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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ceske drahy v Commission (Competition - Judgment) French Text [2020] EUECJ C-538/18P (30 January 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/C53818P.html Cite as: ECLI:EU:C:2020:53, EU:C:2020:53, [2020] EUECJ C-538/18P |
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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
30 janvier 2020 (*)
« Pourvoi – Concurrence – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 20, paragraphe 4 – Décisions d’inspection – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux de l’existence d’une infraction aux règles de concurrence – Éléments de preuve légalement recueillis – Inspection ordonnée sur le fondement d’éléments provenant d’une inspection antérieure »
Dans les affaires jointes C‑538/18 P et C‑539/18 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 16 août 2018,
České dráhy a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes K. Muzikář et J. Kindl, advokáti,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi et G. Meessen ainsi que par Mmes P. Němečková et M. Šimerdová, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de Mme L. S. Rossi (rapporteure), présidente de chambre, MM. J. Malenovský et F. Biltgen, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par ses pourvois, České dráhy a.s. demande l’annulation, d’une part, de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 juin 2018, České dráhy/Commission (T‑325/16, ci-après l’« arrêt attaqué Falcon », EU:T:2018:368), par lequel celui-ci a partiellement rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2016) 2417 final de la Commission, du 18 avril 2016, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40156 – Falcon) (ci-après la « décision litigieuse Falcon »), et, d’autre part, de l’arrêt du Tribunal du 20 juin 2018, České dráhy/Commission (T‑621/16, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué Twins », EU:T:2018:367), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2016) 3993 final de la Commission, du 22 juin 2016, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40401 – Twins) (ci-après la « décision litigieuse Twins »).
Le cadre juridique
2 L’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection », prévoit, à ses paragraphes 1 et 4 :
« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.
[...]
4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée. »
Les antécédents du litige
3 České dráhy est le transporteur ferroviaire national tchèque et est détenue par l’État tchèque. Elle opère, notamment, sur les marchés de la fourniture de services de transport de personnes et de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire en République tchèque.
4 Au cours des années 2011 et 2012, deux autres transporteurs, RegioJet a.s. et LEO Express a.s., ont commencé à offrir des services de transport ferroviaire de personnes sur la liaison entre Prague (République tchèque) et Ostrava, une ville située au nord-est de la République tchèque.
5 Depuis l’année 2011, le comportement de České dráhy, soupçonnée d’abuser de sa position dominante en offrant ses prestations de transport ferroviaire de personnes à des prix prédateurs, sur la liaison Prague-Ostrava, fait l’objet d’une enquête menée par l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, République tchèque, ci-après l’« autorité de concurrence tchèque »). À la suite d’une enquête préliminaire, le 24 janvier 2012 cette autorité a, sur le fondement du droit de la concurrence tchèque, ouvert une procédure administrative à l’encontre de České dráhy. Dans le cadre de cette procédure, ladite autorité a, le 25 janvier 2012, effectué une inspection dans les locaux de České dráhy.
6 Pendant que ladite procédure était encore en cours, la Commission européenne a, le 18 avril 2016, adopté la décision litigieuse Falcon.
7 Les considérants 2 à 4 et 9 de cette décision sont rédigés de la manière suivante :
« (2) La [Commission] a obtenu des informations dont il ressort que České dráhy est dominante au sens de l’article 102 TFUE, entre autres sur les marchés de la fourniture de services de transport de personnes et de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire en République tchèque.
(3) La Commission dispose d’informations suggérant que České dráhy peut pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient (predatory pricing) sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava. Ce comportement pourrait faire partie d’une stratégie de la part de České dráhy contraire aux règles de la concurrence, et ce aux fins de protéger sa position sur le marché de la fourniture de services de transport de personnes et de limiter le développement de la concurrence sur le marché.
(4) La Commission a obtenu des informations suggérant que cette infraction alléguée a dû être commise au moins depuis 2011, lorsqu’un concurrent privé a commencé à fournir des services sur la liaison Prague-Ostrava, voire plus tôt, et que ce comportement doit se poursuivre.
[...]
(9) La Commission est consciente du fait que [l’autorité de concurrence tchèque] a ouvert une procédure administrative portant sur la même infraction et a procédé à une inspection dans les locaux de České dráhy en 2012. La Commission a examiné le dossier correspondant de [cette autorité]. »
8 L’article 1er de ladite décision précise, à son premier alinéa :
« La présente décision enjoint à České dráhy […], ensemble avec toutes les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, de se soumettre à une inspection relative à son éventuelle participation à une infraction à l’article 102 TFUE dans le domaine de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque. L’infraction inclut notamment la pratique de prix en dessous du prix de revient, susceptibles de limiter l’accès des tiers au marché ou leur développement sur le marché des services de transport ferroviaire de personnes, ainsi que toute stratégie ayant le même effet. »
9 L’inspection s’est déroulée du 26 au 29 avril 2016 (ci-après l’« inspection Falcon »).
10 Le 22 juin 2016, la Commission a adopté la décision litigieuse Twins, dont l’article 1er énonce, à son premier alinéa :
« La présente décision enjoint à České dráhy […], ainsi qu’à toutes les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, de se soumettre à une inspection relative à son éventuelle participation à des accords anticoncurrentiels ou à des pratiques concertées, contraires à l’article 101 TFUE, dans le domaine de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque, en République slovaque ou en République d’Autriche. L’infraction alléguée porte sur la restriction de la vente de matériel roulant ferroviaire usagé aux concurrents et sur toute stratégie visant à restreindre l’accès des concurrents au matériel roulant ferroviaire. »
11 L’inspection s’est déroulée du 28 juin au 1er juillet 2016.
Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués
L’arrêt attaqué Falcon
12 Le 24 juin 2016, České dráhy a introduit devant le Tribunal un recours, enregistré sous le numéro T‑325/16, tendant à l’annulation de la décision litigieuse Falcon.
