Fred Olsen v Naviera Armas (Order) French Text [2019] EUECJ C-319/18P_CO (25 June 2019)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2019/C31918P_CO.html
Cite as: ECLI:EU:C:2019:542, EU:C:2019:542, [2019] EUECJ C-319/18P_CO

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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

25 juin 2019 (*)

« Pourvoi – Aides d’État – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Droit exclusif d’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves (Espagne) accordé à une compagnie de transport maritime – Décision constatant l’absence d’aides d’État au terme de la procédure d’examen préliminaire – Avantage accordé au moyen de ressources d’État – Critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché »

Dans l’affaire C‑319/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 mai 2018,

Fred Olsen SA, établie à Santa Cruz de Tenerife (Espagne), représentée par Mes J. M. Rodríguez Cárcamo et A. M. Rodríguez Conde, abogados,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Naviera Armas SA, établie à Las Palmas de Gran Canaria (Espagne), représentée par Mes J. L. Buendía Sierra et Á. Givaja Sanz, abogados,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar, S. Noë et G. Luengo, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. E. Juhász et I. Jarukaitis (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Fred Olsen SA demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission (T‑108/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:145), par lequel celui-ci a annulé la décision C(2015) 8655 final de la Commission, du 8 décembre 2015, concernant l’aide d’État SA.36628 (2015/NN) (ex 2013/CP) – Espagne – Fred Olsen (ci-après la « décision litigieuse »), dans la mesure où il y a été constaté, au terme de la procédure d’examen préliminaire, que l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves (Espagne) par Fred Olsen n’avait emporté l’octroi d’aucune aide d’État à cette dernière, et a rejeté le recours pour le surplus.

 Les antécédents du litige

2        Les antécédents du litige tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué peuvent être résumés comme suit.

3        Fred Olsen est la seule compagnie maritime à exploiter la ligne de transport commercial de passagers et de marchandises entre Puerto de Las Nieves et le port de Santa Cruz de Tenerife (Espagne) depuis le 21 décembre 1994, date à laquelle la Dirección General de la Marina Mercante del Ministerio de Obras Públicas, Transportes y Medio Ambiente (direction générale de la marine marchande du ministère des Travaux publics, des Transports et de l’Environnement, Espagne) l’a autorisée à exploiter cette ligne.

4        L’utilisation par Fred Olsen de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves est soumise au paiement de plusieurs taxes prévues par l’article 115 bis du decreto legislativo 1/1994 por el que se aprueba el texto refundido de las disposiciones legales vigentes en materia de tasas y precios públicos de la Comunidad Autónoma de Canarias (décret législatif 1/1994 portant approbation de la refonte des dispositions légales en vigueur en matière de taxes et de prix publics de la Communauté autonome des Canaries), du 29 juillet 1994 (BOC no 98, du 10 août 1994, p. 5603). Ces taxes sont relatives, notamment, à l’entrée et au séjour de navires dans le port, à l’accostage, aux passagers, aux marchandises et aux services d’entreposage et d’utilisation de locaux ou de bâtiments.

5        Naviera Armas SA a demandé à plusieurs reprises à la Dirección General de Puertos Canarios (direction générale des ports canariens, Espagne) (ci-après la « DGPC ») l’autorisation d’accoster à Puerto de Las Nieves avec des transbordeurs conventionnels puis avec un transbordeur rapide, ce qui lui a été refusé jusqu’à la réalisation de travaux d’extension de l’infrastructure portuaire en 2014, motifs pris de la capacité d’accueil limitée du port et de la nécessité d’assurer la sécurité des manœuvres de navires à l’entrée de celui-ci.

6        Le 26 avril 2013, Naviera Armas a introduit une plainte auprès de la Commission européenne en alléguant, notamment, que les autorités espagnoles avaient, par diverses mesures relatives à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, accordé des aides d’État illégales à Fred Olsen (ci-après la « plainte »). Au mois d’octobre 2014, la Commission a appris qu’un appel d’offres avait été organisé en vue de l’octroi d’un accès à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport maritime commercial, à la suite des travaux d’agrandissement du port. Par décision du 3 février 2015, la DGPC a attribué le premier lot à Fred Olsen et le second à Naviera Armas. Fred Olsen a contesté cette décision devant le Tribunal Superior de Justicia de Canarias, Sala de lo Contencioso-Administrativo, Sección Primera de Santa Cruz de Tenerife (Cour supérieure de justice des Canaries, chambre du contentieux administratif, première section de Santa Cruz de Tenerife, Espagne) et a obtenu la suspension judiciaire de l’appel d’offres prononcée par ordonnance du 27 février 2015 (ci-après l’« ordonnance du 27 février 2015 »), confirmée par ordonnance du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 7 juillet 2016.

