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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> HB v Commission (Judgment) French Text [2021] EUECJ T-796/19 (21 December 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/T79619.html Cite as: ECLI:EU:T:2021:918, EU:T:2021:918, [2021] EUECJ T-796/19 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
21 décembre 2021 (*)
« Marchés publics de services – Prestation de services d’assistance technique aux autorités ukrainiennes – Décision de réduction du montant du marché et de recouvrement des montants déjà versés – Recours en annulation et en indemnité – Acte s’inscrivant dans un cadre purement contractuel dont il est indissociable – Absence de clause compromissoire – Irrecevabilité – Absence de chefs de préjudice détachables du contrat »
Dans l’affaire T‑796/19,
HB, représentée par Me L. Levi, avocate,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz, J. Estrada de Solà et Mme A Katsimerou, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet, premièrement, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2019) 7318 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché TACIS/2006/101-510 et au recouvrement des montants indûment versés, et, deuxièmement, une demande fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE et tendant à obtenir, d’une part, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de cette décision assortis d’intérêts de retard et, d’autre part, la réparation symbolique du préjudice moral que la requérante aurait subi,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 juillet 2021,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 25 janvier 2006, l’Union européenne, représentée par sa délégation en Ukraine (ci-après la « délégation »), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA dans le but de conclure un marché de services pour la fourniture d’une assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne avec la législation de l’Union.
2 Ce marché de services s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS) dont l’objet était de favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le programme TACIS a été institué en vertu du règlement (CE, Euratom) no 99/2000 du Conseil, du 29 décembre 1999, relatif à la fourniture d’une assistance aux États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale (JO 2000, L 12, p. 1).
3 Le 17 juin 2006, le marché TACIS/2006/101-510 a été attribué au consortium coordonné par la requérante, HB, parmi huit soumissionnaires ayant déposé des offres. Ce marché (ci-après le « marché TACIS » ou le « contrat litigieux ») a été signé le 17 juillet 2006 pour une valeur maximale de 4 410 000 euros.
4 Le contrat litigieux stipulait notamment que toute question non couverte par ledit contrat était régie par le droit belge (article 9.1 des conditions spéciales), que tout litige découlant de ce même contrat ou relatif à celui-ci qui ne pouvait être réglé à l’amiable était du ressort exclusif des juridictions de Bruxelles (Belgique) (article 11 des conditions spéciales) et que, si le cocontractant de l’Union s’était rendu coupable d’erreurs, d’irrégularités ou d’actes de fraude lors de la procédure de passation du marché, l’Union pouvait refuser d’effectuer les paiements dus ou recouvrer des montants déjà payés proportionnellement à la gravité des erreurs, des irrégularités ou des fraudes (articles 35.3 et 35.4 des conditions générales).
5 Il est à noter que, ultérieurement, le 10 juin 2008, le consortium coordonné par la requérante s’est également vu attribuer par l’Union le marché CARDS/2008/166-429 (ci-après le « marché CARDS »), d’une valeur maximale de 1 999 125 euros, qui visait à la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil Judiciaire, en Serbie, et s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS) dont l’objet était de fournir une assistance communautaire aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association avec l’Union.
6 Les 9 juin et 23 juillet 2006, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a reçu deux courriels anonymes contenant des allégations selon lesquelles la requérante avait disposé du cahier des charges de l’appel d’offres avant les soumissionnaires concurrents.
7 À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.
8 Les premières constatations de l’OLAF, qui concernaient plusieurs marchés publics et impliquaient tant la requérante qu’une société intermédiaire d’intelligence économique qui avait assisté cette dernière lors de la participation à l’appel d’offres du marché TACIS, moyennant le versement d’une prime de succès, ont donné lieu à une transmission aux autorités judiciaires françaises, le 27 juin 2008, et belges, le 14 septembre 2009.
9 Le 16 juillet 2009, l’exécution du contrat litigieux et les paiements s’y rapportant ont été suspendus.
10 Le 3 août 2009, la requérante a adressé une lettre à la délégation pour demander l’annulation et la levée de la suspension. Le 14 août 2009, la délégation a confirmé la suspension en informant la requérante que l’exécution du contrat litigieux et les paiements reprendraient si les allégations n’étaient pas confirmées.
11 Le 1er septembre 2009, la requérante a contesté cette solution et, le 14 janvier 2010, elle a demandé le réexamen de l’affaire. Par lettre du 29 janvier 2010, la délégation a répondu négativement aux contestations de la requérante, en précisant que la suspension du contrat était fondée sur les enquêtes en cours menées par l’OLAF et les procédures judiciaires pendantes devant des juridictions nationales belges.
12 Le 19 avril 2010, l’OLAF a transmis à la Commission européenne son rapport d’enquête final, qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation de résilier le contrat litigieux et de procéder au recouvrement des montants indûment versés.
13 Par lettre du 8 février 2012, la requérante a contesté le maintien de la suspension du contrat litigieux et a demandé la libération de la garantie bancaire qu’elle avait constituée. Le 22 février 2012, la délégation a informé la requérante du maintien de sa position.
14 Le 22 mars 2012, la requérante a adressé une lettre de rappel à la délégation et a demandé des précisions quant aux procédures judiciaires nationales justifiant la suspension du contrat litigieux.