13 Parmi les six moyens invoqués dans ce recours, le deuxième était tiré d’une insuffisance de motivation de la décision litigieuse Falcon, celle-ci délimitant l’objet et le but de l’inspection d’une manière trop large, visant pratiquement tout comportement de České dráhy dans le secteur du transport ferroviaire de personnes en République tchèque. Par le troisième moyen de recours, České dráhy a reproché à la Commission de n’avoir fait état, dans cette décision, d’aucune preuve permettant de soupçonner une infraction aux règles de concurrence.
14 Le Tribunal a analysé conjointement ces deux moyens. À cet égard, il a, dans l’arrêt attaqué Falcon, considéré, en substance, que la décision litigieuse Falcon était suffisamment motivée, compte tenu des exigences posées par la jurisprudence. Cependant, il a également constaté que la motivation de cette décision ne permettait pas, à elle seule, de présumer que, à la date d’adoption de celle-ci, la Commission disposait effectivement d’indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner une violation de l’article 102 TFUE de la part de České dráhy.
15 Le Tribunal a, dès lors, examiné, aux points 57 à 100 dudit arrêt, si tel était le cas et a conclu que la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner que České dráhy avait abusé de sa position dominante en appliquant des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis l’année 2011. En revanche, selon le Tribunal, la Commission ne disposait pas d’indices permettant de soupçonner que České dráhy avait abusé de sa position dominante sous des formes autres que la pratique de prix prédateurs et sur des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava.
16 C’est à la lumière de cette conclusion que le Tribunal a analysé les autres moyens de recours.
17 En particulier, par son quatrième moyen, České dráhy a fait valoir que la liaison Prague-Ostrava était négligeable à l’échelle du réseau ferroviaire européen et que, partant, le prétendu comportement anticoncurrentiel de České dráhy n’était pas susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre les États membres. De plus, elle a affirmé qu’elle n’occupait pas une position dominante sur le marché intérieur, ou dans une partie substantielle de celui-ci, étant donné que le transport ferroviaire sur la liaison Prague-Ostrava, eu égard à son importance marginale à l’échelle de l’Union, ne pourrait pas être considéré comme étant une partie substantielle du marché intérieur.
18 S’agissant de l’affectation du commerce entre les États membres, le Tribunal a, aux points 141 à 143 de l’arrêt attaqué Falcon, considéré que c’est précisément dans le contexte du transport ferroviaire transfrontalier qu’un comportement anticoncurrentiel, tel que celui suspecté par la Commission en l’espèce, était, de toute évidence, susceptible d’avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché intérieur. En effet, une telle pratique abusive serait de nature à affecter la position économique des transporteurs concurrents, actifs dans plusieurs États membres, et serait donc susceptible d’affecter la concurrence non seulement sur la liaison Prague-Ostrava et en République tchèque, mais, à tout le moins indirectement, à l’échelle plus étendue de l’Europe centrale, notamment en Slovaquie.
19 Enfin, le Tribunal a, aux points 145 à 148 dudit arrêt, estimé que la condition de position dominante sur le marché intérieur, ou dans une partie substantielle de celui-ci, est considérée comme étant remplie même dans les cas où la position dominante de l’entreprise concernée se limiterait à une région à l’intérieur d’un État membre, et a indiqué que cette condition est donc a fortiori remplie dans le cas où la position dominante de l’entreprise concernée couvrirait l’ensemble du territoire d’un État membre, tel que la République tchèque, comme c’est le cas de České dráhy.
20 Le Tribunal a dès lors annulé partiellement la décision litigieuse Falcon pour autant qu’elle concerne des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et un comportement autre que la prétendue pratique de prix prédateurs, et a rejeté le recours pour le surplus.
L’arrêt attaqué Twins
21 Le 29 août 2016, České dráhy a également introduit devant le Tribunal un second recours, enregistré sous le numéro T‑621/16, tendant à l’annulation de la décision litigieuse Twins.
22 Dans le cadre des premier et deuxième des cinq moyens invoqués dans ce recours, České dráhy a soutenu que cette décision litigieuse avait été adoptée sur le fondement de documents saisis par la Commission à l’occasion de l’inspection Falcon qui, selon elle, avait été diligentée en vertu d’une décision illégale. En outre, České dráhy prétendait que, en tout état de cause, cette décision était fondée sur des documents saisis à l’occasion de l’inspection Falcon, mais hors du cadre légal de celle-ci.
