Euro Box Promotion and Others (Judgment) French Text [2021] EUECJ C-357/19 (21 December 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C35719.html
Cite as: EU:C:2021:1034, [2021] EUECJ C-357/19, ECLI:EU:C:2021:1034

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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 décembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Décision 2006/928/CE – Mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption – Nature et effets juridiques – Caractère obligatoire pour la Roumanie – État de droit – Indépendance des juges – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Lutte contre la corruption – Protection des intérêts financiers de l’Union – Article 325, paragraphe 1, TFUE – Convention “PIF” – Procédures pénales – Arrêts de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) concernant la légalité de l’administration de certaines preuves et la composition des formations de jugement en matière de corruption grave – Obligation pour les juges nationaux de donner plein effet aux décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) – Responsabilité disciplinaire des juges en cas de non-respect de ces décisions – Pouvoir de laisser inappliquées des décisions de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) non conformes au droit de l’Union – Principe de primauté du droit de l’Union »

Dans les affaires jointes C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19,

ayant pour objet cinq demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décisions des 6 mai 2019 (C‑357/19), 13 mai 2019 (C‑547/19), 31 octobre 2019 (C‑811/19) et 19 novembre 2019 (C‑840/19), parvenues à la Cour, respectivement, les 6 mai, 15 juillet, 4 novembre et 19 novembre 2019, ainsi que par le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor, Roumanie), par décision du 14 mai 2019, parvenue à la Cour le 14 mai 2019 (C‑379/19),

dans les procédures pénales contre

PM (C‑357/19)

RO (C‑357/19),

SP (C‑357/19),

TQ (C‑357/19),

KI (C‑379/19),

LJ (C‑379/19),

JH (C‑379/19),

IG (C‑379/19),

FQ (C‑811/19),

GP (C‑811/19),

HO (C‑811/19),

IN (C‑811/19),

NC (C‑840/19),

en présence de :

Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie (C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19),

QN (C‑357/19),

UR (C‑357/19),

VS (C‑357/19),

WT (C‑357/19),

Autoritatea Naţională pentru Turism (C‑357/19),

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală (C‑357/19),

SC Euro Box Promotion SRL (C‑357/19),

Direcţia Naţională Anticorupţie – Serviciul Teritorial Oradea (C‑379/19),

JM (C‑811/19),

ainsi que dans la procédure

CY,

Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » 

contre

Inspecţia Judiciară,

Consiliul Superior al Magistraturii,

Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (C‑547/19),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, M. S. Rodin, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, T. von Danwitz (rapporteur), M. Safjan, F. Biltgen et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour PM, par Mes V. Rădulescu et V. Tobă, avocați,

–        pour RO, par Mes M. O. Ţopa et R. Chiriţă, avocați,

–        pour TQ, par Me M. Mareş, avocat,

–        pour KI et LJ, par Mes R. Chiriță, F. Mircea et O. Chiriță, avocați,

–        pour CY, par Me P. Rusu, avocat, ainsi que par Mme C. Bogdan,

–        pour l’Asociația « Forumul Judecătorilor din România », par M. D. Călin et Mme L. Zaharia,

–        pour FQ, par Me A. Georgescu, avocat,

–        pour NC, par Mes D. Lupaşcu et G. Thuan Dit Dieudonné, avocats,

–        pour le Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie, par M. C. Nistor et Mme D. Ana, en qualité d’agents,

–        pour la Direcția Națională Anticorupție – Serviciul Teritorial Oradea, par Mme D. Ana, en qualité d’agent,

–        pour l’Inspecția Judiciară, par M. L. Netejoru, en qualité d’agent,

–        pour le Consiliul Superior al Magistraturii, par Mme L. Savonea, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement roumain, initialement par MM. C.-R. Canţăr et S.-A. Purza ainsi que par Mmes E. Gane, R. I. Haţieganu et L. Liţu, puis par M. S.-A. Purza ainsi que par Mmes E. Gane, R. I. Haţieganu et L. Liţu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, initialement par MM. J. Baquero Cruz, I. Rogalski, P. Van Nuffel, M. Wasmeier et H. Krämer, puis par MM. J. Baquero Cruz, I. Rogalski, P. Van Nuffel et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 et annexée à l’acte du Conseil, du 26 juillet 1995 (JO 1995, C 316, p. 48, ci-après la « convention PIF »), de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56), ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre :

–        de procédures pénales contre PM, RO, TQ et SP (C‑357/19), KI, LJ, JH et IG (C‑379/19), FQ, GP, HO et IN (C‑811/19), et NC (C‑840/19) pour des infractions notamment de corruption et de fraude fiscale relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ;

–        d’un litige opposant CY et l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » (ci-après le « Forum des juges de Roumanie ») à l’Inspecţia Judiciară (Inspection judiciaire, Roumanie), au Consiliul Superior al Magistraturii (Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie) et à l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie, ci-après la « Haute Cour de cassation et de justice ») au sujet de l’imposition d’une sanction disciplinaire à CY (C‑547/19).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La convention PIF

3        L’article 1er, paragraphe 1, de la convention PIF est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes :

a)      en matière de dépenses, tout acte ou omission intentionnel relatif :

–        à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

–        à la non-communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,

–        au détournement de tels fonds à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés ;

b)      en matière de recettes, tout acte ou omission intentionnel relatif :

–        à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

[...] »

4        L’article 2, paragraphe 1, de cette convention dispose :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour assurer que les comportements visés à l’article 1er, ainsi que la complicité, l’instigation ou la tentative relatives aux comportements visés à l’article 1er, paragraphe 1, sont passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, incluant, au moins dans les cas de fraude grave, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l’extradition, étant entendu que doit être considérée comme fraude grave toute fraude portant sur un montant minimal à fixer dans chaque État membre. Ce montant minimal ne peut pas être fixé à plus de 50 000 [euros]. »

5        Par acte du 27 septembre 1996, le Conseil a établi le protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1996, C 313, p. 1). Conformément à ses articles 2 et 3, ce protocole couvre les actes de corruption passive et active.

 Le traité d’adhésion

6        Le traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11, ci-après le « traité d’adhésion »), entré en vigueur le 1er janvier 2007, dispose, à son article 2, paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les conditions de l’admission et les adaptations des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée, que celle-ci entraîne et qui s’appliqueront à compter de la date d’adhésion jusqu’à la date d’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, figurent dans l’acte annexé au présent traité. Les dispositions de cet acte font partie intégrante du présent traité.

3.      [...]

Les actes adoptés avant l’entrée en vigueur du protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3, sur la base du présent traité ou de l’acte visé au paragraphe 2 restent en vigueur et leurs effets juridiques sont maintenus jusqu’à la modification ou l’abrogation de ces actes. »

 L’acte d’adhésion

7        L’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’« acte d’adhésion »), entré en vigueur le 1er janvier 2007, prévoit, à son article 2 :

« Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne, lient la Bulgarie et la Roumanie et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte. »

8        L’article 37 de cet acte est libellé comme suit :

« Si la Bulgarie ou la Roumanie n’a pas donné suite aux engagements qu’elle a pris dans le cadre des négociations d’adhésion, y compris les engagements à l’égard de toutes les politiques sectorielles qui concernent les activités économiques ayant une dimension transfrontalière, et provoque ainsi, ou risque de provoquer à très brève échéance, un dysfonctionnement grave du marché intérieur, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion, à la demande motivée d’un État membre, ou de sa propre initiative, adopter des mesures appropriées.

Ces mesures sont proportionnées et le choix est donné en priorité à celles qui perturbent le moins le fonctionnement du marché intérieur et, le cas échéant, à l’application des mécanismes de sauvegarde sectoriels en vigueur. Ces mesures de sauvegarde ne peuvent pas être utilisées comme moyen de discrimination arbitraire ou de restriction déguisée des échanges commerciaux entre les États membres. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations établies dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées lorsque l’engagement correspondant est rempli. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que les engagements correspondants n’ont pas été remplis. La Commission peut adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre concerné remplit ses engagements. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

9        L’article 38 de l’acte d’adhésion dispose :

« Si de graves manquements ou un risque imminent de graves manquements sont constatés en Bulgarie ou en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application des décisions-cadres ou de tout autre engagement, instrument de coopération et décision afférents à la reconnaissance mutuelle en matière pénale adoptés sur la base du titre VI du traité UE, et des directives et règlements relatifs à la reconnaissance mutuelle en matière civile adoptés sur la base du titre IV du traité CE, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion et à la demande motivée d’un État membre ou de sa propre initiative et après avoir consulté les États membres, prendre les mesures appropriées en précisant les conditions et les modalités de leur application.

Ces mesures peuvent prendre la forme d’une suspension temporaire de l’application des dispositions et décisions concernées dans les relations entre la Bulgarie ou la Roumanie et un ou plusieurs autres États membres, sans que soit remise en cause la poursuite de l’étroite coopération judiciaire. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations faites dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées dès que le manquement constaté est corrigé. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que ces manquements persistent. La Commission peut, après avoir consulté les États membres, adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre corrige les manquements constatés. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

10      L’article 39, paragraphes 1 à 3, de l’acte d’adhésion prévoit :

« 1.      Si, sur la base du suivi continu des engagements pris par la Bulgarie et la Roumanie dans le cadre des négociations d’adhésion et notamment dans les rapports de suivi de la Commission, il apparaît clairement que l’état des préparatifs en vue de l’adoption et de la mise en œuvre de l’acquis en Bulgarie et en Roumanie est tel qu’il existe un risque sérieux que l’un de ces États ne soit manifestement pas prêt, d’ici la date d’adhésion du 1er janvier 2007, à satisfaire aux exigences de l’adhésion dans un certain nombre de domaines importants, le Conseil, statuant à l’unanimité sur la base d’une recommandation de la Commission, peut décider que la date d’adhésion prévue de l’État concerné est reportée d’un an, au 1er janvier 2008.

2.      Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, prendre la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point I, sont constatés.

3.      Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, et sans préjudice de l’article 37, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, peut prendre, après une évaluation détaillée qui aura lieu à l’automne 2005 sur les progrès réalisés par la Roumanie dans le domaine de la politique de la concurrence, la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie des obligations prises au titre de l’accord européen ou de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point II, sont constatés. »

11      L’annexe IX de l’acte d’adhésion, intitulée « Engagements spécifiques contractés par la Roumanie et exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004 (visés à l’article 39 de l’acte d’adhésion) », contient, à son point I, le passage suivant :

« En liaison avec l’article 39, paragraphe 2

[...]

4)      Renforcer considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la législation en matière de lutte contre la corruption ainsi que l’indépendance réelle de l’Office national du ministère public chargé de la lutte contre la corruption, et en présentant, à partir de novembre 2005 et sur une base annuelle, un rapport convaincant sur l’action menée par l’Office contre la corruption de haut niveau. Il faut que l’Office reçoive les effectifs, les ressources budgétaires et en matière de formation, ainsi que les équipements dont il a besoin pour jouer son rôle capital.

5)      [...] [La stratégie nationale de lutte contre la corruption] doit inclure l’engagement de réviser, d’ici la fin 2005, la procédure criminelle, dont la durée est excessive, pour que les affaires de corruption soient traitées d’une façon rapide et transparente et que des sanctions adéquates ayant un effet dissuasif soient prises ; [...]

[...] »

 La décision 2006/928

12      La décision 2006/928 a été adoptée, dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne prévue pour le 1er janvier 2007, sur le fondement, notamment, des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion. Les considérants 1 à 6 et 9 de cette décision sont ainsi libellés :

« (1)       L’Union européenne est fondée sur l’État de droit, un principe commun à tous les États membres.

(2)      L’espace de liberté, de sécurité et de justice et le marché intérieur instaurés par le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne reposent sur la conviction réciproque que les décisions et pratiques administratives et judiciaires de tous les États membres respectent pleinement l’État de droit.

(3)      Cette condition implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption.

(4)      Le 1er janvier 2007, la Roumanie deviendra membre de l’Union européenne. Tout en saluant les efforts considérables déployés par la Roumanie pour parachever ses préparatifs d’adhésion à l’Union européenne, la Commission a recensé, dans son rapport du 26 septembre 2006, des questions en suspens, en particulier en ce qui concerne la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi, domaines dans lesquels des progrès sont encore nécessaires pour garantir la capacité de ces organes à mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour établir le marché intérieur et l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(5)      L’article 37 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à adopter des mesures appropriées en cas de risque imminent de dysfonctionnement du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements qu’elle a pris. L’article 38 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à prendre des mesures appropriées en cas de risque imminent de manquements graves constaté en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application d’actes adoptés sur la base du titre VI du traité UE ou d’actes adoptés sur la base du titre IV du traité CE.

(6)      Les questions en suspens portant sur la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi justifient la mise en place d’un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption.

[...]

(9)      Il conviendra de modifier la présente décision si l’évaluation de la Commission indique qu’il y a lieu d’ajuster les objectifs de référence. La présente décision sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints. »

13      L’article 1er de la décision 2006/928 prévoit :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe.

La Commission peut, à tout moment, apporter une aide technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »

14      L’article 2 de cette décision dispose :

« La Commission transmettra, pour la première fois en juin 2007, au Parlement européen et au Conseil ses propres commentaires et conclusions sur le rapport présenté par la Roumanie.

La Commission leur fera de nouveau rapport par la suite, en fonction de l’évolution de la situation et au moins tous les six mois. »

15      L’article 4 de ladite décision énonce :

« Les États membres sont destinataires de la présente décision. »

16      L’annexe de la même décision est libellée comme suit :

« Objectifs de référence que la Roumanie doit atteindre, visés à l’article 1er :

1)      Garantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer.

2)      Constituer, comme prévu, une agence pour l’intégrité dotée de responsabilités en matière de vérification de patrimoine, d’incompatibilités et de conflits d’intérêt potentiels, mais aussi de la capacité d’arrêter des décisions impératives pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives.

3)      Continuer, en se basant sur les progrès déjà accomplis, à mener des enquêtes professionnelles et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau.

4)      Prendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l’administration locale. »

 Le droit roumain

 La Constitution roumaine

17      Le titre III de la Constituția României (Constitution roumaine), intitulé « Les autorités publiques », comprend, notamment, un chapitre VI, relatif à l’« autorité judiciaire », dans lequel figure l’article 126 de cette constitution. Cet article dispose :

« (1) La justice est rendue par la Haute Cour de cassation et de justice et par les autres instances judiciaires établies par la loi.

[...]

(3)      La Haute Cour de cassation et de justice assure l’interprétation et l’application uniformes de la loi par les autres juridictions, conformément à sa compétence.

(4)      La composition de la Haute Cour de cassation et de justice et ses règles de fonctionnement sont établies par une loi organique.

[...]

(6)      Le contrôle juridictionnel des actes administratifs des autorités publiques par la voie du contentieux administratif est garanti, à l’exception des actes relatifs aux rapports avec le Parlement ainsi que des actes de commandement militaire. Les juridictions administratives sont compétentes pour connaître des recours intentés par les personnes lésées, selon le cas, par des ordonnances ou par les dispositions d’ordonnances déclarées inconstitutionnelles. »

18      Le titre V de la Constitution roumaine, relatif à la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) (ci-après la « Cour constitutionnelle »), comprend les articles 142 à 147 de celle-ci. L’article 142, lui-même intitulé « Structure », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« (1) La Cour constitutionnelle est le garant de la suprématie de la Constitution.

(2)      La Cour constitutionnelle se compose de neuf juges, nommés pour un mandat de neuf ans, qui ne peut être prolongé ni renouvelé.

(3)      Trois juges sont nommés par la Camera Deputaţilor [(Chambre des Députés)], trois par le Senat [(Sénat)] et trois par le Preşedintele României [(Président de la Roumanie)]. »

19      L’article 143 de la Constitution roumaine est libellé comme suit :

« Les juges de la Cour constitutionnelle doivent avoir une formation juridique supérieure, une haute compétence professionnelle et une ancienneté de dix-huit ans au moins dans l’activité juridique ou dans l’enseignement juridique supérieur. »

20      L’article 144 de la Constitution roumaine dispose :

« La fonction de juge à la Cour constitutionnelle est incompatible avec toute autre fonction publique ou privée, à l’exception des fonctions pédagogiques de l’enseignement juridique supérieur. »

21      Selon l’article 145 de la Constitution roumaine :

« Les juges de la Cour constitutionnelle sont indépendants dans l’exercice de leur mandat et inamovibles pendant sa durée. »

22      L’article 146 de la Constitution roumaine prévoit :

« La Cour constitutionnelle a les attributions suivantes :

[...]

d)      elle décide des exceptions sur l’inconstitutionnalité des lois et des ordonnances, soulevées devant les instances judiciaires ou d’arbitrage commercial ; l’exception d’inconstitutionnalité peut être directement soulevée par l’avocat du peuple ;

e)      elle statue sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, sur demande du Président de la Roumanie, du président de l’une des deux Chambres, du primului-ministru [(Premier ministre)] ou du président du [Conseil supérieur de la magistrature] ;

[...] »

23      L’article 147 de la Constitution roumaine énonce, à son paragraphe 4 :

« Les décisions de la Cour constitutionnelle sont publiées au Monitorul Oficial al României [(Moniteur officiel de la Roumanie)]. À compter de la date de publication, les décisions sont contraignantes à titre général et ne produisent des effets que pour l’avenir. »

24      L’article 148, paragraphes 2 à 4, de la Constitution roumaine dispose :

« (2)      À la suite de l’adhésion, les dispositions des traités constitutifs de l’Union européenne ainsi que les autres réglementations communautaires contraignantes priment les dispositions contraires de la législation nationale, dans le respect des dispositions de l’acte d’adhésion.

(3)      Les dispositions des paragraphes 1 et 2 s’appliquent par analogie à l’adhésion aux actes de révision des traités constitutifs de l’Union européenne.