15 Le 20 avril 2012, la délégation a informé la requérante de son intention de lever la suspension du contrat litigieux, au motif, d’une part, que l’enquête judiciaire menée par les autorités belges se prolongeait dans la durée et, d’autre part, que ledit contrat pouvait être considéré comme exécuté.
16 Le 19 mars 2013, la délégation a informé la requérante que le contrat litigieux pouvait être considéré comme ayant été exécuté à la suite de l’approbation du rapport final, du paiement de la facture finale et du remboursement de la garantie bancaire.
17 Le 5 octobre 2017, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), statuant sur l’instance concernant notamment l’attribution des marchés CARDS et TACIS, a rendu un jugement par lequel il a déclaré les poursuites pénales engagées, notamment, contre la requérante irrecevables. Le juge belge a estimé que les rapports portés à l’attention de la justice belge par les fonctionnaires de l’OLAF étaient fondés sur des éléments de preuve déclarés nuls par la justice française et qui étaient entachés de cette même nullité.
18 Le 24 mai 2018, la délégation a notifié à la requérante son intention de recouvrer toutes les sommes versées au titre du marché TACIS, soit un montant de 4 241 507 euros.
19 Par lettre du 22 juin 2018, la requérante a contesté la mesure de recouvrement envisagée. Par lettre du 5 décembre 2018, la délégation a confirmé son intention de recouvrer la somme versée, informant la requérante qu’un ordre de recouvrement serait émis.
20 Le 25 janvier 2019, la requérante a de nouveau adressé à la délégation une lettre contestant le recouvrement envisagé.
21 Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 7318 final, relative à la réduction des montants dus au titre du marché [TACIS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision attaquée »). La Commission a, en particulier, considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2002 »), que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la requérante et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit à 0 euro. Tous les paiements effectués, d’un montant total de 4 241 507 euros, ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et comme devant faire l’objet d’un recouvrement. Lors de sa notification à la requérante, la décision attaquée était accompagnée d’une note de débit datée du 16 octobre 2019, portant sur le paiement par la requérante, au plus tard le 15 novembre 2019, de la somme de 4 241 507 euros.
22 Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :
« Article premier
La procédure d’attribution de l’appel d’offres restreint portant la référence EuropeAid/122038/C/SV/UA a fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement [financier de 2002] et de l’article 131 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046.
Ladite irrégularité est imputable au consortium emmené par [la requérante], qui a signé le marché [TACIS] attribué à l’issue de l’appel d’offres.
Article 2
Le montant du marché [TACIS] est réduit de 4 410 000,00 EUR à 0 (zéro) EUR.
Article 3
Tous les paiements, d’un montant de 4 241 507,00 EUR, effectués au titre dudit marché sont considérés comme indûment versés et font l’objet d’un recouvrement.
Article 4
Le directeur général de la direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement émet un ordre de recouvrement à l’encontre d[e la requérante] pour le montant visé à l’article 3.
[La requérante] est destinataire de la présente décision et de la note de débit qui l’accompagne. La présente décision est applicable à compter de sa réception par [la requérante].
Article 5
Conformément à l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la présente décision peut faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois. »
23 Le même jour, la Commission a également adopté la décision C(2019) 7319 final, relative à la réduction des montants dus au titre du marché [CARDS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision CARDS »). La Commission a estimé que la procédure d’attribution de ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement financier de 2002, imputable au consortium coordonné par la requérante, et a décidé que tous les paiements, d’un montant total de 1 197 055,86 euros, effectués au titre dudit marché devaient être considérés comme indûment versés et faire l’objet d’un recouvrement.
24 Par courrier du 8 novembre 2019, la requérante a demandé à la Commission de ne prendre aucune mesure d’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que les demandes de mesures provisoires qu’elle entendait présenter aient pu être entendues par les juges. La Commission n’a pas répondu à cette lettre.
Procédure et faits postérieurs à l’introduction du recours
25 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, la requérante a introduit le présent recours. Le même jour, elle a également déposé au greffe du Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision CARDS et à la condamnation de l’Union au paiement d’indemnités au titre de sa responsabilité extracontractuelle, cette affaire ayant été enregistrée sous le numéro T‑795/19.
26 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé dans la présente affaire, par laquelle elle demandait au Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée, d’ordonner à la Commission de ne pas procéder au recouvrement de la somme de 4 241 507 euros jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours principal et de réserver les dépens.
27 Le 17 décembre 2019, le Tribunal a décidé de faire droit à la demande d’anonymat présentée par la partie requérante en ce qui concernait la mention de son nom dans les documents afférents à la présente affaire auxquels le public avait accès.
28 Le 30 janvier 2020, la Commission a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.
29 Le 7 février 2020, la requérante a attrait l’Union, représentée par la Commission, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles à qui, en substance, elle a demandé, à titre principal, de juger que l’Union n’était pas en droit d’ordonner la réduction du montant du marché TACIS à 0 euro et de la condamner au paiement des frais de procédure. À titre subsidiaire, la requérante a demandé qu’il fût jugé que l’Union avait commis une faute, avec pour conséquence des dommages contractuels équivalents à l’intégralité du montant du marché TACIS, à savoir 4 410 000 euros, et que, après compensation, aucun montant ne pouvait lui être réclamé au titre du recouvrement de sommes indûment versées. En ce qui concernait le marché CARDS, la requérante a également formulé des demandes en substance équivalentes à celles relatives au marché TACIS.
