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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Cobra Servicios Auxiliares (Social policy - Judgment) French Text [2019] EUECJ C-29/18 (11 April 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2019/C2918.html Cite as: EU:C:2019:315, [2019] EUECJ C-29/18, ECLI:EU:C:2019:315 |
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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 avril 2019 (*)
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Notion de “conditions d’emploi” – Comparabilité des situations – Justification – Notion de “raisons objectives” – Indemnité en cas de résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée pour un motif objectif – Indemnité moindre versée à l’échéance d’un contrat de travail “pour tâche occasionnelle” »
Dans les affaires jointes C‑29/18, C‑30/18 et C‑44/18,
ayant pour objet trois demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne), par décisions des 27 décembre 2017 (C‑29/18), 26 décembre 2017 (C‑30/18) et 29 décembre 2017 (C‑44/18), parvenues à la Cour les 17 janvier 2018 (C‑29/18 et C‑30/18) et 24 janvier 2018 (C‑44/18), dans les procédures
Cobra Servicios Auxiliares SA
contre
José David Sánchez Iglesias (C‑29/18),
José Ramón Fiuza Asorey (C‑30/18),
Jesús Valiño Lopez (C‑44/18),
FOGASA (C‑29/18 et C‑44/18),
Incatema SL,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz, E. Levits, C. Vajda et P. G. Xuereb, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et N. Ruiz García, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), ainsi que des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant Cobra Servicios Auxiliares SA (ci-après « Cobra ») à MM. José David Sánchez Iglesias (C‑29/18), José Ramón Fiuza Asorey (C‑30/18) et Jesus Valiño Lopez (C‑44/18) (ci-après, ensemble, les « intéressés ») ainsi qu’à FOGASA (C‑29/18 et C‑44/18) et à Incatema SL, au sujet du versement d’une indemnité à la suite de la résiliation des contrats de travail pour tâche occasionnelle liant les intéressés à Cobra.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 14 de la directive 1999/70 énonce :
« [L]es parties signataires ont souhaité conclure un accord-cadre sur le travail à durée déterminée énonçant les principes généraux et prescriptions minimales relatifs aux contrats et aux relations de travail à durée déterminée ; elles ont manifesté leur volonté d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en garantissant l’application du principe de non-discrimination et d’établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations de travail ou de contrats à durée déterminée successifs ».
4 Aux termes de l’article 1er de la directive 1999/70, celle-ci « vise à mettre en œuvre l’[accord-cadre], conclu [...] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ».
5 Le troisième alinéa du préambule de l’accord-cadre précise :
« [L’accord-cadre] énonce les principes généraux et prescriptions minimales relatifs au travail à durée déterminée, reconnaissant que leur application détaillée doit prendre en compte les réalités des situations spécifiques nationales, sectorielles, et saisonnières. Il illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination et pour l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée sur une base acceptable pour les employeurs et les travailleurs. »
6 Selon la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet, d’une part, d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination et, d’autre part, d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.
7 La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée « Définitions », dispose :
« Aux termes du présent accord, on entend par :
1. “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;
2. “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences [...] »
8 La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », prévoit, à son point 1 :
« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. »
Le droit espagnol
9 L’article 15 du texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (texte refondu de la loi sur le statut des travailleurs), approuvé par le Real Decreto Legislativo 1/1995 (décret législatif royal 1/1995), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654), dans sa version applicable à la date des faits au principal (ci-après le « statut des travailleurs »), énonce :
« 1. Le contrat de travail peut être conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée.
Un contrat à durée déterminée peut être conclu dans les cas suivants :
a) [l]orsque le travailleur est engagé en vue de la réalisation d’une tâche déterminée, autonome et détachable de l’ensemble de l’activité de l’entreprise, dont l’exécution, tout en étant limitée dans le temps, est en principe d’une durée incertaine. Ces contrats ne peuvent avoir une durée supérieure à trois ans qui peut être prolongée de douze mois par convention collective sectorielle nationale ou, à défaut, par convention collective sectorielle de niveau inférieur. À l’issue de ces délais, les travailleurs acquièrent le statut de travailleurs permanents de l’entreprise. Les conventions collectives sectorielles nationales et de niveau inférieur, y compris les conventions d’entreprise, peuvent déterminer les travaux ou tâches qui relèvent substantiellement de l’activité normale de l’entreprise et peuvent être couverts par des contrats de cette nature.
