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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Rodriguez Prieto v Commission (Judgment) French Text [2019] EUECJ T-61/18 (04 April 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2019/T6118.html Cite as: EU:T:2019:217, ECLI:EU:T:2019:217, [2019] EUECJ T-61/18 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)
4 avril 2019 (*)
« Fonction publique – Fonctionnaires – Affaire “Eurostat” – Procédure pénale nationale – Non-lieu – Demande d’assistance – Lanceur d’alerte – Présomption d’innocence – Recours en indemnité et en annulation »
Dans l’affaire T‑61/18,
Amador Rodriguez Prieto, ancien fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Steinsel (Luxembourg), représenté par Mes S. Orlandi, T. Martin et R. García-Valdecasas y Fernández, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. B. Mongin et Mme R. Striani, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, à titre principal, à la réparation des préjudices matériels et moraux que le requérant aurait prétendument subis et, à titre subsidiaire, à l’annulation de la décision de la Commission du 28 mars 2017 portant rejet d’une demande d’assistance du requérant,
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
composé de MM. A. M. Collins, président, R. Barents et J. Passer (rapporteur), juges,
greffier : M. R. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 17 janvier 2019,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 Le requérant, M. Amador Rodriguez Prieto, a été fonctionnaire à la Commission européenne entre 1987 et 2003.
2 Le 1er mars 1998, le requérant a été nommé chef de l’unité C1 au sein de la direction C « Informations et diffusion ; transports ; coopération technique avec les pays tiers ; statistiques du commerce extérieur et intracommunautaire » d’Eurostat (office statistique de l’Union européenne).
3 Depuis 1996, Eurostat assurait la diffusion auprès du public des données statistiques collectées en s’appuyant sur l’Office des publications officielles des Communautés européennes (OPOCE), lequel avait mis en place un réseau de points de vente (ci‑après les « datashops »). Les contrats tripartites conclus entre Eurostat, l’OPOCE et les datashops en 1996 prévoyaient un circuit de facturation complexe permettant à Eurostat de percevoir jusqu’à 55 % du prix de facturation desdites données mises sur le marché.
4 Le requérant a été chargé par son directeur, M. B., d’approuver les dépenses découlant des contrats tripartites, conclus avec, notamment, la société Planistat.
5 Par note du 27 octobre 1998, le requérant a demandé la réalisation d’un audit interne au sein d’Eurostat sur la gestion de ces contrats. Il a, par ailleurs, demandé que le pouvoir de signer les ordonnancements de dépenses lui soit retiré, ce qui fut fait par note du 27 novembre 1998.
6 En septembre 1999, l’audit interne a conclu à l’existence d’irrégularités dans la gestion financière des contrats tripartites conclus avec les sociétés Eurocost, Eurogramme, Datashop, Planistat et CESD Communautaire, qui aurait permis d’alimenter une enveloppe financière non soumise aux règles budgétaires de la Commission.
7 Le 3 janvier 2000, le rapport d’audit interne a été remis à la direction générale chargée du contrôle financier de la Commission.
8 L’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a été saisi le 17 mars 2000 par la direction générale chargée du contrôle financier de la Commission. L’OLAF a ouvert plusieurs enquêtes concernant notamment les contrats conclus par Eurostat avec les sociétés Eurocost, Eurogramme, Datashop, Planistat et CESD Communautaire, les subventions accordées à ces sociétés et le système de facturation mis en place.
9 Le 19 mars 2003, l’OLAF a transmis le dossier relatif au contrat conclu avec Planistat au procureur de la République de Paris (France), qui a ouvert une information judiciaire pour recel et complicité d’abus de confiance le 4 avril 2003.
10 Le 11 juin 2003, la Commission a également mandaté son service d’audit interne, qui a établi trois rapports, à savoir deux rapports, datés du 7 juillet et du 24 septembre 2003, ainsi qu’un rapport final, du 22 octobre 2003.
11 Sur la base d’un rapport de l’OLAF du 22 avril 2003, la Commission a habilité son service juridique à déposer plainte contre X, ce qui a été fait le 10 juillet 2003, auprès du procureur de la République de Paris, des chefs de recel et de complicité d’abus de confiance. Cette plainte visait de possibles détournements de fonds commis par des fonctionnaires ou des agents de l’Union européenne ayant porté préjudice aux intérêts financiers de l’Union. L’information judiciaire ouverte par le procureur de la République de Paris a été élargie sur réquisitoire supplétif pris du chef d’abus de confiance du 4 août 2003.
12 Le 11 juin 2008, le requérant a informé la Commission qu’il avait été convoqué par la police française pour être entendu en tant que témoin dans le cadre de cette procédure pénale. Il a donc demandé à l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») de lever son devoir de réserve conformément à l’article 19 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et que ses frais de déplacement de Luxembourg (Luxembourg) à Paris lui soient remboursés.
13 Le 30 juin 2008, l’AIPN a levé le devoir de réserve du requérant, mais a rejeté sa demande de remboursement des frais de déplacement. La réclamation du 21 juillet 2008 contre cette décision a été rejetée le 20 novembre 2008.