30 En réponse, l’Union a demandé au tribunal de première instance francophone de Bruxelles, en substance, à titre principal, de se déclarer incompétent et, en tout état de cause, de déclarer la demande de la requérante irrecevable, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l’attente de questions préjudicielles qui seraient posées à la Cour sur la compétence ou dans l’attente de l’arrêt qui serait rendu par la juridiction européenne, en se réservant de statuer sur le surplus et, à titre encore plus subsidiaire, de rejeter la demande comme non fondée.
31 Le 2 mars 2020, la présidente de la deuxième chambre du Tribunal a rejeté la demande de la Commission tendant à la jonction de la présente affaire et de l’affaire T‑795/19.
32 Par ordonnance du 5 mars 2020, HB/Commission (T‑796/19 R, non publiée, EU:T:2020:82), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé pour défaut d’urgence et a réservé les dépens.
33 Le 30 avril 2020, la requérante a déposé au greffe du Tribunal la réplique.
34 Le 13 juillet 2020, la Commission a déposé au greffe du Tribunal la duplique.
35 Le 3 décembre 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, les parties ont été invitées à se prononcer sur la compétence du Tribunal pour examiner la légalité des décisions attaquées dans la présente affaire et dans l’affaire T‑795/19, dans la mesure où, au titre de chacun des marchés conclus avec l’Union, à savoir CARDS et TACIS, elles étaient engagées dans le cadre d’une relation de nature contractuelle et où les litiges en lien avec cette relation relevaient en principe de la compétence exclusive des juridictions de Bruxelles.
36 Les parties ont déposé leurs réponses au greffe du Tribunal le 19 décembre 2020 en ce qui concerne la Commission et le 21 décembre 2020 en ce qui concerne la requérante.
37 Le 19 février 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu un jugement par lequel il a déclaré qu’il disposait du pouvoir de juridiction requis pour connaître de l’action introduite par la requérante contre l’Union, en ce qui concernait tant le marché TACIS que le marché CARDS, et qu’il se réservait de statuer sur le surplus des demandes, dans l’attente du ou des arrêts du Tribunal dans la présente affaire et dans l’affaire T‑795/19. Il a notamment jugé que l’affaire qui avait été portée devant lui et les deux recours que la requérante avait introduits devant le Tribunal semblaient avoir le même objet. Ces derniers auraient certes visé à obtenir l’annulation de la décision attaquée et de la décision CARDS plutôt qu’un jugement disant que la Commission n’était pas en droit de les adopter, mais, hormis cette différence, l’effet concret que la requérante escomptait aurait été identique dans les deux cas.
38 Le 5 mai 2021, la Commission a adopté la décision C(2021) 3339 final, relative au recouvrement[, au titre du marché TACIS,] d’une créance d’un montant de 4 241 507 [euros] à la charge de la [requérante]. À la même date, elle a également adopté la décision C(2021) 3340 final, relative au recouvrement[, au titre du marché CARDS,] d’une créance d’un montant de 1 197 055,86 [euros] à la charge de la [requérante]. Selon les termes de leur article 5, ces deux décisions forment titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.
39 Le 1er juin 2021, la deuxième chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire à l’affaire T‑795/19 aux fins de la phase orale de la procédure.
40 Le 4 juin 2021, dans le cadre d’une seconde mesure d’organisation de la procédure, la requérante a été invitée à préciser, dans la présente affaire et dans l’affaire T‑795/19, quels étaient les articles des décisions attaquées contre lesquels était dirigé chacun des moyens formulés au soutien des chefs de conclusions en annulation desdites décisions.
41 Le 21 juin 2021, la requérante a déposé sa réponse au greffe du Tribunal.
42 Le 9 juillet 2021, par requête déposée au greffe du Tribunal, la requérante a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation des décisions C(2021) 3340 final et C(2021) 3339 final de la Commission, l’affaire ayant été enregistrée sous le numéro T‑408/21.
43 Par courrier du 16 juillet 2021 adressé au greffe du Tribunal dans l’affaire T‑408/21, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’exécuter la décision C(2021) 3340 final avant la décision du Tribunal dans la présente affaire et dans l’affaire T‑795/19 et qu’elle s’engageait en ce sens si l’affaire T‑408/21 était suspendue jusqu’au prononcé de la décision dans les deux affaires en question.
44 Par décision du 20 juillet 2021, le président du Tribunal a décidé, conformément à l’article 69, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, de suspendre la procédure dans l’affaire T‑408/21 jusqu’à la décision ou jusqu’aux décisions mettant fin à l’instance dans la présente affaire et dans l’affaireT‑796/19.
Conclusions des parties
45 La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– ordonner le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision attaquée, augmentés des intérêts de retard au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) majoré de 7 points ;
– condamner la Commission au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, sous réserve de parfaire ;
– condamner la Commission aux entiers dépens.
46 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en annulation de la décision attaquée comme non fondé ;
– rejeter comme irrecevable ou comme non fondée l’ensemble de la demande indemnitaire ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité du recours dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision attaquée
47 En l’espèce, la question de la recevabilité du recours, dans la mesure où celui-ci comporte un chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, se pose d’emblée. En effet, il ne saurait être exclu que cette décision s’inscrive dans un cadre exclusivement contractuel dans lequel les litiges relèvent exclusivement de la compétence des tribunaux de Bruxelles, en vertu de la clause attributive de juridiction figurant à l’article 11 des conditions spéciales du contrat litigieux.