[...]
3. Les contrats temporaires conclus en fraude à la loi sont réputés conclus pour une durée indéterminée.
[...] »
10 L’article 49, paragraphe 1, du statut des travailleurs prévoit :
« 1. Le contrat de travail prend fin :
[...]
b) pour les motifs valablement indiqués dans le contrat, à moins que ceux-ci ne constituent un abus de droit manifeste de la part de l’employeur ;
c) à l’expiration du délai convenu ou à l’achèvement de la tâche ou du service faisant l’objet du contrat. À la fin du contrat, excepté dans les cas des contrats d’interinidad et des contrats de formation, le travailleur a le droit de percevoir une indemnité d’un montant équivalent à la part proportionnelle du montant correspondant à la perception de douze jours de salaire par année de service, ou l’indemnité prévue, le cas échéant, par la réglementation spécifique applicable en la matière ;
[...]
i) en cas de licenciement collectif fondé sur des motifs économiques, techniques, d’organisation ou de production ;
[...]
l) pour des raisons objectives légalement admissibles ;
[...] »
11 L’article 51, paragraphe 1, de ce statut dispose :
« Aux fins des dispositions de la présente loi, on entend par licenciement collectif la résiliation de contrats de travail pour des raisons économiques, techniques ou relatives à l’organisation ou à la production lorsque, au cours d’une période de 90 jours, elle affecte au minimum :
a) 10 travailleurs dans les entreprises qui en emploient moins de 100 ;
b) 10 % du nombre des travailleurs dans les entreprises qui emploient entre 100 et 300 travailleurs ;
c) 30 travailleurs dans les entreprises qui emploient plus de 300 travailleurs.
[...]
[...] [L]es raisons sont réputées relatives à la production lorsque des changements interviennent notamment dans la demande des produits ou des services que l’entreprise entend placer sur le marché.
[...] »
12 En vertu de l’article 52 du statut des travailleurs, le contrat de travail peut prendre fin, notamment, pour l’une des raisons visées à l’article 51, paragraphe 1, de ce statut.
13 Conformément à l’article 53, paragraphe 1, sous b), dudit statut, la résiliation d’un contrat de travail au titre de l’article 52 de ce statut donne lieu au versement au travailleur, lors de la notification écrite, d’une indemnité équivalant à 20 jours de salaire par année d’ancienneté, calculée au prorata du nombre de mois travaillés pour les périodes de moins d’un an, dans la limite de douze mensualités.
14 En vertu de l’article 56, paragraphe 1, du statut des travailleurs, en cas de résiliation abusive d’un contrat de travail, l’employeur doit soit réintégrer le travailleur dans l’entreprise, soit procéder au versement d’une indemnité équivalant à 33 jours de salaire par année d’ancienneté.
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
15 Le 1er août 2011, Cobra a conclu avec Unión Fenosa, une société de distribution d’électricité et de gaz, un contrat par lequel cette dernière lui a confié la lecture de compteurs d’électricité, la pose et le remplacement de compteurs, les inspections périodiques, les coupures et les mises hors service ainsi que la lecture mensuelle de compteurs de gaz, sur le territoire de la province de la Corogne (Espagne) (ci-après le « contrat de prestation de services »).
16 Cobra a engagé les intéressés dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée pour tâche occasionnelle liés à la durée du contrat de prestation de services, notamment pour l’exécution des tâches de relève des compteurs des clients d’Unión Fenosa.
17 Le 24 février 2015, Unión Fenosa a informé Cobra que le contrat de prestation de services serait résilié à compter du 31 mars 2015.
18 Cobra a indiqué aux intéressés que, en conséquence de la décision d’Unión Fenosa de résilier le contrat de prestation de services, les relations de travail qui les liaient à Cobra s’éteindraient en raison de la disparition de la tâche à exécuter. Cobra a également informé les intéressés que, à la date de l’extinction desdites relations de travail, ils bénéficieraient, notamment, de l’indemnité prévue à l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs.
19 Cobra a, en outre, entamé une procédure de licenciement collectif, fondé sur des raisons relatives à la production, de 72 travailleurs à durée indéterminée, qui effectuaient également des tâches dans le cadre de l’exécution du contrat de prestation de services.
