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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> CRM v Commission (Agriculture and Fisheries - Judgment) French Text [2018] EUECJ T-43/15 (23 April 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T4315.html Cite as: ECLI:EU:T:2018:208, [2018] EUECJ T-43/15, EU:T:2018:208 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
23 avril 2018 (*)
« Indication géographique protégée – Piadina Romagnola ou Piada Romagnola – Procédure d’enregistrement – Répartition des compétences entre la Commission et les autorités nationales – Lien entre la réputation du produit et son origine géographique – Article 5, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 1151/2012 – Étendue du contrôle par la Commission de la demande d’enregistrement – Article 7, paragraphe 1, sous f), ii), article 8, paragraphe 1, sous c), ii), et article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 – Effets sur la procédure devant la Commission d’une annulation du cahier des charges par une juridiction nationale – Obligation d’instruction de la Commission – Principe de bonne administration – Protection juridictionnelle effective »
Dans l’affaire T‑43/15,
CRM Srl, établie à Modène (Italie), représentée initialement par Mes G. Forte, C. Marinuzzi et A. Franchi, puis par Mes Forte et Marinuzzi, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée initialement par MM. D. Bianchi, J. Guillem Carrau et Mme F. Moro, puis par MM. Bianchi, A. Lewis et Mme Moro, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. M. Scino, avvocato dello Stato,
et par
Consorzio di Promozione e Tutela della Piadina Romagnola (Co.P.Rom), établi à Rimini (Italie), représenté par Mes A. Improda et P. Rodilosso, avocats,
parties intervenantes,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 1174/2014 de la Commission, du 24 octobre 2014, enregistrant une dénomination dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées [Piadina Romagnola/Piada Romagnola (IGP)] (JO 2014, L 316, p. 3),
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
composé de MM. M. Prek, président, E. Buttigieg (rapporteur) et B. Berke, juges,
greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 septembre 2017,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 La requérante, CRM Srl, est une société italienne établie à Modène, en Émilie-Romagne (Italie), qui fabrique depuis 1974, selon les méthodes industrielles, pour ses propres marques ou pour des marques de distributeurs, des produits de boulangerie dérivés du pain, notamment des piadine.
2 En novembre 2011, une demande d’enregistrement de la dénomination « Piadina Romagnola » ou « Piada Romagnola » en tant qu’indication géographique protégée (IGP) (ci-après l’« IGP litigieuse ») a été introduite auprès des autorités italiennes, en application du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 2006, L 93, p. 12), par deux associations de producteurs de piadine, lesquelles ont fusionné au sein du Consorzio di Promozione e Tutela della Piadina Romagnola, (Co.P.Rom). Les autorités italiennes ont publié la demande d’enregistrement à la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana (GURI no 23, du 28 janvier 2012, p. 34).
3 Plusieurs organisations représentant les producteurs artisanaux de piadine vendues à l’étal ont introduit des oppositions contestant l’assimilation, aux fins de l’enregistrement de l’IGP litigieuse, des piadine produites industriellement aux piadine de fabrication artisanale. Après avoir organisé des rencontres et des consultations avec les parties opposantes visant à parvenir à un accord sur le contenu du cahier des charges qui accompagnait la demande d’enregistrement (ci-après le « cahier des charges »), les autorités italiennes ont déposé auprès de la Commission européenne le 11 décembre 2012, conformément à l’article 5, paragraphe 7, du règlement no 510/2006, le dossier de la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse, contenant notamment le document unique prévu à l’article 5, paragraphe 3, sous c), de ce même règlement (ci-après le « document unique ») et le cahier des charges.
4 Par le decreto no 6490 relativo alla protezione transitoria accordata a livello nazionale alla denominazione « Piadina Romagnola/Piada Romagnola » per la quale è stata inviata istanza alla Commissione europea per la registrazione come indicazione geografica protetta (décret no 6490 relatif à la protection transitoire accordée au niveau national à la dénomination « Piadina Romagnola/Piada Romagnola » pour laquelle une demande a été envoyée à la Commission pour enregistrement en tant qu'indication géographique protégée), du 27 décembre 2012 (GURI série générale no 13, du 16 janvier 2013, p. 42), tel que modifié par le décret du 8 juillet 2013 (GURI série générale no 170, du 22 juillet 2013, p. 6), les autorités italiennes ont accordé à la dénomination « Piadina Romagnola » ou « Piada Romagnola », à la demande du Co.P.Rom, la protection nationale transitoire au sens de l’article 5, paragraphe 6, du règlement no 510/2006.
5 Par requête du 29 mars 2013, la requérante a saisi le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie, ci-après le « TAR Lazio ») d’un recours visant à l’annulation notamment du décret no 6490 accordant la protection nationale transitoire et du cahier des charges de l’IGP litigieuse, arguant d’une violation du règlement no 510/2006 en ce que ledit cahier des charges assimilait, aux fins de l’enregistrement de l’IGP litigieuse, des piadine produites industriellement aux piadine de fabrication artisanale.
6 En réponse à la demande adressée par la Commission aux autorités italiennes le 13 mai 2013 et visant à ce que soient apportés des éléments supplémentaires pour démontrer le lien entre l’aire géographique visée par la demande d’enregistrement et la réputation du produit désigné par l’IGP litigieuse, les autorités italiennes ont déposé, auprès de la Commission, le 4 juillet 2013, une nouvelle version du document unique et ont indiqué qu’une version mise à jour du cahier des charges était disponible en ligne.
7 Par arrêt du 15 mai 2014 (ci-après l’« arrêt du TAR Lazio »), le TAR Lazio a accueilli le recours introduit par la requérante et a notamment annulé le cahier des charges, au motif qu’une réputation digne de protection de la piadina romagnola ou piada romagnola (ci-après la « piadina romagnola ») pouvait uniquement être reconnue à la production artisanale, à l’exclusion de toute production industrielle de cet aliment. Il a également imposé aux autorités italiennes de reformuler le cahier des charges afin de limiter la portée de l’IGP litigieuse à la seule piadina romagnola produite selon les méthodes artisanales. En vertu du droit italien en vigueur, cet arrêt est devenu immédiatement exécutoire.
8 Le 21 mai 2014, la Commission a publié, en application de l’article 50, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1), la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse (JO 2014, C 153, p. 9), en indiquant que cette publication conférait un droit d’opposition à ladite demande en vertu de l’article 51 du même règlement.