(4)      Le Parlement, le Président de la Roumanie, le gouvernement et l’autorité judiciaire garantissent le respect des obligations résultant de l’acte d’adhésion et des dispositions du paragraphe 2. »

 Le code pénal

25      L’article 154, paragraphe 1, du Codul penal (code pénal) prévoit :

« Les délais de prescription de la responsabilité pénale sont :

a)      15 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’emprisonnement supérieure à 20 ans ;

b)      10 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à 10 ans mais n’excédant pas 20 ans ;

c)      8 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à 5 ans mais n’excédant pas 10 ans ;

d)      5 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement supérieure à un an, mais n’excédant pas 5 ans ;

e)      3 ans, lorsque la loi prévoit pour l’infraction commise une peine d’emprisonnement qui n’excède pas un an ou l’amende. »

26      L’article 155, paragraphe 4, de ce code dispose :

« Les délais prévus à l’article 154, s’ils ont été déjà dépassés une deuxième fois, sont considérés comme remplis indépendamment du nombre d’interruptions. »

 Le code de procédure pénale

27      L’article 40, paragraphe 1, du Codul de procedură penală (code de procédure pénale) dispose :

« La Haute Cour de cassation et de justice connaît, en première instance, des délits de haute trahison, et des infractions commises par les sénateurs, les députés et les membres roumains du Parlement européen, les membres du gouvernement, les juges de la Cour constitutionnelle, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les juges de la Haute Cour de cassation et de justice et les procureurs du Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice)]. »

28      L’article 142, paragraphe 1, de ce code, dans sa version en vigueur avant le 14 mars 2016, était ainsi rédigé :

« Le procureur effectue la surveillance technique ou peut ordonner qu’elle soit effectuée par l’organe chargé des poursuites pénales, par des agents de police spécialisés ou par d’autres organes spécialisés de l’État. »

29      Aux termes de l’article 281, paragraphe 1, dudit code :

« Est toujours sanctionnée par la nullité la violation des dispositions concernant :

[...]

b)      la compétence matérielle et personnelle des juridictions, lorsque c’est une juridiction de rang inférieur à celle compétente qui a jugé l’affaire ;

[...] »

30      L’article 342 du code de procédure pénale énonce :

« L’objet de la procédure devant la chambre préliminaire consiste à vérifier, après le renvoi devant une juridiction, la compétence et la légalité de la saisine de la juridiction ainsi qu’à vérifier la légalité de l’administration des preuves et de l’accomplissement des actes par les organes chargés des poursuites pénales. »

31      L’article 426, paragraphe 1, de ce code dispose :

« [U]n recours extraordinaire en annulation peut être introduit contre les jugements définitifs en matière pénale dans les cas suivants :

[...]

d)      lorsque la juridiction d’appel n’a pas été composée conformément à la loi ou lorsqu’il a existé un cas d’incompatibilité ;

[...] »

32      L’article 428, paragraphe 1, dudit code prévoit :

« Le recours en annulation pour les motifs prévus à l’article 426, sous a), c) à h), peut être introduit dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision de la juridiction d’appel. »

 La loi no 47/1992

33      L’article 3 de la Legea nr. 47/1992 privind organizarea și funcționarea Curții Constituționale (loi no 47/1992 concernant l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle), du 18 mai 1992 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 807 du 3 décembre 2010), prévoit :

« 1.      Les compétences de la Cour constitutionnelle sont celles établies par la Constitution et par la présente loi.

2.      Dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés, la Cour constitutionnelle est seule en droit de décider de sa compétence.

3.      La compétence de la Cour constitutionnelle, établie conformément au paragraphe 2, ne peut être contestée par aucune autorité publique. »

34      L’article 34, paragraphe 1, de cette loi énonce :

« La Cour constitutionnelle statue sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre autorités publiques, à la demande du Président de la Roumanie, du président de l’une des deux Chambres, du Premier ministre ou du président du Conseil supérieur de la magistrature. »

 La loi no 78/2000

35      L’article 5 de la Legea nr. 78/2000 pentru prevenirea, descoperirea și sancționarea faptelor de corupție (loi no 78/2000 sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption), du 18 mai 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 219, du 18 mai 2000), dispose, à son paragraphe 1 :

« Au sens de la présente loi, sont des infractions de corruption les infractions prévues aux articles 289 à 292 du code pénal, y compris lorsqu’elles sont commises par les personnes prévues à l’article 308 du code pénal. »

36      Les articles du code pénal mentionnés à l’article 5, paragraphe 1, de la loi no 78/2000 concernent, respectivement, les infractions de corruption passive (article 289), de corruption active (article 290), de trafic d’influence (article 291) et de trafic d’influence sous forme active (article 292).

37      L’article 29, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Des formations de jugement spécialisées sont constituées pour statuer en première instance sur les infractions prévues par la présente loi. »

 La loi no 303/2004

38      L’article 99 de la Legea nr. 303/2004 privind statutul judecătorilor şi procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 826 du 13 septembre 2005), telle que modifiée par la Legea nr. 24/2012 (loi no 24/2012), du 17 janvier 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 51 du 23 janvier 2012) (ci-après la « loi no 303/2004 »), prévoit :

« Constituent des fautes disciplinaires :

[...]

o)      le non-respect des dispositions relatives à l’attribution aléatoire des affaires ;

[...]

ș)      le non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle [...] ;

[...] ».

39      L’article 100 de cette loi prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées aux juges et aux procureurs, proportionnellement à la gravité des fautes, sont :

[...]

e)      l’exclusion de la magistrature. »

40      L’article 101 de ladite loi dispose :

« Les sanctions disciplinaires prévues à l’article 100 sont infligées par les sections du Conseil supérieur de la magistrature, dans les conditions prévues dans sa loi organique. »

 La loi no 304/2004

41      La Legea nr. 304/2004 privind organizarea judiciară (loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire), du 28 juin 2004 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no 827 du 13 septembre 2005), a été modifiée, notamment, par :

–        la Legea nr. 202/2010 privind unele măsuri pentru accelerarea soluționării proceselor (loi no 202/2010 portant mesures pour l’accélération du règlement des litiges), du 25 octobre 2010 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 714 du 26 octobre 2010) ;

–        la Legea nr. 255/2013 pentru punerea în aplicare a Legii nr. 135/2010 privind Codul de procedură penală şi pentru modificarea şi completarea unor acte normative care cuprind dispoziţii procesual penale (loi no 255/2013 mettant en œuvre la loi no 135/2010 portant code de procédure pénale et modifiant et complétant certains actes normatifs comportant des dispositions en matière de procédure pénale), du 19 juillet 2013 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 515 du 14 août 2013) ;

–        la Legea nr. 207/2018 pentru modificarea și completarea Legii nr. 304/2004privind organizarea judiciară (loi no 207/2018 modifiant et complétant la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire), du 20 juillet 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 636 du 20 juillet 2018) ;

42      L’article 19, paragraphe 3, de la loi no 304/2004, telle que modifiée en dernier lieu par la loi no 207/2018 (ci-après la « loi no 304/2004 modifiée »), dispose :

« Au début de chaque année, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice, sur proposition du président ou du vice-président de celle-ci, peut approuver la constitution de formations de jugement spécialisées dans le cadre des chambres de la Haute Cour de cassation et de justice, en fonction du nombre et de la nature des affaires, du volume d’activité de chaque chambre, ainsi que de la spécialisation des juges et de la nécessité de mettre à profit leur expérience professionnelle. »

43      L’article 24, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Les formations de cinq juges connaissent des appels contre les décisions rendues en première instance par la section pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, statuent sur les recours en cassation contre les décisions prises en appel par les formations de cinq juges après leur admission préalable, traitent les recours formés contre les décisions rendues au cours du procès en première instance par la section pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, statuent sur des affaires disciplinaires conformément à la loi et sur d’autres affaires dans le cadre des compétences qui leur sont conférées par la loi. »

44      L’article 29, paragraphe 1, de ladite loi est libellé comme suit :

« Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice a les compétences suivantes :

a)      approuver le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif ainsi que les tableaux des effectifs et du personnel de la Haute Cour de cassation et de justice ;

[...]

f)      exercer les autres compétences prévues dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice. »

45      L’article 31, paragraphe 1, de la même loi énonce :

« En matière pénale, les formations de jugement se composent de la manière suivante :

a)      dans les affaires données, conformément à la loi, à la compétence de première instance de la Haute Cour de cassation et de justice, la formation de jugement est composée de trois juges ;

[...] »

46      L’article 32 de la loi no 304/2004 modifiée prévoit :

« (1)      Au début de chaque année, sur proposition du président ou des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice, le collège approuve le nombre et la composition des formations de cinq juges.

[...]

(4)      Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, par le président ou, en son absence, par l’un des deux vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice.

(5)      La formation de cinq juges est présidée par le président de la Haute Cour de cassation et de justice, l’un des vice-présidents ou les présidents de chambre s’ils ont été désignés pour faire partie de la formation de jugement conformément au paragraphe 4.

(6)      Si aucun d’entre eux n’a été désigné pour faire partie des formations de cinq juges, la formation de jugement est présidée par chaque juge par rotation, suivant l’ordre de leur ancienneté au sein de la magistrature.

(7)      Les affaires relevant de la compétence des formations de cinq juges sont attribuées de manière aléatoire par un système informatisé. »

47      Dans sa version issue de la loi no 202/2010, l’article 32 de la loi no 304/2004 disposait :

« (1)      En matière pénale, deux formations de cinq juges composées uniquement de membres de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice sont constituées au début de chaque année.

[...]

(4)      Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice approuve la composition des formations de cinq juges. Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice.

(5)      La formation de cinq juges est présidée par le président ou le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. En leur absence, la formation de jugement peut être présidée par un président de chambre désigné à cet effet par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice.

(6)      Les affaires relevant de la compétence des formations de jugement visées aux paragraphes 1 et 2 sont attribuées de manière aléatoire par un système informatisé. »

48      Dans leur version issue de la loi no 255/2013, les paragraphes 1 et 6 de l’article 32 de la loi no 304/2004 étaient libellés en des termes quasiment identiques à ceux de la version visée au point précédent, tandis que les paragraphes 4 et 5 de cet article prévoyaient :

« (4)      Le collège de la Haute Cour de cassation et de justice approuve le nombre et la composition des formations de cinq juges, sur proposition du président de la chambre pénale. Les juges faisant partie de ces formations de jugement sont désignés, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. Les membres des formations de jugement ne peuvent être changés qu’à titre exceptionnel, à l’aune des critères objectifs fixés dans le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice.

(5) La formation de cinq juges est présidée par le président ou le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice, si celui-ci fait partie de la formation de jugement, conformément au paragraphe 4, par le président de la chambre pénale ou le doyen d’âge, selon le cas. »

49      L’article 33 de la loi no 304/2004 modifiée est ainsi libellé :

« (1)      Le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation compétente pour connaître des recours formés dans l’intérêt de la loi ainsi que la formation compétente pour statuer sur des questions de droit, la formation de cinq juges et toute formation de jugement dans le cadre des chambres, lorsqu’il participe au jugement.

[...]

(3)      Les présidents de chambre peuvent présider toute formation de jugement de la chambre, tandis que les autres juges président par rotation. »

50      L’article 33, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, dans sa version issue de la loi no 202/2010, prévoyait :

« Le président ou, en son absence, le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation de cinq juges ainsi que toute formation de jugement dans le cadre des chambres lorsqu’il participe au jugement. »

51      Aux termes de cet article 33, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, dans sa version issue de la loi no 255/2013 :

« Le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice préside les chambres réunies, la formation compétente pour connaître des recours formés dans l’intérêt de la loi ainsi que la formation compétente pour statuer sur des questions de droit, la formation de cinq juges et toute formation de jugement dans le cadre des chambres, lorsqu’il participe au jugement. »

 Le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice

52      L’article 28 du Regulamentul privind organizarea şi funcţionarea administrativă a Înaltei Curţi de Casaţie şi Justiţie (règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de la Haute Cour de cassation et de justice), du 21 septembre 2004, (ci-après le « règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif »), tel que modifié par la Hotărârea nr. 3/2014 pentru modificarea şi completarea Regulamentului privind organizarea şi funcţionarea administrativă a Înaltei Curţi de Casaţie şi Justiţie (décision no 3/2014 modifiant et complétant le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif), du 28 janvier 2014 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 75 du 30 janvier 2014), disposait :

« 1.      La Haute Cour de cassation et de justice comprend des formations de cinq juges dont la compétence juridictionnelle est établie par la loi.

[...]

4.      Les formations de cinq juges sont présidées, selon le cas, par le président, les vice-présidents, le président de la chambre pénale ou le doyen d’âge. » 

53      L’article 29, paragraphe 1, de ce règlement disposait :

« En vue de la constitution des formations de cinq juges en matière pénale, le président ou, en son absence, l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice désigne chaque année, par tirage au sort, au cours d’une audience publique, quatre ou, selon le cas, cinq juges de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice pour chaque formation de jugement. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Éléments communs aux litiges au principal

54      Les litiges au principal s’inscrivent dans le prolongement d’une réforme d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie. Cette réforme fait l’objet d’un suivi à l’échelle de l’Union depuis l’année 2007 en vertu du mécanisme de coopération et de vérification établi par la décision 2006/928 à l’occasion de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (ci-après le « MCV »).

55      Ces litiges concernent des procédures pénales dans le cadre desquelles les juridictions de renvoi se posent la question de savoir si elles peuvent, au titre du droit de l’Union, laisser inappliqués certains arrêts rendus par la Cour constitutionnelle entre les années 2016 et 2019, à savoir les arrêts no 51/2016, du 16 février 2016 (affaire C‑379/19), no 302/2017, du 4 mai 2017 (affaire C‑379/19), no 685/2018, du 7 novembre 2018 (affaires C‑357/19, C‑547/19 et C‑840/19), no 26/2019, du 16 janvier 2019 (affaire C‑379/19), ainsi que no 417/2019, du 3 juillet 2019 (affaires C‑811/19 et C‑840/19).

56      Les juridictions de renvoi font observer que, en vertu du droit national, les décisions de la Cour constitutionnelle sont contraignantes à titre général et que leur non-respect par les magistrats constitue, en vertu de l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004, une faute disciplinaire. Or, ainsi qu’il ressortirait de la Constitution roumaine, la Cour constitutionnelle ne ferait pas partie du système judiciaire roumain et présenterait le caractère d’un organe politico-juridictionnel. En outre, la Cour constitutionnelle aurait, en prononçant les arrêts en cause au principal, outrepassé les compétences que lui attribue la Constitution roumaine et empiété sur celles des juridictions de droit commun et porté atteinte à l’indépendance de ces dernières. Par ailleurs, les arrêts nos 685/2018 et 417/2019 comporteraient un risque systémique d’impunité en matière de lutte contre la corruption.

57      Dans ce contexte, les juridictions de renvoi se réfèrent notamment aux rapports de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de vérification, du 27 janvier 2016 [COM(2016) 41 final], du 13 novembre 2018 [COM(2018) 851 final, ci-après le « rapport MCV de novembre 2018 »], et du 22 octobre 2019 [COM(2019) 499 final].

58      Enfin, lesdites juridictions font également état de l’arrêt no 104/2018 de la Cour constitutionnelle dont il ressortirait que le droit de l’Union ne prime pas l’ordre constitutionnel roumain et que la décision 2006/928 ne peut pas constituer une norme de référence dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité au titre de l’article 148 de la Constitution roumaine.

 Affaire C357/19

59      Par arrêt du 28 mars 2017 rendu par une chambre pénale composée de trois juges, la Haute Cour de cassation et de justice a condamné, entre autres, PM, ministre à l’époque des faits reprochés, RO, TQ et SP pour avoir commis, entre les années 2010 et 2012, des infractions de corruption et d’abus de fonction en relation avec la gestion de fonds européens ainsi que de fraude fiscale relative à la TVA. Les appels interjetés contre cet arrêt par les intéressés ainsi que par le Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Direcția Națională Anticorupție (Ministère public – Parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – Direction nationale anticorruption, Roumanie) (ci-après la « DNA ») ont été rejetés par un arrêt du 5 juin 2018 de la Haute Cour de cassation et de justice, rendu par une formation de jugement de cinq juges. Cette formation de cinq juges était composée du président de la chambre pénale et de quatre autres juges désignés par tirage au sort, conformément à la pratique de la Haute Cour de cassation et de justice au cours de la période concernée, fondée sur le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif de cette même juridiction. L’arrêt du 5 juin 2018 est devenu définitif.

60      Par l’arrêt no 685/2018, prononcé le 7 novembre 2018, la Cour constitutionnelle, saisie par le Premier ministre en application de l’article 146, sous e), de la Constitution roumaine, a, tout d’abord, constaté un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de cassation et de justice, généré par les décisions prises par le collège de cette dernière consistant, conformément à ladite pratique, à désigner par tirage au sort seulement quatre des cinq membres des formations de cinq juges statuant en appel, et non la totalité de ceux-ci, en méconnaissance de l’article 32 de la loi no 304/2004 modifiée, ensuite, considéré que le jugement d’une affaire en appel par une formation ainsi illégalement constituée était sanctionné par la nullité absolue de la décision prononcée et, enfin, indiqué que, en application de l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution roumaine, cet arrêt était applicable à compter de la date de sa publication aux affaires en cours de jugement, aux affaires sur lesquelles il avait été statué, dans la mesure où les justiciables étaient encore dans le délai d’exercice des voies de recours extraordinaires appropriées, ainsi qu’aux situations futures.