7        Le 8 décembre 2015, la Commission a adopté la décision litigieuse, concluant à l’absence d’aides d’État. Elle a écarté le premier grief contenu dans la plainte relatif à l’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen en considérant, en substance, que cette utilisation n’avait engendré l’octroi d’aucune aide d’État dès lors que les taxes exigées pour cette utilisation étaient les mêmes que celles perçues dans les ports comparables, que le statu quo résultant de l’ordonnance du 27 février 2015 était temporaire et que la DGPC avait entrepris les démarches nécessaires pour assurer un accès ouvert et non discriminatoire à ce port. Elle a, en outre, estimé que le second grief, pris d’une exonération partielle du paiement de certaines taxes portuaires consentie à Fred Olsen, n’était pas fondé, les autorités espagnoles ayant confirmé que Fred Olsen s’était vu imposer l’ensemble des taxes portuaires applicables.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 mars 2016, Naviera Armas a introduit un recours en annulation de la décision litigieuse. Fred Olsen a été admis à intervenir à la procédure au soutien des conclusions de la Commission.

9        À l’appui de son recours, Naviera Armas a soulevé un moyen unique, pris de l’omission, de la part de la Commission, d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en dépit des difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation des mesures dénoncées dans la plainte. Ce moyen unique reposait sur trois séries d’arguments relatifs à la durée de la procédure d’examen préliminaire et à l’intensité des échanges qui ont eu lieu au cours de celle-ci entre la Commission et le Royaume d’Espagne, à des erreurs manifestes commises dans l’appréciation des faits, à des erreurs de droit et à un défaut de motivation.

10      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le moyen unique du recours dans la mesure où il était dirigé contre la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu que les conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen à des fins de transport commercial, dénoncées par Naviera Armas, n’avaient procuré à Fred Olsen aucune aide d’État. Il a, en revanche, rejeté comme non fondé le moyen en tant qu’il visait à l’annulation de la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu en substance que le calcul par la DGPC de la taxe relative aux services d’entreposage et d’utilisation de locaux ou de bâtiments n’avait, comme tel, emporté l’octroi d’aucune aide d’État à Fred Olsen.

 Les conclusions des parties devant la Cour

11      Par son pourvoi, Fred Olsen demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité, de rejeter les conclusions de Naviera Armas demandant l’annulation de la décision litigieuse, de condamner les parties au pourvoi aux dépens exposés par elle dans le cadre de celui-ci et de condamner Naviera Armas aux dépens qu’elle a exposés en première instance.

12      Naviera Armas entend voir rejeter le pourvoi comme étant irrecevable ou, subsidiairement, comme étant non fondé et condamner Fred Olsen aux dépens de la présente procédure.

13      La Commission demande à la Cour de prendre en considération ses observations écrites.

 Sur le pourvoi

14      En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter le pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

15      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

16      À l’appui de son pourvoi, Fred Olsen soulève deux moyens. Le premier est tiré d’une absence de motivation de l’arrêt attaqué quant à la sélectivité des taxes portuaires acquittées par elle, tandis que le second est pris d’une erreur de droit concernant l’applicabilité en l’espèce du critère de l’investisseur privé.

17      Selon Naviera Armas, le pourvoi est inopérant et, partant, irrecevable dans son ensemble dès lors qu’il ne porte que sur une partie des trois motifs ayant conduit le Tribunal à annuler la décision litigieuse, de telle sorte qu’il ne peut conduire, en tout état de cause, à l’annulation de l’arrêt attaqué. En outre, chacun des deux moyens serait inopérant pour des raisons qui lui sont propres.