9 Le 22 mai 2014, la requérante a informé la Commission de l’arrêt du TAR Lazio en faisant valoir que la publication du 21 mai 2014 de la demande d’enregistrement devait, en conséquence, être révoquée. En réponse, la Commission a indiqué, le 10 juin 2014, que la demande d’enregistrement avait été publiée aux fins d’éventuelles oppositions et que les éventuelles conséquences de l’arrêt du TAR Lazio devaient être appréciées par les autorités italiennes compétentes.
10 Par lettres des 16 septembre et 24 octobre 2014, la Commission a demandé aux autorités italiennes si, eu égard à l’arrêt du TAR Lazio, elles souhaitaient poursuivre la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse. Par lettres des 23 septembre et 30 octobre 2014, les autorités italiennes ont confirmé à la Commission qu’elles souhaitaient poursuivre la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse et qu’elles avaient introduit un recours contre l’arrêt du TAR Lazio ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de cette décision devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).
11 Le 24 octobre 2014, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) no 1174/2014 enregistrant une dénomination dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées [Piadina Romagnola/Piada Romagnola (IGP)] (JO 2014, L 316, p. 3, ci-après le « règlement attaqué »). Celui-ci est entré en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.
12 Saisi d’un appel contre l’arrêt du TAR Lazio, introduit par le Co.P.Rom et par les autorités italiennes, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a indiqué, lors de l’audience du 17 décembre 2014, qu’il ne faisait pas droit à la demande de la requérante visant à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en la matière. Par un arrêt du 13 mai 2015, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a annulé l’arrêt du TAR Lazio (ci-après l’« arrêt du Consiglio di Stato »).
Procédure et conclusions des parties
13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 2015, la requérante a introduit le présent recours.
14 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 20 février 2015, la requérante a introduit une demande en référé. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 24 avril 2015, CRM/Commission (T‑43/15 R, EU:T:2015:228), et les dépens ont été réservés.
15 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2015, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.
16 Le 12 mai 2015, la requérante a présenté ses observations sur cette exception d’irrecevabilité.
17 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 mars 2015, la République italienne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 29 avril 2015, le président de la première chambre du Tribunal a admis l’intervention. La République italienne a déposé un mémoire en intervention limité à la recevabilité du recours, mais contenant certaines observations sur le fond du recours, et la requérante a déposé ses observations sur ce mémoire dans le délai imparti. La Commission a indiqué ne pas avoir d’observations sur ledit mémoire. La République italienne n’a pas déposé de mémoire en intervention sur le fond dans le délai imparti.
18 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 avril 2015, le Co.P.Rom a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 7 septembre 2016, CRM/Commission (T‑43/15, non publiée, EU:T:2016:536), le président de la première chambre du Tribunal a admis l’intervention. Le Co.P.Rom a déposé un mémoire en intervention et la requérante a déposé ses observations sur celui-ci dans le délai imparti. La Commission a indiqué, dans le cadre de la duplique, ne pas avoir d’observations sur ledit mémoire.
19 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 juin 2015, la requérante a demandé à verser au dossier l’arrêt du Consiglio di Stato. Par décision du président de la première chambre du Tribunal du 19 juin 2015, il a été fait droit à cette demande. La Commission a présenté des observations sur l’arrêt du Consiglio di Stato par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 juin 2015.
20 Le Tribunal (première chambre) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, posé aux parties des questions écrites. Les parties ont répondu à ces questions dans les délais impartis.
21 Par ordonnance du Tribunal du 10 juin 2016, l’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond.
22 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
23 Le Tribunal (deuxième chambre) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, posé aux parties des questions écrites et, lors de l’audience du 12 septembre 2017, une question orale pour réponse écrite. Les parties ont répondu à ces questions dans les délais impartis.
24 Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre de mesures d’instruction, ordonner à la Commission de produire l’ensemble du dossier administratif et ordonner la réalisation d’une expertise ;
– annuler le règlement attaqué ;
– condamner la Commission aux dépens.
25 Dans l’exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– condamner la requérante aux dépens de l’instance ;
– à titre subsidiaire, fixer un nouveau délai pour la poursuite de l’instance.
26 Dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter l’exception d’irrecevabilité ;
– annuler le règlement attaqué.
27 Dans le mémoire en défense, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– à titre subsidiaire, rejeter le recours comme dénué de fondement ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité
28 La Commission excipe de l’irrecevabilité du recours en faisant valoir l’absence d’intérêt à agir de la requérante en annulation du règlement attaqué. Le Tribunal a également interrogé les parties, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, sur la question de savoir si la requérante était directement concernée par le règlement attaqué.
29 Il convient de rappeler que le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52). Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours en annulation, sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci.
Sur le fond
30 À l’appui du recours, la requérante soulève trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), et de l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation de la demande d’enregistrement, du défaut d’instruction d’une telle demande ainsi que de la violation du principe de bonne administration et, le troisième, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective au sens des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), et de l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012
31 Par son premier moyen, la requérante fait valoir que la Commission a violé l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), et l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012 en ce qu’elle a procédé à l’enregistrement de l’IGP litigieuse en y incluant la piadina industrielle, alors que le cahier des charges ne contient pas d’éléments permettant de constater que celle-ci jouit d’une réputation et ainsi de justifier le lien entre ce produit industriel et son origine géographique au sens de ces dispositions, ce qui serait confirmé par l’arrêt du TAR Lazio.
32 En ignorant le fait que le cahier des charges sur lequel s’appuyait la demande d’enregistrement avait été partiellement annulé par le TAR Lazio précisément au motif qu’il reconnaissait l’existence d’un lien entre la réputation du produit et l’aire géographique visée en ce qui concernait également la piadina produite industriellement, la Commission aurait « transféré » à l’échelle de l’Union européenne l’illégalité affectant le cahier des charges et aurait ainsi commis une erreur en reconnaissant la réputation, au sens de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, de la piadina industrielle.
33 La Commission, soutenue par la République italienne et par le Co.P.Rom, conteste les arguments de la requérante et conclut au rejet du premier moyen.
34 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si l’État membre a vérifié si elle est justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions, dont celle relative au lien entre le produit et l’aire géographique en cause en raison de la réputation du produit attribuable au fait qu’il provient de cette aire géographique, sont réunies, ce qui exige des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné que les autorités nationales sont les mieux placées pour vérifier (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 53, et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 66). En conséquence, l’appréciation des conditions susmentionnées doit être faite par lesdites autorités sous le contrôle, le cas échéant, des juridictions nationales avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission (voir, par analogie, arrêt du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 93).