61      À la suite de la publication de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle, PM, RO, TQ et SP ainsi que la DNA ont introduit, en application de l’article 426, paragraphe 1, du code de procédure pénale, des recours extraordinaires devant la Haute Cour de cassation et de justice, en demandant l’annulation de l’arrêt du 5 juin 2018 et l’ouverture d’une nouvelle procédure de jugement des appels. Au soutien de leurs recours, ils ont fait valoir que l’arrêt no 685/2018 était obligatoire et produisait des effets de droit sur l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice, du 5 juin 2018, étant donné que la formation de cinq juges qui s’était prononcée sur ces appels n’avait pas été composée conformément à la loi, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle. La juridiction de renvoi a jugé recevables ces recours extraordinaires, au motif notamment qu’ils avaient été introduits dans le délai légal de 30 jours à compter de la notification de cet arrêt, et a décidé de suspendre l’exécution des peines privatives de liberté dans l’attente de l’issue desdits recours.

62      Cette juridiction s’interroge notamment sur le point de savoir si l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), et l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF s’opposent à une application de l’arrêt no 685/2018 dans l’affaire au principal, laquelle aurait pour conséquence l’annulation des décisions de justice devenues définitives avant le prononcé de cet arrêt et l’ouverture d’une nouvelle procédure d’appel dans des affaires de fraude et de corruption graves.

63      Conformément à la jurisprudence de la Cour, il incomberait aux juridictions nationales de donner plein effet, dans le respect nécessaire des droits fondamentaux garantis par la Charte et des principes généraux du droit, aux obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de laisser inappliquées des dispositions du droit interne qui font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives en matière de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Eu égard à cette jurisprudence, la question se poserait de savoir si l’obligation des États membres découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), et de l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF vise également l’exécution des sanctions pénales déjà appliquées. Se poserait également la question de savoir si les termes « et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union », figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, incluent non seulement des faits de corruption au sens propre, mais également la tentative de fraude commise dans le contexte d’un marché public frauduleusement attribué qui était voué à être financé par des fonds européens mais qui, à la suite du refus de financement par l’autorité de gestion de ces fonds, a été mis intégralement à la charge du budget national. Dans ce contexte, en l’occurrence, il y aurait eu un risque d’atteinte aux intérêts financiers de l’Union, bien qu’un tel risque ne se soit pas matérialisé.

64      Par ailleurs, la juridiction de renvoi souligne que, en vertu des articles 2 et 19 TUE, tout État membre doit s’assurer que les instances juridictionnelles relevant de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union satisfont aux exigences d’indépendance aux fins de garantir aux justiciables une protection juridictionnelle effective. La garantie d’indépendance supposerait, selon la jurisprudence de la Cour, que les juges puissent exercer leurs fonctions juridictionnelles en toute autonomie, sans être soumis à aucun lien hiérarchique, afin d’être protégés des interventions et des pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à leur indépendance et d’influencer leurs décisions.

65      En outre, eu égard notamment à l’importance du principe de légalité, qui exigerait que la loi soit prévisible, précise et non-rétroactive, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la notion de « tribunal établi préalablement par la loi » figurant à l’article 47, paragraphe 2, de la Charte s’oppose à l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle quant au caractère illégal de la composition de ses chambres de cinq juges. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour issue des arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105), et du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936), les juridictions nationales, lorsqu’elles doivent décider de laisser inappliquées des dispositions de droit pénal matériel, seraient tenues de veiller à ce que les droits fondamentaux des personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale soient respectés tout en pouvant appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette ni le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité ou l’effectivité du droit de l’Union.

66      En l’occurrence, la juridiction de renvoi est d’avis que le droit de l’Union s’oppose notamment à l’application de l’arrêt no 685/2018, puisque cet arrêt aurait pour effet l’annulation des décisions définitives de la Haute Cour de cassation et de justice rendues en formation de cinq juges et priverait de leur caractère effectif et dissuasif les peines infligées dans un nombre considérable d’affaires de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il créerait une apparence d’impunité et comporterait même un risque systémique d’impunité par la survenance de la prescription, étant donné la complexité et la durée des procédures précédant le prononcé d’un jugement définitif à la suite du réexamen des affaires concernées. En outre, les principes d’indépendance des juges et de sécurité juridique s’opposeraient à ce que l’arrêt no 685/2018 puisse avoir des effets de droit obligatoires sur des décisions pénales devenues définitives à la date de prononcé de cet arrêt, en l’absence de motifs sérieux de nature à mettre en doute le respect du droit à un procès équitable dans lesdites affaires, ce qui serait confirmé par le rapport MCV de novembre 2018.

67      Enfin, la juridiction de renvoi indique qu’il existe un risque sérieux que les réponses de la Cour aux questions posées soient privées d’effets en droit interne, compte tenu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle visée au point 58 du présent arrêt.

68      C’est dans ces conditions que la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1)      L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), et l’article 2, paragraphe 1, de la [convention PIF] et le principe de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], se prononçant sur la légalité de la composition de formations de jugement et ouvrant ainsi la voie à l’admission de voies de recours extraordinaires contre les jugements définitifs prononcés au cours d’une période donnée ?

2)      L’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire du manque d’indépendance et d’impartialité d’une formation de jugement dont fait partie un juge occupant un poste d’encadrement qui n’a pas été désigné de manière aléatoire mais en vertu d’une règle transparente, connue et non contestée par les parties, règle applicable à toutes les affaires attribuées à cette formation de jugement, dans la mesure où la décision prononcée est obligatoire en droit national ?

3)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, prononcée à la suite d’une saisine relative à un conflit constitutionnel, ayant force obligatoire en droit national ? »

 Affaire C379/19

69      Le 22 août 2016, la Direcţia Naţională Anticorupţie – Serviciul Teritorial Oradea (service territorial d’Oradea de la DNA, Roumanie) a engagé devant le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor, Roumanie) des poursuites pénales à l’encontre de KI, de LJ, de JH et d’IG, accusés d’avoir commis des infractions d’achat d’influence, de trafic d’influence, de corruption active, de corruption passive ainsi que des infractions de complicité d’achat d’influence et de complicité de corruption active.

70      Dans le cadre de cette procédure, KI et LJ ont demandé, en application de l’article 342 du code de procédure pénale, que soient exclus de celle-ci des moyens de preuve constitués par des procès-verbaux de transcription d’interceptions réalisées par le Serviciul Român de Informații (service roumain de renseignements) (ci-après le « SRI »). À l’appui de cette demande, les intéressés ont invoqué l’arrêt no 51/2016, par lequel la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel l’article 142, paragraphe 1, du code de procédure pénale, en ce que celui-ci autorisait l’exécution de mesures de surveillance, dans le cadre d’une procédure pénale, par « d’autres organes spécialisés de l’État » et, notamment, par le SRI.

71      Par ordonnance du 27 janvier 2017, la chambre préliminaire du Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a rejeté les demandes de KI et de LJ au motif notamment que, l’arrêt no 51/2016 produisant des effets seulement pour l’avenir, l’administration des preuves était légale et a ouvert la procédure de jugement à l’égard de KI, de LJ, de JH et d’IG. Le recours introduit contre cette ordonnance a été rejeté par la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie), cette dernière estimant également que l’arrêt no 51/2016 était inapplicable aux mesures de surveillance technique ordonnées en l’espèce étant donné que cet arrêt, qui avait été publié au Monitorul Oficial al României du 14 mars 2016, produisait, conformément à l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution roumaine, des effets uniquement pour l’avenir.

72      Au cours du procès pénal devant la juridiction de renvoi, IG, KI, LJ et JH ont en substance conclu à la nullité absolue des procès-verbaux de transcription d’interceptions dans le cas où le SRI aurait participé à l’exécution des mandats de surveillance. Outre l’arrêt no 51/2016, les intéressés ont invoqué à cet égard les arrêts nos 302/2017 et 26/2019, par lesquels la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel l’article 281, paragraphe 1, sous b), du code de procédure pénale, en ce que celui-ci ne sanctionnait pas de nullité absolue la violation des dispositions en matière de compétence matérielle et personnelle de l’organe chargé des poursuites pénales (arrêt no 302/2017), et constaté l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre notamment le Parlement et le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Parquet près la Haute Cour de cassation et de justice), résultant de ce que deux protocoles de coopération conclus entre la DNA et le SRI au cours des années 2009 et 2016, en violation de la compétence constitutionnelle de la DNA, avaient pour effet de porter atteinte au droit procédural régissant l’exercice des poursuites pénales (arrêt no 26/2019).

73      Après vérification effectuée par la juridiction de renvoi auprès de la DNA, il s’est avéré que neuf mandats de surveillance avaient été mis en œuvre avec le soutien technique du SRI et deux, après la publication de l’arrêt no 51/2016, sans l’intervention de ce service.

74      La juridiction de renvoi fait observer qu’elle est tenue de se prononcer, en priorité, sur la demande d’exclusion des moyens de preuves et elle s’interroge, en particulier, sur le point de savoir si elle doit appliquer les arrêts nos 51/2016, 302/2017 et 26/2019. En effet, par l’effet combiné de ces trois arrêts, il suffirait que le juge constate la participation du SRI à l’exécution d’un mandat de surveillance pour que soient frappées de nullité absolue les mesures de collecte des preuves et que les moyens de preuve correspondants soient exclus.

75      La juridiction de renvoi souligne toutefois que, selon les règles nationales toujours en vigueur, la recevabilité d’une demande d’exclusion de moyens de preuve est soumise à la condition que cette demande ait été introduite avant la clôture de la phase devant la chambre préliminaire. En outre, les règles constitutionnelles confèreraient un effet seulement ex nunc aux arrêts de la Cour constitutionnelle. Cette dernière aurait donc consacré, par voie jurisprudentielle, l’application de ses arrêts dans des affaires pendantes, imposant ainsi aux juridictions l’obligation de sanctionner tous les actes procéduraux ou les moyens de preuve en cause, sans qu’il y ait une possibilité de procéder à une appréciation au cas par cas, même lorsque ces actes auraient été effectués, comme en l’occurrence, sur le fondement de règles bénéficiant au moment de leur application d’une présomption de constitutionnalité.

76      Or, d’une part, la Roumanie serait tenue de lutter contre la corruption et la Commission aurait constaté, dans le rapport MCV de novembre 2018, que cet État membre devait continuer à mettre en œuvre la stratégie nationale de lutte contre la corruption, dans le respect des délais impartis par le gouvernement au mois d’août 2016. D’autre part, la Cour constitutionnelle devrait, conformément à l’article 146 de la Constitution roumaine, se limiter au contrôle de la conformité de la loi à la Constitution roumaine, et non aller jusqu’à interpréter la loi, à l’appliquer et à instaurer des règles de droit rétroactives. En outre, le souci de la Cour constitutionnelle de garantir directement, par l’effet de ses arrêts, le respect des droits procéduraux des parties dans le cadre d’une procédure pénale semblerait excessif eu égard aux mécanismes dont dispose l’État roumain à cette fin, tel le protocole no 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, entré en vigueur le 1er août 2018 (ci-après la « CEDH »). Par ailleurs, la Cour aurait, dans sa jurisprudence issue de l’arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107), refusé de reconnaître une limite à la primauté du droit de l’Union sur les droits fondamentaux nationaux plus favorables.

77      En ce qui concerne l’affaire au principal, la juridiction de renvoi considère qu’elle comporte un lien suffisamment étroit avec le droit de l’Union, dans la mesure où elle concerne l’exercice de sa compétence juridictionnelle, conformément aux principes de l’État de droit et d’indépendance des juges, et qu’elle soulève des questions relatives au caractère et aux effets du MCV ainsi qu’à la primauté du droit de l’Union sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Cette dernière aurait limité la compétence, découlant de la Constitution roumaine et du droit de l’Union, des juridictions roumaines à rendre la justice, en jugeant, dans l’arrêt no 104/2018, visé au point 58 du présent arrêt, que la décision 2006/928 ne saurait constituer une norme de référence dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité au titre de l’article 148 de la Constitution roumaine.

78      Ainsi, il serait nécessaire que la Cour précise si le MCV revêt un caractère obligatoire et, dans l’affirmative, si ce caractère doit être reconnu non seulement aux mesures expressément recommandées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme, mais également à l’ensemble des constatations contenues dans ces rapports, en particulier à celles visant les mesures nationales contraires aux recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). En outre, eu égard aux principes de l’État de droit et de l’indépendance des juges, la question se poserait de savoir si le juge national peut, sans risquer de faire l’objet de sanctions disciplinaires expressément prévues par la loi, écarter, dans l’exercice de sa compétence juridictionnelle, les effets des arrêts de la Cour constitutionnelle, dans l’hypothèse où celle-ci outrepasserait les limites de ses compétences.

79      Dans ces conditions, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], et les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-ils un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

2)      L’article 2, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être interprété en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les exigences imposées par les rapports établis dans le [MCV], institué par la décision [2006/928], relève de l’obligation de l’État membre de respecter les principes de l’État de droit, y compris en ce qui concerne l’abstention d’une cour constitutionnelle, qui est une institution politico-juridictionnelle, d’intervenir pour interpréter la loi et pour établir les modalités concrètes et obligatoires de son application par les juridictions, ce qui relève de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire, ainsi que pour introduire de nouvelles règles législatives, ce qui relève de la compétence exclusive de l’autorité législative ? Le droit de l’Union impose-t-il la suppression des effets d’un tel arrêt prononcé par une cour constitutionnelle ? Le droit de l’Union s’oppose-t-il à l’existence d’une règle nationale régissant la responsabilité disciplinaire du magistrat qui, dans un tel contexte, laisse inappliqué l’arrêt de la Cour constitutionnelle ?

3)      Le principe d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par la jurisprudence de la [Cour] [arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117)], s’oppose-t-il à ce que les arrêts de la [Cour constitutionnelle] (arrêts [nos 51/2016, 302/2017 et 26/2019]) supplantent les compétences des juges, ce qui aurait pour conséquence l’absence de prévisibilité de la procédure pénale (l’application rétroactive) et l’impossibilité d’interpréter la loi et de l’appliquer à une affaire concrète ? Le droit de l’Union s’oppose-t-il à l’existence d’une règle nationale régissant la responsabilité disciplinaire du magistrat qui, dans un tel contexte, laisse inappliqué l’arrêt de la Cour constitutionnelle ? »

80      Par courrier du 27 juin 2019, parvenu à la Cour le 10 juillet 2019, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a informé cette dernière que, par ordonnance du 18 juin 2019, la Curtea de Apel de Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie) avait, sur demande de la DNA, annulé la décision de surseoir à statuer et ordonné la poursuite du jugement de l’affaire en ce qui concerne les problématiques autres que celles visées par la demande de décision préjudicielle. Interrogé par la Cour, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a, par courrier du 26 juillet 2019, parvenu à la Cour le 7 août 2019, précisé qu’une réponse de cette dernière aux questions posées était toujours nécessaire. En effet, la procédure devant lui était poursuivie sans que les preuves obtenues au moyen de mandats de surveillance visés par les questions préjudicielles puissent être administrées. En outre, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a fait observer que l’Inspection judiciaire avait ouvert une enquête disciplinaire à l’encontre du juge de renvoi pour non-respect des arrêts de la Cour constitutionnelle, visés par les questions préjudicielles.

 Affaire C547/19

81      L’Inspection judiciaire a engagé une procédure disciplinaire contre CY, juge siégeant au sein de la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), devant la section disciplinaire pour les juges du Conseil supérieur de la magistrature, au motif que CY aurait commis la faute disciplinaire prévue à l’article 99, sous o), de la loi no 303/2004.

82      Par ordonnance du 28 mars 2018, la section disciplinaire pour les juges du Conseil supérieur de la magistrature a rejeté comme irrecevable une demande d’intervention accessoire au soutien de CY présentée par le Forum des juges de Roumanie. Ce dernier et CY ont introduit un pourvoi contre cette ordonnance devant la Haute Cour de cassation et de justice.

83      Par décision du 2 avril 2018, la section disciplinaire pour les juges du Conseil supérieur de la magistrature a infligé à CY la sanction disciplinaire d’exclusion de la magistrature, prévue à l’article 100, sous e), de la loi no 303/2004. CY a formé un recours contre cette décision devant la Haute Cour de cassation et de justice.

84      Ces deux affaires ont été attribuées de manière aléatoire à une formation de jugement de cinq juges de cette juridiction puis ont été jointes en raison de leur connexité. La composition de cette formation de jugement avait été déterminée par tirage au sort effectué le 30 octobre 2017.

85      Le 8 novembre 2018, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice a, à la suite du prononcé de l’arrêt no 685/2018 visé au point 60 du présent arrêt, adopté une décision concernant le tirage au sort des membres des formations de cinq juges. Au mois de décembre 2018, le Conseil supérieur de la magistrature a adopté deux décisions instituant des règles afin d’assurer sa mise en conformité avec les exigences formulées dans cet arrêt. Pour se conformer à ces décisions, la Haute Cour de cassation et de justice a de nouveau procédé au tirage au sort de nouvelles formations de jugement pour l’année 2018, incluant des affaires déjà attribuées dans lesquelles aucune mesure n’avait été ordonnée jusqu’à la fin de cette année, dont les affaires jointes en cause au principal.

86      Devant la nouvelle formation de jugement, CY a, entre autres, soulevé une exception tirée de l’illégalité de la composition de cette formation, en contestant, notamment, la compatibilité avec l’article 2 TUE de l’arrêt no 685/2018 et des décisions consécutives du Conseil supérieur de la magistrature. À cet égard, CY a fait observer que la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la magistrature avaient outrepassé leurs compétences et ajouté que, si ces deux autorités n’étaient pas intervenues dans l’activité de la Haute Cour de cassation et de justice, le principe de la continuité de la formation de jugement n’aurait pas été enfreint et l’affaire aurait été correctement attribuée à une des formations de cinq juges.

87      Afin de pouvoir statuer sur l’exception d’illégalité soulevée par CY, la juridiction de renvoi souhaite interroger la Cour sur le point de savoir si une intervention de la Cour constitutionnelle dans le cours de la justice, telle que celle résultant de l’arrêt no 685/2018, est compatible avec l’État de droit visé à l’article 2 TUE ainsi qu’avec l’indépendance de la justice garantie à l’article 19 TUE et à l’article 47 de la Charte.