23 À cet égard, le Tribunal a, tout d’abord, estimé, au point 42 de l’arrêt attaqué Twins, que l’annulation partielle de la décision litigieuse Falcon n’avait pas pour conséquence l’irrégularité de la saisie de tous les documents collectés au cours de l’inspection Falcon et ne saurait donc entraîner, de manière automatique, l’annulation de la décision litigieuse Twins. Il a ainsi procédé à l’examen des trois documents sur le fondement desquels la Commission avait adopté cette dernière décision.
24 Ensuite, le Tribunal a, au point 46 de l’arrêt attaqué Twins, considéré qu’un document pouvait comporter des éléments pertinents, à la fois pour une enquête relative à une éventuelle infraction à l’article 102 TFUE et pour une enquête relative à une éventuelle infraction à l’article 101 TFUE.
25 En outre, le Tribunal a rappelé que l’analyse des coûts encourus par une entreprise dominante est au cœur de l’appréciation du comportement d’une telle entreprise lorsqu’elle est soupçonnée d’abuser de sa position dominante en recourant à la pratique de prix prédateurs, et que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés non seulement sur les coûts encourus par cette entreprise, mais aussi sur la stratégie de celle-ci.
26 Enfin, le Tribunal a conclu que les trois documents en cause relevaient bien de l’objet de l’inspection Falcon et avaient été obtenus légalement à l’occasion de celle-ci. Par ailleurs, même si, pris isolément, ces éléments ne permettaient pas de tirer une conclusion concrète et précise sur les coûts de České dráhy, pris conjointement avec d’autres éléments contenus dans d’autres documents saisis à l’occasion de cette inspection, ils pouvaient, selon le Tribunal, contribuer à établir une image plus ou moins détaillée et fidèle des coûts de ladite société ou même dévoiler, éventuellement, une stratégie anticoncurrentielle.
27 Ayant écarté les premier et deuxième moyens de recours sur la base de ces considérations, ainsi que les autres moyens, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
28 Dans son pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P, České dráhy demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué Falcon dans la mesure où il a rejeté son recours et condamné celle-ci aux dépens ;
– d’annuler la décision litigieuse Falcon ;
– de condamner la Commission aux dépens de la procédure de pourvoi ainsi que de première instance.
29 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de České dráhy aux dépens de l’instance de pourvoi.
30 Dans son pourvoi dans l’affaire C‑539/18 P, České dráhy demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué Twins ;
– d’annuler la décision litigieuse Twins ;
– de condamner la Commission aux dépens de la procédure de pourvoi et de première instance.
31 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de České dráhy aux dépens de l’instance de pourvoi.
32 Par décision du président de la Cour du 13 décembre 2018, les affaires C‑538/18 P et C‑539/18 P ont été jointes aux fins de l’arrêt.
Sur le pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P
33 À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P, České dráhy soulève quatre moyens contre l’arrêt attaqué Falcon.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
34 Par son premier moyen, České dráhy reproche au Tribunal d’avoir omis d’apprécier le caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse Falcon, notamment au regard de l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149), dans lequel la Cour aurait précisé que, aux fins d’une telle appréciation, il y a lieu de tenir compte de l’état d’avancement de l’enquête. En particulier, České dráhy fait valoir que, malgré la circonstance que l’autorité de concurrence tchèque avait communiqué à la Commission des informations très détaillées sur le comportement de České dráhy, la Commission se serait contentée de motiver ladite décision de manière très succincte et générique, sans fournir aucune indication au regard ni du marché pertinent ni des présomptions qu’elle entendait vérifier pendant l’inspection.
35 Selon la Commission, ce moyen est manifestement irrecevable étant donné que, d’une part, il n’indique pas de manière précise les points critiqués de l’arrêt attaqué Falcon et, d’autre part, il se limite à répéter les arguments soulevés devant le Tribunal. En tout état de cause, ce moyen serait non fondé.
Appréciation de la Cour
36 S’agissant de la recevabilité du présent moyen, il convient de relever, en premier lieu, que, par celui-ci, České dráhy reproche au Tribunal d’avoir omis de procéder à l’appréciation complète du caractère suffisamment motivé de la décision litigieuse Falcon.
37 Or, lorsqu’un requérant au pourvoi soutient que le Tribunal n’a pas répondu à un moyen, il ne saurait lui être reproché, au titre de la recevabilité du moyen du pourvoi, de ne citer aucun passage ou aucune partie de l’arrêt attaqué qui serait visé précisément par son argument, dès lors que, par hypothèse, est invoqué un défaut de réponse (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 148 ainsi que jurisprudence citée).
38 En second lieu, contrairement aux allégations de la Commission, České dráhy ne se limite pas à répéter ses arguments en première instance, dès lors qu’elle soutient que la motivation de l’arrêt attaqué Falcon ne satisfait pas aux exigences posées par la jurisprudence de la Cour.