35 Il s’ensuit qu’une demande d’enregistrement, comportant notamment un cahier des charges, constitue une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union enregistrant une dénomination en tant qu’IGP, la Commission ne disposant que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, à l’égard de cet acte national (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 57).
36 Il ressort toutefois également de l’économie du règlement no 1151/2012, et notamment de son considérant 58 et de son article 50, ainsi que de la jurisprudence, que la Commission est tenue de vérifier, avant d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP, d’une part, si le cahier des charges qui accompagne la demande qui lui est adressée contient les éléments exigés par le règlement no 1151/2012, et notamment par l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, et si ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes et, d’autre part, sur la base des éléments contenus dans le cahier des charges, si la dénomination remplit les exigences de l’article 5, paragraphe 2, du même règlement (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 54, et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 67).
37 Il découle du règlement no 1151/2012 que les juridictions nationales sont tenues de vérifier si les autorités nationales ont respecté les conditions d’enregistrement figurant dans ce règlement, alors que le juge de l’Union doit contrôler si la Commission a respecté les dispositions de ce texte et, plus particulièrement, si elle s’est correctement acquittée de sa mission de vérification du respect des conditions qui y sont prévues (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, points 57 à 59, et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, points 70 et 71).
38 Il convient ainsi d’examiner si, ainsi que le soutient la requérante, la Commission ne s’est pas correctement acquittée des obligations de vérification qui lui incombaient en vertu du règlement no 1151/2012 quant au contenu du cahier des charges et quant au respect des conditions de l’enregistrement de l’IGP litigieuse, tout particulièrement en ce qui concerne l’existence d’un lien entre la réputation et l’origine géographique du produit en cause.
39 La requérante fait valoir que la Commission n’a pas correctement apprécié la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse en considérant que le cahier des charges qui l’accompagnait contenait suffisamment d’éléments, tels qu’ils sont requis par l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), et l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012, permettant de constater que la piadina produite industriellement jouissait d’une réputation justifiant de reconnaître l’existence d’un lien entre ce produit industriel et son origine géographique, alors que le TAR Lazio aurait infirmé l’existence d’un tel lien. Elle analyse à cet égard le contenu du cahier des charges pour relever les éléments au soutien de la réputation de la piadina artisanale et l’absence de tels éléments à l’égard de la piadina industrielle.
40 La Commission et la République italienne soutiennent, en substance, que l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012 doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas que la réputation soit prouvée pour une production en particulier, à savoir pour une production industrielle ou artisanale, même dans le cas où le lien entre le produit et son origine géographique est uniquement fondé sur la réputation.En l’espèce, dans les limites de la vérification du respect des critères que lui impose le règlement no 1151/2012, la Commission aurait estimé que le cahier des charges était conforme à ces critères, notamment en ce qu’il se référait au produit élaboré avec l’aide de machines dans l’aire délimitée par l’IGP litigieuse.
41 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de l’article 1er du règlement no 1151/2012 que celui-ci vise à aider les producteurs de produit agricoles à communiquer aux acheteurs et aux consommateurs les caractéristiques des produits et les propriétés de production de ces produits. À ce titre, il établit des systèmes de qualité, notamment celui relatif aux IGP, qui constituent le cadre de base permettant l’identification et, le cas échéant, la protection des dénominations et des mentions qui, en particulier, indiquent ou décrivent des produits agricoles possédant notamment des propriétés conférant une valeur ajoutée en raison des méthodes de production ou de transformation utilisées lors de la production ou en raison du lieu de production.
42 Aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1151/2012, une « indication géographique » s’entend comme une dénomination qui identifie un produit dont notamment la réputation peut être attribuée essentiellement à son origine géographique.
43 Conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), du règlement no 1151/2012, le cahier des charges que doit respecter une IGP comporte notamment les éléments établissant le lien entre la réputation et l’origine géographique du produit au sens de l’article 5, paragraphe 2, dudit règlement.
44 En vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012, un document unique faisant partie de la demande d’enregistrement d’une IGP doit contenir notamment une description du lien entre le produit et l’origine géographique visée à l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement.
45 Il convient de relever que la réputation d’un produit est fonction de l’image dont celui-ci jouit auprès des consommateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 mai 2000, Belgique/Espagne, C‑388/95, EU:C:2000:244, point 56, et du 20 mai 2003, Ravil, C‑469/00, EU:C:2003:295, point 49).
46 Si la réputation d’un produit peut être établie parce qu’il possède certaines propriétés en raison du fait qu’il provient de l’aire géographique visée, notamment en raison des facteurs naturels ou humains qui sont liés à celle-ci, et qu’il crée ainsi auprès des consommateurs une certaine image attribuable à son origine géographique, il doit être considéré qu’il existe un lien, au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1151/2012, entre ce produit et l’aire géographique d’où il provient, indépendamment des modalités de sa fabrication.
47 En effet, tant que le consommateur attribue au produit en cause certaines caractéristiques ou certaines qualités du fait qu’il provient de l’aire géographique en cause, aussi bien le produit fabriqué de façon artisanale que celui fabriqué avec l’aide d’appareils mécaniques bénéficient de cette image dans l’esprit du consommateur. Autrement dit, l’image dont ce produit jouit auprès des consommateurs serait donc associée à son origine géographique indépendamment de la question de savoir s’il est fabriqué selon les méthodes artisanales ou industrielles.
48 En l’espèce, il est constant entre les parties, et cela ressort également de l’arrêt du Consiglio di Stato, que la réputation de la piadina romagnola n’est pas due à des facteurs naturels, et en particulier au microclimat. Dès lors, la réputation de la piadina romagnola attribuable à son origine géographique ne peut résulter, pour fonder l’enregistrement de l’IGP litigieuse, que de la présence de facteurs humains, à savoir des facteurs culturels ou sociaux. Ces facteurs constituent ainsi, comme l’admet, en substance, la requérante, les facteurs décisifs dans l’établissement de la réputation du produit visé par l’IGP litigieuse. Comme le soulignent, en substance, la République italienne et le Co.P.Rom, la protection de la réputation liée au contexte socio-économique et culturel du lieu où le produit trouve son origine concerne notamment la recette et la méthode d’obtention de ce produit.
49 À cet égard, il convient de souligner que la réputation d’un produit résultant de sa provenance de l’aire géographique en cause ne saurait disparaître du seul fait que la méthode d’obtention de ce produit se serait répandue en dehors de cette aire ou qu’il serait possible de la reproduire ailleurs qu’à l’intérieur de celle-ci. De tels éléments reflètent, au contraire, la réputation du produit en cause, qui a déterminé l’expansion de sa méthode d’obtention et, partant, constituent plutôt des indices permettant de justifier qu’il existe un lien direct entre la réputation du produit et la région d’où il provient (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 98).