14 Le 7 octobre 2008, le requérant a été entendu par la police française.
15 Le 22 octobre 2008, le requérant a fait une première demande d’assistance (enregistrée sous la référence D/505/08), fondée sur l’article 24 du statut. Il faisait notamment valoir que, en demandant un audit interne en octobre 1998, il avait agi comme lanceur d’alerte et que la communauté d’intérêts existant entre lui et l’institution concernée imposait que celle-ci lui prête assistance. Selon lui, la Commission devait donc prendre en charge les frais d’avocat qu’il avait exposés lorsqu’il avait été convoqué comme témoin par la police française.
16 Cette première demande d’assistance a été rejetée le 17 décembre 2008. La Commission a indiqué avoir appris que le requérant avait été mis en examen lors de l’audition du 7 octobre 2008. Elle a considéré que les deux conditions d’application de l’article 24 du statut, à savoir l’existence de menaces, d’outrages, etc., contre la personne et les biens du fonctionnaire et l’existence d’un lien de causalité entre ces faits et la qualité de fonctionnaire ou les tâches à accomplir, n’étaient pas remplies. La décision de la Commission n’a pas été contestée.
17 Le 9 septembre 2013, le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Paris (France) a rendu une ordonnance de non-lieu à l’égard de l’ensemble des personnes mises en examen dans le cadre de la procédure pénale, dont le requérant (ci-après l’« ordonnance de non-lieu »).
18 Le 17 septembre 2013, la Commission a interjeté appel de l’ordonnance de non-lieu.
19 Par arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Paris (France) a confirmé l’ordonnance de non-lieu.
20 Le 27 juin 2014, la Commission a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant l’ordonnance de non-lieu.
21 Par arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi de la Commission contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant l’ordonnance de non-lieu, mettant ainsi un terme à la procédure pénale.
22 Le 28 novembre 2016, le requérant, faisant notamment référence à l’arrêt du 9 septembre 2016, De Esteban Alonso/Commission (T‑557/15 P, non publié, EU:T:2016:456, point 59) et à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016, a déposé une seconde demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut afin que la Commission prenne en charge les frais et honoraires d’avocat qu’il avait exposés pour les besoins de sa défense devant les juridictions françaises. Il demandait également que le statut de lanceur d’alerte lui soit reconnu par une note insérée dans son dossier personnel afin de réhabiliter son honorabilité professionnelle. À titre subsidiaire, il demandait la réparation du préjudice résultant de la faute de service de l’institution, qui aurait méconnu son statut de lanceur d’alerte et lui aurait refusé sa protection.
23 Par décision du 28 mars 2017 (ci-après la « décision attaquée »), l’AIPN a déclaré la seconde demande d’assistance irrecevable pour la raison principale que le requérant ne justifiait d’aucun fait nouveau depuis la décision de rejet de la première demande d’assistance du 17 décembre 2008. Elle a, au demeurant, considéré que la seconde demande d’assistance était non fondée, de même que la demande en réparation.
24 Par lettre de la Commission du 10 avril 2017, référencée CMS 16/056, le requérant a été informé de l’existence et du classement d’un « dossier » disciplinaire, selon les termes de la Commission, ouvert à son égard dans le cadre de l’affaire Eurostat.
25 Le 28 juin 2017, le requérant a déposé une réclamation administrative préalable contre la décision attaquée.
26 Le 30 octobre 2017, cette réclamation a été rejetée.
Procédure et conclusions des parties
27 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 février 2018, le requérant a introduit le présent recours.
28 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 4 juin 2018, le requérant a indiqué renoncer à déposer une réplique.
29 Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, condamner la Commission à lui payer 68 831 euros au titre du préjudice matériel et 100 000 euros au titre du préjudice moral ;
– à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
30 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
31 À l’appui du recours, tout d’abord, le requérant fait valoir que sa demande d’assistance en vertu de l’article 24 du statut était recevable et que son recours en annulation contre le rejet de cette demande l’est donc également. Ensuite, à titre principal, il met en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union pour une prétendue méconnaissance par la Commission de son statut de lanceur d’alerte et, à titre subsidiaire, demande l’annulation de la décision attaquée.
Sur la recevabilité de la demande d’assistance et celle du recours en annulation de la décision attaquée
32 Dans la requête, le requérant conteste la position de la Commission, exprimée dans la décision attaquée, selon laquelle la seconde demande d’assistance était irrecevable.
33 Selon le requérant, s’il est exact que l’AIPN n’est pas tenue d’assister un fonctionnaire suspecté d’avoir manqué à ses obligations professionnelles, la constitution de partie civile de la Commission n’a pas fait définitivement obstacle à ce qu’elle puisse ultérieurement lui accorder son assistance. En l’espèce, l’AIPN aurait disposé d’éléments établissant son action en tant que lanceur d’alerte.
34 Le requérant soutient que le fait que le préjudice à son égard résulte d’agissements des autorités françaises ne fait pas obstacle à l’application de l’article 24 du statut. Il affirme s’être prévalu de sa qualité de lanceur d’alerte pour mettre en évidence l’illégalité de sa mise en examen et de la poursuite de la procédure pénale à son égard.
35 Enfin, le requérant fait valoir qu’il a toujours contesté avoir participé sciemment à un système de gestion méconnaissant les règles budgétaires, ce que montrerait sa demande que lui soit retiré son pouvoir de signature des ordonnancements de dépenses. Selon lui, ces circonstances auraient dû conduire l’AIPN à considérer qu’elle ne poursuivait pas un intérêt opposé au sien et que son cas méritait d’être distingué de celui des autres fonctionnaires impliqués, notamment dans la prise en charge des frais de sa défense devant les juridictions françaises.