20 Les intéressés ont intenté des actions en contestation de leur licenciement, notamment contre Cobra, devant le Juzgado de lo Social no 3 de Santiago de Compostela (tribunal du travail no 3 de Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne).
21 Par des jugements rendus au mois de mars 2017, cette juridiction a considéré que les contrats de travail des intéressés étaient frauduleux et que leur résiliation était, par conséquent, dénuée de fondement juridique et constituait un licenciement abusif. Ladite juridiction a condamné Cobra soit à réintégrer les travailleurs concernés, soit à mettre fin à leurs relations de travail et à leur verser l’indemnité pour licenciement abusif prévue à l’article 56, paragraphe 1, du statut des travailleurs.
22 Cobra a interjeté appel de ces jugements devant le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice, Espagne) en faisant valoir que les contrats de travail à durée déterminée en cause au principal étaient valides.
23 Les intéressés soutiennent que, s’il devait être considéré que leurs contrats de travail sont valides, ils devraient, en vertu de la clause 4 de l’accord-cadre et de l’arrêt du 14 septembre 2016, de Diego Porras (C‑596/14, EU:C:2016:683), percevoir l’indemnité pour licenciement collectif prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous b), du statut des travailleurs.
24 La juridiction de renvoi fait observer que, conformément à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour Suprême, Espagne), la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée pour tâche occasionnelle qui porte sur l’exercice d’une activité faisant l’objet d’un contrat de prestation de services conclu entre l’employeur et son client n’implique pas que ledit contrat de travail doit être réputé frauduleux et que la relation de travail doit être requalifiée, en application de l’article 15, paragraphe 3, de ce statut, en relation de travail à durée indéterminée.
25 Il résulterait de cette jurisprudence que la résiliation, par ledit client, du contrat de prestation de services marque l’achèvement de la tâche faisant l’objet du contrat de travail pour tâche occasionnelle, au sens de l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs, et entraîne, partant, l’extinction de ce dernier contrat.
26 Il découlerait, en outre, de ladite jurisprudence que la durée du contrat de travail à durée déterminée pour tâche occasionnelle est liée à l’existence du besoin auquel ce contrat répond et que, généralement, il est difficile de déterminer, dès la conclusion dudit contrat, la date exacte de son extinction. Le Tribunal Supremo (Cour Suprême) aurait ainsi considéré que, aussi longtemps que persiste ce besoin, c’est-à-dire tant que l’employeur est titulaire du contrat de prestation de services, le contrat de travail pour tâche occasionnelle reste valable, étant donné que la durée de celui-ci coïncide avec le besoin auquel il répond.
27 La juridiction de renvoi relève que les contrats de travail à durée déterminée en cause au principal répondent à la notion de contrat « pour tâche occasionnelle », telle qu’interprétée par le Tribunal Supremo (Cour Suprême).
28 Toutefois, en l’occurrence, la résiliation du contrat de prestation de services, qui a entraîné la cessation des relations de travail entre Cobra et plusieurs de ses employés, donnerait lieu, en ce qui concerne les travailleurs à durée déterminée, au versement de l’indemnité correspondant à 12 jours par année de service, prévue à l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs, et, en ce qui concerne les travailleurs à durée indéterminée qui réalisaient le même travail, au versement de l’indemnité correspondant à 20 jours par année de service, prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous b), du statut des travailleurs.
29 Il existerait donc une différence de traitement entre des travailleurs à durée déterminée et des travailleurs à durée indéterminée comparables en ce qui concerne une condition d’emploi, qui résulterait de la disparité du régime juridique prévu par le droit national pour le bénéfice de l’indemnité de cessation de la relation de travail.
30 Tout en relevant que cette disparité s’explique par le fait que la cessation des contrats de travail à durée déterminée et indéterminée en cause au principal, bien qu’ayant pour origine commune la résiliation du contrat de prestation de services, intervient, en ce qui concerne les premiers contrats, à l’échéance du terme pour lequel ils ont été conclus et, quant aux seconds, en raison d’un licenciement collectif, fondé sur une raison étrangère à la durée de la relation de travail, la juridiction de renvoi se demande s’il existe des raisons objectives qui permettraient de justifier la différence de traitement exposée au point précédent du présent arrêt.