18      Il convient, toutefois, de rappeler que le caractère inopérant d’un moyen soulevé renvoie à son aptitude à fonder le pourvoi et n’affecte pas la recevabilité de celui-ci (arrêts du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil, C‑76/01 P, EU:C:2003:511, point 52, et du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C‑520/09 P, EU:C:2011:619, point 31). Dès lors, le caractère inopérant des moyens du pourvoi, à le supposer établi, ne saurait affecter la recevabilité de ces moyens ni celle du pourvoi.

19      Il y a lieu, par conséquent, d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par Naviera Armas et d’examiner au fond les deux moyens du pourvoi.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

20      Au soutien du premier moyen du pourvoi, Fred Olsen fait valoir, en visant les points 114 à 116 ainsi que les points 123 à 128 et 145 à 147 de l’arrêt attaqué, que ce dernier est privé de toute motivation en ce qui concerne la sélectivité de la mesure en cause et qu’il est entaché d’une erreur de droit, le Tribunal ayant conclu au caractère sélectif de cette mesure sans avoir préalablement effectué une analyse de la sélectivité telle que prescrite par la jurisprudence de la Cour, en particulier par l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971).

21      En effet, alors qu’il a considéré que la mesure constitutive d’une aide était une mesure générale en ce qu’elle résultait de l’application du système de taxes en vigueur au titre de l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, le Tribunal aurait qualifié cette mesure de « sélective » au motif que Fred Olsen était l’utilisateur exclusif de cette infrastructure sans indiquer les raisons pour lesquelles cette circonstance aurait dû conduire la Commission à considérer que cette utilisation conférait un avantage économique dans le cadre de ce système de taxes. Il aurait omis d’identifier ladite mesure comme étant une mesure fiscale, de définir le cadre de référence applicable, de rechercher si la situation de Fred Olsen et celle des autres opérateurs étaient comparables, et de relever l’existence d’une situation discriminatoire.

22      Naviera Armas fait valoir que ce moyen n’est pas fondé, tandis que la Commission estime qu’il est inopérant.

 Appréciation de la Cour

23      Il convient d’observer que, bien que le premier moyen du pourvoi soit formellement tiré d’une absence de motivation de l’arrêt attaqué concernant la sélectivité de la mesure en cause, Fred Olsen invoque à cet égard tant un défaut de motivation qu’une erreur de droit.

24      Les points de l’arrêt attaqué visés par ce moyen contiennent les motifs de cet arrêt par lesquels le Tribunal a répondu aux griefs formulés par Naviera Armas concernant la portée de son argumentation dans la plainte ainsi que les critères d’identification d’une aide d’État au profit de l’utilisateur d’une infrastructure portuaire financée au moyen de fonds publics. À l’appui de ces griefs, ainsi qu’il ressort des points 91 et 92 de l’arrêt attaqué, Naviera Armas faisait valoir que, contrairement à ce qui était affirmé au point 45 de la décision litigieuse, l’exclusivité de l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves dont bénéficiait Fred Olsen constituait en soi, à supposer même que cette entreprise se soit acquittée de toutes les taxes réglementaires dues, un avantage accordé de manière sélective au moyen de ressources d’État et que la Commission avait omis de vérifier que les taxes portuaires acquittées couvraient les coûts supportés par la DGPC et procurait à celle-ci un bénéfice raisonnable, en tenant compte de la valeur de marché de l’utilisation exclusive de cette infrastructure.

25      À cet égard, le Tribunal a considéré, tout d’abord, aux points 107 et 108 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait estimé à tort, au point 45 de la décision litigieuse, que Naviera Armas avait omis d’identifier dans la plainte un avantage accordé au moyen de ressources d’État, au motif qu’elle n’avait pas remis en cause dans celle-ci le niveau des taxes portuaires dues par Fred Olsen au titre de l’utilisation de l’infrastructure portuaire à des fins de transport commercial. En effet, le Tribunal a jugé que Naviera Armas avait indiqué sans équivoque dans sa plainte que Fred Olsen n’était pas tenue au paiement d’une contrepartie correspondant à la valeur économique réelle de son droit d’utiliser seule l’infrastructure portuaire en cause de telle sorte que cette société avait identifié avec un degré suffisant de précision dans sa plainte en quoi elle estimait que les conditions d’utilisation de cette infrastructure portuaire par Fred Olsen avaient procuré à cette dernière un avantage financé au moyen de ressources d’État.