36 La Commission fait valoir, en substance, que la demande d’annulation de la décision attaquée est irrecevable au motif que la seconde demande d’assistance aurait elle-même été irrecevable, puisque, d’une part, le requérant aurait uniquement réitéré une demande d’assistance antérieure sans faire état de faits nouveaux et, d’autre part, il aurait formulé cette nouvelle demande d’assistance en l’absence d’épuisement des voies de recours nationales.
37 S’agissant, d’une part, de l’argumentation de la Commission prise de l’irrecevabilité de la seconde demande d’assistance au motif que le requérant n’aurait pas invoqué de faits nouveaux, il convient de constater que ladite demande d’assistance (voir point 22 ci-dessus) comporte un fait nouveau par rapport à la première demande d’assistance (voir point 15 ci-dessus), déposée peu après la mise en examen du requérant par le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Paris.
38 Ce fait nouveau tient à l’ordonnance de non-lieu, prise le 9 décembre 2013 par le juge d’instruction et, à la suite des recours de la Commission, confirmée par deux fois, dont en dernier lieu définitivement le 15 juin 2016 par la Cour de cassation.
39 L’ordonnance de non-lieu puis sa confirmation en appel et le rejet du pourvoi en cassation, par lesquels la Commission se trouvait contredite dans sa conviction, manifestée dans ses mémoires déposés dans le cadre de la procédure d’appel et du pourvoi en cassation, que le requérant avait commis une infraction pénale, constituent, ensemble, un fait nouveau.
40 Certes, dans l’ordonnance de non-lieu, le juge d’instruction français a relevé « que le mécanisme résultant de la mise en œuvre des [contrats] tripartites conclu[s] sous l’égide d’Eurostat [avait] contrevenu à l’article 4.1 du règlement financier » du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO 1977, L 356, p. 1, ci‑après le « règlement financier »), et, dans son arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Paris a jugé « que les règles en matière de réemploi telles que prévues par le règlement financier [avaient] été méconnues ».
41 Toutefois, ces constatations ont été opérées de manière impersonnelle, sans aucune désignation du requérant.
42 En outre, dans le même temps, le juge pénal français a constaté l’absence d’intention frauduleuse ainsi que de détournement de fonds et il a procédé à un certain nombre d’énonciations aux termes desquelles, premièrement, le système des datashops, bien que non conforme au règlement financier, était selon la Cour des comptes de l’Union européenne « une nécessité en raison de l’inadaptation dudit règlement » et la « simple reprise d’un système déjà utilisé en toute légalité par l’OPOCE », deuxièmement, « les procédures communautaires existantes ne permettaient pas d’assurer, dans un cadre souple et fonctionnel, la commercialisation des données produites par Eurostat, et[, en] l’absence de procédure adaptée, il [avait] été nécessaire de trouver des solutions permettant à Eurostat d’accomplir sa mission » et, troisièmement, « le contrôle financier, qui avait été associé à l’origine à la création du réseau des datashops et qui n’avait pas été favorable à la constitution de celui-ci avec le système des conventions tripartites, [s’était] en réalité totalement désintéressé des modalités de son fonctionnement, ce qui [avait] laissé les responsables d’Eurostat dans la position qu’ils devaient et pouvaient agir “au mieux” [et ] cela quand la stratégie de la Commission était d’augmenter l’offre de statistiques en raison d’une très forte demande à ce titre » (ordonnance de non-lieu, arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014).
43 Il résulte des considérations qui précèdent que le requérant se prévalait correctement, en se référant aux décisions pénales françaises, d’un fait nouveau.
44 S’agissant, d’autre part, de l’irrecevabilité de la seconde demande d’assistance en raison de l’absence d’épuisement par le requérant des voies de recours nationales, il convient de relever que cet argument repose sur la prémisse que l’article 24 du statut, relatif à l’assistance, est applicable en l’espèce et que, partant, la responsabilité sans faute de l’administration au titre de cette disposition du statut est subordonnée à l’épuisement des voies de recours nationales contre le tiers auteur du dommage.
45 Or, ainsi qu’il sera exposé aux points 46 à 59 ci-après, cette prémisse est erronée.
46 L’article 24 du statut dispose :
« L’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.
Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. »
47 Selon la jurisprudence, la finalité de l’article 24 du statut consiste à donner aux fonctionnaires et aux agents une sécurité pour le présent et l’avenir, dans le but de leur permettre, dans l’intérêt général du service, de mieux remplir leurs fonctions (arrêts du 12 juin 1986, Sommerlatte/Commission, 229/84, EU:C:1986:241, point 19 ; du 27 juin 2000, K/Commission, T‑67/99, EU:T:2000:169, point 35, et du 20 juillet 2011, Gozi/Commission, F‑116/10, EU:F:2011:124, point 12). Le devoir d’assistance d’une institution vise donc tant à la protection de son personnel qu’à la sauvegarde de ses propres intérêts et repose donc sur le postulat d’une communauté d’intérêts. Ainsi, il a été jugé que l’administration ne saurait être tenue d’assister un fonctionnaire suspecté d’avoir gravement manqué à ses obligations professionnelles et passible à ce titre de poursuites disciplinaires (arrêt du 23 novembre 2010, Wenig/Commission, F‑75/09, EU:F:2010:150, point 49).