88      À cet égard, la juridiction de renvoi met, en premier lieu, en exergue la dimension politique de la nomination des membres de la Cour constitutionnelle ainsi que la position particulière de celle-ci dans l’architecture des autorités de l’État.

89      En deuxième lieu, la procédure de constatation d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, prévue à l’article 146, sous e), de la Constitution roumaine, serait en tant que telle problématique, dès lors que, selon cette même disposition, des organes politiques sont habilités à engager cette procédure. En outre, la limite entre l’illégalité d’un acte et l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle serait particulièrement ténue et permettrait à un cercle restreint de sujets de droit d’exercer des voies de recours parallèles à celles organisées devant les juridictions de droit commun. Cette circonstance, combinée avec la dimension politique de la désignation des membres de la Cour constitutionnelle, permettrait à cette dernière d’intervenir dans le cours de la justice à des fins politiques ou dans l’intérêt de personnes influentes sur le plan politique.

90      En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que le constat effectué par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt no 685/2018 de l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif est problématique. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle aurait opposé sa propre interprétation de dispositions ambigües de nature infra-constitutionnelle, à savoir les articles 32 et 33 de la loi no 304/2004 modifiée, à celle retenue par la Haute Cour de cassation et de justice dans l’exercice de sa compétence et aurait reproché à cette dernière juridiction une méconnaissance systématique de la volonté du législateur, ce afin de pouvoir constater l’existence d’un tel conflit juridique de nature constitutionnelle.

91      Selon la juridiction de renvoi, la question se pose ainsi de savoir si les articles 2 et 19 TUE ainsi que l’article 47 de la Charte s’opposent à ce que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la jurisprudence de la Haute Cour de cassation et de justice puisse être contrôlée et sanctionnée par une intervention de la Cour constitutionnelle. La juridiction de renvoi considère qu’une intervention arbitraire de cette dernière, sous la forme d’un contrôle de la légalité de l’activité de la Haute Cour de cassation et de justice, qui se substituerait aux procédures juridictionnelles légales, telles que le recours contentieux administratif ou les exceptions procédurales soulevées dans le cadre des actions en justice, peut avoir une incidence négative sur l’indépendance de la justice et sur les fondements mêmes de l’État de droit visé à l’article 2 TUE, puisque la Cour constitutionnelle ne fait pas partie du système judiciaire et n’est pas investie de compétences de jugement.

92      Dans ces conditions, la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2 [TUE], l’article 19, paragraphe 1, [TUE] et l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une cour constitutionnelle (organe qui n’est pas une juridiction en vertu du droit national), intervienne dans la manière dont la juridiction suprême a interprété et appliqué la législation infra-constitutionnelle dans le cadre de la constitution des formations de jugement ? »

 Affaire C811/19

93      Par un arrêt du 8 février 2018 rendu en première instance par une formation de trois juges, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a condamné FQ, GP, HO, IN et JM à des peines de deux à huit ans d’emprisonnement pour des infractions de corruption et de blanchiment d’argent ainsi que pour des infractions assimilées aux infractions de corruption, commises entre les années 2009 et 2013, en lien avec des marchés publics passés dans le cadre d’un projet principalement financé par des fonds de l’Union non remboursables. Quatre des accusés, parmi lesquels figure une personne ayant été successivement maire, sénateur et ministre, ainsi que la DNA ont interjeté appel contre cet arrêt.

94      Au cours de la procédure d’appel, les appelants ont demandé à la Haute Cour de cassation et de justice de constater la nullité de l’arrêt du 8 février 2018, au motif que celui-ci avait été prononcé par une formation de jugement qui n’était pas, en violation des prescriptions légales, spécialisée en matière de corruption.

95      Les appelants ont invoqué à cet égard l’arrêt no 417/2019, prononcé le 3 juillet 2019 sur saisine du président de la Chambre des Députés, qui, à ce moment-là, faisait lui-même l’objet d’une procédure pénale pour des faits relevant du champ d’application de la loi no 78/2000 devant une formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice en tant que juridiction d’appel. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle avait, tout d’abord, constaté l’existence d’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de cassation et de justice, généré par le fait que cette dernière n’avait pas constitué les formations de jugement spécialisées dans le jugement en première instance des infractions prévues à l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, ensuite, considéré que le jugement d’une affaire par une formation non spécialisée entraînait la nullité absolue de la décision prononcée et, enfin, ordonné que toutes les affaires sur lesquelles la Haute Cour de cassation et de justice avait statué en première instance avant le 23 janvier 2019 et qui n’étaient pas devenues définitives soient réexaminées par des formations spécialisées constituées conformément à cette disposition. En effet, dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a estimé que, si, à cette date du 23 janvier 2019, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice avait adopté une décision selon laquelle toutes les formations de jugement de trois juges de celle-ci devaient être regardées comme étant spécialisées pour connaître des affaires de corruption, cette décision était de nature à éviter l’inconstitutionnalité uniquement à partir de la date de son adoption, non pour le passé.

96      À l’appui de sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi relève que les infractions en cause au principal, telles que les infractions de corruption commises en lien avec des procédures de passation de marchés publics financés principalement par des fonds européens, ainsi que les infractions de blanchiment d’argent, portent ou sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

97      Selon cette juridiction, en premier lieu, la question se pose de savoir si l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 4 de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (JO 2017, L 198, p. 29), et l’article 58 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une juridiction nationale applique une décision rendue par une autorité ne faisant pas partie du système judiciaire, telle que l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle, qui s’est prononcée sur le bien-fondé d’une voie de recours ordinaire en imposant le renvoi des affaires, avec pour conséquence de remettre en question des poursuites pénales en ouvrant une nouvelle procédure de jugement en première instance. En effet, les États membres seraient tenus de prendre des mesures effectives et dissuasives pour combattre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

98      Dans ce contexte, il conviendrait également d’établir si l’expression « et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE couvre les infractions de corruption proprement dites, dans la mesure notamment où l’article 4 de la directive 2017/1371 définit les infractions de « corruption passive » et « corruption active ». Cette clarification serait nécessaire étant donné que l’un des accusés dans l’affaire au principal aurait exercé, en sa qualité de sénateur et de ministre, une influence sur des fonctionnaires publics, les aurait incités à agir en violation de leurs attributions et aurait obtenu un pourcentage important de la valeur des marchés publics financés principalement par des fonds européens.

99      Selon la juridiction de renvoi, tout comme dans l’affaire C‑357/19, Eurobox Promotion e.a., la question se pose également de savoir si le principe de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’oppose à ce que le cours de la justice soit affecté par une intervention telle que celle résultant de l’arrêt no 417/2019. Par ledit arrêt, la Cour constitutionnelle aurait, sans disposer de compétences juridictionnelles, mis en place des mesures contraignantes impliquant l’ouverture de nouvelles procédures de jugement en raison de la prétendue absence de spécialisation en matière d’infractions de corruption des formations de jugement de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, alors que tous les juges de cette chambre pénale rempliraient, par leur qualité même de magistrat de cette juridiction, cette condition de spécialisation.

100    En deuxième lieu, il conviendrait, eu égard à la jurisprudence de la Cour ainsi qu’à l’importance du principe de légalité, de clarifier le sens de la notion de « tribunal établi préalablement par la loi », figurant à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, afin de déterminer si cette disposition s’oppose à l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle concernant le caractère illégal de la composition de la juridiction.

101    En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le juge national est tenu de laisser inappliqué l’arrêt no 417/2019 pour assurer le plein effet des règles de l’Union. Plus généralement, il y aurait également lieu de rechercher s’il convient d’écarter les effets des décisions de la Cour constitutionnelle portant atteinte au principe de l’indépendance des juges dans des affaires régies seulement par le droit national. Ces questions se poseraient notamment en raison du fait que le régime disciplinaire roumain prévoit l’application d’une sanction disciplinaire à un juge lorsque celui-ci écarte les effets des décisions de la Cour constitutionnelle.

102    La juridiction de renvoi est d’avis que l’arrêt no 417/2019, qui a pour effet d’annuler les arrêts rendus en première instance antérieurement au 23 janvier 2019 par les formations de trois juges de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice, viole le principe d’effectivité des sanctions pénales en cas d’activités illégales graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. En effet, ledit arrêt créerait, d’une part, une apparence d’impunité et comporterait, d’autre part, un risque systémique d’impunité en matière d’infractions graves en raison des règles nationales de prescription des poursuites, étant donné la complexité et la durée de la procédure précédant le prononcé d’un jugement définitif à la suite d’un réexamen des affaires concernées. Ainsi, dans l’affaire au principal, la procédure judiciaire aurait, en raison de sa complexité, déjà duré environ quatre ans pour la phase de première instance. En outre, la juridiction de renvoi considère que le principe d’indépendance des juges consacré par le droit de l’Union s’oppose à l’institution, par décision d’un organe juridictionnel extérieur au pouvoir judiciaire, de mesures procédurales imposant le réexamen en première instance de certaines affaires, avec pour effet la remise en cause des poursuites, en l’absence de motifs sérieux de nature à mettre en doute le respect du droit des accusés à un procès équitable. Or, en l’occurrence, le fait que les formations de la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice sont composées de juges qui, lors de leur nomination au sein de cette juridiction, étaient spécialisés dans les affaires pénales ne saurait être considérée comme portant atteinte au droit à un procès équitable et au droit d’accès à la justice.

103    C’est dans ces conditions que la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1)      L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 58 de la directive [2015/849] [ainsi que] l’article 4 de la directive [2017/1371] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], se prononçant sur une exception tirée d’une éventuelle composition illégale des formations de jugement, au regard du principe de spécialisation des juges de la Haute Cour de cassation et de justice (non prévu dans la Constitution roumaine) et obligeant une juridiction à renvoyer des affaires se trouvant au stade de l’appel (voie de recours à effet dévolutif), en vue d’un nouveau jugement dans le cadre de la première phase de la procédure devant la même juridiction ?

2)      L’article 2 TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de la composition illégale des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la chambre pénale de la juridiction suprême) ?

3)      La primauté du droit de l’Union doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, qui interprète une règle juridique de rang inférieur à la Constitution, relative à l’organisation de la Haute Cour de cassation et de justice, figurant dans la loi nationale sur la prévention, la détection et la répression des actes de corruption, règle qui a constamment été interprétée dans le même sens par une juridiction pendant seize ans ?

4)      Conformément à l’article 47 de la [Charte], le principe de libre accès à la justice inclut-il la spécialisation des juges et la constitution de formations de jugement spécialisées au sein d’une juridiction suprême ? »

 Affaire C840/19

104    Par arrêt du 26 mai 2017 rendu par une formation de trois juges, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a condamné NC, entre autres, à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour avoir commis, dans ses fonctions parlementaire et ministérielle, l’infraction de trafic d’influence, prévue à l’article 291, paragraphe 1, du code pénal, lu en combinaison avec l’article 6 et l’article 7, sous a), de la loi no 78/2000, en relation avec l’attribution d’un marché public en grande partie financé par des fonds européens. La DNA et NC ayant interjeté appel de cet arrêt, la chambre pénale de la Haute Cour de cassation et de justice a, par arrêt du 28 juin 2018 rendu par une formation de cinq juges, confirmé la condamnation et rejeté l’appel. Cet arrêt est devenu définitif.

105    Après la publication de l’arrêt no 685/2018 visé au point 60 du présent arrêt, NC et la DNA ont introduit des recours extraordinaires en annulation, en invoquant, en substance, l’irrégularité de la composition de la formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice ayant statué sur les appels formés contre l’arrêt du 26 mai 2017, en ce que seuls quatre des cinq membres de cette formation avaient été désignés par tirage au sort.

106    Par des arrêts des 25 février et 20 mai 2019, rendus par une formation de cinq juges, la Haute Cour de cassation et de justice a, à la lumière de l’arrêt no 685/2018, fait droit aux recours extraordinaires, infirmé la condamnation de NC et renvoyé pour réexamen les appels interjetés par ce dernier et la DNA.

107    Alors que la procédure d’appel était encore en cours de réexamen devant la Haute Cour de cassation et de justice, siégeant en formation de cinq juges, la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt no 417/2019 visé au point 95 du présent arrêt.

108    La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de cet arrêt avec l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 47 de la Charte et l’article 4 de la directive 2017/1371. S’agissant, en particulier, de l’article 325 TFUE, la juridiction de renvoi avance, en substance, les mêmes motifs que ceux formulés dans l’affaire C‑811/19. Ladite juridiction ajoute que, dans l’affaire au principal, les procédures judiciaires ont duré environ quatre ans et que, en conséquence de l’application de l’arrêt no 685/2018, l’affaire se trouve au stade d’une procédure de réexamen de l’appel. L’application de l’arrêt no 417/2019 aurait en outre pour effet la réouverture d’une procédure de jugement sur le fond de l’affaire en première instance, avec pour conséquence que le même procès serait tenu deux fois en première instance et trois fois en appel.

109    La juridiction de renvoi fait observer que l’arrêt no 417/2019 a mis en place des mesures procédurales contraignantes nécessitant l’ouverture de nouvelles procédures de jugement en raison de l’absence de spécialisation des formations de jugement en première instance en ce qui concerne les infractions prévues par la loi no 78/2000. Il existerait ainsi, à cause de cet arrêt, un risque d’impunité dans un nombre considérable d’affaires concernant des infractions graves. Dans ces conditions, il serait porté atteinte à l’exigence d’effectivité visée à l’article 325 TFUE et au droit fondamental de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable.

110    De même, la juridiction de renvoi considère que, comme dans les affaires C‑357/19, C‑547/19 et C‑811/19, il convient d’interroger la Cour sur la compatibilité de l’intervention de la Cour constitutionnelle avec le principe de l’État de droit. Tout en soulignant l’importance du respect des arrêts de ladite Cour, la juridiction de renvoi précise que son interrogation porte non pas sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en général mais uniquement sur l’arrêt no 417/2019. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle aurait opposé sa propre interprétation à celle de la Haute Cour de cassation et de justice concernant les dispositions respectives divergentes figurant dans la loi no 78/2000 et dans la loi no 304/2004 modifiée, relatives à la constitution de formations spécialisées, et aurait interféré dans les compétences de cette dernière juridiction en ordonnant le réexamen de certaines affaires.

111    C’est dans ces conditions que la Haute Cour de cassation et de justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 19, paragraphe 1, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE et l’article 4 de la directive [2017/1371], adoptée sur le fondement de l’article 83, paragraphe 2, TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une décision rendue par un organe extérieur au pouvoir judiciaire, la [Cour constitutionnelle], qui impose le renvoi pour réexamen des affaires de corruption sur lesquelles il a été statué au cours d’une période donnée et qui se trouvent au stade de l’appel, au motif que des formations de jugement spécialisées dans cette matière n’étaient pas constituées au niveau de la juridiction suprême, même si la spécialisation des juges ayant fait partie [des formations de jugement] est reconnue [par cette décision] ?

2)      L’article 2 TUE et l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la constatation par un organe extérieur au pouvoir judiciaire de l’illégalité de la composition des formations de jugement d’une chambre de la juridiction suprême (formations composées de juges en exercice, qui, au moment de leur promotion, remplissaient notamment la condition de la spécialisation requise pour être promus à la juridiction suprême) ?

3)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de laisser inappliquée une décision de la juridiction constitutionnelle, prononcée à la suite d’une saisine relative à un conflit constitutionnel, ayant force obligatoire en droit national ? »

 Sur la procédure devant la Cour

 Sur la jonction

112    Par décisions du président de la Cour du 26 février 2020, les affaires C‑357/19 et C‑547/19, d’une part, et les affaires C‑811/19 et C‑840/19, d’autre part, ont été jointes aux fins de la procédure orale ainsi que de l’arrêt. Par décision du président de la Cour du 21 mai 2021, ces affaires ainsi que l’affaire C‑379/19 ont été, eu égard à leur connexité, jointes aux fins de l’arrêt.

 Sur les demandes de procédure accélérée et le traitement prioritaire

113    Les juridictions de renvoi dans les affaires C‑357/19, C‑379/19, C‑811/19 et C‑840/19 ont demandé à la Cour que les renvois préjudiciels dans ces affaires soient soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

114    À l’appui de leurs demandes, les juridictions de renvoi ont, en substance, fait valoir que la situation des personnes mises en cause dans le cadre des procédures au principal exigeait une réponse dans de brefs délais. S’agissant plus particulièrement des affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19, elles ont également avancé que l’écoulement du temps risquait de compromettre l’éventuelle exécution de la peine.

115    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

116    Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire. Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas approprié d’écourter la phase écrite de la procédure devant la Cour [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 32 et jurisprudence citée].

117    En l’occurrence, en ce qui concerne les affaires C‑357/19 et C‑379/19, par des décisions respectivement du 23 mai et du 17 juin 2019, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il convenait de rejeter les demandes de procédure accélérée. En effet, d’une part, le motif tiré de ce que ces demandes concernaient des procédures pénales et, de ce fait, exigeaient une réponse donnée avec célérité aux fins de clarifier la situation juridique des personnes mises en cause dans le cadre des procédures au principal ne pouvait suffire par lui-même à justifier que ces affaires soient soumises à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, de telles circonstances n’étant pas de nature à générer une situation d’urgence extraordinaire telle que visée au point 116 du présent arrêt (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 20 septembre 2018, Minister for Justice and Equality, C‑508/18 et C‑509/18, non publiée, EU:C:2018:766, point 11 ainsi que jurisprudence citée).

118    D’autre part, si les questions posées, qui ont trait à des dispositions fondamentales du droit de l’Union, sont a priori susceptibles de revêtir une importance primordiale pour le bon fonctionnement du système juridictionnel de l’Union, auquel l’indépendance des juridictions nationales est essentielle, le caractère sensible et complexe de ces questions se prêtait difficilement à l’application de la procédure accélérée [voir, par analogie, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 105 ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 34].