31 En cas de réponse négative à cette question, la juridiction de renvoi se demande si, dans la mesure où les litiges au principal opposent des particuliers et où il ne serait pas possible d’interpréter l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs de manière conforme à la directive 1999/70 et à l’accord-cadre, il serait envisageable de considérer, par analogie avec les arrêts du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709), du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21), du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573), ainsi que du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278), qui portent sur le principe général de non-discrimination en fonction de l’âge, qu’il y a lieu de laisser inappliquée cette disposition du droit espagnol, au motif qu’elle est contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination consacrés aux articles 20 et 21 de la Charte.
32 Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia de Galicia (Cour supérieure de justice de Galice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La clause 4 de [l’accord-cadre] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à une réglementation nationale qui, en vertu d’un même fait (la cessation du contrat de prestation de services entre l’employeur et une tierce entreprise, déterminée par celle-ci), prévoit une indemnité moins importante dans le cas de l’extinction d’un contrat de travail à durée déterminée pour tâche occasionnelle dont la durée correspond à celle dudit contrat de prestation de services, que dans le cas de l’extinction des contrats à durée indéterminée de travailleurs comparables dans le cadre d’un licenciement collectif justifié par des causes relatives à la production, lesquelles découlent de la cessation dudit contrat de prestation de services ?
2) En cas de réponse affirmative, faut-il comprendre que le traitement différent réservé aux travailleurs à durée déterminée et au travailleurs à durée indéterminée comparables, en matière d’indemnité pour extinction du contrat justifiée par une même circonstance de fait, bien que fondée sur une cause légale différente, constitue l’une des discriminations interdites en vertu de l’article 21 de la [Charte] et enfreint les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination établis aux articles 20 et 21 de la [C]harte, qui font partie des principes généraux du droit de l’Union ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la résiliation du contrat de prestation de services conclu par l’employeur et l’un de ses clients, d’une part, a eu pour conséquence de mettre fin à des contrats de travail pour tâche occasionnelle liant cet employeur à certains travailleurs, et, d’autre part, a entraîné le licenciement collectif, fondé sur un motif objectif, de travailleurs à durée indéterminée engagés par ledit employeur, l’indemnité pour cessation de la relation de travail versée aux premiers de ces travailleurs est inférieure à celle allouée aux travailleurs à durée indéterminée.
34 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de la clause 1, sous a), de l’accord-cadre, l’un des objets de celui-ci est d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination. De même, à son troisième alinéa, le préambule de l’accord-cadre précise que ce dernier « illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination ». Le considérant 14 de la directive 1999/70 énonce, à cet effet, que l’objectif de l’accord-cadre consiste, notamment, à améliorer la qualité du travail à durée déterminée en fixant des prescriptions minimales de nature à garantir l’application du principe de non-discrimination (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 54 et jurisprudence citée).
35 L’accord-cadre, en particulier sa clause 4, vise à faire application dudit principe aux travailleurs à durée déterminée en vue d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature soit utilisée par un employeur pour priver ces travailleurs de droits qui sont reconnus aux travailleurs à durée indéterminée (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 55 et jurisprudence citée).
36 Eu égard aux objectifs poursuivis par l’accord-cadre, tels que rappelés aux deux points précédents, la clause 4 de celui-ci doit être comprise comme exprimant un principe de droit social de l’Union qui ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 56 et jurisprudence citée).
37 Il importe de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre énonce une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables, au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.
38 En l’occurrence, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, les contrats de travail pour tâche occasionnelle des intéressés ayant été conclus, ainsi qu’il ressort des décisions de renvoi, dans les conditions fixées à l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs, en vue de l’achèvement d’une tâche déterminée, à savoir celle d’effectuer, dans le cadre de l’exécution du contrat de prestation de services, notamment la relève des compteurs des clients d’Unión Fenosa, les intéressés sont des « travailleurs à durée déterminée », au sens de la clause 4, point 1, lue en combinaison avec la clause 3, point 1, de l’accord-cadre.
39 Il convient de rappeler, en deuxième lieu, qu’une indemnité, telle que celle en cause au principal, allouée au travailleur en raison de la résiliation de son contrat de travail le liant à son employeur relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 59 et jurisprudence citée).