50 En l’espèce, le point 5 du document unique, intitulé « Lien avec l’aire géographique », et l’article 6 du cahier des charges, intitulé « Éléments démontrant le lien avec le milieu géographique », contiennent des indications concernant les facteurs humains, culturels et sociaux, relatifs à la production de la piadina dans la région de Romagne, lesquels sont ainsi susceptibles d’établir la réputation tant du produit artisanal que du produit industriel aussi longtemps que celui-ci est originaire de la Romagne. En effet, d’une part, au point 5.1 du document unique, il est fait état des techniques de préparation et de production de la piadina romagnola transmises en Romagne et qui sont le fruit du savoir-faire et de la longue expérience des producteurs locaux. Ces techniques confèrent au produit ses caractéristiques inchangées depuis ses origines et ont permis de préserver dans le temps la renommée de ce produit historiquement répandu dans la région de Romagne en tant qu’alternative au pain. D’autre part, au point 5.3 du document unique et à l’article 6 du cahier des charges figurent des indications concernant les traditions et l’histoire locale du produit, les références littéraires et les références faites à celui-ci dans des revues spécialisées, dans des dictionnaires et dans des revues culinaires ainsi que les références aux différents événements et manifestations qui ont lieu de manière continue dans la région de Romagne et qui ont pour objet de mettre en valeur le produit et de perpétuer sa tradition.
51 Par ailleurs, l’article 5 du cahier des charges et les points 3.5 et 3.6 du document unique prévoient explicitement que certaines étapes de la production de la piadina romagnola peuvent se faire de façon mécanique et contiennent des règles de conditionnement du produit pour une consommation différée. Or, ainsi que la Commission le fait valoir, il ne lui appartient pas d’intervenir en ce qui concerne la définition des modalités de fabrication ou de conditionnement du produit visé par la demande d’enregistrement d’une IGP, telles qu’elles figurent dans le cahier des charges. En effet, les vérifications quant aux modalités de fabrication et de conditionnement du produit exigent, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné, éléments que les autorités nationales sont les mieux placées pour vérifier, ainsi qu’il a été rappelé au point 34 ci-dessus. En revanche, ainsi qu’il ressort du point 35 ci-dessus, la Commission ne dispose que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, à l’égard de ces appréciations faites par les autorités nationales et reflétées dans les actes nationaux qui lui sont soumis dans le cadre de la demande d’enregistrement d’une IGP.
52 Il convient d’en conclure que le document unique et le cahier des charges, qui accompagnent la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse, contiennent des indications relatives aux facteurs humains, culturels et sociaux, concernant les connaissances particulières de fabrication de la piadina transmises en Romagne entre les générations ainsi que les efforts de la population de la région visant à mettre en valeur ce produit comme provenant de cette région, qui sont à l’origine de la réputation de ce produit. Ces indications doivent donc être considérées comme des éléments permettant d’établir l’existence d’un lien entre la réputation du produit et l’aire géographique visée en raison de l’existence des facteurs humains. En effet, ainsi que le soutiennent, en substance, la République italienne et le Co.P.Rom, grâce à ces techniques de fabrication de la piadina, d’abord utilisées pour la consommation immédiate, puis pour la consommation différée, et grâce aux événements socio-culturels organisés par la population, le consommateur associe l’image de la piadina romagnola, quelle que soit la modalité de sa réalisation, au territoire de la région de Romagne.
53 Il s’ensuit que, dans le cadre de ses vérifications de la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse, la Commission n’a violé ni l’article 7, paragraphe 1, sous f), ii), ni l’article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012 en ce qu’elle a considéré que le cahier des charges et le document unique contenaient des éléments permettant d’établir l’existence d’un lien entre la réputation du produit visé et son origine géographique, au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1151/2012.
54 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel, eu égard à l’arrêt du TAR Lazio ayant partiellement annulé le cahier des charges au motif que ce dernier reconnaissait l’existence d’un lien entre la réputation de la piadina produite industriellement et l’aire géographique visée, la Commission aurait dû constater que le cahier des charges était entaché de vices en ce qui concerne l’existence de ce lien, il convient de relever que, en annulant l’arrêt du TAR Lazio, le Consiglio di Stato (Conseil d’État), qui est la juridiction administrative suprême nationale, a confirmé l’existence d’un lien entre la piadina romagnola, produite tant artisanalement qu’industriellement, et l’aire géographique visée du fait de la réputation de ce produit, attribuable au fait qu’il provient de cette aire géographique. En conséquence, le grief de la requérante fondé sur l’arrêt du TAR Lazio ne saurait prospérer.
55 Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la demande d’enregistrement, du défaut d’instruction ainsi que de la violation du principe de bonne administration
56 Le deuxième moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la demande d’enregistrement, d’un défaut d’instruction de cette demande et de la violation du principe de bonne administration, tel qu’énoncé à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, en ce que la Commission n’aurait pas correctement apprécié si les conditions de l’enregistrement de l’IGP litigieuse étaient remplies, notamment en ignorant, lors de l’adoption du règlement attaqué, que le TAR Lazio avait partiellement annulé le cahier des charges accompagnant cette demande.
57 À cet égard, en se référant aux obligations de vérification qui incombent à la Commission en vertu de l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, lu à la lumière du considérant 58 de celui-ci, la requérante estime que la Commission ne pouvait « se limiter à reporter le contenu du cahier des charges », mais devait procéder à une instruction appropriée de la demande.
58 Selon la requérante, la Commission disposait, en l’espèce, de suffisamment d’éléments pour avoir des doutes quant à l’existence d’une erreur manifeste entachant le cahier des charges en ce qui concerne la réputation de la piadina industrielle aux fins de l’enregistrement de l’IGP litigieuse, tout particulièrement eu égard à l’annulation du cahier des charges par le TAR Lazio.Ce serait ainsi à tort et en violation de l’obligation d’instruction et du principe de bonne administration que la Commission a considéré que les conséquences de l’arrêt du TAR Lazio devaient être appréciées uniquement sur le plan national sans qu’elle soit tenue de procéder à une appréciation autonome des conséquences d’une telle annulation sur la demande d’enregistrement. La requérante conteste que la Commission ait pu se fier à des assurances données à cet égard par les autorités nationales, considérant, notamment, le principe d’appréciation autonome de la demande d’enregistrement par la Commission, que celle-ci indique avoir respecté en l’espèce.
