concerne, notamment, les émissions si le constructeur démontre que les véhicules concernés satisfont à différentes procédures d’essai spécifiées dans certaines annexes dudit règlement. Parmi ces procédures figure l’essai de type 1, effectué en laboratoire, concernant la « vérification des émissions moyennes à l’échappement en conditions ambiantes ».

6        À la suite de différentes études et évènements montrant que les essais de type 1 pratiqués ne reflétaient pas le véritable niveau des émissions polluantes en conditions de conduite réelles sur route, la Commission européenne a arrêté le règlement 2016/646(UE), du 20 avril 2016, portant modification du règlement n° 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) (JO 2016, L 109, p. 1). Les considérants 7 à 10 du règlement 2016/646 indiquent notamment :

« En janvier 2011, la Commission a constitué un groupe de travail associant tous les acteurs intéressés afin de développer une procédure d’essai des émissions en conditions de conduite réelles (RDE) reflétant mieux les émissions mesurées sur route. À cette fin, et à l’issue de discussions techniques approfondies, l’option suggérée dans le [règlement n° 715/2007], c’est-à-dire le recours à des systèmes portables de mesure des émissions (PEMS) et à des limites à ne pas dépasser (NTE), a été suivie.

[…]

« Les procédures d’essai RDE ont été introduites par le règlement (UE) 2016/427 de la Commission […]. Il est, à présent, nécessaire d’établir les prescriptions RDE quantitatives afin de limiter les émissions au tuyau d’échappement dans toutes les conditions d’utilisation normales, conformément aux limites d’émissions fixées dans le [règlement n° 715/2007]. À cette fin, les incertitudes statistiques et techniques des procédures de mesure devraient être prises en compte.

Afin de permettre aux constructeurs de s’adapter progressivement aux règles RDE, les prescriptions RDE quantitatives finales devraient être introduites en deux étapes successives. Dans la première étape, qui devrait commencer à s’appliquer 4 ans après les dates d’application obligatoire des normes Euro 6, un facteur de conformité de 2,1 devrait être appliqué. La deuxième étape devrait suivre 1 an et 4 mois après la première et devrait imposer la conformité totale à la valeur limite d’émissions de 80 mg/km pour les [oxydes d’azote] fixée dans le règlement (CE) n° 715/2007, plus une marge tenant compte des incertitudes de mesure supplémentaires liées à l’application de systèmes portables de mesure des émissions (PEMS). »

7        Ainsi qu’il ressort des considérants 7 à 10 du règlement 2016/646, l’introduction d’une procédure d’essai pour vérifier les émissions des véhicules en conditions de conduite réelles a été opérée précédemment avec le règlement (UE) 2016/427 de la Commission, du 10 mars 2016, portant modification du règlement n° 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6) (JO 2016, L 82, p. 1). À cet effet, un essai supplémentaire, dit du type 1 A ou émissions en conditions de conduite réelles (RDE), visant à mesurer les émissions à l’échappement en conditions de conduite réelle avec l’utilisation d’un système portable de mesure des émissions (PEMS), a été prévu. À cet égard, ce dernier règlement traduit le principe de considérer que le résultat d’un essai RDE est conforme aux dispositions du règlement n° 715/2007 si les émissions relevées pendant cet essai ne dépassent pas des valeurs de non-dépassement (NTE) pendant toute la durée de vie normale du véhicule, calculées comme suit : « NTE polluant = CF polluant x Euro 6, où Euro 6 est la limite d’émissions [pertinente compte tenu de la nature du véhicule, fixée dans le règlement n° 715/2007 et où] CF polluant est un facteur de conformité [retenu] pour le polluant concerné ». Les dispositions du règlement 2016/427 prévoyaient que tant que les valeurs des facteurs de conformité CF polluant n’étaient pas déterminées, les essais RDE seraient pratiqués pour les nouvelles réceptions par type, mais uniquement à des fins de surveillance.