48 Plus précisément encore et selon une jurisprudence constante, l’obligation d’assistance énoncée par l’article 24 du statut vise à la défense des fonctionnaires, par leur institution, contre les agissements de tiers, et non contre les actes émanant de l’institution elle-même, dont le contrôle relève d’autres dispositions du statut (arrêts du 9 septembre 2016, De Esteban Alonso/Commission, T‑557/15 P, non publié, EU:T:2016:456, point 45, et du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 111 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P, EU:T:2011:347, point 66 et jurisprudence citée).
49 En l’espèce, le requérant a fait l’objet d’une mise en examen le 7 octobre 2008 par les autorités judiciaires françaises. Cette mise en examen intervenait dans le prolongement de l’ouverture d’une information judiciaire le 4 avril 2003 par ces autorités judiciaires, sur la base d’informations que leur avait transmises l’OLAF le 19 mars 2003, et à la suite d’une plainte contre X déposée le 10 juillet 2003 par la Commission.
50 À la suite de l’ordonnance de non-lieu, rendue en faveur de l’ensemble des personnes mises en examen, dont le requérant, la procédure pénale française s’est poursuivie, en raison d’un appel de la Commission contre cette ordonnance, qui a été rejeté par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant ladite ordonnance, et d’un pourvoi de la Commission contre cet arrêt, qui a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016.
51 Il convient de relever que, comme le Tribunal l’a déjà constaté à l’égard de M. De Esteban Alonso dans le contexte de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2016, De Esteban Alonso/Commission (T‑557/15 P, non publié, EU:T:2016:456, point 49), les actes accomplis par les autorités judiciaires françaises, en particulier la mise en examen du requérant, ne constituent pas des agissements visés par l’article 24 du statut. Non seulement ces actes s’inscrivent dans le déroulement normal de la procédure pénale en cause, mais encore le requérant ne prétend à aucun moment sérieusement qu’ils aient constitué des attaques illégales menées à son égard par lesdites autorités judiciaires françaises et aient été, de ce fait, susceptibles de justifier une assistance de la Commission au titre de l’article 24 du statut.
52 Or, comme il ressort en substance de la jurisprudence, si l’obligation d’assistance visée à l’article 24, premier alinéa, du statut constitue une garantie statutaire essentielle pour le fonctionnaire et n’est pas subordonnée à la condition que l’illégalité des agissements en raison desquels le fonctionnaire a demandé l’assistance soit préalablement établie, encore faut-il que celui-ci apporte des éléments laissant penser, à première vue, que ces agissements le visent en raison de sa qualité et de ses fonctions et sont illégaux au regard de la loi nationale applicable (arrêt du 23 novembre 2010, Wenig/Commission, F‑75/09, EU:F:2010:150, point 48).
53 Tel n’est pas le cas en l’espèce, le requérant n’alléguant pas sérieusement que les autorités judiciaires françaises aient agi illégalement à son égard et n’apportant aucun élément en ce sens.
54 En outre, il convient de constater que, en réalité, le requérant sollicite l’assistance de la Commission non contre les agissements de tiers, mais contre les actes mêmes de cette institution, actes qui ont été à l’origine de la procédure pénale ouverte à son égard et, surtout, par lesquels la procédure pénale s’est prolongée jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016.
55 En effet, s’il est vrai que ce sont les autorités judiciaires françaises qui ont mis le requérant en examen, il n’en reste pas moins que c’est la Commission qui, par les informations qu’elle leur a transmises et le dépôt d’une plainte, est à l’origine de la procédure pénale. En outre et surtout, c’est la Commission qui a causé la continuation de cette procédure pénale après l’ordonnance de non-lieu.
56 Dans la requête, le requérant considère ainsi que, « s’il pouvait apparaître nécessaire pour la Commission de se constituer partie civile pour assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, rien ne justifiait cependant que la procédure pénale soit poursuivie à [son] encontre […] dans la mesure où la Commission savait qu’il ne pouvait pas lui être reproché d’avoir sciemment participé au système irrégulier de gestion des datashops mis en place par ses supérieurs hiérarchiques ».
57 Il découle des constatations qui précèdent que, dès lors que les actes pour lesquels le requérant sollicite l’assistance au titre de l’article 24 du statut ne sont pas ceux des autorités judiciaires françaises (actes dont la légalité n’est au demeurant pas sérieusement contestée, voir points 51 à 53 ci-dessus), mais ceux de la Commission elle-même, cette disposition n’est, selon la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus, pas applicable en l’espèce.
58 Par suite, l’argument de la Commission tiré de l’irrecevabilité de la seconde demande d’assistance en raison de l’absence d’épuisement par le requérant des voies de recours nationales ne saurait être accueilli.
59 Il résulte des considérations qui précèdent que les arguments de la Commission au soutien de l’irrecevabilité du recours en annulation, tirés de l’absence de faits nouveaux et du non-respect d’une condition d’application de l’article 24 du statut, doivent être rejetés.