39 Par conséquent, le premier moyen est recevable.
40 En ce qui concerne le fond de ce moyen, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 que les décisions d’inspection de la Commission doivent indiquer, notamment, l’objet et le but de l’inspection. Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
41 À ces fins, la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision d’inspection toutes les informations dont elle dispose relatives à des infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
42 S’il incombe, certes, à la Commission d’indiquer avec autant de précision que possible ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, il n’est, en revanche, pas indispensable de faire apparaître, dans une décision d’inspection, une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, à condition que cette décision d’inspection contienne les éléments essentiels exposés ci-dessus (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
43 En effet, compte tenu du fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, la Commission ne dispose pas encore d’informations précises pour émettre un avis juridique spécifique et doit d’abord vérifier le bien-fondé de ses soupçons ainsi que la portée des faits survenus, le but de l’inspection étant précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
44 En l’occurrence, il convient, tout d’abord, de constater que le Tribunal a, aux points 44 à 47 de l’arrêt attaqué Falcon, expliqué les raisons pour lesquelles il a, en substance, considéré que la décision litigieuse Falcon était suffisamment motivée. En particulier, le Tribunal a considéré qu’il ne saurait être imposé à la Commission d’indiquer, au stade de l’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 102 TFUE, sans pour autant que cela ait pour effet de préjuger l’exercice des droits de la défense de l’entreprise concernée au cours d’une éventuelle phase contradictoire administrative ultérieure.
45 Sur ce fondement, le Tribunal a, au point 47 de l’arrêt attaqué Falcon, conclu que, afin de respecter son obligation de motivation, la Commission pouvait légitimement se limiter, dans la décision litigieuse Falcon, à indiquer, en substance, l’objet de cette inspection, à savoir la liaison ferroviaire Prague-Ostrava, la présomption d’infraction aux règles de concurrence qu’elle entendait vérifier, à savoir la pratique de prix prédateurs, ainsi que la période au cours de laquelle l’infraction aurait été commise, à savoir la période courant à partir de l’année 2011.
46 Sans contester expressément le bien-fondé de la motivation du Tribunal audit point 47, České dráhy allègue, en substance, que cette motivation ne satisfait pas au niveau de détail auquel elle aurait dû parvenir compte tenu de la circonstance que l’enquête de la Commission avait été initiée à la suite d’une précédente enquête nationale, dans le cadre de laquelle l’autorité de concurrence tchèque avait déjà recueilli une grande quantité d’informations sur le comportement prétendument anticoncurrentiel de České dráhy, informations dont la Commission disposait à la date de l’adoption de la décision litigieuse Falcon.
47 En particulier, České dráhy soutient que le Tribunal, tout en ayant, au point 40 de l’arrêt attaqué Falcon, correctement rappelé le point 39 de l’arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149), aurait fait une mauvaise application de celui-ci dans la mesure où il n’aurait pas tenu compte du fait que la Commission disposait déjà d’informations qui lui auraient permis d’exposer avec davantage de précision les soupçons d’infraction pesant sur České dráhy.
48 À cet égard, il suffit de rappeler que, dans cet arrêt, la Cour a exclu que la motivation de la décision litigieuse dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt satisfasse aux exigences de motivation fixées à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour justifier une demande de renseignements, étant donné que cette demande était intervenue plus de deux années après les premières inspections, alors que la Commission avait déjà adressé plusieurs demandes de renseignements à des entreprises soupçonnées d’avoir participé à une infraction et plusieurs mois après la décision d’ouverture de la procédure administrative.
49 Or, en l’espèce, la décision litigieuse Falcon était la première décision d’inspection adoptée par la Commission dans le cadre de la première enquête concernant l’infraction en question prétendument commise par České dráhy.
50 Certes, il ressort du considérant 9 de cette décision que la Commission disposait des informations précédemment recueillies par l’autorité de concurrence tchèque. Toutefois, le fait de disposer de ces informations ne saurait, en tant que tel, avoir de conséquences sur l’obligation de motivation pesant sur la Commission. En effet, ces informations avaient été collectées non pas par la Commission sur le fondement du droit de la concurrence de l’Union, mais par ladite autorité de concurrence sur le fondement du droit de la concurrence national.
51 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
52 Par son deuxième moyen, České dráhy soutient que non seulement la Commission ne disposait pas d’indices suffisants pour établir un soupçon de violation de l’article 102 TFUE, mais le dossier de l’enquête contenait même de nombreux éléments à décharge dont la Commission aurait dû tenir compte. En ayant omis d’apprécier de tels éléments, pourtant à sa disposition, et en ordonnant malgré cela l’inspection, la Commission aurait violé le principe de proportionnalité. Or, le Tribunal se serait abstenu, à tort, de constater une telle omission de la Commission.
53 En outre, le Tribunal aurait lui-même apprécié certains desdits éléments de manière incorrecte. En particulier, České dráhy fait valoir, tout d’abord, que le Tribunal a, aux points 62 à 64 de l’arrêt attaqué Falcon, renvoyé à certains passages marginaux de l’expertise de l’Université de Pardubice (République tchèque) considérant qu’il s’agissait d’indices justifiant que l’inspection soit ordonnée, mais il a ignoré les conclusions principales de cette expertise, selon lesquelles České dráhy n’avait pas commis d’infraction.