8        L’adoption du règlement 2016/646 a, dans ce contexte et pour ce qui concerne ses aspects liés aux griefs avancés par les requérants, essentiellement consisté, d’une part, à fixer un nouveau terme à la période au cours de laquelle les essais RDE ne devaient être utilisés qu’à des fins de surveillance en déterminant les dates d’application des valeurs NTE dans le cadre de ces essais aux fins d’accorder ou de refuser la réception par type, puis l’immatriculation, la mise en vente ou la mise en service de véhicules neufs (par exemple, à compter du 1er septembre 2017, la réception par type des véhicules particuliers et de transport de personnes ne peut être accordée que si l’essai RDE est concluant) et, d’autre part, à déterminer le facteur de conformité CF polluantpour les oxydes d’azote (pas pour les autres polluants à ce stade). À cet égard, la valeur de celui-ci est fixée à 2,1 à titre d’option ouverte aux constructeurs pour une période transitoire de un an et quatre mois à compter de la date à laquelle la conformité aux essais RDE est nécessaire pour la réception par type ou pour l’immatriculation, la mise en vente ou la mise en service des véhicules neufs. La valeur normale du CF polluantpour les oxydes d’azote, dite « finale », est fixée à 1,5. Ainsi, par exemple, pour un véhicule diesel particulier ou de transport de personnes, la valeur NTE à ne pas dépasser lors des essais RDE pour pouvoir bénéficier d’une réception par type est de 168 mg/km du 1er septembre 2017 au 31 décembre 2019, puis de 120 mg/km à compter du 1er janvier 2020, pour une limite d’émissions fixée à 80 mg/km dans la norme Euro 6.

9        Le règlement 2016/646 a fait l’objet de recours en annulation de quatre capitales d’États membres, Paris, Bruxelles, Athènes et Madrid (affaires T‑339/16, T‑352/16, T‑360/16 et T‑391/16).

10      Pour leur part, M. Abel et les autres requérants soutiennent que ce règlement leur porte préjudice. Pour caractériser l’illégalité susceptible d’engager à ce titre la responsabilité de l’Union, ils avancent, en substance, qu’en retenant les facteurs de conformité CF polluant de 2,1 et de 1,5 pour les émissions d’oxydes d’azote, la Commission a méconnu les limites fixées pour la norme Euro 6 dans le règlement n° 715/2007, outrepassant ainsi sa compétence et violant ainsi un certain nombre de règles de fond, y compris l’annexe I dudit règlement.

 Procédure et conclusions des parties

11      Les requérants ont introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 2017.

12      La Commission a déposé un mémoire en défense le 30 juillet 2017, puis les requérants et la Commission ont déposé respectivement une réplique et une duplique le 22 septembre et le 20 novembre 2017.

13      Par lettre du 14 décembre 2017, les requérants ont demandé de manière motivée la tenue d’une audience.

14      Par décision du 26 janvier 2018, en raison de la connexité de la présente affaire avec les recours mentionnés au point 9 ci-dessus, un nouveau juge rapporteur a été désigné par le président du Tribunal et l’affaire a été réattribuée à la neuvième chambre.

15      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        reconnaître l’irrégularité du comportement de la Commission ;

–        reconnaître le préjudice qui leur a été causé du fait de l’adoption du règlement 2016/646 ;

–        condamner la Commission au paiement à chacun d’eux de mille euros en réparation du préjudice moral causé du fait de l’adoption dudit règlement et de un euro symbolique en réparation du préjudice matériel ;

–        prononcer une injonction à l’encontre de la Commission, la contraignant à ramener immédiatement le facteur de conformité CF polluant « final » créé par ce règlement à 1 et à renoncer au facteur de conformité temporaire fixé à 2,1 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, alternativement, comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

17      Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de ne pas poursuivre la procédure.

18      Les requérants fondent leurs demandes sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, selon lequel, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

19      Les requérants soutiennent que, en adoptant le règlement 2016/646, la Commission leur a fait subir un préjudice matériel résultant de la détérioration de la qualité de l’air qu’ils respirent due à la consécration, dans ledit règlement, de valeurs de non-dépassement (NTE) d’émissions d’oxydes d’azote à respecter au cours des essais en conditions de conduite réelles devant être effectués, notamment, dans le cadre des opérations de réception par type des véhicules concernés, plus élevées que les limites d’émission applicables au titre de la norme Euro 6 énoncées dans le règlement n° 715/2007. Ils ajoutent que le comportement de la Commission engendre également pour eux un préjudice moral dû à leurs craintes de voir leur santé et celle de leurs proches se dégrader en raison de la pollution atmosphérique, à leurs craintes d’assister à la démission des autorités publiques européennes en matière de lutte contre la pollution de l’air, qui les laisserait démunis face à la gravité des problèmes environnementaux actuels, ainsi qu’à la violation de leurs droits fondamentaux et à la menace que ce comportement ferait peser sur la reconnaissance à l’échelle européenne du principe de non-régression en matière environnementale.