59 La requérante estime que, eu égard au partage des compétences entre les autorités nationales et la Commission dans le cadre de la procédure d’enregistrement des IGP, prévu par le règlement no 1151/2012 et confirmé par la jurisprudence, la Commission aurait dû suspendre la procédure d’enregistrement pendante devant elle en tenant compte du fait qu’une juridiction nationale avait établi que la phase nationale d’enregistrement, précédant obligatoirement la phase à l’échelle de l’Union, ne s’était pas déroulée correctement.
60 La requérante soutient qu’aucune raison ne permet de justifier que, alors que l’arrêt du TAR Lazio avait annulé le cahier des charges, la Commission ait adopté le règlement attaqué, rendant ainsi exécutoire ledit cahier des charges dans toute l’Union malgré son annulation dans l’ordre juridique dont il provenait.
61 La Commission, soutenue par la République italienne et le Co.P.Rom, estime qu’elle a correctement examiné, en l’espèce, la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse en ce qu’elle a adopté le règlement attaqué à l’issue d’une procédure longue et d’un examen approfondi par les « moyens appropriés » au sens de l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012.
62 S’agissant de l’erreur manifeste prétendument contenue dans le cahier des charges dans la mesure où celui-ci reconnaissait la réputation de la piadina industrielle, la Commission indique que, dans le cadre de son contrôle, elle a estimé que le cahier des charges satisfaisait intrinsèquement aux critères prévus par le règlement no 1151/2012 pour la reconnaissance de l’IGP. Elle conteste avoir fait siennes, sans les avoir examinées de manière critique et autonome au regard de ces critères, les appréciations faites par les autorités nationales, ce qui serait démontré, notamment, par les demandes de modification du cahier des charges adressées à celles-ci.
63 En ce qui concerne une éventuelle conséquence de la procédure suivie devant les juridictions nationales et de l’arrêt du TAR Lazio sur la procédure d’enregistrement à l’échelle de l’Union, la Commission fait valoir qu’il ressort de l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 que ces deux procédures peuvent se dérouler en parallèle. Les procédures nationales n’auraient ainsi pas pour effet de suspendre la phase d’enregistrement en cours devant la Commission, le règlement no 1151/2012 ne l’obligeant pas à procéder à une telle suspension.
64 La Commission souligne que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, quand bien même les procédures nationales pourraient avoir une incidence sur la validité ou le contenu du cahier des charges ou sur l’intégralité de la demande d’enregistrement qui lui est transmise, cela ne constituerait qu’un élément de fait présenté par l’État membre dans le cadre de la transmission de la demande d’enregistrement. En conséquence, elle ne serait pas tenue d’apprécier de manière autonome les effets que ces procédures nationales produisent sur la demande d’enregistrement et il appartiendrait aux seules autorités nationales de les apprécier et, le cas échéant, de modifier le cahier des charges ou de retirer, en tout ou en partie, la demande d’enregistrement. La Commission souligne qu’une procédure en deux phases, comme celle de l’enregistrement des IGP, ne peut fonctionner de manière efficace que si elle repose sur la confiance que la Commission accorde à l’État membre quant au fait que la demande d’enregistrement qui lui est soumise par celui-ci est celle sur laquelle il souhaite qu’elle se prononce. Ainsi, elle estime que la confiance qu’elle a placée dans les autorités nationales en les interrogeant quant à leur intention de poursuivre la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse malgré le caractère exécutoire de l’arrêt du TAR Lazio doit être considérée comme pleinement légitime et conforme à l’esprit du système d’enregistrement institué par le règlement no 1151/2012.
65 Ainsi, eu égard au système de partage des compétences entre les États membres et la Commission en matière d’enregistrement des IGP, cette dernière estime n’avoir commis ni erreur d’appréciation ni défaut d’instruction en publiant la demande d’enregistrement et en procédant à l’enregistrement de l’IGP litigieuse en ne tenant pas compte de l’arrêt du TAR Lazio. Elle estime avoir également agi dans le respect du principe de bonne administration et souligne notamment avoir entretenu des contacts réguliers tant avec les représentants de la requérante qu’avec les autorités nationales et avoir tenu compte des intérêts des producteurs de la piadina romagnola qui avaient demandé l’enregistrement de l’IGP litigieuse, ce qui démontrerait son impartialité.
66 Il convient de constater que dans le cadre du deuxième moyen la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a commis un vice de procédure et qu’elle ne s’est pas correctement acquittée des obligations de vérification lui incombant en vertu du règlement no 1151/2012 en ayant ignoré, dans le cadre de son appréciation de la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse, le fait que le cahier des charges sur lequel cette demande était fondée avait été partiellement annulé par le TAR Lazio. En conséquence, la requérante doit être regardée comme soutenant que la Commission a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement, a méconnu son devoir d’instruction du dossier et a agi en violation du principe de bonne administration.
67 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, avant de procéder à l’enregistrement de l’IGP demandée, la Commission doit apprécier, conformément à l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, lu à la lumière du considérant 58 de celui-ci, à l’issue d’un examen approfondi, si, d’une part, le cahier des charges qui accompagne la demande d’enregistrement contient les éléments exigés par le règlement no 1151/2012 et si ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes et, d’autre part, si la dénomination remplit les conditions de l’enregistrement d’une IGP énoncées à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012. La Commission doit conduire cette appréciation de manière autonome au regard des critères d’enregistrement d’une IGP prévus par le règlement no 1151/2012 afin d’assurer l’application correcte de ce règlement.
68 En outre, les institutions sont tenues d’exercer leurs compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de bonne administration (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 73).
69 Aux termes de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, le droit à une bonne administration comporte notamment le droit de toute personne de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union. Ce droit reflète un principe général du droit de l’Union (arrêt du 8 mai 2014, N., C‑604/12, EU:C:2014:302, point 49).
70 Il ressort également de la jurisprudence que le principe de bonne administration consiste, notamment, dans l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14).
71 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier, en l’espèce, si le fait, admis par la Commission (voir point 64 ci-dessus), d’avoir considéré qu’il ne lui appartenait pas d’évaluer les conséquences de l’arrêt du TAR Lazio ayant partiellement annulé le cahier des charges sur la demande d’enregistrement de l’IGP litigieuse pendante devant elle permet d’établir qu’elle a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement ou qu’elle a violé son devoir d’instruire correctement le dossier et le principe de bonne administration, ainsi que le fait valoir la requérante.