119    Toutefois, eu égard à la nature des questions posées, le président de la Cour a, par décision du 18 septembre 2019, accordé aux affaires C‑357/19 et C‑379/19 un traitement prioritaire, en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

120    S’agissant des affaires C‑811/19 et C‑840/19, il y a lieu de relever que ces affaires, appréhendées ensemble avec les affaires C‑357/19 et C‑379/19, font apparaître qu’il existe une incertitude au sein des juridictions roumaines quant à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union dans un grand nombre d’affaires relevant du droit pénal dans lesquelles l’écoulement du délai de prescription et, partant, un risque d’impunité sont en cause. Dans ces conditions, et au regard de l’état d’avancement des affaires C‑357/19, C‑379/19 et C‑547/19, lesquelles soulèvent des questions d’interprétation du droit de l’Union similaires, le président de la Cour a, par décision du 28 novembre 2019, décidé de soumettre les affaires C‑811/19 et C‑840/19 à une procédure accélérée.

 Sur la demande de réouverture de la procédureorale

121    L’audience de plaidoiries commune prévue pour les présentes affaires a été, en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus, reportée à trois reprises puis finalement annulée par une décision du 3 septembre 2020. Conformément à l’article 61, paragraphe 1, du règlement de procédure, la grande chambre de la Cour a décidé de convertir en questions pour réponse écrite les questions qui avaient, en vue de l’audience de plaidoiries, été communiquées aux parties et aux intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ayant présenté des observations écrites. CY, PM, RO, KI, LJ, NC, FQ, le Forum des juges de Roumanie, la DNA, le service territorial d’Oradea de la DNA, le gouvernement roumain ainsi que la Commission ont transmis à la Cour leurs réponses à ces questions dans les délais impartis.

122    Par acte déposé au greffe de la Cour le 16 avril 2021, PM a demandé à ce que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure. À l’appui de sa demande, PM a fait valoir, en substance, en se référant aux articles 19, 20, 31 et 32 du statut de la Cour de Justice de l’Union européenne ainsi qu’aux articles 64, 65, 80 et 81 du règlement de procédure, que l’absence d’audience de plaidoiries porterait atteinte à son droit à un procès équitable et au principe du contradictoire.

123    À cet égard, il convient de rappeler que le droit d’être entendu, consacré à l’article 47 de la Charte, n’impose pas une obligation absolue de tenir une audience publique dans toutes les procédures. Il en va notamment ainsi lorsque l’affaire ne soulève pas de questions de fait ou de droit ne pouvant être adéquatement résolues sur le fondement du dossier et des observations écrites des parties (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Sacko, C‑348/16, EU:C:2017:591, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

124    Ainsi, s’agissant de la phase orale de la procédure devant la Cour, l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que celle-ci peut, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de ne pas tenir d’audience de plaidoiries si elle estime, à la lecture des mémoires ou des observations déposés au cours de la phase écrite de la procédure, être suffisamment informée pour statuer. Conformément au paragraphe 3 de cet article 76, cette disposition n’est toutefois pas applicable lorsqu’une demande d’audience de plaidoiries a été présentée, de manière motivée, par un intéressé visé à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne qui n’a pas participé à la phase écrite de la procédure. En l’occurrence, toutefois, aucune demande en ce sens n’a été présentée par un tel intéressé.

125    Au vu de ce qui précède, la Cour a pu décider, conformément à l’article 76, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure, sans méconnaître les exigences découlant de l’article 47 de la Charte, de ne pas tenir d’audience dans les présentes affaires. Du reste, ainsi qu’il a été indiqué au point 121 du présent arrêt, la Cour a posé aux parties ainsi qu’aux intéressés ayant présenté des observations écrites des questions pour réponse écrite, leur permettant ainsi d’apporter des éléments supplémentaires à l’attention de la Cour, faculté qu’a notamment exercée PM.

126    Il est vrai que, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour ou lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties intéressées.

127    Or, la demande de réouverture de la phase orale de la procédure que formule ainsi PM après qu’ont été prononcées les conclusions de M. l’avocat général ne révèle aucun fait nouveau de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est appelée à rendre. En outre, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose, au terme de la procédure qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑357/19.

128    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à la demande de PM tendant à ce que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour

129    Les parties au principal PM, RO, TQ, KI, LJ et NC ainsi que le gouvernement polonais émettent des doutes quant à la compétence de la Cour pour répondre à certaines questions posées par les juridictions de renvoi.

130    Les interrogations soulevées, à cet égard, par PM, RO et TQ concernent les questions posées dans l’affaire C‑357/19, celles émises par KI et LJ les questions posées dans l’affaire C‑379/19, et celles mises en avant par NC les questions posées dans l’affaire C‑840/19. Le gouvernement polonais met en cause la compétence de la Cour pour répondre aux questions posées dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 ainsi qu’à la troisième question posée dans l’affaire C‑379/19.

131    Ces parties au principal et le gouvernement polonais avancent trois séries d’arguments. Tout d’abord, les interrogations soulevées par les juridictions de renvoi relatives à la compatibilité avec le droit de l’Union de la jurisprudence issue des arrêts de la Cour constitutionnelle en cause au principal porteraient sur l’organisation du système judiciaire, domaine dans lequel l’Union ne disposerait d’aucune compétence. Ensuite, le droit de l’Union ne contenant aucune norme relative à la portée et aux effets des arrêts rendus par une juridiction constitutionnelle nationale, lesdites interrogations concerneraient non pas le droit de l’Union mais le droit national. Enfin, les juridictions de renvoi inviteraient, en réalité, la Cour à se prononcer sur la légalité de ces arrêts de la Cour constitutionnelle ainsi que sur certains éléments de fait retenus par celle-ci, ce qui ne relèverait pas de la compétence de la Cour.

132    À cet égard, il y a lieu de constater que les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation du droit de l’Union, qu’il s’agisse de dispositions de droit primaire, notamment l’article 2, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 325 TFUE ainsi que l’article 47 de la Charte, ou de dispositions de droit dérivé, notamment la décision 2006/928. Ces demandes portent également sur une convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, que la Cour est compétente pour interpréter, à savoir la convention PIF.

133    En outre, la Cour a déjà jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 111 ainsi que jurisprudence citée). Il en va de même dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges motivée par le non-respect des décisions de la cour constitutionnelle nationale.

134    En ce qui concerne l’argumentation selon laquelle les demandes de décision préjudicielle inviteraient, en substance, la Cour à apprécier la portée, les effets ainsi que la légalité des arrêts de la Cour constitutionnelle en cause au principal et à se prononcer sur certains éléments de fait retenus par cette dernière, il convient de rappeler, d’une part, que, si, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national, il appartient en revanche à la Cour de fournir à la juridiction nationale l’ayant saisie d’un renvoi préjudiciel les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant s’avérer nécessaires à la solution du litige au principal, tout en tenant compte des indications que comporte la décision de renvoi quant au droit national applicable audit litige et aux faits caractérisant ce dernier [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 78 et jurisprudence citée].

135    D’autre part, s’il n’appartient pas davantage à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une telle procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions ou d’une pratique du droit national avec les règles du droit de l’Union, la Cour est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant de ce dernier droit qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle conformité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 79 et jurisprudence citée].

136    Eu égard à ce qui précède, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées dans les présentes affaires, y compris à celles visées au point 130 du présent arrêt.

 Sur la recevabilité

 Affaire C379/19

137    KI excipe de l’irrecevabilité de chacune des trois questions préjudicielles posées dans l’affaire C‑379/19. S’agissant de la première question, il fait valoir que la réponse à celle-ci s’impose avec évidence, tout en soulignant que ni la décision 2006/928 ni les recommandations formulées dans les rapports de la Commission adoptés sur le fondement de cette décision n’ont été invoquées dans le cadre de la procédure au principal. Quant aux deuxième et troisième questions, KI est d’avis que les interrogations qu’elles soulèvent ne présentent aucun lien de rattachement avec l’objet du litige au principal, la juridiction de renvoi cherchant seulement, en réalité, à échapper à son obligation d’appliquer, sous peine d’engager la responsabilité disciplinaire de ses membres, la jurisprudence issue des arrêts de la Cour constitutionnelle en cause au principal.

138    À cet égard, s’agissant de la circonstance que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’imposerait, en l’occurrence, avec une telle évidence qu’elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable, il suffit de rappeler que, si une telle circonstance, lorsqu’elle est avérée, peut amener la Cour à statuer par voie d’ordonnance au titre de l’article 99 du règlement de procédure, cette même circonstance ne saurait pour autant empêcher la juridiction nationale de poser une question préjudicielle ni avoir pour effet de rendre irrecevable la question ainsi posée [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 96].

139    Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 116, ainsi que du 2 septembre 2021, INPS (Allocations de naissance et de maternité pour les titulaires de permis unique), C‑350/20, EU:C:2021:659, point 39 et jurisprudence citée].

140    En l’espèce, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a été saisie, dans le cadre d’une procédure pénale relative notamment à des infractions de corruption, d’une demande émanant des personnes mises en cause tendant à ce que soient exclus de la procédure, en application de plusieurs arrêts de la Cour constitutionnelle, des moyens de preuve consistant en des procès-verbaux de transcription d’interceptions. Or, c’est justement en raison des doutes qu’elle nourrit quant à la compatibilité de ces arrêts, dont le non-respect par une juridiction nationale est en outre de nature à engager la responsabilité disciplinaire des juges ayant pris part à la décision au sein de ladite juridiction, avec l’exigence d’indépendance des juridictions, qui découle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, que la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour, dans le cadre des deuxième et troisième questions préjudicielles, notamment sur l’interprétation de cette disposition. S’agissant de la décision 2006/928 visée par la première question préjudicielle, il convient de relever que, eu égard au considérant 3 de cette décision auquel se réfère la demande de décision préjudicielle, cette exigence d’indépendance est concrétisée par les objectifs de référence énoncés dans l’annexe de cette décision et les recommandations formulées dans les rapports de la Commission adoptés sur le fondement de celle-ci. Le lien entre la procédure au principal et les trois questions posées ressort donc clairement de la demande de décision préjudicielle.

141    Il résulte de ce qui précède que les questions préjudicielles dans l’affaire C‑379/19 sont recevables.

 Affaire C547/19

142    L’Inspection judiciaire conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif de l’inapplicabilité à l’affaire au principal des articles 2 et 19 TUE ainsi que de l’article 47 de la Charte dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi.

143    À cet égard, il convient de relever que le litige au principal dans l’affaire C‑547/19 se rapporte à un recours introduit devant la juridiction de renvoi par un juge contre la sanction disciplinaire de l’exclusion de la magistrature qui lui a été infligée, recours dans le cadre duquel l’intéressé conteste la légalité de la composition de cette juridiction, constituée selon les exigences posées par l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle. Ainsi, la juridiction de renvoi est appelée à statuer sur cette exception de procédure et, dans ce cadre, à se prononcer sur la légalité de sa propre composition, compte tenu de la jurisprudence issue de cet arrêt qui est, selon elle, de nature à mettre en cause son indépendance.

144    Or, la juridiction de renvoi est un organe judiciaire qui est susceptible de statuer, en tant que juridiction, sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union et, par suite, relevant de domaines couverts par ce droit. En l’occurrence, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a ainsi vocation à s’appliquer à l’égard de la juridiction de renvoi, laquelle est tenue d’assurer, en vertu de cette disposition, que le régime disciplinaire applicable aux juges des juridictions nationales relevant du système national de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union respecte le principe d’indépendance des juges, notamment en garantissant que les décisions rendues dans le cadre des procédures disciplinaires engagées contre ceux-ci soient contrôlées par une instance satisfaisant elle-même aux garanties inhérentes à une protection juridictionnelle effective dont celle d’indépendance [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 80 et jurisprudence citée]. Dans le cadre de l’interprétation de cette disposition, il y a lieu de tenir compte tant de l’article 2 TUE que de l’article 47 de la Charte.

145    Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑547/19 est recevable.

 Affaires C357/19, C811/19 et C840/19

146    En ce qui concerne l’affaire C‑357/19, PM, RO et TQ ainsi que le gouvernement polonais excipent de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle. Tout d’abord, PM et RO font observer que leur situation juridique personnelle n’a aucun lien avec des infractions affectant les intérêts financiers de l’Union et, partant, avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE. Ensuite, RO et TQ relèvent que, en déclarant recevables les recours extraordinaires, la juridiction de renvoi s’est déjà prononcée sur la question de l’applicabilité de l’arrêt no 685/2018 de la Cour constitutionnelle, de sorte que, selon eux, il n’est plus nécessaire de clarifier cette question aux fins de la solution du litige au principal. Enfin, le gouvernement polonais considère que l’affaire C‑357/19 échappe au champ d’application du droit de l’Union et, partant, à celui de la Charte.

147    S’agissant de l’affaire C‑811/19, le gouvernement polonais conteste également la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, en soutenant que ladite affaire ne relève pas non plus du champ d’application du droit de l’Union et que, partant, il n’y a pas lieu d’appliquer la Charte.

148    Quant à l’affaire C‑840/19, NC conclut à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle. S’agissant de la première question, il estime que l’article 325 TFUE n’est pas applicable à cette affaire, au motif que l’infraction en cause au principal n’affecterait pas les intérêts financiers de l’Union. Pour ce qui est de la troisième question, NC fait valoir que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour relative au principe de primauté du droit de l’Union, la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable. Plus généralement, outre qu’il considère que la solution de l’affaire au principal ne dépend pas de la réponse aux questions posées, NC soutient que les informations et les appréciations fournies par la juridiction de renvoi relatives à la Cour constitutionnelle, notamment à son arrêt no 417/2019, seraient incomplètes et partiellement erronées. De son côté, le gouvernement polonais estime, pour les mêmes raisons que celles avancées dans l’affaire C‑811/19, que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑840/19 est irrecevable.

149    À ces divers égards, il a déjà été rappelé au point 139 du présent arrêt que, aux termes d’une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence.

150    S’agissant de l’affaire C‑357/19, il ressort des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle que celle-ci trouve son origine dans une procédure pénale ouverte contre plusieurs personnes poursuivies pour des infractions de corruption en relation avec la gestion de fonds européens et des infractions de fraude fiscale relative à la TVA. En ce qui concerne les affaires C‑811/19 et C‑840/19, la juridiction de renvoi a indiqué que les procédures pénales en cause au principal portent sur des infractions de corruption en relation avec l’attribution de marchés publics passés dans le cadre de projets financés par des fonds européens. Eu égard à ces éléments dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, il apparaît que les procédures au principal doivent être considérées comme concernant, en partie, des fraudes en matière de TVA qui sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union et qu’elles relèvent ainsi de l’article 325, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée). Quant aux infractions de corruption en relation avec l’attribution de marchés publics passés dans le cadre de projets financés par des fonds européens, les juridictions de renvoi s’interrogent notamment sur le point de savoir si l’article 325, paragraphe 1, TFUE trouve à s’appliquer à de telles infractions, si bien que l’argument tiré de l’éventuelle inapplicabilité de cette disposition ne saurait mettre en cause la recevabilité des questions posées à cet égard.

151    En outre, estimant que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019 pourrait porter atteinte à l’indépendance des juges et entraver la lutte contre la corruption, la juridiction de renvoi dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 interroge la Cour sur l’interprétation, notamment, de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de l’article 19, paragraphe 1, TUE ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union afin de pouvoir juger si elle doit appliquer ou, au contraire, laisser inappliqués lesdits arrêts. L’applicabilité de ces arrêts aurait, selon les indications de la juridiction de renvoi, pour conséquence qu’il y aura lieu de faire droit au recours ou de procéder à la réouverture d’une procédure de jugement sur le fond. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que l’interprétation sollicitée de l’article 325 TFUE, de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte auxquels se réfèrent les demandes de décision préjudicielle apparaît manifestement sans rapport avec l’examen des recours au principal.

152    En ce qui concerne la circonstance que la réponse à la troisième question dans l’affaire C‑840/19 ne laisserait place à aucun doute, une circonstance de cette nature ne saurait, ainsi qu’il ressort du point 138 du présent arrêt, empêcher une juridiction nationale de poser à la Cour une question préjudicielle ni avoir pour effet de rendre irrecevable la question posée.

153    Par conséquent, les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 sont recevables.

 Sur le fond

154    Par leurs demandes de décision préjudicielle, les juridictions de renvoi interrogent la Cour sur l’interprétation de plusieurs principes et dispositions du droit de l’Union, tels l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE, le principe de primauté du droit de l’Union, l’article 2 de la convention PIF ainsi que la décision 2006/928. Les questions qu’elles soulèvent, à cet égard, portent, en substance :

–        sur la question de savoir si la décision 2006/928 ainsi que les rapports établis sur le fondement de cette décision revêtent un caractère contraignant pour la Roumanie (première question dans l’affaire C‑379/19) ;

–        sur la conformité au droit de l’Union, notamment à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, d’une réglementation ou d’une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la TVA qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort, sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements en appel définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance (première question dans les affaires C‑357/19 et C‑840/19 ainsi que première et quatrième questions dans l’affaire C‑811/19), et

–        sur la conformité au droit de l’Union, notamment, d’une part, à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi qu’à la décision 2006/928 et, d’autre part, au principe de primauté du droit de l’Union, d’une réglementation ou d’une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par des décisions de la cour constitutionnelle nationale relatives à l’admissibilité de certaines preuves et à la légalité de la composition des formations de jugement statuant en matière de corruption, de fraude à la TVA et de discipline de magistrats, et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent que cette jurisprudence est contraire aux dispositions du droit de l’Union (deuxième et troisième questions dans les affaires C‑357/19, C‑379/19, C‑811/19 et C‑840/19 ainsi que question unique dans l’affaire C‑547/19). 

 Sur la première question dans l’affaire C379/19

155    Par sa première question posée dans l’affaire C‑379/19, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la décision 2006/928 ainsi que les recommandations formulées dans les rapports de la Commission adoptés sur le fondement de cette décision sont obligatoires pour la Roumanie.