54 Ensuite, le Tribunal aurait reconnu que certains éléments du dossier démontraient que les recettes de České dráhy dépassaient les coûts variables, mais il en aurait tiré des conclusions erronées quant à l’existence d’une pratique de prix prédateurs. En effet, alors que, selon le point 68 de l’arrêt attaqué Falcon, de telles recettes n’excluraient pas, à elles seules, que České dráhy ait commis une infraction à l’article 102 TFUE, le Tribunal n’aurait pas considéré que le fait que ces recettes dépassaient les coûts variables, associé aux autres éléments de preuve que le Tribunal aurait omis de considérer, aurait, en revanche, permis de renverser tout soupçon d’application de prix prédateurs et donc démontré que České dráhy n’avait suivi aucun plan visant à l’éviction de ses concurrents.
55 Enfin, le Tribunal, au point 69 de l’arrêt attaqué Falcon, aurait considéré que, même si le comportement de České dráhy n’avait aucun effet d’éviction, cela n’exclurait pas l’existence d’un plan d’éviction. Or, le Tribunal, contrairement aux exigences posées par la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C‑209/10, EU:C:2012:172), n’aurait pas vérifié si ce prétendu plan d’éviction aurait pu avoir pour résultat l’éviction effective ou probable des concurrents de České dráhy. En particulier, le Tribunal aurait dû tenir compte du fait que la liaison Prague-Ostrava est bien ouverte à la concurrence et qu’au moins un concurrent réalise des bénéfices sur ce marché en appliquant des prix inférieurs à ceux de České dráhy.
56 Selon la Commission, ce moyen est manifestement irrecevable dès lors qu’il n’indique pas de manière précise les points de l’arrêt attaqué Falcon dont l’annulation est demandée, n’identifie aucune erreur commise par le Tribunal et se borne à répéter les arguments présentés au soutien du recours en première instance. En tout état de cause, ce moyen serait non fondé.
Appréciation de la Cour
57 En ce qui concerne la recevabilité du présent moyen, il y a lieu de relever, d’une part, que, dès lors que, par ce moyen, České dráhy fait valoir que le Tribunal a omis de répondre à son argumentation au soutien de son recours, il ne saurait lui être reproché, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 37 du présent arrêt, de ne citer aucun passage ou aucune partie de l’arrêt attaqué Falcon.
58 D’autre part, České dráhy ne se limite pas à répéter ses arguments en première instance dès lors qu’elle fait valoir que le Tribunal aurait commis une erreur de droit, en premier lieu, en omettant d’exiger de la Commission qu’elle prenne en considération tous les éléments du dossier et, en second lieu, en s’écartant de la jurisprudence de la Cour au regard de la nécessité de la preuve d’un plan d’éviction afin d’établir l’existence d’une pratique de prix prédateurs.
59 Cela étant, dans la mesure où České dráhy remet en question l’appréciation d’éléments de preuve contenue aux points 62 à 64 et 68 de l’arrêt attaqué Falcon, sans pour autant soulever la dénaturation de ces éléments, cette partie du deuxième moyen est irrecevable.
60 En effet, selon une jurisprudence constante, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est seulement compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour. Au demeurant, si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, points 63 et 64 ainsi que jurisprudence citée).
61 Par conséquent, le deuxième moyen de pourvoi est partiellement irrecevable.
62 S’agissant du fond de la partie recevable de ce moyen, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 42 et 43 du présent arrêt, compte tenu du fait que le but d’une inspection est précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction présumée afin de vérifier le bien-fondé des soupçons de la Commission, celle-ci n’est pas tenue de procéder à une qualification juridique rigoureuse des infractions présumées, pour autant qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier.
63 En outre, la Cour a également déjà précisé que, s’agissant de l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure d’inspection, il incombe à la Commission, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire afin de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence. Même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut dès lors légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction, sa durée ou le cercle des entreprises impliquées (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, points 77 et 78 ainsi que jurisprudence citée).
64 Il s’ensuit que, en présence d’indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner une telle violation, la Commission ne saurait être tenue d’apprécier également tous les indices allant en sens inverse. Cela vaut d’autant plus que de tels indices peuvent être avancés par l’entreprise concernée dans le cadre de sa défense dans la suite éventuelle de la procédure administrative ou, le cas échéant, juridictionnelle contre la décision mettant fin à l’enquête.
65 Or, en l’occurrence, en premier lieu, le Tribunal a, aux points 57 à 69 de l’arrêt attaqué Falcon, précisément vérifié les éléments à la disposition de la Commission susceptibles de permettre à celle-ci de soupçonner l’existence d’une infraction à l’article 102 TFUE et a, au point 70 de cet arrêt, conclu que, au vu de cette vérification, le grief tiré de l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE par České dráhy, consistant à pratiquer des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis l’année 2011, devait être rejeté.
66 En second lieu, et s’agissant de l’argument selon lequel le Tribunal a, au point 69 de l’arrêt attaqué Falcon, considéré à tort que, même si le comportement de České dráhy n’avait aucun effet d’éviction, cela n’exclurait pas l’existence d’un plan d’éviction, il convient de relever que cet argument procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué Falcon ainsi que de l’arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C‑209/10, EU:C:2012:172, point 44).