26      Le Tribunal a jugé, au point 110 de l’arrêt attaqué, qu’il appartenait dès lors à la Commission, en vertu du devoir qui lui incombait de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte dont elle était saisie, de vérifier, en utilisant les critères appropriés, si Fred Olsen avait bénéficié d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison des conditions dans lesquelles elle utilisait l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves à des fins de transport commercial depuis le milieu des années 1990. Or, a-t-il constaté, ainsi que le soutenait Naviera Armas, la Commission n’avait pas vérifié si les taxes portuaires acquittées par Fred Olsen couvraient les coûts supportés par la DGPC et procuraient à cette dernière un bénéfice raisonnable.

27      Ensuite, répondant aux arguments de la Commission selon lesquels la condition tenant à l’existence d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État n’était pas remplie en l’espèce, le Tribunal a relevé, aux points 114 à 116 de l’arrêt attaqué visés par le pourvoi, que la seule circonstance qu’un bien du domaine public ne peut, en raison de ses caractéristiques propres, être mis à la disposition que d’un nombre limité d’utilisateurs, voire d’un seul, ne suffit pas à exclure qu’une telle mise à disposition puisse s’analyser comme un avantage sélectif accordé au moyen de ressources d’État, y compris lorsque cette limitation trouve son origine dans des considérations de sécurité. Il a rappelé que, en effet, la notion d’« aide » peut recouvrir des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et constitue une notion objective qui est fonction, notamment, de la question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou à certaines entreprises. Il a considéré que, afin d’apprécier si une mesure étatique constitue une aide, il convient notamment de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

28      À cette fin, aux points 117 à 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que c’était à l’aune du critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché qu’il appartenait à la Commission de vérifier, conformément à la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1), si le comportement de la DGPC avait procuré à Fred Olsen un avantage qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions de concurrence normales.

29      Dans ce contexte, aux points 123 à 128 de l’arrêt attaqué visés par le pourvoi, le Tribunal a écarté l’argument de la Commission selon lequel l’absence d’avantage accordé à Fred Olsen au moyen de ressources d’État découlait du fait que celle-ci s’était acquittée de toutes les taxes réglementaires dues pour l’utilisation de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, que ces taxes étaient identiques dans tous les ports relevant de la compétence de la DGPC et qu’elles étaient de surcroît, en vertu de la Ley 14/2003 de Puertos de Canarias (loi 14/2003 relative aux ports des Canaries), du 8 avril 2003 (BOC no 85, du 6 mai 2003), calculées de manière à couvrir les frais d’amortissement et à générer un bénéfice raisonnable. Il a estimé, en effet, que cela ne dispensait pas la Commission, lors de l’examen tenant à l’existence d’un avantage accordé à Fred Olsen au moyen de ressources d’État en raison des conditions dans lesquelles elle a été autorisée à utiliser cette infrastructure à des fins de transport commercial, d’apprécier concrètement si les taxes portuaires acquittées par Fred Olsen, assimilables à des redevances perçues pour l’utilisation de celle-ci, étaient d’un montant au moins équivalent à la compensation qu’un opérateur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu obtenir en contrepartie d’une telle mise à disposition. Le Tribunal a dès lors considéré qu’il n’était pas établi que la condition tenant à l’existence d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État n’était en tout état de cause pas remplie en l’espèce et que, en l’absence d’une analyse concrète, l’examen des griefs de la plainte lors de la procédure d’examen préliminaire était entaché d’une lacune importante.

30      Enfin, aux points 145 à 147 de l’arrêt attaqué visés par le pourvoi, le Tribunal a jugé que cette lacune ainsi que la durée particulièrement longue de la procédure d’examen préliminaire, cumulées, au surplus, à l’obstacle à la mise en œuvre du résultat de l’appel d’offres organisé par la DGPC en 2014 résultant de l’ordonnance du 27 février 2015, constituaient des indices de ce que l’examen de l’utilisation exclusive de cette infrastructure soulevait des difficultés sérieuses en raison desquelles la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à la jurisprudence selon laquelle, lorsque la procédure d’examen préliminaire prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE n’a pas permis à la Commission de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 113 et jurisprudence citée). Il a, en conséquence, accueilli le moyen unique du recours dans la mesure où il était dirigé contre la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu que les conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen à des fins de transport commercial, dénoncées par Naviera Armas, n’avaient procuré à Fred Olsen aucune aide d’État.