40 Il importe de rappeler, en troisième lieu, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de non-discrimination, dont la clause 4, point 1, de l’accord-cadre constitue une expression particulière, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 60 et jurisprudence citée).
41 Pour apprécier si les personnes intéressées exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord-cadre, il y a lieu, conformément à la clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail, ces personnes peuvent être considérées comme se trouvant dans une situation comparable (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 62 et jurisprudence citée).
42 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si les travailleurs à durée déterminée employés par Cobra dans le cadre de contrats pour tâche occasionnelle se trouvent dans une situation comparable à celle des travailleurs engagés pour une durée indéterminée par ce même employeur au cours de la même période (voir, par analogie, arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 63 et jurisprudence citée).
43 Cela étant, il ressort des éléments dont dispose la Cour que les intéressés, lorsqu’ils étaient employés par Cobra dans le cadre de ces contrats, effectuaient les mêmes tâches que celles qui étaient confiées aux travailleurs à durée indéterminée qui ont fait l’objet d’un licenciement collectif.
44 Partant, sous réserve de l’appréciation définitive par la juridiction de renvoi de l’ensemble des éléments pertinents, il y a lieu de considérer que la situation de travailleurs à durée déterminée tels que les intéressés était comparable à celle des travailleurs à durée indéterminée employés par Cobra pour effectuer les mêmes tâches que celles qui étaient confiées aux premiers de ces travailleurs.
45 Il convient dès lors, en quatrième et dernier lieu, de vérifier s’il existe une raison objective justifiant que l’arrivée à échéance des contrats pour tâche occasionnelle, qui résulte directement de la résiliation du contrat de prestation de services, donne lieu au versement aux travailleurs à durée déterminée concernés d’une indemnité inférieure à celle que perçoivent les travailleurs à durée indéterminée lorsque ces derniers sont licenciés, à la suite de la résiliation de ce même contrat de prestation de services, pour l’une des raisons visées à l’article 52 du statut des travailleurs.
46 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, requiert que l’inégalité de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’inscrit et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet. Lesdits éléments peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 68 et jurisprudence citée).
47 En l’occurrence, le gouvernement espagnol invoque la différence existant entre le contexte dans lequel intervient le paiement de l’indemnité visée à l’article 49, paragraphe 1, sous c), du statut des travailleurs et celui dans lequel s’insère le versement de l’indemnité prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous b), de ce statut. La première est due lorsque la tâche faisant l’objet d’un contrat de travail à durée déterminée, tel que les contrats pour tâche occasionnelle en cause au principal, est achevée, tandis que la seconde, d’un taux plus élevé, est versée en cas de licenciement pour l’une des raisons visées à l’article 52 dudit statut, telle que des motifs économiques, techniques ou relatifs à l’organisation ou à la production propres à l’employeur. Ledit gouvernement souligne, en substance, que le versement de la première de ces indemnités intervient à l’occasion d’un événement qui pouvait être anticipé par le travailleur lors de la conclusion de son contrat de travail à durée déterminée. En revanche, la seconde de ces indemnités aurait pour objet de compenser la déception d’un travailleur par rapport aux attentes légitimes qu’il pouvait nourrir quant à la poursuite de la relation de travail, cette déception étant occasionnée par son licenciement pour l’une des raisons visées audit article 52. Cette différence de contexte justifierait que le niveau de l’indemnité accordée au travailleur lors de l’extinction de son contrat de travail ne soit pas identique dans ces deux cas de figure.
48 À cet égard, il convient de relever que le paiement d’une indemnité telle que celle due par Cobra à l’occasion de la fin des contrats de travail pour tâche occasionnelle en cause au principal, dont il était prévu, dès leur conclusion, qu’ils s’éteindraient lors de l’achèvement de la tâche pour laquelle ils avaient été conclus, s’inscrit dans un contexte sensiblement différent, d’un point de vue juridique, de celui dans lequel le contrat de travail d’un travailleur à durée indéterminée comparable est résilié pour des raisons relatives à la production, au sens des articles 51 et 52 du statut des travailleurs, quand bien même ces deux événements trouvent leur origine dans la même circonstance, à savoir, en l’occurrence, la résiliation du contrat de prestation de services.