67 En effet, dans ce dernier arrêt, la Cour a, en substance, précisé qu’une politique de prix bas appliquée à l’égard de certains anciens clients importants d’un concurrent par une entreprise occupant une position dominante ne peut être considérée comme étant constitutive d’une pratique d’éviction abusive au seul motif que le prix appliqué par cette entreprise à l’un de ces clients se situe à un niveau inférieur aux coûts totaux moyens imputés à l’activité concernée, mais supérieur aux coûts incrémentaux moyens afférents à celle-ci, sans avoir également examiné si cette politique de prix, sans justification objective, a pour résultat l’éviction effective ou probable de ce concurrent, au détriment du jeu de la concurrence et, de ce fait, des intérêts des consommateurs.
68 Or, le Tribunal, après avoir lui-même, au point 68 de l’arrêt attaqué Falcon, rappelé le contenu de cette jurisprudence, s’est borné à préciser, au point 69 de cet arrêt, que le fait qu’une telle pratique n’a pas rencontré le succès escompté n’exclut pas une infraction à l’article 102 TFUE.
69 Ainsi, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la circonstance que la pratique présumée de České dráhy ait pu avoir pour résultat l’éviction effective ou probable des concurrents de celle-ci, mais s’est limité à considérer que la stratégie de l’entreprise dominante visant à obtenir un tel résultat ne pouvait pas être exclue du seul fait que, finalement, ladite pratique n’a pas rencontré le succès escompté.
70 Ce faisant, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, étant donné que la jurisprudence a déjà clarifié que, lorsqu’une entreprise dominante met effectivement en œuvre une pratique tarifaire visant à évincer ses concurrents du marché concerné, la circonstance que le résultat escompté, à savoir l’exclusion de ces concurrents, n’est pas, en définitive, atteint ne saurait écarter la qualification d’abus au sens de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, point 65).
71 Il y a lieu, dès lors, d’écarter le deuxième moyen comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
72 Par son troisième moyen, qui est composé de deux branches, České dráhy invoque la violation de l’article 102 TFUE.
73 Par la première branche de ce moyen, České dráhy soutient que le Tribunal aurait dû vérifier si la Commission avait correctement défini le marché géographique pertinent afin de s’assurer que la condition prévue à l’article 102 TFUE, selon laquelle l’abus de position dominante concerne le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, était remplie.
74 Or, en l’espèce, la Commission, sans définir précisément le marché du produit en cause, ce marché pouvant être la liaison ferroviaire Prague-Ostrava, mais aussi des portions de celle-ci, se serait contentée d’apprécier la position de České dráhy sur le territoire de toute la République tchèque, alors que, en réalité, ce territoire ne constituerait pas le marché géographique pertinent. Par ailleurs, une telle approche violerait également l’article 2 TUE ainsi que les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où elle discriminerait toute entreprise de grande dimension sur la seule base de sa taille. En réalité, la liaison Prague-Ostrava ne représenterait qu’une portion de 0,16 % de la longueur totale des voies ferrées dans l’Union et elle ne saurait donc être considérée comme étant une partie substantielle du marché intérieur.
75 Par la seconde branche du troisième moyen, České dráhy considère que le Tribunal a violé l’article 102 TFUE également lorsqu’il a, au point 142 de l’arrêt attaqué Falcon, considéré, sans aucune analyse approfondie, que, eu égard à la position géographique de la ville d’Ostrava proche des frontières avec d’autres États membres, le comportement de České dráhy avait eu des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché intérieur. En effet, le Tribunal aurait omis d’évaluer le caractère sensible de l’effet dudit comportement sur le commerce entre les États membres.
76 Par ailleurs, la circonstance que le Tribunal, pour apprécier cette condition d’application de l’article 102 TFUE, se soit concentré sur la liaison Prague-Ostrava contredirait l’observation, effectuée dans l’analyse de la première condition d’application de cet article, selon laquelle la zone déterminante était l’ensemble du territoire de la République tchèque.
77 La Commission conteste cette argumentation et soutient que le troisième moyen doit être rejeté.
Appréciation de la Cour
78 Afin de statuer sur le troisième moyen, il y a lieu de relever que le Tribunal, d’une part, aux points 141 à 144 de l’arrêt attaqué Falcon, a examiné l’affectation du commerce entre les États membres par le comportement présumé de České dráhy et, d’autre part, aux points 145 à 148 dudit arrêt, s’est penché sur la question de la définition du marché géographique pertinent.
79 Certes, à cet égard, le Tribunal n’a exigé de la Commission ni qu’elle précise si cette affectation était « sensible » ni qu’elle fournisse une définition précise du marché géographique pertinent.
80 Cependant, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 42 du présent arrêt et à condition que la décision d’inspection contienne les éléments essentiels, d’une part, la Commission ne saurait être tenue de fournir, dans sa décision d’inspection, une délimitation précise du marché en cause et, d’autre part, il n’est a fortiori pas indispensable de faire apparaître, dans une telle décision, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre les États membres.
81 En tout état de cause, en l’espèce, le Tribunal, d’une part, a considéré, au point 148 de l’arrêt attaqué Falcon, que la condition relative à l’exploitation d’une position dominante sur le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci serait remplie même si la liaison ferroviaire Prague-Ostrava ne constituait pas une partie substantielle du marché intérieur, ce que České dráhy n’a pas contesté.