31      Au vu de ce qui précède, force est de constater que les motifs de l’arrêt attaqué visés par le premier moyen du pourvoi n’ont pas pour objet, contrairement à ce que suppose celui-ci, l’examen de la sélectivité, qui n’a d’ailleurs pas été effectué dans la décision litigieuse, d’un avantage qui serait conféré par le système de taxes applicable à l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves, et donc par une mesure générale. Ces motifs portent, en effet, en réponse aux griefs formulés par Naviera Armas contre cette décision, sur l’examen de l’existence éventuelle d’un avantage accordé à Fred Olsen au moyen de ressources d’État du fait de l’utilisation exclusive de cette infrastructure dont elle a bénéficié, examen à l’égard duquel le Tribunal a estimé qu’il soulevait des difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

32      Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi est manifestement dépourvu de fondement.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

33      Par le second moyen du pourvoi, Fred Olsen soutient que, aux points 117 à 120, 123 à 128 et 145 à 147 de l’arrêt attaqué, est entaché d’une erreur de droit le raisonnement du Tribunal selon lequel le critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché est celui qu’aurait dû utiliser la Commission afin de vérifier si le comportement des autorités espagnoles avait procuré à Fred Olsen un avantage qu’elle n’aurait pas eu dans des conditions de concurrence normales. Selon elle, ce critère n’était pas applicable en l’espèce.

34      Ce serait en effet à tort que le Tribunal a considéré que, en cas de paiement de taxes au titre de l’utilisation d’infrastructures, la Commission est tenue d’appliquer ce critère afin d’écarter l’existence d’une aide. Une telle exigence ne ressortirait pas de la jurisprudence la plus récente de la Cour qui prêterait une attention particulière à la question de la sélectivité et à la manière dont elle doit être appréciée, dans l’hypothèse d’un système de taxes, au vu de critères qui sont différents de ceux applicables aux mesures d’aide individuelle. Or, en l’espèce, la prétendue aide naîtrait de l’application d’une mesure générale, à savoir le système de taxes qui s’applique à tous les ports des Îles Canaries (Espagne) et à tous les opérateurs qui y exercent leur activité, et non d’une mesure individuelle.

35      Par ailleurs, les arrêts du Tribunal auxquels se réfère l’arrêt attaqué ne porteraient pas sur des faits comparables à ceux de la présente espèce. Au vu de ces arrêts, il pourrait être affirmé qu’il n’est pas nécessairement exigé de la Commission, lorsqu’elle examine un système de taxes au titre de l’usage d’infrastructures, qu’elle applique dans tous les cas le critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché, mais que, pour qu’elle doive le faire, la Commission doit disposer de certains indices indiquant que le paiement des taxes par le bénéficiaire de la mesure lui procure un certain type d’avantage ou qu’il existe une situation de discrimination. En l’espèce, la Commission n’aurait pas disposé de tels indices.

36      Naviera Armas et la Commission considèrent que ce second moyen n’est pas fondé.

 Appréciation de la Cour

37      Il convient de rappeler que, d’une part, ainsi que cela ressort de l’examen du premier moyen du pourvoi, le Tribunal a examiné, aux points de l’arrêt attaqué visés par le pourvoi, non pas la question de la sélectivité d’un système de taxes, mais, en réponse aux griefs formulés par Naviera Armas, celle de l’existence éventuelle d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État du fait de l’utilisation exclusive par Fred Olsen de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves.

38      D’autre part, ainsi que cela ressort des points 25 à 30 de la présente ordonnance, le Tribunal, pour accueillir le moyen unique du recours dans la mesure où il était dirigé contre la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, conclu que les conditions d’utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves par Fred Olsen à des fins de transport commercial, dénoncées par Naviera Armas, n’avaient procuré à Fred Olsen aucune aide d’État, a notamment considéré que la Commission avait omis, à tort, d’apprécier concrètement si, en raison de ces conditions d’utilisation, Fred Olsen avait bénéficié d’un avantage accordé au moyen de ressources d’État. C’est dans ce contexte que le Tribunal a précisé que c’était à l’aune du critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché qu’il appartenait à la Commission de vérifier si le comportement de la DGPC avait procuré à Fred Olsen un avantage qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions de concurrence normales.