Sur le fond
60 Subsidiairement à sa demande d’assistance et pour le cas où elle serait rejetée, le requérant a fait valoir, dans sa demande et dans sa réclamation administrative préalable, que la Commission avait commis une faute en méconnaissant le fait qu’il avait agi comme un lanceur d’alerte. Le requérant a évoqué, à cet égard, l’article 22 bis du statut. La Commission aurait appris au plus tard au moment de l’établissement du rapport final de son service d’audit interne en 2003 son rôle dans la révélation des faits. Il a fait observer que, s’il avait été visé par une procédure disciplinaire, il aurait bénéficié de l’article 21 de l’annexe IX du statut, relatif à la prise en charge par l’institution des frais de défense du fonctionnaire non sanctionné à l’issue d’une procédure disciplinaire.
61 Le requérant a contesté avoir délibérément participé au système de gestion problématique. Il aurait rapidement fait part de ses doutes sur ce système. Il n’aurait pas su que le contrôle financier n’était pas impliqué dans la mise en œuvre du réseau des datashops. Il aurait réclamé un audit interne et demandé que le pouvoir de signature lui soit retiré. Il aurait été piégé dans cette affaire. En outre, il n’aurait appris que le 10 avril 2017 l’existence d’une procédure disciplinaire ouverte à son égard.
62 Le requérant a donc considéré que la Commission avait méconnu le devoir de protection des lanceurs d’alerte, faute qui aurait été aggravée par la constitution de partie civile, l’appel contre l’ordonnance de non-lieu, puis le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant cette ordonnance, constitutifs d’autant d’accusations injustes contre lui d’avoir participé sciemment à un système violant le règlement financier.
63 Le requérant a ainsi estimé que son dommage consistait, d’une part, dans le préjudice matériel constitué des frais de défense exposés dans le cadre de la procédure pénale française, d’un montant de 68 331 euros, et, d’autre part, dans le préjudice moral constitué par le sentiment d’injustice résultant du fait d’avoir été exposé à une procédure pénale pour des faits qu’il avait contribué à révéler, d’un montant de 90 000 euros. Il a en outre demandé à la Commission que soit insérée dans son dossier personnel une note reconnaissant son statut de lanceur d’alerte dans l’affaire Eurostat, afin de réhabiliter son honorabilité professionnelle.
64 Dans la requête, le requérant maintient, en substance, sa position. La méconnaissance de sa qualité de lanceur d’alerte constituerait une violation de l’article 22 bis du statut et du devoir de sollicitude. La circonstance que cette disposition n’ait été insérée dans le statut qu’en 2004 n’aurait pas fait obstacle à ce que la Commission reconnaisse, en 2016, le rôle de lanceur d’alerte qu’il avait joué à l’époque conformément à ses obligations figurant aux articles 11 et 12 du statut. Le devoir de sollicitude ainsi que le principe d’égalité de traitement auraient exigé de la Commission qu’elle distingue son cas de celui des autres personnes mises en cause dans l’affaire Eurostat.
65 Pourtant, relève le requérant, la Commission, informée au plus tard le 22 octobre 2003 du rôle qu’il avait joué, serait restée en défaut de signaler ce rôle aux autorités judiciaires françaises et aurait injustement prolongé la procédure pénale engagée à son égard alors qu’elle ne pouvait ignorer qu’il n’avait pas sciemment participé au système des datashops. Selon lui, le fait pour la Commission de ne pas le prémunir contre tout préjudice subi du seul fait qu’il se trouvait être chef d’unité au moment où l’affaire Eurostat fut révélée constitue une faute de service. Enfin, s’agissant de la procédure disciplinaire ouverte par la Commission à son égard, il relève que les motifs invoqués par la Commission pour la clore ne rétablissent pas son honorabilité professionnelle, mais continuent de laisser planer le doute sur la manière dont il s’était acquitté de ses fonctions.
66 S’agissant de l’article 24 du statut, le requérant soutient que c’est à tort que la Commission prétend poursuivre, même à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016, un intérêt opposé au sien qui ferait obstacle à toute possibilité d’assistance.
67 La Commission conteste la position du requérant. L’article 22 bis du statut n’aurait été inséré dans le statut que le 1er mai 2004. Le requérant ne pourrait reprocher à la Commission de ne pas lui avoir accordé un statut qui n’existait pas à la date de la note demandant un audit. Sur la prétendue violation du devoir de sollicitude, il serait de jurisprudence constante que ce devoir ne permet pas d’octroyer des avantages que le statut n’offre pas. Sur la prétendue aggravation du préjudice par l’exercice des voies de recours, la Commission aurait seulement exercé un droit. Sur la prétendue faute consistant à ouvrir une procédure disciplinaire, il serait acquis que la procédure disciplinaire n’aurait donné lieu à aucun acte en ce qui concerne le requérant, ce qui expliquerait qu’il n’en ait pas été informé. L’ouverture d’une procédure disciplinaire purement formelle qui n’a jamais été rendue publique et qui n’a donné lieu à aucun acte d’investigation quel qu’il soit n’aurait pas pu causer un préjudice au requérant.
68 Quant à la violation alléguée de l’article 24 du statut, la Commission rappelle sa position concernant l’irrecevabilité de la seconde demande d’assistance au titre de cette disposition et soutient que, en tout état de cause, ladite demande est non fondée en raison du fait qu’elle porte sur le remboursement de frais que le requérant a été contraint d’exposer pour faire valoir son innocence dans une situation où les intérêts de la Commission et ceux de l’intéressé n’ont jamais cessé d’être antagonistes, et non sur le remboursement de frais exposés par le requérant pour se défendre contre des attaques de tiers ou des illégalités commises par des tiers.
