Getin Noble Bank (Judgment) French Text [2022] EUECJ C-132/20 (29 March 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C13220.html
Cite as: EU:C:2022:235, ECLI:EU:C:2022:235, [2022] EUECJ C-132/20

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See Abstract (in English)

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 mars 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Article 19, paragraphe 1, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – État de droit – Protection juridictionnelle effective – Principe d’indépendance des juges – Tribunal établi préalablement par la loi – Organe juridictionnel dont un membre a été nommé pour la première fois à un poste de juge par un organe politique du pouvoir exécutif d’un régime non démocratique – Mode de fonctionnement de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) – Inconstitutionnalité de la loi sur la base de laquelle ce Conseil a été composé – Possibilité de qualifier cet organe de juridiction impartiale et indépendante au sens du droit de l’Union »

Dans l’affaire C‑132/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 18 décembre 2019, parvenue à la Cour le 10 mars 2020, dans la procédure

BN,

DM,

EN

contre

Getin Noble Bank S.A.,

en présence de :

Rzecznik Praw Obywatelskich,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis (rapporteur), Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, T. von Danwitz, A. Kumin et N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mars 2021,

considérant les observations présentées :

–        pour le Rzecznik Praw Obywatelskich, par MM. M. Taborowski et P. Filipek,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes A. Dalkowska et S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann ainsi que par MM. N. Ruiz García et P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 38 et de l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BN, DM et EN à Getin Noble Bank S.A., un établissement bancaire, au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause figurant dans un contrat de crédit conclu par BN, DM et EN auprès de cet établissement.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 prévoit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2.      Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses. »

 Le droit polonais

 La Constitution

4        En vertu de l’article 179 de la Constitution :

« Les juges sont nommés par le président de la République, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa [(Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la « KRS »)], pour une durée indéterminée. »

5        Selon l’article 180, paragraphe 1, de la Constitution, les juges sont inamovibles.

6        Aux termes de l’article 186, paragraphe 1, de la Constitution :

« La [KRS] est la gardienne de l’indépendance des juridictions et des juges. »

7        L’article 187 de la Constitution dispose :

« 1.      La [KRS] est composée :

1)      du premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne)], du ministre de la Justice, du président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)] et d’une personne désignée par le président de la République,

2)      de quinze membres élus parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,

3)      de quatre membres élus par [le Sejm (Diète, Pologne)] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.

[...]

3.      Le mandat des membres élus [de la KRS] est de quatre ans.

4.      Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail [de la KRS] ainsi que le mode d’élection de ses membres sont définis par la loi. »

8        L’article 190, paragraphe 1, de la Constitution énonce :

« Les décisions du [Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne)] sont obligatoires erga omnes et définitives. »

 Le décret-loi du 6 février 1928 sur l’organisation des juridictions de droit commun

9        Le rozporządzenie z mocą ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych (décret-loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 6 février 1928, dans sa version en vigueur jusqu’au 1er septembre 1985, pertinente pour le litige au principal (Dz. U. de 1964, no 6, position 40, ci-après le « décret-loi du 6 février 1928 sur l’organisation des juridictions de droit commun »), prévoyait, à son article 2 :

« En République populaire de Pologne, l’exercice de la justice a pour mission de protéger :

a)      le système démocratique populaire et son développement vers le socialisme ;

[...] »

10      Conformément à l’article 53 de ce décret-loi, les juges des juridictions de droit commun étaient nommés par la Rada Państwa (Conseil d’État) de la République populaire de Pologne sur proposition du ministre de la Justice.

11      En vertu de l’article 57 dudit décret-loi, lors de son entrée en fonction, un juge nommé par le Conseil d’État de la République populaire de Pologne prêtait serment devant le président du tribunal compétent selon une formule prescrite, mais ne prêtait plus serment lorsqu’il changeait de poste.

12      La formule de serment était prévue par le dekret o rocie ślubowania ministrów, funkcjonariuszów państwowych, sędziów i prokuratorów oraz funkcjonariuszów służby bezpieczeństwa publicznego (décret relatif à la prestation de serment des ministres, des fonctionnaires d’État, des juges et procureurs ainsi que des fonctionnaires des services de sécurité publique), du 6 octobre 1948 (Dz. U. de 1948, no 49, position 370). Aux termes de l’article 1er, sous C, de ce décret, un juge prêtait serment selon la formule suivante :