82 D’autre part, la possibilité que le comportement présumé de České dráhy affecte le commerce entre les États membres de manière sensible peut être déduite des éléments pris en considération par le Tribunal au point 141 de l’arrêt attaqué Falcon, à savoir, premièrement, que la liaison Prague-Ostrava est considérée comme l’une des principales liaisons ferroviaires de la République tchèque, notamment du fait qu’il n’existe pas d’autoroute directe entre Prague et Ostrava, cette dernière ville se situant à une dizaine de kilomètres de la frontière polonaise et à quelques dizaines de kilomètres de la frontière slovaque ; deuxièmement, que les transporteurs concurrents actifs sur la liaison Prague-Ostrava opèrent également dans d’autres États membres, notamment en République slovaque ; troisièmement, que la liaison Prague-Ostrava fait partie des lignes des transporteurs concurrents notamment vers ledit État membre.
83 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen
84 Par son quatrième et dernier moyen, České dráhy soutient que les points 187 et 188 de l’arrêt attaqué Falcon contiennent une erreur de droit, étant donné que le Tribunal, pour les raisons indiquées au soutien des trois premiers moyens de pourvoi, aurait dû accueillir intégralement le recours en annulation et, partant, condamner la Commission à supporter l’intégralité des dépens exposés par České dráhy.
85 Il suffit de rappeler, à cet égard, que, en vertu de l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens.
86 Ainsi, il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse où tous les autres moyens d’un pourvoi ont été rejetés, les conclusions concernant la prétendue irrégularité de la décision du Tribunal sur les dépens doivent être rejetées comme étant irrecevables, en application de ladite disposition (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 51).
87 Il s’ensuit que, dans la mesure où les trois premiers moyens du pourvoi formé par České dráhy doivent être rejetés, le quatrième moyen doit être déclaré irrecevable.
88 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P doit être rejeté dans son intégralité.
Sur le pourvoi dans l’affaire C‑539/18 P
89 À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑539/18 P, České dráhy soulève quatre moyens contre l’arrêt attaqué Twins.
Sur le premier moyen
90 Par son premier moyen, České dráhy soutient que, la décision litigieuse Twins ayant été adoptée exclusivement sur le fondement de documents saisis lors de l’inspection Falcon, si la Cour devait accueillir son pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P dans le cadre duquel České dráhy demande l’annulation de l’arrêt attaqué Falcon ainsi que de la décision litigieuse Falcon, il s’ensuivrait nécessairement que la décision litigieuse Twins devrait également être annulée pour ce seul motif, comme d’ailleurs le Tribunal lui-même l’aurait reconnu au point 39 de l’arrêt attaqué Twins.
91 Il suffit de relever à cet égard que ce moyen est fondé sur la seule prémisse que le pourvoi dans l’affaire C‑538/18 P contre l’arrêt attaqué Falcon soit accueilli et que, partant, la décision litigieuse Falcon soit annulée.
92 Étant donné que, comme il résulte du point 88 du présent arrêt, ce pourvoi doit être rejeté dans son intégralité, une telle prémisse est erronée de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le présent moyen.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
93 Par son troisième moyen, qu’il y a lieu de traiter en deuxième lieu, České dráhy soutient que, dans le cadre de son appréciation des trois documents sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins avait été adoptée afin de déterminer s’ils avaient été ou non saisis dans le cadre de la partie légale de l’inspection Falcon, le Tribunal a, aux points 53 à 79 de l’arrêt attaqué Twins, commis des erreurs de droit.
94 En effet, il découlerait notamment de la jurisprudence issue de l’arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, EU:C:1991:286), que, à l’occasion d’une inspection portant sur des prix inférieurs aux coûts de revient allégués sur un marché spécifique, s’il est vrai que la Commission est en droit de saisir les documents contenant directement ou indirectement des informations sur les coûts et les recettes de l’entreprise examinée sur ledit marché, ainsi que les documents démontrant l’existence d’un plan éventuel de cette entreprise pour évincer les concurrents de ce marché, elle ne serait, toutefois, pas autorisée à saisir d’autres documents.
95 Or, le Tribunal aurait, aux points 57 à 59 et 65 et 68 de l’arrêt attaqué Twins, considéré que la Commission a le droit, pendant une inspection visant une prétendue pratique de prix prédateurs, de saisir non seulement des documents pertinents au regard des critères découlant de cette jurisprudence, mais aussi des documents qui, même s’ils ne permettent pas de tirer une conclusion concrète et précise sur les coûts de l’entreprise examinée, pris conjointement avec d’autres éléments contenus dans d’autres documents peuvent contribuer à établir une image plus ou moins détaillée et fidèle des coûts de ladite entreprise. Cela serait aussi vrai lorsque les documents, tout en ne comportant pas d’informations concrètes sur les coûts et ne concernant aucun produit concret, et bien qu’ils ne puissent donc servir d’étalon pour la répartition habituelle des coûts entre les différents produits, démontrent une « stratégie » de l’entreprise en question.
96 Selon České dráhy, en application de ces critères, la portée d’une inspection visant des prix prédateurs allégués serait quasiment illimitée. Ainsi, la Commission serait tenue de délimiter concrètement l’objet d’une telle inspection et, pendant le déroulement de celle-ci, elle ne pourrait saisir que les documents relevant de cet objet. Le test appliqué par le Tribunal serait, par ailleurs, contraire au principe de proportionnalité.