39      Quant à l’applicabilité de ce critère en l’espèce, c’est à bon droit que le Tribunal a, au point 117 de l’arrêt attaqué, rappelé que, afin d’apprécier si une mesure étatique constitue une aide, il convient notamment de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché et relevé que, en particulier, la fourniture de biens ou de services à des conditions préférentielles est susceptible de constituer une aide d’État (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, points 59 et 60, ainsi que du 20 novembre 2003, GEMO, C‑126/01, EU:C:2003:622, point 29).

40      En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché (voir, en ce sens, arrêts du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 ; du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 65, ainsi que du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 44).

41      Ainsi, compte tenu de l’objectif de l’article 107, paragraphe 1, TFUE d’assurer une concurrence non faussée, en ce compris entre les entreprises publiques et privées, la notion d’« aide », au sens de cette disposition, ne saurait recouvrir une mesure accordée en faveur d’une entreprise au moyen de ressources d’État lorsque celle-ci aurait pu obtenir le même avantage dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché. L’appréciation des conditions dans lesquelles un tel avantage a été accordé s’effectue donc, en principe, par application du critère de l’opérateur privé (arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 45).

42      En l’espèce, le Tribunal a constaté que l’activité par laquelle la DGPC gérait l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves et la mettait à disposition d’une compagnie maritime utilisatrice, moyennant le paiement de taxes portuaires, constituait une activité économique. Il en découle qu’il a considéré, dans le cadre de son appréciation des faits, que la DGPC avait agi comme un opérateur économique.

43      C’est dès lors sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a précisé que c’était à l’aune du critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché qu’il appartenait à la Commission de vérifier si le comportement de la DGPC avait procuré à Fred Olsen un avantage qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions de concurrence normales et, plus précisément, que l’examen tenant à l’existence d’un avantage accordé à Fred Olsen au moyen de ressources d’État en raison des conditions dans lesquelles elle a été autorisée à utiliser l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves supposait que la Commission apprécie concrètement si les taxes portuaires acquittées par Fred Olsen étaient d’un montant au moins équivalent à la compensation qu’un opérateur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu obtenir en contrepartie d’une telle mise à disposition.

44      Une telle appréciation est d’ailleurs conforme, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 120 de l’arrêt attaqué, à la communication de la Commission, mentionnée au point 28 de la présente ordonnance, qui indique, en substance, que les entreprises utilisatrices d’une infrastructure publique sont susceptibles de bénéficier d’un avantage constitutif d’une aide d’État, à moins que les modalités d’utilisation de cette infrastructure ne soient conformes au critère de l’opérateur en économie de marché, c’est-à-dire lorsque l’infrastructure est mise à leur disposition dans les conditions du marché. Cette communication de la Commission précise, d’une part, que l’existence d’un tel avantage peut néanmoins être exclue lorsque les redevances payées pour l’utilisation de l’infrastructure ont été fixées au moyen d’une procédure d’appel d’offres transparente et non discriminatoire et, d’autre part, que le critère de l’opérateur en économie de marché peut être satisfait pour le financement public d’infrastructures ouvertes non réservées à un ou à plusieurs utilisateurs spécifiques lorsque les utilisateurs contribuent progressivement, d’un point de vue ex ante, à la rentabilité du projet ou de l’exploitant.

45      Il s’ensuit que le second moyen du pourvoi est manifestement non fondé.

46      En conséquence, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble comme étant manifestement non fondé.

 Sur les dépens

47      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

48      En l’espèce, Naviera Armas ayant conclu à la condamnation de Fred Olsen et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens afférents au pourvoi, ceux exposés par Naviera Armas. La Commission, n’ayant pas conclu sur les dépens, supportera ceux qu’elle a exposés.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant manifestement non fondé.

2)      Fred Olsen SA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens afférents au pourvoi, ceux exposés par Naviera Armas SA.

3)      La Commission européenne supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.

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