Sur les conclusions indemnitaires
69 L’article 22 bis du statut dispose :
« 1. Le fonctionnaire qui, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, a connaissance de faits qui peuvent laisser présumer une activité illégale éventuelle, notamment une fraude ou une corruption, préjudiciable aux intérêts de l’Union, ou une conduite en rapport avec l’exercice de ses fonctions pouvant constituer un grave manquement aux obligations des fonctionnaires de l’Union, en informe immédiatement son supérieur hiérarchique direct ou son directeur général ou encore, s’il le juge utile, le secrétaire général, ou toute personne de rang équivalent, ou directement l’Office européen de lutte antifraude.
[…]
3. Le fonctionnaire qui a communiqué l’information visée aux paragraphes 1 et 2 ne subit aucun préjudice de la part de l’institution, pour autant qu’il ait agit de bonne foi. »
70 L’article 22 du statut, qui a introduit, à la charge de tous les fonctionnaires, une obligation d’information sur les faits pouvant laisser présumer une activité illégale ou un grave manquement aux obligations des fonctionnaires de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2014, Bermejo Garde/CESE, T‑530/12 P, EU:T:2014:860, points 103 à 106), est entré en vigueur le 1er mai 2004.
71 Au demeurant, il convient de remarquer que tout fonctionnaire qui, dès avant le 1er mai 2004, aurait pris l’initiative d’alerter sa hiérarchie sur l’existence d’illégalités ou de manquements aux obligations statutaires dont il aurait eu connaissance, susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, aurait déjà été en droit de bénéficier de la protection de l’institution au service de laquelle il travaillait contre tout éventuel acte de représailles à raison de cette divulgation ainsi que de ne pas subir de préjudice de ladite institution pour autant qu’il ait agi de bonne foi.
72 Il convient toutefois d’ajouter que, si cette protection due au fonctionnaire le garantit contre des préjudices de la part de l’institution, elle ne saurait avoir pour objet de le prémunir contre des enquêtes visant à établir si, et dans quelle mesure, il a été lui-même impliqué dans les irrégularités qu’il dénonce. Tout au plus l’initiative prise par le fonctionnaire de dénoncer de telles irrégularités peut, si ces enquêtes confirment son implication dans les faits dénoncés, constituer une circonstance atténuante dans le cadre d’éventuelles procédures de sanction engagées par l’institution à la suite de ces enquêtes, comme cela est d’ailleurs indiqué dans la communication du vice-président Šefčovič à la Commission du 6 décembre 2012, SEC(12012) 679 final, sur les lignes directrices relatives à la transmission d’informations en cas de dysfonctionnements graves (whistleblowing) (point 3, in fine).
73 Il découle des considérations qui précèdent que la qualité de lanceur d’alerte revendiquée par le requérant n’était, en tout état de cause, pas de nature à le prémunir contre des procédures visant à déterminer sa possible implication dans les faits dénoncés.
74 La question qui se pose en l’espèce est donc moins celle de savoir si le requérant devait bénéficier de la qualité de lanceur d’alerte ou non que celle de savoir si, eu égard aux faits particuliers de l’espèce, la Commission a commis des illégalités en étant à l’origine de la poursuite de la procédure pénale après l’ordonnance de non-lieu.
75 S’agissant de la poursuite de la procédure pénale après l’ordonnance de non-lieu par l’appel contre ladite ordonnance puis le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant cette ordonnance, il convient de rappeler que le fait de pouvoir faire valoir ses droits par la voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu’il implique est l’expression d’un principe général du droit qui se trouve au fondement des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, EU:C:1986:206, points 17 et 18, et du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T‑111/96, EU:T:1998:183, point 60), et par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait, pour une institution, d’intenter une action en justice est susceptible de constituer une faute de service (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 1999, Frederiksen/Parlement, T‑48/97, EU:T:1999:175, point 97).
76 En l’espèce, il convient de considérer que, quoi qu’il en soit des termes de l’ordonnance de non-lieu et de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant cette ordonnance, dans lesquels le juge pénal français a considéré, en substance, que les irrégularités constatées étaient imputables plus à l’inadaptation du cadre réglementaire mis en place par l’Union qu’aux fonctionnaires mis en examen, lesquels avaient seulement cherché des solutions dans l’intérêt d’Eurostat et dans un tel contexte réglementaire inadapté, les circonstances de l’espèce n’apparaissent pas exceptionnelles au point de mener à la conclusion que l’appel interjeté contre ladite ordonnance et le pourvoi en cassation introduit contre cet arrêt constituaient des fautes de service de la Commission. Il s’ensuit que le requérant n’apparaît pas fondé à réclamer la réparation de préjudices moraux et matériels causés par le fait d’avoir été exposé à une procédure pénale entre 2003 et 2016.
Sur les conclusions en annulation
77 S’agissant du refus de la Commission, une fois le requérant mis hors de cause pénalement par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016, de prendre en charge les frais de défense exposés par lui dans le cadre de la procédure pénale nationale, il convient de relever que les motifs de ce refus, tels qu’ils sont exprimés par la Commission dans son rejet de la demande puis dans celui de la réclamation administrative préalable, tout en ne répondant pas clairement à certaines préoccupations du requérant dans la procédure administrative, permettent néanmoins de rendre compte du véritable motif pour lequel la Commission a rejeté la seconde demande d’assistance.