97 Enfin, tout en considérant que les trois documents en question auraient été saisis illégalement par la Commission, České dráhy relève qu’il suffirait qu’un seul de ces trois documents l’ait été pour entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué Twins.
98 La Commission conteste cette argumentation et soutient que le troisième moyen doit être rejeté.
Appréciation de la Cour
99 Afin de statuer sur le troisième moyen, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où la motivation d’une décision ordonnant une inspection circonscrit le champ des pouvoirs conférés aux agents de la Commission, seuls les documents relevant de l’objet d’une telle inspection peuvent être recherchés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 60).
100 En outre, la Cour a déjà jugé que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il y a lieu de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante et sur la stratégie de celle-ci. En effet, si des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés, en principe, comme étant abusifs, les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, ne doivent être considérés comme étant abusifs que lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C‑202/07 P, EU:C:2009:214, points 108 et 109 ainsi que jurisprudence citée).
101 Il s’ensuit que, dans le cadre d’une inspection visant une prétendue pratique de prix prédateurs par une entreprise dominante, la Commission peut légitimement rechercher au moins des documents concernant soit les coûts encourus par cette entreprise, soit la stratégie de celle-ci.
102 Or, en l’occurrence, il résulte de l’appréciation des trois documents, effectuée aux points 69 à 71 de l’arrêt attaqué Twins, sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins a été adoptée, que ces documents contenaient des informations concernant la structure et la nature des coûts de České dráhy ainsi que l’évolution des recettes de celle-ci.
103 České dráhy n’ayant pas contesté cette appréciation du Tribunal, il y a lieu de constater que les trois documents sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins a été adoptée relevaient de l’objet de l’inspection Falcon, dans la mesure où celle-ci visait à vérifier la licéité de la politique de prix appliquée par České dráhy sur la liaison Prague-Ostrava depuis l’année 2011.
104 Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur en considérant, au point 78 de l’arrêt attaqué Twins, que lesdits documents avaient été saisis dans le cadre de la partie légale de l’inspection Falcon.
105 Dans ces conditions, il convient de rejeter le troisième moyen du pourvoi comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
106 Par son deuxième moyen, České dráhy soutient que c’est à tort que le Tribunal a omis d’apprécier les allégations de celle-ci selon lesquelles les trois documents, sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins avait été adoptée, avaient été saisis dans le cadre de la partie illégale de l’inspection Falcon. Ladite partie de cette inspection avait pour objet de prétendus abus de position dominante autres que la pratique de prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis l’année 2011. Or, si le Tribunal avait procédé à une telle appréciation et conclu que, en réalité, ces trois documents n’étaient pas liés à cette pratique et que donc la Commission les avait saisis illégalement, il aurait dû conclure à l’illégalité de la décision litigieuse Twins.
107 Selon la Commission, ce moyen est manifestement irrecevable en ce qu’il n’indique pas les points critiqués de l’arrêt attaqué Twins et, en tout état de cause, non fondé.
Appréciation de la Cour
108 En ce qui concerne la recevabilité du présent moyen, il convient de relever que, compte tenu du fait que celui-ci critique une prétendue omission du Tribunal, il est recevable au regard des considérations développées au point 37 du présent arrêt.
109 S’agissant du fond de ce moyen, il suffit de constater que le Tribunal a, aux points 43 à 77 de l’arrêt attaqué Twins, apprécié la question de savoir si les trois documents sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins avait été adoptée relevaient ou non de la partie légale de la décision litigieuse Falcon.
110 Cette appréciation lui a permis de conclure, au point 78 de cet arrêt, que lesdits documents avaient été obtenus légalement par la Commission à l’occasion de l’inspection Falcon et que la décision litigieuse Twins pouvait être adoptée sur le fondement de ces documents.
111 Au demeurant, il convient encore de souligner que, ainsi qu’il résulte du point 93 du présent arrêt, České dráhy elle-même a fait valoir, par son troisième moyen de pourvoi, que le Tribunal avait commis des erreurs de droit dans l’appréciation desdits documents afin de déterminer la légalité de leur saisie, en admettant ainsi implicitement que le Tribunal n’avait nullement omis de procéder à une telle appréciation.
112 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen du pourvoi comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen
113 Par son quatrième et dernier moyen, České dráhy soutient que les points 118 et 119 de l’arrêt attaqué Twins contiennent une erreur de droit, dans la mesure où le Tribunal, pour les raisons indiquées au soutien des trois premiers moyens de pourvoi, aurait dû accueillir le recours en annulation et, partant, aurait dû condamner la Commission à supporter l’intégralité des dépens exposés par České dráhy.
114 Eu égard à la jurisprudence rappelée, au point 86 du présent arrêt, et compte tenu du fait que les trois premiers moyens du pourvoi formé par České dráhy doivent être rejetés, le quatrième moyen doit être déclaré irrecevable.
115 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi dans l’affaire C‑539/18 P doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
116 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
117 La Commission ayant conclu à la condamnation de České dráhy aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens dans les deux procédures de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Les pourvois sont rejetés.
2) České dráhy a.s. est condamnée aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le tchèque.
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