72 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il résulte tant du libellé que de l’économie du règlement no 1151/2012 que le cahier des charges constitue l’instrument qui détermine l’étendue de la protection uniforme que ce règlement instaure dans l’Union (voir, par analogie, arrêt du 20 mai 2003, Ravil, C‑469/00, EU:C:2003:295, point 75). En effet, l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 énonce qu’une IGP doit respecter un cahier des charges et énumère, de manière non exhaustive, les éléments que ce cahier des charges doit comporter. Celui-ci fait partie du dossier de la demande d’enregistrement soumis à la Commission conformément à l’article 8 du même règlement. L’article 12, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 prévoit que les IGP peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges correspondant. L’article 13 du règlement no 1151/2012 détermine en outre le contenu de la protection uniforme conférée à la dénomination enregistrée.
73 Le cahier des charges contient ainsi la définition détaillée du produit protégé, établie par les producteurs concernés, sous le contrôle de l’État membre qui le transmet, puis de la Commission qui enregistre l’IGP. Cette définition détermine à la fois l’étendue des obligations à respecter aux fins de l’utilisation de l’IGP et, son corollaire, l’étendue du droit protégé à l’égard des tiers par l’effet de l’enregistrement de l’IGP, lequel consacre au niveau de l’Union des règles énoncées ou visées dans le cahier des charges (voir, par analogie, arrêt du 20 mai 2003, Ravil, C‑469/00, EU:C:2003:295, points 79 et 80).
74 Ainsi, eu égard au fait qu’en adoptant un règlement portant enregistrement d’une IGP la Commission consacre à l’échelle de l’Union, par l’effet de son enregistrement par un acte de l’Union, l’étendue des obligations à respecter aux fins de l’utilisation de l’IGP et l’étendue du droit protégé à l’égard des tiers tels qu’ils sont définis par le cahier des charges, elle doit s’assurer, dans le cadre de sa mission de vérification rappelée au point 67 ci-dessus, que cet enregistrement repose sur un cahier des charges valide.
75 Il s’ensuit que le fait pour la Commission d’avoir estimé qu’il ne lui appartenait pas d’évaluer de manière autonome les conséquences de l’annulation du cahier des charges par une juridiction nationale sur la demande d’enregistrement pendante devant elle et d’avoir enregistré l’IGP litigieuse nonobstant cette annulation doit être considéré comme impliquant qu’elle a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement et qu’elle a méconnu son devoir d’instruction et le principe de bonne administration, ainsi que le fait valoir la requérante.
76 En effet, premièrement, la Commission a irrégulièrement procédé à l’enregistrement de l’IGP litigieuse sur le fondement d’une demande d’enregistrement comportant un cahier des charges partiellement annulé par une juridiction nationale, alors que celui-ci définit l’étendue de la protection du droit conféré par cet enregistrement.
77 Afin d’éviter de consacrer à l’échelle de l’Union l’étendue d’un droit protégé à l’égard des tiers qui trouve son origine dans un acte national invalide, la Commission aurait dû rejeter la demande d’enregistrement à l’issue d’un examen formel, en application de l’article 52 du règlement no 1151/2012, au motif que celle-ci était incomplète, contrairement aux prescriptions de l’article 8 dudit règlement, le cahier des charges qui l’accompagnait n’étant pas valide.
78 Deuxièmement, la Commission a procédé en violation du principe de bonne administration, lequel justifiait que, à tout le moins, elle attende l’issue des procédures juridictionnelles nationales avant d’enregistrer l’IGP litigieuse pour s’assurer que cet enregistrement reposait sur des actes nationaux valides.
79 La Commission fait valoir à cet égard, en invoquant l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 et en s’appuyant sur l’ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission (T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946), que les deux phases de la procédure d’enregistrement d’une IGP, à savoir la phase nationale, qui comprend les procédures juridictionnelles, et la phase à l’échelle de l’Union, peuvent se dérouler en parallèle. Elle insiste sur le fait que le règlement no 1151/2012 ne contient pas de dispositions prévoyant que la saisine d’une juridiction nationale en ce qui concerne les actes adoptés lors de la phase nationale de la procédure d’enregistrement des dénominations en tant qu’IGP aurait un effet suspensif s’agissant de la phase de cette procédure qui se déroule devant la Commission.
80 À cet égard, il convient de relever qu’il est certes vrai que le règlement no 1151/2012 ne prévoit pas d’effet suspensif « automatique » de la procédure à l’échelle de l’Union dans l’hypothèse où une juridiction nationale serait saisie d’un recours contre un acte adopté sur le plan national, mais s’inscrivant dans la procédure d’enregistrement d’une IGP. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de l’exercice de ses compétences en vertu du règlement no 1151/2012, la Commission doit respecter notamment le principe de bonne administration et examiner tous les éléments pertinents en vue de l’enregistrement d’une IGP demandée, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 68 à 70 ci-dessus.
81 Or, en l’espèce, l’annulation du cahier des charges par le TAR Lazio constitue un tel élément pertinent eu égard au fait que, ainsi que le fait valoir, en substance, la requérante, d’une part, la Commission n’était pas en présence d’une demande d’enregistrement complète provenant d’un État membre dès lors que le contrôle juridictionnel avait été exercé et avait conduit au prononcé d’une illégalité partielle de l’un des actes nationaux faisant partie de cette demande et, d’autre part, l’enregistrement de l’IGP litigieuse a reposé sur un cahier des charges alors invalide alors que celui-ci a déterminé l’étendue de la protection conférée par cette IGP.
82 Le fait, avancé par la Commission, que le règlement no 1151/2012 prévoit la procédure de modification du cahier des charges en application de son article 53 ou celle de l’annulation de l’IGP enregistrée, en vertu de l’article 54 de ce règlement, ne saurait justifier d’enregistrer une IGP alors que, au moment de l’adoption du règlement correspondant, le cahier des charges de cette IGP était partiellement annulé. En effet, il est contraire au principe de bonne administration d’enregistrer une IGP pour par la suite l’annuler ou pour engager la procédure de modification du cahier des charges en tenant compte des circonstances déjà connues de la Commission au moment de l’adoption du règlement procédant à l’enregistrement de l’IGP en cause. La procédure d’annulation ou de modification du cahier des charges ne saurait servir à pallier les défauts de la procédure d’enregistrement d’une IGP qui auraient pu être évités si l’examen avait été conduit en respectant le principe de bonne administration (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 octobre 2015, Zentralverband des Deutschen Bäckerhandwerks/Commission, T‑49/14, non publié, EU:T:2015:755, points 63 et 64).