48 Or, il y a lieu de rappeler que les conditions de recevabilité d’un recours fondé sur l’article 263 TFUE étant d’ordre public, il convient de les examiner d’office (voir arrêt du 8 septembre 2021, Achema et Achema Gas Trade/Commission, T‑193/19, non publié, EU:T:2021:558, point 35 et jurisprudence citée).
49 Il y a également lieu de rappeler que la compétence du juge de l’Union concernant le contrôle de la légalité des actes visés à l’article 263 TFUE ne s’étend pas aux actes adoptés dans le cadre de relations contractuelles dont le régime juridique est régi par la loi nationale désignée par les parties contractantes (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, points 17 et 18).
50 En effet, si le juge de l’Union se reconnaissait compétent pour statuer en annulation sur des actes s’inscrivant dans un cadre purement contractuel, il risquerait non seulement de vider de son sens l’article 272 TFUE, lequel permet d’attribuer la compétence juridictionnelle de l’Union en vertu d’une clause compromissoire, mais encore, dans les cas où le contrat litigieux ne contiendrait pas pareille clause, d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE, lequel confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie (voir arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 19 et jurisprudence citée).
51 Il en découle que, en présence d’un contrat liant une partie requérante à l’une des institutions de l’Union, le juge de l’Union ne peut être saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 20).
52 Dans l’hypothèse où une institution, et plus particulièrement la Commission, choisirait, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle dans le cadre de l’article 272 TFUE, elle serait tenue de rester à l’intérieur de ce cadre. Ainsi, il lui incomberait, notamment, d’éviter l’utilisation, dans le cadre des relations avec ses cocontractants, de formulations ambiguës susceptibles d’être perçues par ces derniers comme relevant de pouvoirs de décision unilatéraux dépassant les stipulations contractuelles (arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 21).
53 Par analogie, ces considérations doivent trouver à s’appliquer lorsque la Commission procède au versement de sommes d’argent à son cocontractant en exécution d’un contrat dont les stipulations comportent une clause attributive de juridiction en faveur du juge national, ce dernier étant, au demeurant, le juge naturel du contrat en vertu de l’article 274 TFUE. À cet égard, il convient donc de déterminer, préalablement à l’application de la clause attributive de juridiction, si le litige est de nature contractuelle ou non.
54 Dans la réponse à la question qui lui a été posée dans le cadre de la première mesure d’organisation de la procédure, la requérante fait valoir que, le litige étant de nature contractuelle, la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée. En outre, en l’absence de clause compromissoire, dans la mesure où le contrat litigieux comportait une clause attributive de juridiction désignant comme juge compétent non pas le juge de l’Union, mais le juge belge, ce dernier aurait été seul compétent pour connaître de la légalité de la décision attaquée qui se serait inscrite dans le contrat et qui aurait résulté de ce dernier. La requérante n’aurait saisi le juge de l’Union qu’en raison de la mention figurant à l’article 5 de la décision attaquée, selon laquelle ladite décision était susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE. Au demeurant, la requérante expose qu’elle a également saisi le juge belge.
55 Dans la réponse à la question qui lui a été posée dans le cadre de la première mesure d’organisation de la procédure, la Commission fait valoir que la décision attaquée impose à la requérante une mesure administrative entraînant le retrait d’avantages que cette dernière aurait indûment perçus par le biais de l’irrégularité qu’elle aurait commise. Les effets juridiques de la décision attaquée se situeraient en dehors de la relation contractuelle et modifieraient de façon caractérisée la situation de la requérante en lui faisant subir des conséquences défavorables sur le plan financier et sur le plan de sa réputation.
56 La Commission expose par ailleurs que les effets juridiques de la décision attaquée trouvent leur origine dans l’exercice de prérogatives de puissance publique qui découlent des dispositions, d’une part, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2018 ») et, d’autre part, du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1). L’article 7 de ce dernier règlement permettrait notamment d’imposer des mesures administratives à des personnes qui ne sont pas parties au contrat, ce qui ne serait pas possible si lesdites mesures étaient de nature contractuelle.
57 Selon la Commission, quand bien même le contrat litigieux ferait explicitement référence à l’adoption de mesures telles que celles qui ont été adoptées au titre de la décision attaquée, la nature juridique de ces mesures resterait définie non par le contrat ou par le droit national qui lui est applicable, mais par les règlements qui leur servent de base et qui les qualifient, sans ambiguïté, d’administratives.
58 Par ailleurs, l’irrégularité reprochée à la requérante aurait été commise avant la conclusion du contrat et ne serait donc liée ni à celui-ci ni à son exécution. La clause attributive de juridiction, en ce qu’elle serait dépourvue d’effet rétroactif, ne pourrait trouver à s’appliquer à des agissements qui ont précédé la signature du contrat. Les infractions administratives, à l’instar des infractions pénales, ne pourraient pas relever de la compétence du juge du contrat, car cela compromettrait la capacité de l’administration de l’Union à protéger les intérêts financiers de cette dernière.