20      Les requérants demandent la réparation pécuniaire de leur préjudice moral et de leur préjudice matériel.

21      Par ailleurs, ils demandent, en substance, au Tribunal d’enjoindre à la Commission de neutraliser le facteur de conformité CF polluantprévu dans le règlement 2016/646 qui, appliqué aux limites d’émission d’oxydes d’azote fixées pour la norme Euro 6, conduit à définir des valeurs de non-dépassement (NTE) plus élevées que ces limites pour les essais en conditions de conduite réelles.

22      La Commission conteste la recevabilité de la requête en ses différentes conclusions, car son aspect indemnitaire serait artificiel et ne viserait qu’à contourner l’impossibilité pour chacun des requérants de présenter un recours en annulation contre le règlement 2016/646 compte tenu des dispositions de l’article 263 TFUE relatives à la qualité à agir à ce titre et car le Tribunal ne pourrait pas adresser des injonctions aux institutions de l’Union. La Commission estime en tout état de cause la requête indemnitaire non fondée.

23      À titre préalable, il y a lieu de considérer que les conclusions des requérants visant à ce que le Tribunal reconnaisse l’irrégularité du comportement de la Commission, ainsi que les préjudices qui en découleraient pour chacun d’eux ne sont pas dissociables de leur conclusions indemnitaires puisque les premières ne sont formulées qu’en tant que soutien indispensable aux conclusions indemnitaires qui sont elles-mêmes directement formulées dans le recours. Les deux premiers chefs de conclusions formulés par les requérants doivent donc être englobés dans leur chef de conclusions indemnitaires.

24      S’agissant précisément des demandes indemnitaires, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité dans la mesure où elles doivent en tout état de cause être rejetées comme manifestement dénuées de tout fondement en droit (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52, et du 23 mars 2004, France/Commission, C‑233/02, EU:C:2004:173, point 26).

25      En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, qui doit constituer une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, EU:C:1982:318, point 16, et du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, points 41 et 42). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, EU:C:1982:318, point 17) et le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, points 13 à 15).

26      Or, en l’espèce, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la légalité du règlement 2016/646, ni a fortiori sur la question de savoir si l’illégalité dont il serait entaché constituerait une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, il apparaît manifestement que les préjudices dont les requérants s’estiment victimes sont insuffisamment démontrés ou qu’ils ne constituent pas des préjudices réparables.

27      Pour que la responsabilité de l’Union puisse être engagée, il est en effet nécessaire que le préjudice dont il est demandé réparation soit réel et certain, ce qu’il appartient au demandeur de prouver (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée). Ainsi, il appartient au demandeur d’établir l’existence et l’étendue du préjudice allégué (voir arrêts du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C‑362/95 P, EU:C:1997:401, point 31 et jurisprudence citée, et du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 62 et jurisprudence citée). C’est le cas, même si une indemnisation symbolique est demandée (arrêt du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, EU:C:1976:69, point 24). C’est également le cas lorsqu’est allégué un préjudice moral. Il incombe dans cette hypothèse au demandeur, tout au moins, d’établir que le comportement incriminé de l’institution en cause est, par sa gravité, de nature à causer un tel dommage dans son chef (arrêt du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, EU:T:1999:11, point 39). En tout état de cause, le demandeur doit établir que le préjudice l’atteint personnellement (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 1989, Briantex et Di Domenico/CEE et Commission, 353/88, EU:C:1989:415, point 6).