83 Cette conclusion n’est pas infirmée par les appréciations faites dans l’ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission (T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 36), ni contraire à celles-ci. En effet, il ressort de cette ordonnance, ainsi que de l’ordonnance du 13 avril 2016, Cyprus Turkish Chamber of Industry e.a./Commission (T‑41/16 R, non publiée, EU:T:2016:217, point 39), que, si une décision d’un juge national annulant le cahier des charges accompagnant une demande d’enregistrement est adoptée et si l’enregistrement à l’échelle de l’Union n’est pas encore intervenu, comme c’était le cas en l’espèce, « une telle évolution sur le plan national pourrait […] amener la Commission à rejeter la demande d’enregistrement, en application de l’article 52 du règlement no 1151/2012 ». Dans la mesure où, au moment de l’annulation partielle du cahier des charges par le TAR Lazio, le règlement attaqué n’avait pas encore été adopté, la Commission était donc en droit de rejeter la demande d’enregistrement en application de l’article 52 du règlement no 1151/2012.
84 Troisièmement, la Commission a également agi en violation de son devoir d’instruction en ayant considéré qu’il ne lui appartenait pas d’évaluer de manière autonome les conséquences de l’annulation du cahier des charges par le TAR Lazio sur la procédure d’enregistrement de l’IGP pendante devant elle et en ayant procédé à la publication de la demande d’enregistrement et à l’enregistrement de l’IGP litigieuse en s’appuyant sur les seuls souhaits des autorités nationales exprimés en ce sens (voir points 10 et 64 ci-dessus).
85 Il est vrai qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de tirer les conséquences d’une annulation du cahier des charges par le juge national en ce que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, l’appréciation visant à établir si les conditions d’enregistrement d’une IGP sont remplies doit être faite par les autorités nationales sous le contrôle, le cas échéant, des juridictions nationales avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission (voir, par analogie, arrêt du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 93).
86 En conséquence, il est certes préférable, ainsi que le soutient la Commission, que les autorités nationales lui soumettent une demande d’enregistrement uniquement à l’issue des éventuelles procédures juridictionnelles nationales, c’est-à-dire au moment où il n’existe plus de doutes quant à la validité des actes adoptés dans le cadre de la phase nationale de la procédure d’enregistrement d’une IGP, ou qu’elles retirent une demande déjà déposée si un de ces actes est invalidé par une juridiction nationale. En effet, étant donné que ces actes nationaux sont insérés dans une procédure qui conduit à l’adoption d’un acte à l’échelle de l’Union, l’État membre à l’origine de la demande est tenu de respecter l’exigence du contrôle juridictionnel effectif desdits actes (voir, par analogie, arrêt du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C‑97/91, EU:C:1992:491, point 15).
87 Toutefois, si une telle demande d’enregistrement est soumise à la Commission alors que les procédures judiciaires nationales sont encore pendantes ou, d’autant plus, qu’il existe une décision d’un juge national invalidant un des actes qui fait partie de la demande d’enregistrement, la Commission ne saurait s’estimer obligée de poursuivre, nonobstant les souhaits exprimés en ce sens par les autorités nationales, la procédure d’enregistrement au risque, d’une part, d’adopter un acte de l’Union qui se fonderait sur des actes nationaux invalides, tels que le cahier des charges, alors que celui-ci définit l’étendue du droit protégé par une IGP enregistrée, et, d’autre part, de priver d’effet utile le contrôle juridictionnel sur le plan national des actes nationaux s’inscrivant dans la procédure d’enregistrement d’une IGP.
88 Or, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 34 ci-dessus, que la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si l’État membre a vérifié, sous le contrôle des juridictions nationales, si elle était justifiée. Il appartient aux juridictions nationales de statuer sur la légalité d’une demande d’enregistrement d’une dénomination, telle que celle en cause en l’espèce, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de porter atteinte aux droits que les tiers tirent du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 58 et jurisprudence citée, et du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 57).
89 En revanche, l’interprétation du système de répartition des compétences en matière d’enregistrement des IGP, défendue par la Commission, selon laquelle il appartient aux seules autorités nationales d’évaluer les conséquences d’une annulation par une juridiction nationale d’un cahier des charges et à la Commission de suivre ces autorités en s’appuyant sur la confiance qu’elle accorde à l’État membre quant au fait que la demande qui lui est soumise est celle sur laquelle il souhaite qu’elle se prononce, aboutit à un résultat contraire à l’esprit de ce système dans lequel la Commission est liée par les « appréciations » ou par les « souhaits » des autorités nationales, alors qu’elle joue un rôle autonome dans la procédure d’enregistrement d’une IGP ayant pour effet de consacrer un droit à l’échelle de l’Union par l’adoption d’un acte de l’Union.
90 Les contacts avec les autorités nationales constituent, certes, un « moyen approprié » au sens de l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 visant à établir la pertinence de l’ensemble des éléments portés à la connaissance de la Commission aux fins des vérifications qu’elle doit effectuer. Toutefois, s’agissant, comme en l’espèce, des conséquences à tirer du fait que le cahier des charges tel qu’il a été soumis à la Commission avec la demande d’enregistrement n’était plus valide au moment de l’adoption du règlement attaqué, la Commission ne pouvait se limiter à demander aux autorités nationales leur avis quant à l’opportunité de poursuivre la procédure pendante devant elle, ni se fier aux appréciations faites par ces autorités, mais devait, dans le cadre de l’exercice de ses compétences relatives à l’enregistrement d’une IGP, procéder à une appréciation autonome des conséquences d’un tel fait sur la procédure pendante devant elle.
91 En effet, afin de respecter le système de partage des compétences en matière d’enregistrement des IGP et afin de s’acquitter correctement de ses obligations de vérification, telles qu’elles résultent du règlement no 1151/2012, la Commission aurait dû, en l’espèce, constater l’absence d’un cahier des charges valide du fait de son annulation par le TAR Lazio et soit rejeter la demande à l’issue d’un examen formel, en application de l’article 52 du règlement no 1151/2012, au motif que celle-ci était incomplète contrairement aux prescriptions de l’article 8 dudit règlement, soit attendre l’issue des procédures juridictionnelles nationales avant de l’enregistrer pour s’assurer que cet enregistrement reposait sur des actes nationaux valides.