156    Il convient d’emblée de rappeler que la décision 2006/928 est un acte adopté par une institution de l’Union, à savoir la Commission, sur le fondement de l’acte d’adhésion, lequel relève du droit primaire de l’Union, et qu’elle constitue, plus particulièrement, une décision au sens de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE. Quant aux rapports de la Commission au Parlement européen et au Conseil, établis au titre du MCV institué par cette décision, ils doivent également être regardés comme des actes adoptés par une institution de l’Union, ayant pour base juridique le droit de l’Union, à savoir l’article 2 de ladite décision (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 149).

157    Ainsi qu’il ressort de ses considérants 4 et 5, la décision 2006/928 a été adoptée dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union, intervenue le 1er janvier 2007, sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, lesquels habilitaient la Commission à adopter des mesures appropriées en cas, respectivement, de risque imminent de dysfonctionnement grave du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements pris dans le cadre des négociations d’adhésion et de risque imminent de manquements graves de la Roumanie en ce qui concerne le respect du droit de l’Union relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

158    Or, la décision 2006/928 a été adoptée en raison de l’existence de risques imminents de la nature de ceux visés aux articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion. En effet, ainsi qu’il ressort du rapport de suivi de la Commission, du 26 septembre 2006, sur le degré de préparation à l’adhésion à l’Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie [COM(2006) 549 final], auquel se réfère le considérant 4 de la décision 2006/928, cette institution a constaté la persistance en Roumanie de défaillances, notamment dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption, et a proposé au Conseil de subordonner l’adhésion de cet État à l’Union à l’institution d’un mécanisme de coopération et de vérification aux fins de faire face à ces défaillances. À cette fin, ladite décision a, ainsi qu’il ressort notamment de ses considérants 4 et 6, institué le MCV et édicté, en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption, les objectifs de référence visés à l’article 1er et exposés à l’annexe de la même décision (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 157 et 158).

159    À cet égard, et comme l’énoncent les considérants 2 et 3 de la décision 2006/928, l’espace de liberté, de sécurité et de justice et le marché intérieur reposent sur la confiance mutuelle entre les États membres que leurs décisions et leurs pratiques administratives et judiciaires respectent pleinement l’État de droit, cette condition impliquant l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 159).

160    Or, l’article 49 TUE, qui prévoit la possibilité pour tout État européen de demander à devenir membre de l’Union, précise que celle-ci regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes actuellement visées à l’article 2 TUE, qui respectent ces valeurs et qui s’engagent à les promouvoir. En particulier, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 160 et jurisprudence citée).

161    Ainsi, le respect des valeurs visées à l’article 2 TUE constitue une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir membre de l’Union. C’est dans ce contexte que le MCV a été institué par la décision 2006/928 afin que soit assuré le respect de la valeur de l’État de droit en Roumanie (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 161).

162    Par ailleurs, le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Les États membres sont ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 162 ainsi que jurisprudence citée, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 51].

163    Dans ce contexte, il importe de relever que les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions de l’Union, au nombre desquels figure la décision 2006/928, lient la Roumanie depuis la date de son adhésion à l’Union, en vertu de l’article 2 de l’acte d’adhésion, et restent en vigueur, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion, jusqu’à leur abrogation (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 163).

164    S’agissant plus spécifiquement des mesures adoptées sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, s’il est vrai que le premier alinéa de chacun de ces articles a autorisé la Commission à adopter les mesures qu’ils visent « pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion », le second alinéa de chacun desdits articles a toutefois expressément prévu que les mesures ainsi adoptées pourraient être appliquées au-delà de ladite période tant que les engagements correspondants n’auraient pas été remplis ou que les manquements constatés persisteraient, et que lesdites mesures ne seraient levées que lorsque l’engagement correspondant serait rempli ou le manquement en cause corrigé. D’ailleurs, la décision 2006/928 précise elle-même, à son considérant 9, qu’elle « sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints ».

165    Partant, la décision 2006/928 continue à déployer ses effets au-delà de la date de l’adhésion de la Roumanie à l’Union tant que cette décision n’a pas été abrogée (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 165).

166    En ce qui concerne le point de savoir si et dans quelle mesure la décision 2006/928 est obligatoire pour la Roumanie, il y a lieu de rappeler que l’article 288, quatrième alinéa, TFUE prévoit, à l’instar de l’article 249, quatrième alinéa, CE, qu’une décision « est obligatoire dans tous ses éléments » pour les destinataires qu’elle désigne.

167    Conformément à son article 4, la décision 2006/928 a pour destinataires l’ensemble des États membres, ce qui inclut la Roumanie à compter de son adhésion. Cette décision présente par conséquent un caractère contraignant dans tous ses éléments pour cet État membre dès son adhésion à l’Union. Ainsi, ladite décision impose à la Roumanie l’obligation d’atteindre les objectifs de référence figurant à son annexe et de faire chaque année, en vertu de son article 1er, premier alinéa, rapport à la Commission sur les progrès réalisés à cet égard (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 167 et 168).

168    S’agissant, en particulier, de ces objectifs de référence, il convient d’ajouter que ceux-ci ont été définis, ainsi qu’il ressort des points 157 à 162 du présent arrêt, en raison des défaillances constatées par la Commission avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union dans les domaines, notamment, des réformes judiciaires et de la lutte contre la corruption, et qu’ils visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE, condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités audit État membre. En outre, lesdits objectifs de référence concrétisent les engagements spécifiques contractés par la Roumanie et les exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004, figurant à l’annexe IX de l’acte d’adhésion, concernant notamment les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption. Dès lors, ainsi qu’il ressort des considérants 4 et 6 de la décision 2006/928, la mise en place du MCV et la fixation des objectifs de référence ont eu pour but de parachever l’adhésion de la Roumanie à l’Union, afin de remédier aux défaillances constatées par la Commission avant cette adhésion dans ces domaines (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 169 à 171).

169    Il en résulte que les objectifs de référence revêtent un caractère contraignant pour la Roumanie, de sorte que cet État membre est soumis à l’obligation spécifique d’atteindre ces objectifs et de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ceux-ci dans les meilleurs délais. De même, ledit État membre est tenu de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquerait de compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 172).

170    Quant aux rapports établis par la Commission sur le fondement de la décision 2006/928, il convient de rappeler que, pour déterminer si un acte de l’Union produit des effets obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 173 ainsi que jurisprudence citée).

171    En l’occurrence, il est vrai que les rapports établis sur le fondement de la décision 2006/928 sont, en vertu de l’article 2, premier alinéa, de celle-ci, adressés non pas à la Roumanie, mais au Parlement et au Conseil. En outre, si ces rapports comportent une analyse de la situation en Roumanie et formulent des exigences à l’égard de cet État membre, les conclusions qui y figurent adressent des « recommandations » audit État membre en s’appuyant sur ces exigences.

172    Toutefois, ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée des articles 1er et 2 de ladite décision, ces rapports sont destinés à analyser et à évaluer les progrès réalisés par la Roumanie au regard des objectifs de référence que cet État membre doit atteindre. S’agissant en particulier des recommandations figurant dans ces rapports, celles-ci sont formulées en vue de la réalisation de ces objectifs et afin de guider les réformes dudit État membre à cet égard (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 175).

173    Sur ce point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il résulte du principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, que les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union ainsi que d’effacer les conséquences illicites d’une violation de ce droit, et qu’une telle obligation incombe, dans le cadre de ses compétences, à chaque organe de l’État membre concerné (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 176 ainsi que jurisprudence citée).

174    Dans ces conditions, pour se conformer aux objectifs de référence énoncés à l’annexe de la décision 2006/928, la Roumanie doit tenir dûment compte des exigences et des recommandations formulées dans les rapports établis par la Commission au titre de cette décision. En particulier, cet État membre ne saurait adopter ou maintenir des mesures dans les domaines couverts par les objectifs de référence qui risqueraient de compromettre le résultat qu’elles prescrivent. Dans le cas où la Commission émet, dans un tel rapport, des doutes quant à la compatibilité d’une mesure nationale avec l’un des objectifs de référence, il incombe à la Roumanie de collaborer de bonne foi avec cette institution en vue de surmonter, dans le plein respect de ces objectifs de référence et des dispositions des traités, les difficultés rencontrées à l’égard de la réalisation desdits objectifs de référence (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 177).

175    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C‑379/19 que la décision 2006/928 est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée, obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de référence qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

 Sur la première question dans les affaires C357/19 et C840/19 ainsi que les première et quatrième questions dans l’affaire C811/19

176    Par la première question dans les affaires C‑357/19 et C‑840/19 ainsi que les première et quatrième questions dans l’affaire C‑811/19, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la TVA, qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort, sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance.

177    À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi dans ces affaires souligne l’importance des effets que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019, relative à la composition des formations de jugement de la Haute Cour de cassation et de justice, pourrait avoir sur l’effectivité des poursuites, des sanctions ainsi que de l’exécution des sanctions en matière d’infractions de corruption et de fraude à la TVA telles que celles dont font l’objet les accusés, parmi lesquels figurent des personnes ayant occupé les plus hauts postes de l’État roumain à l’époque des faits reprochés. Elle interroge ainsi la Cour, en substance, sur la compatibilité d’une telle jurisprudence avec le droit de l’Union.

178    Si les questions qu’elle pose à cet égard visent formellement l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, sans se référer à la décision 2006/928, cette dernière décision ainsi que les objectifs de référence figurant à son annexe sont pertinents aux fins de la réponse à apporter à ces questions. En revanche, bien que la juridiction de renvoi se réfère également, dans ses questions, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et aux directives 2015/849 et 2017/1371, un examen qui porterait, en outre, sur ces dernières dispositions n’apparaît pas nécessaire aux fins de répondre aux interrogations que véhiculent lesdites questions. S’agissant de ces directives, il convient, au demeurant, de relever que la période pertinente dans les affaires en cause au principal est antérieure à l’entrée en vigueur de celles-ci.

179    Dans ces conditions, il y a lieu de répondre auxdites questions à l’aune tant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, que de la décision 2006/928.

180    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 133 du présent arrêt, en l’état actuel du droit de l’Union, ce droit ne prévoit pas de règles gouvernant l’organisation de la justice dans les États membres et, en particulier, la composition des formations de jugement en matière de corruption et de fraude. Partant, ces règles relèvent, en principe, de la compétence des États membres. Toutefois, ces États sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union.

181    S’agissant des obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, cette disposition impose aux États membres de lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives (arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 50 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, point 25).

182    Dans ce contexte, afin d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, il incombe, notamment, aux États membres de prendre les mesures nécessaires en vue de garantir le prélèvement effectif et intégral des ressources propres que sont les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée, et du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, points 51 et 52). De même, les États membres sont tenus d’adopter des mesures effectives permettant de recouvrer les sommes indûment versées au bénéficiaire d’une subvention partiellement financée par le budget de l’Union (arrêt du 1er octobre 2020, Úrad špeciálnej prokuratúry, C‑603/19, EU:C:2020:774, point 55).

183    Dès lors, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 94 et 95 de ses conclusions dans les affaires C‑357/19 et C‑547/19, la notion d’« intérêts financiers » de l’Union, au sens de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la disposition du budget de l’Union mais également les dépenses couvertes par ce budget. Cette interprétation est corroborée par la définition de la notion de « fraude portant atteinte aux intérêts financiers [de l’Union] », qui figure à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la convention PIF et qui vise différents actes ou omissions intentionnels en matière tant de dépenses que de recettes.

184    Par ailleurs, s’agissant de l’expression « toute activité illégale », figurant à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu de rappeler que les termes « activité illégale » désignent usuellement des comportements contraires à la loi tandis que le déterminant « toute » indique qu’est visé, indifféremment, l’ensemble de ces comportements. Du reste, eu égard à l’importance qu’il convient de reconnaître à la protection des intérêts financiers de l’Union, laquelle constitue un objectif de celle-ci, cette notion d’« activité illégale » ne saurait être interprétée de manière restrictive (arrêt du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 45 et jurisprudence citée).

185    Ainsi, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 100 de ses conclusions dans les affaires C‑357/19 et C‑547/19, ladite notion d’« activité illégale » couvre notamment tout acte de corruption des fonctionnaires ou tout abus par ceux-ci d’une fonction publique, susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, sous la forme, par exemple, d’une perception indue des fonds de celle-ci. Dans ce contexte, il importe peu que les actes de corruption se traduisent par un acte ou par une omission du fonctionnaire concerné, compte tenu du fait qu’une omission peut être aussi préjudiciable pour les intérêts financiers de l’Union qu’un acte et être intrinsèquement liée à un tel acte, comme le sont, par exemple, l’omission par un fonctionnaire d’effectuer les contrôles et les vérifications requis pour des dépenses couvertes par le budget de l’Union ou l’autorisation de dépenses inappropriées ou incorrectes des fonds de l’Union.

186    La circonstance que l’article 2, paragraphe 1, de la convention PIF, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de cette convention, se réfère uniquement à la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union n’est pas de nature à infirmer cette interprétation de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, dont les termes visent expressément « la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, sous a), de ladite convention, un détournement de fonds provenant du budget de l’Union à d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont initialement été octroyés est constitutif d’une fraude, alors qu’un tel détournement peut également être à l’origine ou le résultat d’un acte de corruption. Ceci revient à démontrer que des actes de corruption peuvent être liés à des cas de fraude et, inversement, la commission d’une fraude peut être facilitée par des actes de corruption, si bien qu’une éventuelle atteinte aux intérêts financiers peut, dans certains cas, résulter de la conjonction d’une fraude à la TVA et d’actes de corruption. Comme M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 98 de ses conclusions dans les affaires C‑357/19 et C‑547/19, l’existence possible d’un tel lien est confirmé par le protocole à la convention PIF, lequel couvre, aux termes de ses articles 2 et 3, les actes de corruption passive et active.

187    Il y a également lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que même des irrégularités qui n’ont pas d’impact financier précis peuvent sérieusement affecter les intérêts financiers de l’Union (arrêt du 21 décembre 2011, Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, C‑465/10, EU:C:2011:867, point 47 et jurisprudence citée). Dès lors, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 103 de ses conclusions dans les affaires C‑357/19 et C‑547/19, l’article 325, paragraphe 1, TFUE est susceptible de couvrir non seulement des actes qui causent effectivement une perte de ressources propres mais également la tentative de commettre de tels actes.

188    Dans ce contexte, il convient d’ajouter que, en ce qui concerne la Roumanie, l’obligation de lutter contre la corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, ainsi qu’elle résulte de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, est complétée par les engagements spécifiques que cet État membre a acceptés lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004. En effet, conformément au point I, 4, de l’annexe IX de l’acte d’adhésion, ledit État membre s’est engagé notamment à « [r]enforcer considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la législation en matière de lutte contre la corruption ». Cet engagement spécifique a été, par la suite, concrétisé par l’adoption de la décision 2006/928, fixant des objectifs de référence aux fins de remédier aux défaillances constatées par la Commission avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption. Ainsi, l’annexe de cette décision, dans laquelle sont exposés ces objectifs de référence, vise, à son point 3, l’objectif de « [c]ontinuer à mener des enquêtes professionnelles et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau », et, à son point 4, l’objectif de « [p]rendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l’administration locale ».

189    Comme il a été rappelé au point 169 du présent arrêt, les objectifs de référence que la Roumanie s’est ainsi engagée à atteindre revêtent un caractère contraignant pour cet État membre, en ce sens que celui-ci est soumis à l’obligation spécifique d’atteindre ces objectifs et de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ceux-ci dans les meilleurs délais. De même, ledit État membre est tenu de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquerait de compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs. Or, l’obligation de lutter de manière effective contre la corruption et, en particulier, la corruption de haut niveau, qui découle des objectifs de référence exposés dans l’annexe de la décision 2006/928, lus en combinaison avec les engagements spécifiques de la Roumanie, ne se limite pas aux seuls cas de corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

190    Par ailleurs, il découle, d’une part, des prescriptions de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, qui imposent de lutter contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, de celles de la décision 2006/928, qui exigent de prévenir et de combattre la corruption en général, que la Roumanie doit prévoir l’application de sanctions effectives et dissuasives en cas de telles infractions (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 53).

191    À cet égard, si cet État membre dispose d’une liberté de choix des sanctions applicables, lesquelles peuvent prendre la forme de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une combinaison des deux, il est toutefois tenu, conformément à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, de veiller à ce que les infractions de fraude et de corruption graves portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union soient passibles de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 54 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, point 27). En outre, s’agissant des infractions de corruption en général, l’obligation de prévoir des sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif découle, pour la Roumanie, de la décision 2006/928, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 189 du présent arrêt, cette décision oblige ledit État membre à lutter, de manière effective et indépendamment d’une éventuelle atteinte aux intérêts financiers de l’Union, contre la corruption et, en particulier, contre la corruption de haut niveau.

192    Il appartient en outre à la Roumanie d’assurer que ses règles de droit pénal et de procédure pénale permettent une répression effective des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de corruption en général. Ainsi, si les sanctions prévues et les procédures pénales instituées pour lutter contre ces infractions relèvent de la compétence de cet État membre, cette compétence est limitée non seulement par les principes de proportionnalité et d’équivalence, mais également par le principe d’effectivité, lequel impose que lesdites sanctions présentent un caractère effectif et dissuasif (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 29, ainsi que du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, points 29 et 30). Cette exigence d’effectivité s’étend nécessairement tant aux poursuites et aux sanctions des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de corruption en général qu’à l’application des peines infligées, dans la mesure où, en l’absence d’exécution effective des sanctions, celles-ci ne sauraient présenter un caractère effectif et dissuasif.