59 Il convient donc de déterminer en l’espèce si la décision attaquée relevait exclusivement de la relation contractuelle entre les parties ou si elle s’inscrivait, en tout ou partie, en dehors du cadre contractuel et pouvait être détachée du contrat litigieux, dans la mesure où la Commission, qui s’était tout d’abord référée exclusivement aux stipulations contractuelles dans ses échanges avec la requérante (voir points 9 à 11, 15 et 16 ci-dessus) et avait ensuite entrepris de présenter ses demandes à l’encontre de la requérante en se constituant partie civile dans le cadre de procédures pénales nationales, prétendait enfin agir en vertu de prérogatives tirées d’actes extérieurs au contrat litigieux.
60 En effet, la nature, contractuelle ou non, de la décision attaquée est susceptible de déterminer s’il s’agit d’un acte dont le Tribunal peut examiner la légalité. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour déterminer si un acte est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE, il convient de s’attacher à la substance même de cet acte, la forme dans laquelle il a été pris étant, en principe, indifférente à cet égard (voir arrêt du 25 février 2021, VodafoneZiggo Group/Commission, C‑689/19 P, EU:C:2021:142, point 97 et jurisprudence citée).
61 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, contrairement à/ ce que soutient la requérante dans le recours, la décision attaquée n’a pas été adoptée sur le fondement de l’article 299 TFUE. En effet, outre qu’elle ne comporte pas le visa de cet article, ladite décision, au regard de son contenu, s’inscrit tout au plus dans la démarche de la Commission visant à faire constater le montant de la créance dont elle sollicite le remboursement et correspond, de même que la note de débit qui l’accompagne, à une simple mise en demeure de payer adressée à la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 23). De telles constatations sont, en ce qui concerne la décision attaquée, au demeurant conformes à l’analyse qui figure aux point 53 et 55 de l’ordonnance du 5 mars 2020, HB/Commission (T‑796/19 R, non publiée, EU:T:2020:82).
62 Premièrement, en ce qui concerne l’article 1er de la décision attaquée, son libellé se réfère exclusivement à la procédure d’attribution de l’appel d’offres qui a débouché sur l’attribution du marché TACIS.
63 En vertu de cet article et des motifs sur lesquels il s’appuie dans la décision attaquée, à savoir la description des irrégularités que la Commission impute au consortium, en particulier aux considérants 3 et 4, sous le titre « Irrégularités alléguées », aux considérants 16 à 19, sous le titre « Preuve des irrégularités », et au considérant 20, sous le titre « Les irrégularités sont imputables à [la requérante] », la Commission a entendu constater, de manière définitive, l’existence d’irrégularités au sens de l’article 103 du règlement financier de 2002, selon les conditions procédurales découlant de l’article 131 du règlement financier de 2018 ainsi qu’au sens du règlement no 2988/95.
64 Selon la Commission, ces irrégularités, qui consistent en des violations du principe d’égalité entre soumissionnaires, imputables au consortium coordonné par la requérante, signataire du contrat litigieux, se rapportent à l’attribution du marché TACIS, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, et non au contrat litigieux en tant que tel.
65 Toutefois, si la Commission prétend que l’article 1er de la décision attaquée s’inscrit dans l’exercice des pouvoirs administratifs qui lui ont été conférés aux fins de la protection des intérêts financiers de l’Union, il n’en demeure pas moins que la décision attaquée a été adoptée alors que la procédure d’appel d’offres, de nature administrative, était achevée et que le contrat litigieux avait été signé.
66 Or, si les procédures d’appel d’offres, qui régissent les rapports entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires aux marchés publics de l’Union, sont des procédures de nature administrative, qui, de ce fait, ne relèvent pas du cadre contractuel (voir, par analogie, arrêts du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, EU:T:2008:419, point 38, et du 8 juillet 2010, Evropaïki Dynamiki/AEE, T‑331/06, non publié, EU:T:2010:292, point 34), il n’en demeure pas moins que, après la signature du contrat, comme c’était le cas en l’espèce, le pouvoir adjudicateur est engagé contractuellement envers le soumissionnaire choisi.
67 Cela a pour effet que les pouvoirs que le pouvoir adjudicateur tire des dispositions du droit dérivé, comme en l’espèce ceux qui lui sont conférés en vertu de la section 4, chapitre 1, titre V, du règlement financier de 2002, intitulée « Garanties et contrôle », qui regroupe les articles 102 et 103 dudit règlement, s’inscrivent, à compter de la signature du contrat, dans le cadre de relations contractuelles. À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a déjà jugé que l’ensemble des dispositions du règlement (CE) no 2519/97 de la Commission, du 16 décembre 1997, portant modalités générales de mobilisation de produits à fournir au titre du règlement (CE) no 1292/96 du Conseil pour l’aide alimentaire communautaire (JO 1997, L 346, p. 23), et, notamment, l’article 22 dudit règlement, qui concernait la mise en œuvre et la libération par la Commission de garanties financières, étaient devenus, à la suite de l’acceptation d’un marché de fourniture par un soumissionnaire, les clauses d’un contrat de fourniture liant désormais la Commission à ce soumissionnaire, devenu son cocontractant (voir, en ce sens, ordonnance du 9 juin 2005, Helm Düngemittel/Commission, T‑265/03, EU:T:2005:213, point 45).