78 S’agissant des préoccupations du requérant, il apparaît que, à travers ses références aux articles 22 bis et 24 du statut, dont il a été constaté qu’ils étaient, pour le second, non applicable en l’espèce (voir point 57 ci-dessus) et, pour le premier, inapte à prémunir le requérant contre d’éventuelles procédures pénales ou disciplinaires (voir point 73 ci-dessus), le requérant exprimait, en substance, qu’il n’était pas coupable dans l’affaire Eurostat.
79 Ainsi, depuis le début de la procédure administrative, le requérant a fait valoir que le système des datashops lui avait été présenté de manière convaincante comme étant régulier et validé, qu’il était de bonne foi, qu’il n’avait jamais participé sciemment au mécanisme litigieux, qu’il avait lancé l’alerte rapidement et que, en définitive, il avait été piégé. C’est en raison de cette conviction, confortée par les décisions pénales favorables françaises, qu’il a demandé à la Commission de prendre en charge ses frais de défense exposés dans le cadre de la procédure pénale nationale ainsi que le dommage moral résultant du sentiment d’injustice lié à l’absence de protection de la Commission en dépit du fait qu’il avait agi comme lanceur d’alerte dans l’affaire Eurostat. C’est également pour cette raison qu’il avait demandé l’insertion dans son dossier d’une note reconnaissant son rôle de lanceur d’alerte, afin de réhabiliter son honorabilité professionnelle.
80 Après qu’il eut été mis hors de cause dans le cadre de la procédure pénale, le requérant remarquait d’ailleurs, dans la seconde demande d’assistance, puis dans sa réclamation administrative préalable, qu’une issue comparable dans une procédure disciplinaire lui aurait valu la prise en charge de ses frais de défense en application de l’article 21 de l’annexe XI du statut.
81 Or, la Commission, dans ses rejets de la demande puis de la réclamation administrative préalable, n’a pas répondu clairement à ces préoccupations du requérant. Elle a réfuté, pour des motifs techniques, les énonciations du requérant relatives aux articles 22 bis et 24 du statut.
82 La Commission a procédé, toutefois, à des énonciations qui manifestent que son refus dans la procédure administrative de prendre en charge les dépenses du requérant découlait, en dernière analyse, non pas tant d’une inapplicabilité technique de ces dispositions du statut que, plus fondamentalement, de l’opinion selon laquelle le requérant était coupable d’une violation de ses obligations statutaires.
83 C’est ainsi que la Commission a insisté, en caractères gras, à deux reprises, dans le rejet de la demande puis dans celui de la réclamation administrative préalable, sur le fait que, dans l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016, ladite juridiction avait validé l’existence d’une « méconnaissance des règles budgétaires européennes » et avait relevé qu’il n’existait pas de charges « suffisantes » pour un renvoi des personnes mises en examen devant le juge du fond.
84 Par ailleurs, la Commission a procédé, dans le rejet de la réclamation administrative préalable, à des appréciations selon lesquelles « [elle] avait poursuivi, au cours de la procédure pénale[,] un intérêt opposé à celui du [requérant], avec cette conséquence que 1’article 24 du statut ne pouvait, même dans l’hypothèse d’un arrêt [confirmant l’ordonnance de non-lieu], constituer le fondement d’une demande d’assistance pour obtenir réparation du préjudice subi du fait ou à l’occasion de cette procédure ».
85 Force est de constater que, s’il est effectivement exact, et d’ailleurs évident, que l’intérêt de la Commission était opposé à celui du requérant durant le cours de la procédure pénale, cette contrariété d’intérêts ne pouvait logiquement subsister, après l’arrêt de la Cour de cassation confirmant l’ordonnance de non-lieu, que pour autant que la Commission restât d’opinion que le requérant avait, nonobstant sa mise hors de cause pénale, manqué à ses obligations statutaires.
86 La réalité de cette subsistance, même après l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2016, d’une telle opinion incriminante de la Commission à l’égard du requérant, se trouve d’ailleurs confirmée dans le mémoire en défense.
87 Ainsi, dans le mémoire en défense, la Commission fait valoir que « les circonstances dans lesquelles l’ordonnance de non-lieu a été prise (cette ordonnance réserve la possibilité de manipulation financière) et le classement d’opportunité de la procédure disciplinaire n’ont pas fait disparaître l’antagonisme d’intérêts entre les parties et justifiaient qu[’elle] ne change pas sa décision de ne pas accorder d’assistance ».
88 En définitive, il apparaît donc que la décision de la Commission de ne pas prendre en charge les frais de défense du requérant exposés dans le cadre de la procédure nationale ne procède pas tant d’une inapplicabilité technique de l’article 24 du statut, dont la Commission suggère au demeurant qu’elle n’aurait pas constitué un obstacle insurmontable à la prise en charge desdits frais, que de la subsistance d’un « antagonisme d’intérêts », donc de l’opinion persistante de la Commission selon laquelle le requérant avait violé ses obligations statutaires.
89 Pourtant, dès lors que le requérant ne faisait plus l’objet de poursuites dans le cadre de la procédure pénale nationale, le juge français ne l’ayant par ailleurs jamais personnellement désigné comme un auteur d’une violation des règles financières, et que, en outre, il n’avait fait l’objet, au moment de l’adoption de la décision attaquée, d’aucune décision disciplinaire constatant une violation d’obligations statutaires, il était non seulement mis hors de cause dans le cadre de la procédure pénale en France, mais encore jouissait nécessairement de la présomption d’innocence pour ce qui est du respect de ses obligations statutaires.