193    Dans ce contexte, il incombe, au premier chef, au législateur national de prendre les mesures nécessaires. Il lui appartient, le cas échéant, de modifier sa réglementation et de garantir que le régime procédural applicable à la poursuite et à la sanction des infractions de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ainsi que des infractions de corruption en général ne soit pas conçu de telle manière qu’il présente, pour des raisons inhérentes à celui-ci, un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, tout en assurant la protection des droits fondamentaux des personnes poursuivies (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 65, ainsi que du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, point 31).

194    Quant aux juridictions nationales, il leur incombe de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que de la décision 2006/928 et de laisser inappliquées des dispositions internes qui, dans le cadre d’une procédure concernant des infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou des infractions de corruption en général, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre de telles infractions (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 39 et jurisprudence citée ; du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, point 32, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 249 et 251).

195    En l’occurrence, il ressort des indications figurant dans les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19, résumées aux points 60, 95 et 107 du présent arrêt, que, par son arrêt no 417/2019 prononcé le 3 juillet 2019 sur saisine du président de la Chambre des Députés, la Cour constitutionnelle a ordonné que toutes les affaires sur lesquelles la Haute Cour de cassation et de justice avait statué en première instance avant le 23 janvier 2019 et dans lesquelles les décisions rendues par ladite juridiction n’étaient pas devenues définitives à la date de cet arrêt soient réexaminées par des formations spécialisées en matière de lutte contre la corruption, constituées conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la loi no 78/2000, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle. Selon ces mêmes indications, les enseignements issus de l’arrêt no 417/2019 impliquent un réexamen en première instance, notamment, de toutes les affaires qui étaient, au 23 janvier 2019, pendantes en appel ou dans lesquelles le jugement en appel pouvait, à cette même date, encore faire l’objet d’un recours extraordinaire. Il découle encore desdites indications que, dans son arrêt no 685/2018, prononcé le 7 novembre 2018 sur saisine du Premier ministre, la Cour constitutionnelle a jugé que la désignation par tirage au sort de seulement quatre des cinq membres des formations de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice statuant en appel, était contraire à l’article 32 de la loi no 304/2004 modifiée, tout en précisant que, à compter de la date de sa publication, cet arrêt était applicable, notamment, aux affaires en cours de jugement et aux affaires sur lesquelles il avait été statué, dans la mesure où les justiciables étaient encore dans le délai d’exercice des voies de recours extraordinaires appropriées, et que la jurisprudence issue de cet arrêt exige que toutes ces affaires fassent l’objet d’un réexamen en appel par une formation de jugement dont tous les membres sont déterminés par tirage au sort.

196    Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 108 du présent arrêt, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts mentionnés au point précédent peut trouver à s’appliquer successivement, ce qui peut impliquer, à l’égard d’un accusé dans une situation telle que celle de NC, la nécessité d’un double examen de l’affaire en première instance et, éventuellement, d’un triple examen en appel.

197    Ainsi, la nécessité qui découle de cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle de procéder au réexamen des affaires de corruption concernées a nécessairement pour effet de prolonger la durée des procédures pénales correspondantes. Or, outre le fait que la Roumanie s’était engagée, ainsi qu’il résulte du point I, 5, de l’annexe IX de l’acte d’adhésion, à « réviser, d’ici la fin 2005, la procédure criminelle, dont la durée est excessive, pour que les affaires de corruption soient traitées d’une façon rapide et transparente et que des sanctions adéquates ayant un effet dissuasif soient prises », la Cour a jugé que, compte tenu des obligations spécifiques incombant à cet État membre en vertu de la décision 2006/928 en matière de lutte contre la corruption, la réglementation et la pratique nationales en cette matière ne sauraient avoir pour conséquence de prolonger la durée des enquêtes concernant les infractions de corruption ou d’affaiblir de quelque autre manière que ce soit la lutte contre la corruption (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 214).

198    Il convient d’ajouter que la juridiction de renvoi dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 a fait référence non seulement à la complexité et à la durée d’un tel réexamen devant la Haute Cour de cassation et de justice mais aussi aux règles nationales de prescription, notamment à celle énoncée à l’article 155, paragraphe 4, du code pénal, selon laquelle la prescription est acquise, indépendamment du nombre d’interruptions, au plus tard le jour où un délai égal au double du délai légal de prescription concerné s’est écoulé. Elle estime ainsi que l’application de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019 pourrait, dans un nombre considérable de cas, conduire à la prescription des infractions, de sorte qu’elle comporte un risque systémique d’impunité pour des infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général.

199    Enfin, selon les indications figurant dans les demandes de décision préjudicielle, la Haute Cour de cassation et de justice dispose d’une compétence exclusive pour connaître de toutes les infractions de fraude susceptibles de porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union et de corruption en général, commises par des personnes occupant les plus hauts postes de l’État roumain, dans le cadre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

200    À cet égard, il importe de relever qu’un risque systémique d’impunité ne saurait être exclu lorsque l’application de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019, combinée avec la mise en œuvre des dispositions nationales en matière de prescription, a pour effet d’éviter que soit sanctionnée de façon effective et dissuasive une catégorie bien déterminée de personnes, en l’occurrence celles occupant les plus hauts postes de l’État roumain et ayant été condamnées pour avoir commis, dans l’exercice de leurs fonctions, des actes de fraude et/ou de corruption graves par jugement en première instance et/ou en appel de la Haute Cour de cassation et de justice, ce jugement ayant toutefois fait l’objet d’un appel et/ou d’un recours extraordinaire devant cette même juridiction.

201    En effet, bien que limités sur le plan temporel, ces arrêts de la Cour constitutionnelle sont notamment susceptibles d’avoir un impact direct et généralisé sur cette catégorie de personnes, dès lors que, en frappant de nullité absolue un tel jugement de condamnation de la Haute Cour de cassation et de justice et en exigeant un réexamen des affaires de fraude et/ou de corruption concernées, lesdits arrêts peuvent avoir pour effet de prolonger la durée des procédures pénales correspondantes au-delà des délais de prescription applicables, le risque d’impunité devenant ainsi systémique à l’égard de ladite catégorie de personnes.

202    Or, un tel risque remettrait en cause l’objectif poursuivi tant par l’article 325, paragraphe 1, TFUE que par la décision 2006/928, consistant à lutter contre la corruption de haut niveau par le biais de sanctions effectives et dissuasives.

203    Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 parviendrait à la conclusion que l’application de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019, combinée avec la mise en œuvre des dispositions nationales en matière de prescription et notamment du délai de prescription absolu prévu à l’article 155, paragraphe 4, du code pénal, comporte un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général, les sanctions prévues par le droit national pour combattre de telles infractions ne pourraient être considérées comme étant effectives et dissuasives, ce qui serait incompatible avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, ainsi qu’avec la décision 2006/928.

204    Cela étant, dans la mesure où les procédures pénales en cause au principal constituent une mise en œuvre de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et/ou de la décision 2006/928 et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, cette juridiction de renvoi doit également s’assurer que les droits fondamentaux garantis par la Charte aux personnes concernées dans les affaires au principal, en particulier ceux garantis à l’article 47 de celle-ci, sont respectés. Dans le domaine pénal, le respect de ces droits doit être garanti non seulement au cours de la phase de l’enquête préliminaire, dès l’instant où la personne concernée se trouve accusée, mais aussi lors des procédures pénales (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, points 68 et 71 ainsi que jurisprudence citée, et du 17 janvier 2019, Dzivev e.a., C‑310/16, EU:C:2019:30, point 33) et dans le cadre de l’exécution des peines.

205     À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte consacre le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. En exigeant que le tribunal soit « établi préalablement par la loi », cette disposition vise à assurer que l’organisation du système judiciaire soit régie par une loi adoptée par le pouvoir législatif d’une manière conforme aux règles encadrant l’exercice de sa compétence, aux fins d’éviter que cette organisation ne soit laissée à la discrétion du pouvoir exécutif. Cette exigence s’applique à la base légale de l’existence même du tribunal ainsi qu’à toute autre disposition du droit interne dont le non-respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire en cause, telles que les dispositions régissant la composition de la formation de jugement [voir par analogie, par référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6 de la CEDH, arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, point 73, ainsi que du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 129].

206    Or, il convient de faire observer qu’une irrégularité commise lors de la composition des formations de jugement emporte une violation de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte, notamment lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de composition des formations de jugement et semant ainsi un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés, ce qui est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, point 75, ainsi que du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 130].

207    En l’occurrence, si la Cour constitutionnelle a jugé, dans les arrêts en cause au principal, que la pratique antérieure de la Haute Cour de cassation et de justice, fondée notamment sur le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement administratif, relative à la spécialisation et à la composition des formations de jugement en matière de corruption, n’était pas conforme aux dispositions nationales applicables, il n’apparaît pas que cette pratique était entachée d’une violation manifeste d’une règle fondamentale du système judiciaire de la Roumanie de nature à mettre en cause le caractère de tribunal « établi préalablement par la loi » des formations de jugement en matière de corruption de la Haute Cour de cassation et de justice, telles que constituées conformément à ladite pratique antérieure à ces arrêts de la Cour constitutionnelle.

208    De plus, ainsi qu’il ressort du point 95 du présent arrêt, le 23 janvier 2019, le collège de la Haute Cour de cassation et de justice a adopté une décision selon laquelle toutes les formations de jugement de trois juges de celle-ci étaient spécialisées pour connaître des affaires de corruption, décision qui, selon la Cour constitutionnelle, était de nature à éviter l’inconstitutionnalité uniquement à partir de la date de son adoption, mais pas pour le passé. Cette décision, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle, indique que la pratique antérieure de la Haute Cour de cassation et de justice relative à la spécialisation ne constitue pas une violation manifeste d’une règle fondamentale du système judiciaire de la Roumanie, dès lors que l’exigence de spécialisation résultant de l’arrêt no 417/2019 de la Cour constitutionnelle a été considérée comme remplie par la simple adoption d’un acte formel, tel que la décision du 23 janvier 2019, qui ne fait que confirmer que les juges de la Haute Cour de cassation et de justice ayant fait partie des formations de jugement en matière de corruption avant l’adoption de cette décision étaient spécialisés en cette matière.

209    Au demeurant, il importe de distinguer les affaires C‑357/19, C‑840/19 et C‑811/19 de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., (C‑42/17, EU:C:2017:936), dans laquelle la Cour a jugé que, si le juge national est amené à considérer que l’obligation de laisser inappliquées les dispositions nationales en cause se heurte au principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré à l’article 49 de la Charte, il n’est pas tenu de se conformer à cette obligation (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 61). En revanche, les exigences découlant de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte ne font pas obstacle à la non-application de la jurisprudence issue des arrêts nos 685/2018 et 417/2019 dans les affaires C‑357/19, C‑840/19 et C–811/19.

210    Dans sa réponse à une question de la Cour posée dans l’affaire C‑357/19, PM a fait valoir que l’exigence selon laquelle les jugements d’appel en matière de corruption doivent être rendus par des formations de jugement dont tous les membres sont désignés par tirage au sort constitue un standard national de protection des droits fondamentaux. Pour leur part, le gouvernement roumain et la Commission considèrent, toutefois, qu’une telle qualification est erronée en ce qui concerne tant cette exigence que celle relative à l’institution de formations spécialisées en matière d’infractions de corruption.

211    À cet égard, il suffit de rappeler que, à supposer même que ces exigences constituent un tel standard national de protection, il demeurerait que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d’une disposition ou d’une mesure nationale qui, dans une situation dans laquelle l’action des États membres n’est pas entièrement déterminée par le droit de l’Union, met en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, l’article 53 de la Charte confirme qu’il est loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union (arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 29 ; du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 60, ainsi que du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 80).

212    Or, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi dans les affaires C‑357/19, C‑811/19 et C‑840/19 parviendrait à la conclusion visée au point 203 du présent arrêt, l’application du standard national de protection invoqué par PM, à le supposer avéré, serait de nature à compromettre la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union, notamment de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, ainsi que de la décision 2006/928. En effet, dans cette hypothèse, l’application de ce standard national de protection comporterait un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général, en méconnaissance de l’exigence, résultant de ces dispositions, de prévoir des sanctions effectives et dissuasives afin de lutter contre les infractions de cette nature.

213    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question dans les affaires C‑357/19 et C‑840/19 ainsi qu’aux première et quatrième questions dans l’affaire C‑811/19 que l’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention PIF, ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la TVA qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance, dans la mesure où l’application de cette réglementation ou de cette pratique nationale est de nature à créer un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général. L’obligation d’assurer que de telles infractions font l’objet de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif ne dispense pas la juridiction de renvoi de la vérification du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis à l’article 47 de la Charte, sans que cette juridiction puisse appliquer un standard national de protection des droits fondamentaux comportant un tel risque systémique d’impunité.

 Sur les deuxième et troisième questions dans les affaires C357/19, C379/19, C811/19 et C840/19 ainsi que la question unique dans l’affaire C547/19

214    Par les deuxième et troisième questions dans les affaires C‑357/19, C‑379/19, C‑811/19 et C‑840/19 ainsi que par la question unique dans l’affaire C‑547/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si, d’une part, l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que la décision 2006/928 et, d’autre part, le principe de primauté du droit de l’Union combiné avec lesdites dispositions et l’article 325, paragraphe 1, TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun sont liées par les décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire auxdites dispositions du droit de l’Union.

–       Sur la garantie d’indépendance des juges

215    Les juridictions de renvoi considèrent que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts en cause au principal est susceptible de mettre en cause leur indépendance et est, de ce fait, incompatible avec le droit de l’Union, notamment avec les garanties prévues à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi qu’à l’article 47 de la Charte et avec la décision 2006/928. À cet égard, elles estiment que la Cour constitutionnelle, qui ne fait pas partie du système judiciaire roumain, a outrepassé ses compétences en prononçant les arrêts en cause au principal et empiété sur celles des juridictions de droit commun, qui est d’interpréter et d’appliquer la législation infra-constitutionnelle. Les juridictions de renvoi indiquent encore que le non-respect des arrêts de la Cour constitutionnelle constitue en droit roumain une faute disciplinaire, de sorte qu’elles s’interrogent, en substance, sur le point de savoir si elles peuvent, au titre du droit de l’Union, laisser inappliqués ces arrêts en cause au principal sans craindre de faire l’objet d’une procédure disciplinaire.

216    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 133 du présent arrêt, si l’organisation de la justice dans les États membres, y compris l’institution, la composition et le fonctionnement d’une cour constitutionnelle, relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union.

217    L’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêts du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 98 et jurisprudence citée, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 108].

218    En particulier, ainsi que le confirme le considérant 3 de la décision 2006/928, la valeur de l’État de droit « implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption ».

219    L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un État de droit. À ce titre, et ainsi que l’énonce l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la CEDH et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 189 et 190 ainsi que jurisprudence citée).

220    Il s’ensuit que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit assurer que les instances qui sont appelées, en tant que « juridiction » au sens défini par le droit de l’Union, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit et qui relèvent ainsi de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, étant précisé que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, points 101 et 103 ainsi que jurisprudence citée ; du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 36 et 37, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 191 et 192].

221    Or, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif [arrêts du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 115 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 194].

222    Cette exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 116 ainsi que jurisprudence citée].

223    De même, ainsi qu’il découle notamment du considérant 3 de la décision 2006/928 et des objectifs de référence visés aux points 1 à 3 de l’annexe de cette décision, l’existence d’un système judiciaire impartial, indépendant et efficace revêt une importance particulière pour la lutte contre la corruption, notamment celle de haut niveau.

224    Or, l’exigence d’indépendance des juridictions, qui découle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Ce dernier aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit [voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 121 et 122 ainsi que jurisprudence citée].

225    Ces garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de l’instance en cause à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 53 et jurisprudence citée ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 196, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 59 et jurisprudence citée].

226    À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice par ceux-ci de leurs fonctions doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 119 et 139 ainsi que jurisprudence citée].

227    S’agissant plus particulièrement des règles gouvernant le régime disciplinaire, l’exigence d’indépendance impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cette fin, il apparaît essentiel que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et l’application des règles de droit national et de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire du juge concerné [voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 198 et 234 ainsi que jurisprudence citée, et du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 134 et 138]. Constitue, par ailleurs, une garantie inhérente à l’indépendance des juges nationaux le fait que ceux-ci ne soient pas exposés à des procédures ou à des sanctions disciplinaires pour avoir exercé la faculté de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, laquelle faculté relève de leur compétence exclusive [voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2016, Ognyanov, C‑614/14, EU:C:2016:514, points 17 et 25 ; du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 59, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 91].

228    En outre, conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 124 et jurisprudence citée, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 118].

229    Or, si ni l’article 2, ni l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ni aucune autre disposition du droit de l’Union n’impose aux États membres un modèle constitutionnel précis régissant les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques, notamment en ce qui concerne la définition et la délimitation des compétences de ceux-ci, ces États membres n’en doivent pas moins respecter, notamment, les exigences d’indépendance des juridictions qui découlent de ces dispositions du droit de l’Union [voir, par référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6 de la CEDH, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 130].

230    Dans ces conditions, l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 ne s’opposent pas à une réglementation ou pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, si le droit national ne garantit pas cette indépendance, ces dispositions du droit de l’Union s’opposent à une telle réglementation ou pratique nationale, une telle cour constitutionnelle n’étant pas à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

231    En l’occurrence, les interrogations soulevées par les juridictions de renvoi au regard de l’exigence d’indépendance des juges découlant de ces dispositions du droit de l’Union portent, d’une part, sur un ensemble d’aspects relatifs au statut, à la composition et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle ayant rendu les arrêts en cause au principal. En particulier, ces juridictions font observer que celle-ci ne fait pas partie, selon la Constitution roumaine, du système judiciaire, que ses membres sont nommés par des organes relevant des pouvoirs législatif et exécutif qui sont également habilités à la saisir, ou encore qu’elle aurait outrepassé ses compétences et procédé à une interprétation arbitraire de la réglementation nationale pertinente.