68 L’affirmation de la Commission selon laquelle elle pouvait adopter unilatéralement la décision attaquée en dehors du cadre contractuel ne saurait donc être suivie et il y a lieu, au contraire, de considérer que, dès lors que le contrat litigieux avait été conclu, la relation entre la requérante et l’Union présentait une nature contractuelle, de sorte que, par l’article 1er de la décision attaquée, la Commission entendait, en substance, établir le constat d’un vice affectant la conclusion dudit contrat.
69 Dans la mesure où, en vertu de la clause de droit applicable, la loi belge s’applique au contrat litigieux, le vice susceptible d’affecter la conclusion de ce dernier, ainsi que cela est rappelé au point 18 du jugement du 19 février 2021 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, pouvait correspondre en droit belge des contrats à un « dol », défini comme l’ensemble des manœuvres auxquelles se livre une partie afin d’obtenir le consentement de l’autre partie, sanctionné par la nullité du contrat.
70 En outre, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel, en substance, la décision attaquée, du seul fait qu’elle aurait été adoptée sur le fondement de dispositions de droit dérivé, relèverait, en tout ou partie, de la sphère administrative.
71 En effet, à supposer que les règlements financiers de 2002 et de 2018 ainsi que le règlement no 2988/95 autorisent la Commission, sous certaines conditions, à mettre en œuvre des mesures relevant de prérogatives de puissance publique, il résulte de qui est énoncé au point 54 ci-dessus que cela ne saurait suffire, dès lors que la mise en œuvre de ces règlements trouve son origine dans des manquements imputés à une partie engagée dans une relation contractuelle avec l’Union, à exclure d’emblée lesdites mesures du cadre contractuel.
72 À cet égard il convient de rappeler que, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, le règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre. Les dispositions d’un règlement, comme celles invoquées en l’espèce par la Commission, trouvent donc à s’appliquer directement au contrat litigieux (voir, par analogie, arrêt du 9 février 2017, S., C‑283/16, EU:C:2017:104, points 47 à 50), sans changer la nature de la relation entre l’Union, représentée par la Commission, et la requérante.
73 Il y a donc lieu de considérer que l’article 1er de la décision attaquée s’inscrit dans le cadre contractuel.
74 Deuxièmement, en ce qui concerne, d’une part, l’article 2 de la décision attaquée et les motifs sur lesquels cet article s’appuie, en vertu duquel une réduction à 0 euro du montant du marché TACIS a été décidée et, d’autre part, l’article 3 de la décision attaquée, qui constate le caractère indu des versements effectués au titre dudit marché et décide de leur recouvrement, il convient de relever qu’ils sont la conséquence directe du constat fait par la Commission de l’existence d’irrégularités substantielles commises par la requérante, en sa qualité de cocontractante, qui ont affecté l’attribution du marché TACIS et, partant, la conclusion du contrat litigieux.
75 Si les mesures en question sont mentionnées, en substance, à l’article 103, second alinéa, du règlement financier de 2002, lequel permet au pouvoir adjudicateur, notamment, de « recouvrer les montants déjà versés, proportionnellement à la gravité desdites […] irrégularités ou fraudes », le facteur déterminant à prendre en considération est toutefois le fait qu’elles sont intervenues après l’attribution du marché TACIS, alors que les parties étaient engagées l’une envers l’autre au titre du contrat litigieux et qu’elles avaient exécuté leurs obligations respectives ou étaient sur le point de les achever.
76 Lesdites mesures ont consisté, en substance, à constater que l’exécution du contrat litigieux avait été suspendue dès le 16 juillet 2009, alors que ledit contrat était encore en cours (considérant 8 de la décision attaquée), puis, postérieurement à l’exécution complète dudit contrat, qui s’est achevée le 4 mars 2014 (considérant 10 de la décision attaquée), que celui-ci avait fait l’objet d’une résolution, avec pour conséquence l’annulation, avec effet rétroactif, des effets obligatoires qui en avaient été tirés, en raison des irrégularités imputées à la requérante.
77 Or, indépendamment de la question de l’application directe des dispositions de droit dérivé au contrat litigieux, les stipulations de ce dernier permettaient à elles seules la mise en œuvre de telles mesures par la Commission.
78 Tout d’abord, il y a lieu de relever que les conditions générales des contrats de service des actions extérieures de [l’Union] qui, en tant qu’annexe 1 du contrat litigieux, font partie intégrante des stipulations contractuelles régissant les relations entre les parties, comportent un article 35, intitulé « Suspension », en vertu duquel, en substance, l’autorité contractante peut suspendre l’exécution du contrat dans les proportions qu’elle estime nécessaire, refuser d’effectuer des paiements ou procéder au recouvrement des sommes déjà versées, en cas, notamment, d’irrégularités ou de fraudes commises par son cocontractant et ayant affecté l’attribution ou l’exécution dudit contrat.
79 Or, la décision attaquée mentionne expressément et successivement les articles 35.1 et 35.2 des conditions générales des contrats de service des actions extérieures de [l’Union], en précisant, au considérant 8, que, sur le fondement du rapport d’analyse de l’OLAF disponible à l’époque, la délégation a suspendu l’exécution du marché TACIS dès le 16 juillet 2009, au motif que son attribution avait été entravée par des « erreurs substantielles ou des irrégularités ou de la fraude », ladite suspension étant « intervenue quelques jours avant la date officielle de fin d’exécution du marché ».