28      En l’occurrence, les requérants avancent, s’agissant du préjudice matériel qu’ils allèguent, que le règlement 2016/646 conduit à dégrader la qualité de l’air qu’ils respirent. En substance, ils soutiennent d’abord que l’application, pour les essais en conditions de conduite réelles, des valeurs de non-dépassement (NTE) d’émissions d’oxydes d’azote au lieu des limites plus faibles fixées pour la norme Euro 6, va entraîner la mise en circulation de véhicules neufs plus polluants que si les limites fixées pour la norme Euro 6 étaient appliquées dans le cadre de ces essais.

29      À supposer que le comportement légal de la Commission ait effectivement dû être de faire appliquer telles quelles les limites d’émission d’oxydes d’azote fixées pour la norme Euro 6 dans le cadre des essais en conditions de conduite réelles (hypothèse la plus favorable pour les requérants), la prévision des requérants quant à la mise en circulation a pu certes se concrétiser dans une certaine mesure à partir du 1er septembre 2017, jour à compter duquel l’absence de réussite à ces essais empêche la réception par type de certains véhicules et à compter duquel les valeurs de non-dépassement (NTE) d’émissions d’oxydes d’azote critiquées s’appliquent. Il résulte en effet de la réglementation applicable, présentée aux points 1 à 8 ci-dessus, que, avant cette date, les essais de ce genre n’ont été réalisés qu’à des fins de surveillance technique et que les dispositions dans lesquelles les requérants voient la source de leur préjudice n’ont eu aucun impact concret sur les exigences en matière d’émissions polluantes conditionnant l’octroi des réceptions par type des véhicules par rapport à la réglementation en vigueur avant que lesdites dispositions ne soient retenues.

30      Néanmoins, pour cette période commençant le 1er septembre 2017, s’agissant de l’importance des émissions d’oxydes d’azote supplémentaires qui seraient dues à la réception par type puis à la mise en circulation de véhicules neufs qui n’auraient pas pu être réceptionnés et mis en circulation si les limites d’émission fixées pour la norme Euro 6 avaient été appliquées telles quelles dans le cadre des essais en conditions de conduite réelle, la certitude quant à un éventuel préjudice consécutif subi par chacun des requérants n’est pas démontrée. Un bilan sur les émissions polluantes supplémentaires dues aux dispositions critiquées ne pourrait le cas échéant être tenté que de manière très approximative et globale, au bout d’un certain temps, en comparant les niveaux d’émission d’oxydes d’azote mesurés lors des essais en conditions de conduite réelles des nouveaux types de véhicules réceptionnés par rapport aux limites fixées pour la norme Euro 6 et en extrapolant en fonction du nombre de véhicules vendus de chaque type et de l’usage « moyen » de ces types de véhicules. Un tel bilan pourrait d’ailleurs être contesté dans la mesure où le « contrefactuel » serait lui-même très incertain. Ainsi, l’application telles quelles des limites d’émission d’oxydes d’azote fixées pour la norme Euro 6 lors des essais en conditions de conduite réelles aurait pu conduire à proposer moins de nouveaux types de véhicules sur le marché à compter du 1er septembre 2017 et il est impossible de prédire dans cette hypothèse dans quelle mesure les acheteurs potentiels se seraient tournés immédiatement vers les types de véhicules ayant subi avec succès ces essais ou auraient préféré conserver plus longtemps leur ancien véhicule. L’étendue du préjudice de dégradation de la qualité de l’air qu’ils respirent est donc en tout état de cause insuffisamment établie par les requérants.

31      En outre, si les requérants mettent ensuite plus particulièrement en avant le préjudice pour leur santé qu’engendrerait la dégradation de la qualité de l’air qui résulterait spécifiquement des dispositions qu’ils critiquent, force est de constater que, même si elle s’appuie sur une documentation soulignant les effets nocifs des oxydes d’azote et la part importante que prend l’automobile dans leurs émissions, l’argumentation purement générale qu’ils avancent dans leurs écritures n’est pas à même de démontrer la réalité et l’étendue d’un préjudice en matière de santé qu’ils auraient personnellement subi les uns et les autres, alors même qu’ils sont au nombre de 1 429 et habitent et vivent dans des régions ou des conditions différentes.