92 Il résulte de ce qui précède que la Commission a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement, en ce qu’elle a fait reposer l’enregistrement de l’IGP litigieuse sur un acte national invalide. En outre, elle a agi en violation du principe de bonne administration, lequel justifiait que, à tout le moins, elle attende l’issue des procédures juridictionnelles nationales avant d’enregistrer l’IGP litigieuse pour s’assurer que cet enregistrement reposait sur des actes nationaux valides. Enfin, en n’ayant pas évalué de manière autonome les conséquences résultant de l’absence d’un cahier des charges valide, notamment en ce qui concerne l’opportunité de rejeter la demande en raison de son caractère incomplet ou l’opportunité de reporter l’adoption du règlement attaqué jusqu’à l’aboutissement des procédures juridictionnelles nationales dans lesquelles la validité du cahier des charges avait été mise en cause, la Commission a méconnu son devoir d’instruction du dossier. Le deuxième moyen est donc fondé.
93 Toutefois, l’arrêt du TAR Lazio ayant été annulé par l’arrêt du Consiglio di Stato qui a ainsi confirmé la validité du cahier des charges, la constatation du fait que la Commission a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement et de la violation par la Commission de son devoir d’instruction et du principe de bonne administration au moment de l’adoption du règlement attaqué ne saurait conduire, en l’espèce, à l’annulation de celui-ci dans la mesure où la Commission, si elle devait reprendre la procédure au moment où elle a été entachée des vices constatés par le Tribunal, serait amenée, dans le cadre de la nouvelle procédure, à apprécier la même demande d’enregistrement accompagnée du même cahier des charges. En conséquence, le deuxième moyen, quand bien même il est fondé, ne peut pas avoir pour effet d’entraîner l’annulation du règlement attaqué.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective au sens des articles 6 et 13 de la CEDH et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux
94 Dans le cadre du troisième moyen, la requérante fait valoir que, en omettant de tirer les conséquences d’une annulation par la juridiction nationale du cahier des charges pour la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse à l’échelle de l’Union, la Commission a violé son droit à une protection juridictionnelle effective, tel qu’il est garanti par les articles 6 et 13 de la CEDH et par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, en ce qu’une telle omission aurait pour effet de vider de sa substance son droit de contester, sur le plan national, le cahier des charges.
95 La requérante rappelle qu’il ressort tant de l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 que de la jurisprudence qu’il incombe aux États membres d’assurer que toute personne ayant un intérêt légitime dispose de voies de recours devant les juridictions nationales contre les actes nationaux adoptés dans le cadre de la procédure d’enregistrement d’une IGP, notamment contre une demande d’enregistrement et contre un cahier des charges, qui constituent une étape essentielle de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union.
96 Or, l’adoption du règlement attaqué, en dépit de l’arrêt du TAR Lazio qui lui était favorable, aurait violé son droit de contester, sur le plan national, le contenu de la demande d’enregistrement et du cahier des charges.
97 La Commission conteste les arguments de la requérante et conclut au rejet du troisième moyen.
98 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH et qui a également été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. Il incombe notamment aux juridictions des États membres, par application du principe de coopération énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, points 37 et 38 et jurisprudence citée).
99 Ainsi qu’il ressort de l’examen du deuxième moyen, la Commission a irrégulièrement accueilli la demande d’enregistrement et a agi en violation de son devoir d’instruction du dossier et du principe de bonne administration en ne tenant pas compte des conséquences de l’annulation du cahier des charges par le TAR Lazio sur la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse pendante devant elle.
100 Toutefois, un tel vice de procédure ne saurait constituer une violation du droit à la protection juridictionnelle effective au sens des articles 6 et 13 de la CEDH et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.
101 En effet, d’une part, il convient de relever que la requérante a pu saisir les juridictions italiennes d’un recours à l’encontre du cahier des charges, de sorte qu’elle a effectivement exercé le droit dont elle disposait, en vertu de l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012, de contester, devant le juge national, la légalité des actes nationaux relevant de la procédure d’enregistrement de l’IGP litigieuse.
102 D’autre part, la requérante a demandé l’annulation du règlement attaqué devant le juge de l’Union. Il est certes vrai que le fait pour la Commission d’avoir adopté le règlement attaqué en dépit du fait que la requérante avait eu gain de cause dans le cadre d’un recours devant un juge national ayant abouti à l’annulation partielle du cahier des charges pourrait être considéré comme vidant de sa substance ladite décision du juge national de sorte que, afin de préserver l’effet utile de celle-ci, la requérante a été obligée d’introduire le recours en annulation du règlement attaqué. Toutefois, en introduisant un tel recours, la requérante a effectivement exercé son droit à la protection juridictionnelle effective consacré aux articles 6 et 13 de la CEDH et à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux.
103 Au regard de l’ensemble de ces éléments, le troisième moyen doit être rejeté et, en conséquence, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’adopter les mesures d’instruction de la procédure demandées par la requérante.
Sur les dépens
104 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du même règlement, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.
105 Selon la jurisprudence, il y a lieu de faire application de cette disposition lorsqu’une institution ou un organisme de l’Union a favorisé, par son comportement, la naissance du litige [voir arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a./Commission, T‑536/11, EU:T:2015:476, point 391 (non publié) et jurisprudence citée].
106 En l’espèce, quand bien même la requérante a succombé en ses conclusions, il ressort de l’analyse du deuxième moyen que c’est irrégulièrement et en violation de son devoir d’instruction du dossier et du principe de bonne administration que la Commission a adopté le règlement attaqué nonobstant l’absence d’un cahier des charges valide, qui a été partiellement annulé par l’arrêt du TAR Lazio. En outre, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de l’examen du troisième moyen, un tel comportement a contraint la requérante à introduire le présent recours afin de préserver l’effet utile de cette annulation.
107 L’introduction du présent recours avait donc pour origine notamment des irrégularités de procédure commises par la Commission. Il convient d’en conclure que la Commission a favorisé, par son comportement, à tout le moins partiellement, la naissance du litige au sens de la jurisprudence rappelée au point 105 ci-dessus.
108 Ainsi, indépendamment du rejet du recours, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens de la Commission afférents à la présente procédure et que la Commission supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens de la requérante afférents à cette procédure.
109 En ce qui concerne les dépens relatifs à la procédure de référé, la requérante et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens.
110 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
111 En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 supportera ses propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que le Co.P.Rom, intervenu au soutien des conclusions de la Commission, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) CRM srl supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens de la Commission européenne afférents à la présente procédure.
3) La Commission supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens de CRM afférents à la présente procédure.
4) CRM et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens relatifs à la procédure de référé.
5) La République italienne et le Consorzio di Promozione e Tutela della Piadina Romagnola (Co.P.Rom) supporteront leurs propres dépens.
Prek | Buttigieg | Berke |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 avril 2018.
Signatures
* Langue de procédure : l’italien.
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