49 En effet, il découle de la définition de la notion de « contrat à durée déterminée » figurant à la clause 3, point 1, de l’accord-cadre qu’un contrat de cette nature cesse de produire ses effets pour l’avenir à l’échéance du terme qui lui est assigné, ce terme pouvant être constitué par le fait qu’une date précise est atteinte, par la survenance d’un événement donné, ou, comme en l’occurrence, par l’achèvement d’une tâche déterminée. Ainsi, les parties à un contrat de travail à durée déterminée connaissent, dès sa conclusion, la date ou l’événement qui en détermine le terme. Ce terme limite la durée de la relation d’emploi, sans que les parties aient à manifester leur volonté à cet égard après la conclusion dudit contrat (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 71 et jurisprudence citée).
50 En revanche, la résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée pour l’une des raisons prévues à l’article 52 du statut des travailleurs, à l’initiative de l’employeur, résulte de la survenance de circonstances qui n’étaient pas prévues à la date de la conclusion de celui-ci et qui viennent bouleverser le déroulement normal de la relation de travail (arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 72 et jurisprudence citée). Ainsi qu’il ressort des explications du gouvernement espagnol, rappelées au point 47 du présent arrêt, c’est précisément afin de compenser le caractère imprévu de la rupture de la relation de travail pour une telle raison et, partant, la déception du travailleur par rapport aux attentes légitimes qu’il pouvait nourrir à cette date quant à la stabilité de ladite relation, que l’article 53, paragraphe 1, sous b), du statut des travailleurs requiert, dans un tel cas, le paiement audit travailleur licencié d’une indemnité équivalant à 20 jours de salaire par année d’ancienneté.
51 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, lorsque des contrats de travail sont résiliés pour l’une des raisons prévues à l’article 52 du statut des travailleurs, le droit espagnol n’opère aucune différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée comparables, l’article 53, paragraphe 1, sous b), de ce statut prévoyant une indemnité légale équivalant à 20 jours de salaire par année d’ancienneté dans l’entreprise au bénéfice du travailleur, indépendamment du caractère déterminé ou indéterminé de la durée de son contrat de travail.
52 À cet égard, ainsi que l’a relevé la Commission européenne, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si, au regard du fait que les contrats de travail pour tâche occasionnelle en cause au principal étaient liés à la durée du contrat de prestation de services et que celui-ci a été résilié de manière anticipée, il convient de considérer qu’il a été mis fin à ces contrats de travail, avant l’échéance du terme qui leur avait été assigné, pour l’une des raisons visées à l’article 52 du statut des travailleurs et si, par conséquent, il y a lieu d’octroyer aux intéressés l’indemnité prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous b), dudit statut.
53 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’objet spécifique de l’indemnité de licenciement prévue à l’article 53, paragraphe 1, sous b), du statut des travailleurs, de même que le contexte particulier dans lequel s’inscrit le versement de cette indemnité, constitue une raison objective justifiant la différence de traitement en cause au principal (arrêts du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 63 ; du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 60, et du 21 novembre 2018, de Diego Porras, C‑619/17, EU:C:2018:936, point 74).
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la résiliation du contrat de prestation de services conclu par l’employeur et l’un de ses clients, d’une part, a eu pour conséquence de mettre fin à des contrats de travail pour tâche occasionnelle, liant cet employeur à certains travailleurs, et, d’autre part, a entraîné le licenciement collectif, fondé sur un motif objectif, de travailleurs à durée indéterminée engagés par ledit employeur, l’indemnité pour cessation de la relation de travail versée aux premiers de ces travailleurs est inférieure à celle allouée aux travailleurs à durée indéterminée.
Sur la seconde question
55 Il ressort des décisions de renvoi, en substance, que la seconde question n’est posée qu’en cas de réponse affirmative à la première question. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la résiliation du contrat de prestation de services conclu par l’employeur et l’un de ses clients, d’une part, a eu pour conséquence de mettre fin à des contrats de travail pour tâche occasionnelle, liant cet employeur à certains travailleurs, et, d’autre part, a entraîné le licenciement collectif, fondé sur un motif objectif, de travailleurs à durée indéterminée engagés par ledit employeur, l’indemnité pour cessation de la relation de travail versée aux premiers de ces travailleurs est inférieure à celle allouée aux travailleurs à durée indéterminée.
Signatures
* Langue de procédure : l’espagnol.
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