32      L’indemnisation égale et symbolique d’un euro demandée par tous les requérants pour le préjudice matériel qu’ils allèguent confirme en l’espèce l’absence de démonstration de la réalité et de l’étendue de ce préjudice pour chacun d’eux. Certes, dans certaines hypothèses, comme les requérants l’ont souligné, le juge de l’Union peut être saisi afin de faire constater la responsabilité de l’Union pour un dommage imminent et prévisible, avant même que celui-ci soit évalué avec précision. Mais c’est à condition que le dommage soit identifié avec une certitude suffisante, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 1976, Kampffmeyer e.a./CEE, 56/74 à 60/74, EU:C:1976:78, point 6).

33      Par conséquent, les requérants n’ont pas démontré à suffisance de droit le caractère réel et certain des préjudices matériels qu’ils prétendent avoir subis ou devoir subir.

34      S’agissant du préjudice moral dont les requérants disent également souffrir en raison des grandes craintes qu’ils éprouveraient pour leur santé et celle de leur entourage et des craintes qu’ils éprouveraient du fait de la perte de confiance en l’action des institutions européennes pour lutter contre la dégradation de leur environnement, il y a lieu d’abord de relever qu’il a été jugé qu’une telle perte de confiance, susceptible d’être ressentie par tout un chacun, ne pouvait constituer un dommage moral réparable (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, points 92 à 95). S’agissant ensuite des craintes pour la santé, la seule affirmation en l’espèce de leur existence, même soutenue par la référence à des études concluant à la nocivité pour la santé et pour l’environnement de la pollution atmosphérique, en particulier celle des émissions d’oxydes d’azote, ainsi que par la circonstance que les intéressés seraient particulièrement sensibilisés à ces problèmes, est insuffisante pour établir que chaque requérant ressent réellement de telles craintes au point que cela affecte suffisamment ses conditions d’existence pour qu’un dommage puisse être reconnu (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission, T‑88/09, EU:T:2011:641, points 91 à 93).

35      Enfin, le préjudice moral allégué en raison de la violation de droits fondamentaux appartenant aux requérants et de la menace sur la reconnaissance à l’échelle européenne du principe de non-régression des normes environnementales, qui découleraient toutes deux de l’adoption du règlement 2016/646, est aussi susceptible, à supposer que cette violation et cette menace soient établies, de toucher tout un chacun et pas spécifiquement les requérants. Dans ces conditions, ledit préjudice ne saurait en tout état de cause constituer un dommage moral réparable (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, points 91 à 95).

36      Les considérations qui précèdent montrant l’absence de démonstration suffisante des préjudices allégués ou de leur caractère réparable, les demandes d’indemnisation de mille euros et d’un euro symbolique pour chaque requérant en réparation, respectivement, du préjudice moral et du préjudice matériel qu’il aurait subis doivent être rejetées, sans qu’il soit de plus nécessaire de vérifier si l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et les préjudices invoqués a été, ou non, démontrée par les intéressés.

37      S’agissant de la demande d’injonction formulée par les requérants, elle doit également être rejetée comme manifestement dépourvue de tout fondement en droit.

38      À cet égard, il ressort, certes, des articles 268 et 340, deuxième alinéa, TFUE, relatifs à la responsabilité non contractuelle de l’Union, qu’une réparation en nature peut le cas échéant être octroyée par le juge de l’Union, en conformité avec les principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle, et que cette réparation peut prendre la forme d’une injonction de faire ou de ne pas faire, pouvant conduire la Commission à adopter un comportement donné (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2013, Idromacchine e.a./Commission, C‑34/12 P, non publiée, EU:C:2013:552, point 29).

39      Toutefois, une telle injonction ne saurait le cas échéant se concrétiser, sauf octroi de mesures provisoires sur le fondement des articles 278 et 279 TFUE, que si la responsabilité non contractuelle de l’Union est déjà établie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (voir points 28 à 36 ci-dessus).

40      La demande des requérants d’enjoindre à la Commission de neutraliser le facteur de conformité CF polluant figurant dans le règlement 2016/646 doit donc également être rejetée.

41      Il résulte de ce qui précède que l’ensemble du recours doit être rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Marc Abel et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 4 mai 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.

© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T19717_CO.html