80 Ensuite, il y a également lieu de relever que, bien qu’il ne soit pas expressément mentionné par la décision attaquée, l’article 34.5 des conditions générales des contrats de service des actions extérieures de [l’Union], sous le titre « Rupture du contrat », stipule que l'« [a]utorité contractante est autorisée à procéder à une compensation en raison de tout préjudice qui se révèle après l’exécution du contrat conformément à la loi régissant ledit contrat ». De telles stipulations sont susceptibles d’autoriser la Commission, agissant pour le compte de l’Union, à solliciter le remboursement de la totalité des sommes déjà versées au titre du contrat litigieux, alors que l’exécution de ce dernier est achevée, en se fondant sur le droit belge qui a été choisi pour régir ledit contrat.
81 De même, sous le titre « Résiliation par l’autorité contractante », l’article 36.3, sous g), des conditions générales des contrats de service des actions extérieures de [l’Union] stipule qu'« [e]n complément des motifs de résiliation définis dans les présentes conditions générales, l’autorité contractante est autorisée à mettre un terme au contrat à l’issue d’un préavis de sept jours notifié au consultant [lorsque ce dernier] s’est rendu coupable d’une faute professionnelle grave prouvée par tout moyen dont l’autorité contractante peut justifier ».
82 Enfin, le considérant 23 de la décision attaquée mentionne la section 13, sous a), des instructions aux soumissionnaires pour la procédure de passation du marché, intitulée « Clauses déontologiques/Pratiques de corruption ». Or, ces instructions ont une influence directe sur la relation contractuelle entre les parties, dans la mesure où elles visent spécialement les obligations à la charge des soumissionnaires lors de la phase administrative de soumission au marché public précédant la conclusion définitive du contrat, de sorte qu’elles conditionnent les conditions d’engagement des parties dans une relation qui est destinée à s’inscrire dans le cadre contractuel dès l’attribution du marché TACIS et la signature du contrat litigieux. Elles prévoient, en substance, la mise en œuvre de sanctions à l’encontre du soumissionnaire qui, notamment, tente de se procurer des informations confidentielles ou d’influencer l’attribution du marché et, partant, a vicié la conclusion du contrat portant sur l’exécution dudit marché.
83 Il y a donc lieu de constater que les articles 2 et 3 de la décision attaquée concernent les obligations contractuelles des parties, exécutées postérieurement à l’attribution du marché TACIS et à la signature du contrat litigieux, et qu’ils relèvent du cadre contractuel.
84 Troisièmement, en ce qui concerne l’article 4 du dispositif de la décision attaquée, il concerne la communication à la requérante d’une note de débit et l’émission d’un ordre de recouvrement portant sur les paiements déjà effectués en faveur de cette dernière par l’Union dans le cadre du contrat litigieux. Sa mise en œuvre est la conséquence directe des articles 2 et 3 de la décision attaquée. Par conséquent, il doit être considéré comme relevant également du cadre contractuel.
85 Quatrièmement, en ce qui concerne l’article 5 de la décision attaquée, en ce qu’il désigne le juge de l’Union comme étant le juge compétent pour connaître d’une demande en annulation de cette dernière, il relève à l’évidence de la sphère administrative, mais n’est susceptible de produire des effets qu’à l’égard des dispositions de ladite décision ne relevant pas du cadre contractuel. Or, ainsi que cela résulte de l’analyse des articles 1er à 4 de la décision attaquée, ces derniers relèvent du cadre contractuel, de sorte que l’article 5 de la décision attaquée n’est pas susceptible de remettre en cause la nature contractuelle de la relation entre les parties et, partant, la compétence du juge national pour connaître de tout litige lié au contrat litigieux.
86 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il apparaît que la décision attaquée est uniquement susceptible de produire des effets relevant du cadre contractuel et qu’elle ne peut pas être détachée du contrat litigieux.
87 Par conséquent, compte tenu de sa nature, la décision attaquée n’appartient pas à la catégorie des actes dont l’annulation peut être demandée au juge de l’Union aux termes de l’article 263 TFUE. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer d’office irrecevable le chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée (voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2013, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, T‑552/11, non publié, EU:T:2013:349, points 30 et 31).
Sur le chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union
88 La requérante fait valoir que la responsabilité extracontractuelle de l’Union sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est engagée.
89 Dans le cadre de la demande indemnitaire, ainsi que cela ressort des points 160 à 175 de la requête, la requérante a inclus la totalité de ses chefs de conclusions autres que la demande d’annulation de la décision attaquée.
90 À cet égard, la requérante expose que les manquements imputés à la Commission et qui sont invoqués dans le cadre du présent recours constituent des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. La Commission aurait en effet adopté la décision attaquée en l’absence de base juridique et en méconnaissant une règle supérieure de droit protégeant les particuliers, puisqu’elle a privé la requérante des garanties procédurales contractuelles offertes par la voie judiciaire lorsqu’elle a décidé de recouvrer unilatéralement une créance contractuelle, alors que le contrat litigieux était dépourvu de clause compromissoire. La Commission aurait également violé, d’une part, le principe de sécurité juridique en ne respectant pas les règles régissant le délai de prescription ainsi que, en tout état de cause, le principe du délai raisonnable et, d’autre part, le respect dû à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017 ainsi que l’adage « le pénal tient l’administratif en l’état ». Les moyens soulevés par la requérante au titre de sa demande d’annulation de la décision attaquée démontreraient également l’existence de telles violations suffisamment caractérisées.