232    En ce qui concerne la circonstance que, selon la Constitution roumaine, la Cour constitutionnelle ne fait pas partie du système judiciaire, il a été rappelé au point 229 du présent arrêt que le droit de l’Union n’impose pas aux États membres un modèle constitutionnel précis régissant les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques, notamment en ce qui concerne la définition et la délimitation des compétences respectives de ceux-ci. À cet égard, il importe de préciser que le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’institution d’une cour constitutionnelle dont les décisions lient les juridictions de droit commun, pourvu que celle-ci respecte les exigences d’indépendance visées aux points 224 à 230 du présent arrêt. Or, il ne ressort des demandes de décision préjudicielle aucun élément de nature à suggérer que la Cour constitutionnelle qui a pour attribution, notamment, de contrôler la constitutionnalité des lois et des ordonnances ainsi que de statuer sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, en application de l’article 146, sous d) et e), de la Constitution roumaine, ne satisferait pas à ces exigences.

233    S’agissant des conditions de nomination des juges de la Cour constitutionnelle, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le seul fait que les juges concernés soient, comme c’est le cas des juges de la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 142, paragraphe 3, de la Constitution roumaine, nommés par les pouvoirs législatif et exécutif n’est pas de nature à créer une dépendance de ces juges à l’égard desdits pouvoirs ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, les intéressés ne sont soumis à aucune pression et ne reçoivent pas d’instructions dans l’exercice de leurs fonctions [voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 133 ainsi que jurisprudence citée].

234    S’il peut, certes, s’avérer nécessaire de s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption desdites décisions de nomination soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés nommés, et s’il importe, notamment, à cette fin, que lesdites conditions et modalités soient conçues de manière à satisfaire aux exigences rappelées au point 226 du présent arrêt [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 123 ainsi que jurisprudence citée], les indications figurant dans les demandes de décision préjudicielle ne font pas apparaître que les conditions dans lesquelles sont intervenues les nominations des juges de la Cour constitutionnelle ayant adopté les arrêts en cause au principal méconnaîtraient lesdites exigences.

235    Il convient de relever, par ailleurs, que, selon ces mêmes indications, la Constitution roumaine prévoit, à son article 142, paragraphe 2, que les juges de la Cour constitutionnelle sont « nommés pour un mandat de neuf ans qui ne peut être prolongé ni renouvelé », et précise, à son article 145, que ces juges sont « indépendants dans l’exercice de leur mandat et inamovibles pendant sa durée ». Par ailleurs, l’article 143 de ladite constitution fixe les conditions de nomination des juges de la Cour constitutionnelle en exigeant, à cet effet, qu’ils aient « une formation juridique supérieure, une haute compétence professionnelle et une ancienneté de dix-huit ans au moins dans l’activité juridique ou dans l’enseignement juridique supérieur », tandis que l’article 144 de la même constitution pose le principe de l’incompatibilité de la fonction de juge de la Cour constitutionnelle « avec toute autre fonction publique ou privée, à l’exception des fonctions pédagogiques de l’enseignement juridique supérieur ».

236    Il y a lieu d’ajouter, en l’occurrence, que la circonstance selon laquelle la Cour constitutionnelle peut être saisie par des organes relevant des pouvoirs exécutif et législatif est liée à la nature et à la fonction d’une juridiction établie pour statuer sur des litiges d’ordre constitutionnel et ne saurait, en soi et à elle seule, constituer un élément permettant de mettre en cause son indépendance par rapport à ces pouvoirs.

237    S’agissant de la question de savoir si la Cour constitutionnelle n’a pas opéré de manière indépendante et impartiale dans les affaires ayant conduit aux arrêts en cause au principal, la seule circonstance invoquée par les juridictions de renvoi, selon laquelle la Cour constitutionnelle aurait outrepassé ses compétences aux dépens de l’autorité judiciaire roumaine et donné une interprétation arbitraire de la réglementation nationale pertinente, à la supposer avérée, n’est pas de nature à établir que la Cour constitutionnelle ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité, rappelées aux points 224 à 230 du présent arrêt. En effet, les demandes de décision préjudicielle ne contiennent aucun autre élément circonstancié faisant apparaître que ces arrêts seraient intervenus dans un contexte faisant naître un doute légitime quant au plein respect par la Cour constitutionnelle de ces exigences.

238    En ce qui concerne, d’autre part, la responsabilité disciplinaire que les juges de droit commun sont susceptibles d’encourir, selon la réglementation nationale en cause, en cas de méconnaissance des décisions de la Cour constitutionnelle, il est vrai que la sauvegarde de l’indépendance des juridictions ne saurait, notamment, avoir pour conséquence d’exclure totalement que la responsabilité disciplinaire d’un juge puisse, dans certains cas tout à fait exceptionnels, se trouver engagée du fait de décisions judiciaires adoptées par celui-ci. En effet, une telle exigence d’indépendance ne vise, à l’évidence, pas à cautionner d’éventuelles conduites graves et totalement inexcusables dans le chef de juges, qui consisteraient, par exemple, à méconnaître délibérément et de mauvaise foi ou du fait de négligences particulièrement graves et grossières les règles de droit national et de l’Union dont ils sont censés assurer le respect, ou à verser dans l’arbitraire ou le déni de justice, alors qu’ils sont appelés, en tant que dépositaires de la fonction de juger, à statuer sur les litiges qui leur sont soumis par des justiciables [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 137].

239    Toutefois, il apparaît essentiel, aux fins de préserver l’indépendance des juridictions et d’éviter de la sorte que le régime disciplinaire puisse être détourné de ses finalités légitimes et utilisé à des fins de contrôle politique des décisions judiciaires ou de pression sur les juges, que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et l’application des règles de droit national et de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire du juge concerné [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 138 et jurisprudence citée].

240    Par conséquent, il importe que l’engagement de la responsabilité disciplinaire d’un juge du fait d’une décision judiciaire soit limité à des cas tout à fait exceptionnels, tels que ceux évoqués au point 238 du présent arrêt, et encadré, à cet égard, par des critères objectifs et vérifiables, tenant à des impératifs tirés de la bonne administration de la justice, ainsi que par des garanties visant à éviter tout risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires et permettant d’écarter ainsi, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime quant à l’imperméabilité des juges concernés et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 139 et jurisprudence citée].

241    En l’occurrence, les indications figurant dans les demandes de décision préjudicielle ne font pas apparaître que la responsabilité disciplinaire des juges nationaux de droit commun du fait du non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle, prévue à l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004 dont le libellé ne comporte aucune autre condition, soit limitée aux cas tout à fait exceptionnels évoqués au point 238 du présent arrêt, contrairement à la jurisprudence rappelée aux points 239 et 240 de cet arrêt.

242    Il s’ensuit que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire.

243    Dans ces conditions, et s’agissant d’affaires où la réglementation ou la pratique nationale en cause au principal constitue une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, un examen séparé de l’article 47 de la Charte, qui ne pourrait que corroborer la conclusion déjà énoncée au point précédent n’apparaît pas nécessaire aux fins de répondre aux interrogations des juridictions de renvoi et de la solution des litiges dont celles-ci sont saisies.

–       Sur la primauté du droit de l’Union

244    Les juridictions de renvoi font observer que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts en cause au principal, à l’égard de laquelle elles éprouvent des doutes quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union, revêt, conformément à l’article 147, paragraphe 4, de la Constitution roumaine, un caractère obligatoire et doit être respectée par les juridictions nationales, sous peine pour leurs membres de se voir infliger une sanction disciplinaire au titre de l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004. Dans ces conditions, elles cherchent à savoir si le principe de primauté du droit de l’Union s’oppose à une telle réglementation ou pratique nationale et autorise une juridiction nationale à laisser inappliquée une jurisprudence de cette nature, sans que ses membres soient exposés au risque de faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

245    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans sa jurisprudence constante relative au traité CEE, la Cour a déjà jugé que les traités communautaires ont, à la différence des traités internationaux ordinaires, instauré un nouvel ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur des traités et qui s’impose à leurs juridictions. Ce nouvel ordre juridique, au profit duquel les États membres ont limité, dans les domaines définis par les traités, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants, est doté d’institutions propres (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos, 26/62, EU:C:1963:1, p. 23, et du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, EU:C:1964:66, p. 1158 et 1159).

246    Ainsi, dans l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66, p. 1158 à 1160), la Cour a posé le principe de la primauté du droit communautaire, compris comme consacrant la prééminence de ce droit sur le droit des États membres. À cet égard, elle a constaté que l’institution par le traité CEE d’un ordre juridique propre, accepté par les États membres sur une base de réciprocité, a pour corollaire qu’ils ne sauraient faire prévaloir contre cet ordre juridique une mesure unilatérale ultérieure, ni opposer au droit né du traité CEE des règles de droit national quelles qu’elles soient, sans faire perdre à ce droit son caractère communautaire et sans mettre en cause la base juridique de la Communauté elle-même. En outre, la force exécutive du droit communautaire ne saurait varier d’un État membre à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité CEE, ni provoquer une discrimination en raison de la nationalité interdite par ce traité.

247    Au point 21 de son avis 1/91 (Accord EEE – I), du 14 décembre 1991 (EU:C:1991:490), la Cour a ainsi considéré que, bien que conclu sous la forme d’un accord international, le traité CEE constitue la charte constitutionnelle d’une communauté de droit et que les caractéristiques essentielles de l’ordre juridique communautaire ainsi constitué sont, en particulier, sa primauté par rapport aux droits des États membres ainsi que l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes.

248    Ces caractéristiques essentielles de l’ordre juridique de l’Union et l’importance du respect qui lui est dû ont été, du reste, confirmées par la ratification, sans réserve, des traités modifiant le traité CEE et, notamment, du traité de Lisbonne. En effet, lors de l’adoption de ce traité, la conférence des représentants des gouvernements des États membres a tenu à rappeler expressément, dans sa déclaration no 17 relative à la primauté, annexée à l’acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne (JO 2012, C 326, p. 346), que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par cette jurisprudence.

249    Il convient d’ajouter que l’article 4, paragraphe 2, TUE prévoit que l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités. Or, l’Union ne saurait respecter une telle égalité que si les États membres sont, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’impossibilité de faire prévaloir, contre l’ordre juridique de l’Union, une mesure unilatérale, quelle qu’elle soit.

250    Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour a confirmé, de manière constante, la jurisprudence antérieure relative au principe de primauté du droit de l’Union, principe qui impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 244 et jurisprudence citée ; du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 156, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 78 et jurisprudence citée].

251    Ainsi, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. En effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les effets s’attachant au principe de primauté du droit de l’Union s’imposent à l’ensemble des organes d’un État membre, sans, notamment, que les dispositions internes, y compris d’ordre constitutionnel, puissent y faire obstacle [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 245 et jurisprudence citée ; du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 157, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 79 et jurisprudence citée].

252    À cet égard, il y a lieu, notamment, de rappeler que le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences de droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 247 et 248, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 80.

253    Or, s’agissant des dispositions du droit de l’Union visées par les présentes demandes de décision préjudicielle, il y a lieu de rappeler qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 325, paragraphe 1, TFUE ainsi que les objectifs de référence énoncés à l’annexe de la décision 2006/928 sont formulés en des termes clairs et précis et ne sont assortis d’aucune condition, si bien qu’ils sont d’effet direct (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, points 38 et 39, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 249 et 250).

254    Dans ce contexte, il convient de préciser que, conformément à l’article 19 TUE, s’il appartient aux juridictions nationales et à la Cour de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle effective que les justiciables tirent de ce droit, la Cour détient une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive dudit droit (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, République de Moldavie, C‑741/19, EU:C:2021:655, point 45). Or, dans l’exercice de cette compétence, il appartient en définitive à la Cour de préciser la portée du principe de primauté du droit de l’Union au regard des dispositions pertinentes de ce droit, cette portée ne pouvant pas dépendre de l’interprétation de dispositions du droit national, ni de l’interprétation de dispositions du droit de l’Union retenue par une juridiction nationale, qui ne correspond pas à celle de la Cour. À cette fin, la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, qui constitue la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités, instaure un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres ayant pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités (arrêts du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 27).

255    En l’occurrence, les juridictions de renvoi relèvent que, en vertu de la Constitution roumaine, elles sont liées par la jurisprudence issue des arrêts de la Cour constitutionnelle en cause au principal et ne peuvent, sous peine de voir leurs membres exposés au risque d’une procédure ou de sanctions disciplinaires, laisser inappliquée cette jurisprudence, quand bien même elles estimeraient, à la lumière d’un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour, que ladite jurisprudence est contraire au droit de l’Union.

256    À cet égard, il convient de rappeler qu’une décision rendue à titre préjudiciel par la Cour lie le juge national, quant à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union en cause, pour la solution du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, point 38 et jurisprudence citée).

257    Ainsi, le juge national qui a exercé la faculté ou s’est conformé à l’obligation de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ne saurait être empêché de donner, immédiatement, au droit de l’Union une application conforme à la décision ou à la jurisprudence de la Cour, sous peine d’amoindrir l’effet utile de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, point 20, et du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, point 39). Il convient d’ajouter que le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter une réglementation ou une pratique nationale formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes du droit de l’Union fait partie intégrante de l’office de juge de l’Union qui incombe au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les normes du droit de l’Union, si bien que l’exercice de ce pouvoir constitue une garantie inhérente à l’indépendance des juges découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 59, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 91.

258    Ainsi, serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute réglementation ou pratique nationale qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter une disposition ou une pratique nationale formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 44 et jurisprudence citée ; du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, point 41, ainsi que du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána, C‑378/17, EU:C:2018:979, point 36).

259    Or, une réglementation ou une pratique nationale selon laquelle les arrêts de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, alors que ces dernières estiment, à la lumière d’un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour, que la jurisprudence issue de ces arrêts constitutionnels est contraire au droit de l’Union, est de nature à empêcher ces juridictions d’assurer le plein effet des exigences de ce droit, effet d’empêchement qui peut être renforcé par le fait que le droit national qualifie l’éventuel non-respect de cette jurisprudence constitutionnelle de faute disciplinaire.

260    Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l’article 267 TFUE s’oppose à toute réglementation ou pratique nationale de nature à empêcher les juridictions nationales, selon les cas, de faire usage de la faculté ou de se conformer à l’obligation, prévues à cet article 267, de s’adresser à titre préjudiciel à la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, points 32 à 34 et jurisprudence citée ; du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 103, ainsi que du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 93]. Du reste, selon la jurisprudence rappelée au point 227 du présent arrêt, le fait pour les juges nationaux de ne pas être exposés à des procédures ou à des sanctions disciplinaires pour avoir exercé la faculté de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, laquelle relève de leur compétence exclusive, constitue une garantie inhérente à leur indépendance. De même, dans l’hypothèse où, à la suite de la réponse de la Cour, un juge national de droit commun serait amené à considérer que la jurisprudence de la cour constitutionnelle nationale est contraire au droit de l’Union, le fait que ce juge national laisserait inappliquée ladite jurisprudence, conformément au principe de primauté de ce droit, ne saurait aucunement être de nature à engager sa responsabilité disciplinaire.

261    En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que des procédures disciplinaires ont été ouvertes au titre de l’article 99, sous ș), de la loi no 303/2004 contre certains juges des juridictions de renvoi à la suite de l’introduction par ceux-ci de leur demande de décision préjudicielle. En outre, dans le cas où la réponse de la Cour amènerait ces juridictions à laisser inappliquée la jurisprudence de la Cour constitutionnelle issue des arrêts en cause au principal, il ne paraît pas exclu, eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle visée au point 58 du présent arrêt, que les juges composant lesdites juridictions soient exposés au risque de faire l’objet de sanctions disciplinaires.

262    Il s’ensuit que le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par les arrêts de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces arrêts, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928.

263    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions dans les affaires C‑357/19, C‑379/19, C‑811/19 et C‑840/19 ainsi qu’à la question unique dans l’affaire C‑547/19 que

–        l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire ;

–        le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par des décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928.

 Sur les dépens

264    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      La décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption, est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée, obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de référence qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission européenne sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

2)      L’article 325, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 de la convention établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995, ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les jugements en matière de corruption et de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui n’ont pas été rendus, en première instance, par des formations de jugement spécialisées en cette matière ou, en appel, par des formations de jugement dont tous les membres ont été désignés par tirage au sort sont frappés de nullité absolue de sorte que les affaires de corruption et de fraude à la TVA concernées doivent, le cas échéant à la suite d’un recours extraordinaire contre des jugements définitifs, être réexaminées en première et/ou en deuxième instance, dans la mesure où l’application de cette réglementation ou de cette pratique nationale est de nature à créer un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions graves de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou de corruption en général. L’obligation d’assurer que de telles infractions font l’objet de sanctions pénales revêtant un caractère effectif et dissuasif ne dispense pas la juridiction de renvoi de la vérification du respect nécessaire des droits fondamentaux garantis à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sans que cette juridiction puisse appliquer un standard national de protection des droits fondamentaux comportant un tel risque systémique d’impunité.

3)      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les décisions de la cour constitutionnelle nationale lient les juridictions de droit commun, pourvu que le droit national garantisse l’indépendance de ladite cour constitutionnelle à l’égard notamment des pouvoirs législatif et exécutif, telle qu’elle est requise par ces dispositions. En revanche, ces dispositions du traité UE et ladite décision doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle toute méconnaissance des décisions de la cour constitutionnelle nationale par les juges nationaux de droit commun est de nature à engager leur responsabilité disciplinaire.

4)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle les juridictions de droit commun nationales sont liées par des décisions de la cour constitutionnelle nationale et ne peuvent, de ce fait et sous peine de commettre une faute disciplinaire, laisser inappliquée, de leur propre autorité, la jurisprudence issue de ces décisions, alors qu’elles considèrent, à la lumière d’un arrêt de la Cour, que cette jurisprudence est contraire à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’article 325, paragraphe 1, TFUE ou à la décision 2006/928.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.

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