90 Certes, le requérant ne formule pas expressément un moyen tiré de la violation de la présomption d’innocence. La raison en est que, convaincu de son innocence, il se prévaut directement de celle-ci à l’encontre de la décision attaquée. Toutefois, une telle position comporte nécessairement, a majore ad minus, et comme le requérant l’a d’ailleurs confirmé lors de l’audience, l’invocation d’une violation du principe de la présomption d’innocence, notamment lorsque celui-ci, après avoir soutenu qu’il était non coupable (voir point 79 ci-dessus), a fait valoir que, par son comportement, « la Commission laiss[ait] planer le doute sur la manière dont il s’[était] acquitté de ses fonctions [et] sur son honorabilité professionnelle ».
91 Il convient de rappeler que le principe de la présomption d’innocence, qui constitue un droit fondamental, énoncé à l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect (arrêts du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, EU:T:2006:292, point 121 ; du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 209, et du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 90).
92 Ce principe, qui fait partie des droits fondamentaux (arrêts du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission, C‑235/92 P, EU:C:1999:362, point 175, et du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, EU:T:2006:292, point 121), lesquels sont eux-mêmes, selon la jurisprudence, des principes généraux du droit de l’Union (arrêt du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/05 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, EU:T:2006:271, point 61), est applicable aux procédures administratives eu égard à la nature des manquements en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des mesures qui s’y rattachent (voir, en matière de concurrence, arrêts du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 178 ; du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/05 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, EU:T:2006:271, point 61, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 129). Il s’ensuit que le droit à la présomption d’innocence s’applique, même en l’absence de poursuites pénales, au fonctionnaire accusé d’un manquement aux obligations statutaires suffisamment grave pour justifier une enquête de l’OLAF au vu de laquelle l’administration pourra adopter toute mesure, le cas échéant sévère, qui s’impose (arrêts du 28 mars 2012, BD/Commission, F‑36/11, EU:F:2012:49, point 51, et du 29 avril 2015, CJ/ECDC, F‑159/12 et F‑161/12, EU:F:2015:38, point 154).
93 En l’espèce, en rejetant la demande du requérant visant à la prise en charge de ses frais de défense exposés dans le cadre de la procédure pénale nationale, au motif, en substance, que demeurerait un antagonisme d’intérêts avec ce dernier, la Commission a violé le droit à la présomption d’innocence du requérant.
94 S’agissant de l’argument de la Commission, avancé lors de l’audience, selon lequel, au moment de l’adoption de la décision attaquée, l’antagonisme d’intérêts aurait légitimement subsisté, au motif que la décision de clore le « dossier » disciplinaire n’aurait été prise que quelques jours plus tard, le 10 avril 2017, il convient de le rejeter, pour les raisons suivantes.
95 Tout d’abord, l’existence, selon les termes vagues employés par la Commission, d’un « dossier » disciplinaire ouvert contre le requérant à la date de la décision attaquée non seulement n’est pas établie, mais encore apparaît démentie. En effet, il n’apparaît pas que l’ouverture du dossier CMS 04/002 en janvier 2004, à la suite d’une demande de levée de l’immunité de juridiction du requérant, constituait l’engagement d’une procédure disciplinaire ni même d’une enquête administrative à l’égard du requérant. En outre et quoi qu’il en soit, ce dossier CMS 04/002 a été retiré de la liste CMS [« Case Management System » (système de gestion des dossiers)] en 2010, puis détruit en 2012 à l’issue du délai de conservation des archives.
96 Ensuite et en tout état de cause, à supposer qu’aurait existé une procédure en cours à l’égard du requérant à la date de la décision attaquée, la Commission ne pouvait, sans faute de sa part, rejeter la seconde demande d’assistance sur le fondement de son opinion incriminante puis clôturer cette prétendue procédure quelques jours plus tard, dès lors que cette procédure avait précisément pour objet de confirmer ou d’infirmer ladite opinion.
97 Enfin et pour autant que l’argument de la Commission suggère que la présomption d’innocence n’aurait été acquise au requérant qu’à la date de la clôture de cette prétendue procédure, il convient d’observer, incidemment, d’une part, qu’un fonctionnaire bénéficie de la présomption d’innocence à tout stade antérieur à l’adoption d’une décision constatant sa culpabilité et, d’autre part, que, au stade du recours devant le Tribunal, la Commission a en réalité continué de méconnaître la présomption d’innocence du requérant lorsqu’elle a fait valoir dans la défense que « le classement d’opportunité de la procédure disciplinaire [n’a] pas fait disparaître l’antagonisme d’intérêts entre les parties ».
98 En conclusion de l’ensemble des considérations qui précèdent, desquelles il ressort que la décision attaquée est fondée sur une violation de la présomption d’innocence, il convient d’annuler cette décision, étant rappelé qu’il incombe à la Commission de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt.
Sur les dépens
99 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du même règlement, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.
100 La Commission ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1) Les demandes en indemnité sont rejetées.
2) La décision de la Commission européenne du 28 mars 2017 portant rejet d’une demande d’assistance de M. Amador Rodriguez Prieto est annulée.
3) La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens de M. Rodriguez Prieto.
Collins | Barents | Passer |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 avril 2019.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
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