91 La requérante expose par ailleurs que son préjudice est réel et certain, car le recouvrement des sommes qui lui ont déjà été versées au titre du marché, qui sont réclamées par la Commission et qui excèdent ses capacités financières, menace son existence même. En outre, sa faillite ou une situation analogue l’exclurait de marchés publics futurs avec l’Union, au regard de l’article 136.1, sous a), du règlement financier de 2018. La requérante invoque enfin un préjudice moral, estimé, sous réserve de parfaire, à la somme de 1 euro, tiré de l’état d’incertitude dans lequel la décision attaquée l’a placée pendant plus de huit années et d’une atteinte à sa réputation.
92 La Commission fait valoir en réponse qu’aucune des conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union n’est remplie. Premièrement, elle conteste l’illégalité du comportement qui lui est reproché en renvoyant à cet égard à ses arguments relatifs à la réfutation de la demande d’annulation de la décision attaquée. Deuxièmement, elle expose que la requérante n’a fourni aucun élément de nature à démontrer le lien de causalité entre l’illégalité reprochée et le préjudice invoqué, en violation de l’article 76 du règlement de procédure, ce qui pourrait rendre la requête irrecevable en ce qui concerne son volet indemnitaire. Troisièmement, le préjudice matériel invoqué par la requérante ne se serait pas encore matérialisé à la date de soumission du mémoire en défense, dans la mesure, en particulier, où la décision attaquée ne constituerait pas un titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE. Ce préjudice présenterait en outre un caractère purement hypothétique, et serait donc dépourvu de caractère certain, en ce qu’il découlerait de l’éventuelle faillite imminente de la requérante ou de son assurance de ne plus remporter de futurs marchés avec l’Union. S’agissant enfin du préjudice moral, à le supposer avéré, celui-ci pourrait être suffisamment réparé par l’annulation de la décision attaquée. Enfin, les poursuites pénales conduites par les autorités belges, et non par la Commission, seraient seules à l’origine de cet éventuel préjudice moral.
93 En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.
94 L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organismes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).
95 Toutefois, il y a lieu d’observer que la violation d’une disposition contractuelle par une institution ne peut, en elle-même, engager la responsabilité non contractuelle de ladite institution à l’égard de l’une des parties avec lesquelles elle a conclu le contrat contenant ladite disposition. En effet, dans un tel cas, le manquement imputable à cette institution a une origine purement contractuelle et émane de son engagement en raison de sa qualité de partie contractante et non en raison d’une quelconque autre qualité, comme celle d’autorité administrative (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2018, Sigma Orionis/Commission, T‑48/16, EU:T:2018:245, point 162).
96 En l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’examen du chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, les relations entre les parties s’inscrivent dans le cadre de la conclusion et de l’exécution du contrat litigieux.
97 Or, les manquements imputés par la requérante à la Commission, cette dernière agissant en tant que représentante de l’Union dans le cadre du contrat litigieux, relèvent également du cadre contractuel et émanent de l’engagement de l’Union en tant que partie audit contrat, et non de manquements que la Commission aurait commis en une autre qualité, telle que celle d’autorité administrative, puisque la Commission n’agissait pas en cette qualité, en dépit de ses allégations en ce sens.
98 À cet égard, il convient de constater que les chefs de préjudice invoqués par la requérante trouvent eux-mêmes exclusivement leur origine dans les manquements imputés à la Commission au titre de ses obligations contractuelles, qu’il s’agisse, en premier lieu, du remboursement des montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision attaquée ou, en second lieu, du préjudice découlant tant de l’état d’incertitude dans lequel la décision attaquée aurait placé la requérante que de l’atteinte alléguée à sa réputation, en ce que la décision attaquée aurait été adoptée en méconnaissance des stipulations contractuelles qui renvoyaient tout litige lié au contrat litigieux à la compétence des juridictions de Bruxelles.
99 Au regard des développements qui précèdent, il y a lieu de constater que l’une des conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, à savoir l’existence d’une illégalité ne découlant pas uniquement de la relation contractuelle entre les parties, n’est pas remplie. Partant, la demande indemnitaire formée par la requérante doit être rejetée comme non fondée, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Commission.
100 Dans ces circonstances, le présent recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
101 Aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.
102 Selon la jurisprudence, il y a lieu de faire application de cette disposition lorsqu’une institution ou un organisme de l’Union a favorisé, par son comportement, la naissance du litige [voir arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a./Commission, T‑536/11, EU:T:2015:476, point 391 (non publié) et jurisprudence citée].
103 Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Tribunal estime que, par son comportement, en particulier par la formulation de l’article 5 de la décision attaquée, la Commission est à l’origine de la saisine du Tribunal dans la présente affaire.
104 Dans ces conditions, quand bien même la requérante a succombé en ses conclusions, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la Commission supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable, dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision C(2019) 7318 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché TACIS/2006/101-510 et au recouvrement des montants indûment versés.
2) Le recours est rejeté comme non fondé, dans la mesure où il tend à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens, y compris à ceux afférents à la procédure de référé.
Tomljenović | Schalin | Nõmm |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2021.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
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