« Je jure solennellement de contribuer [...], au poste de juge qui m’a été confié, dans mon domaine d’activité et de toutes mes forces, à la consolidation de la liberté, de la souveraineté et de la puissance de l’État démocratique polonais, auquel je serai toujours fidèle ; de protéger et de renforcer l’ordre fondé sur les principes constitutionnels sociaux, économiques et politiques de la Pologne populaire ; de protéger résolument les dispositions du droit, en traitant de manière égale tous les citoyens ; de renforcer le respect du droit et de la loyauté à l’État démocratique polonais ; d’exécuter avec zèle et scrupuleusement les obligations de ma fonction, de rendre la justice de manière impartiale selon ma conscience et conformément aux dispositions juridiques, en respectant le secret professionnel, et d’être guidé, dans le cadre de la procédure, par les principes de dignité, de probité et de justice sociale. »

13      Conformément à l’article 59, paragraphe 1, du décret-loi du 6 février 1928 sur l’organisation des juridictions de droit commun, le Conseil d’État de la République populaire de Pologne, sur proposition du ministre de la Justice, révoquait un juge si ce dernier ne donnait pas les garanties d’une exécution appropriée des obligations incombant à un juge.

 La loi du 20 juin 1985 sur l’organisation des juridictions de droit commun

14      L’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 20 juin 1985 (Dz. U. no 31, position 137), dans sa version en vigueur jusqu’au 29 décembre 1989, prévoyait, à son article 6, paragraphe 2 :

« Les juges sont nommés et révoqués par le Conseil d’État [de la République populaire de Pologne] sur proposition du ministre de la Justice. »

15      L’article 59 de cette loi était libellé comme suit :

« 1.      Au moment d’entrer en fonction, le juge prête le serment suivant devant le ministre de la Justice :

“Je jure solennellement de contribuer, au poste de juge qui m’a été confié, dans mon domaine d’activité et de toutes mes forces, à la consolidation de la liberté, de la souveraineté et du développement dans tous les domaines de la République populaire de Pologne, à laquelle je serai toujours fidèle ; de protéger son organisation politique, sociale et économique, de protéger les réalisations des travailleurs, la propriété collective ainsi que les droits des citoyens et leurs intérêts protégés par la loi ; de veiller à l’État de droit populaire et de renforcer la conscience juridique des citoyens ; d’exécuter avec zèle et scrupuleusement les obligations de ma fonction, de rendre la justice de manière impartiale selon ma conscience et conformément aux dispositions juridiques, en respectant les secrets d’État et professionnels, et d’être guidé, dans le cadre de la procédure, par les principes de dignité, de probité et de justice sociale”.

[...]

3.      Le juge qui change de poste ne prête pas une nouvelle fois le serment ; cela ne s’applique pas à la nomination au poste de juge à la Cour suprême [de la République populaire de Pologne]. »

16      L’article 61 de ladite loi précisait :

« 1.      Le Conseil d’État [de la République populaire de Pologne], sur proposition du ministre de la Justice, révoque un juge si ce dernier ne donne pas les garanties quant à l’exercice approprié des obligations incombant à un juge. Avant de remettre sa proposition, le ministre de la Justice entend les explications du juge, sauf si cela n’est pas possible. [...]

[...]

3.      Le juge perd le droit de juger dès que la résolution sur sa révocation lui est notifiée. »

 La loi du 12 mai 2011 sur la KRS

17      L’article 11, paragraphes 1 à 5, de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. no 126 de 2011, position 714, ci-après la « loi du 12 mai 2011 sur la KRS »), disposait :

« 1.      L’assemblée générale des juges de la Cour suprême choisit parmi les juges de cette Cour deux membres du Conseil.

2.      L’assemblée générale des juges de la Cour suprême administrative, avec les représentants des assemblées générales des juridictions administratives de la voïvodie, choisit parmi les juges des juridictions administratives deux membres du Conseil.

3.      L’assemblée des représentants des assemblées de juges des juridictions d’appel choisit en son sein deux membres du Conseil.

4.      L’assemblée des représentants des assemblées générales de juges de juridictions nationales choisit en son sein huit membres du Conseil.

5.      L’assemblée des juges des juridictions militaires choisit, en son sein, un membre du Conseil. »

18      L’article 12 de cette loi était libellé comme suit :

« 1.      Les assemblées générales des juges des juridictions administratives de la voïvodie choisissent, parmi leurs membres, deux représentants.

2.      Le choix des représentants des assemblées générales des juges des juridictions administratives a lieu au plus tard le mois précédant l’expiration du mandat des membres du Conseil, choisis parmi les juges des juridictions administratives. Les représentants choisis le sont pour une durée de quatre ans. »

19      L’article 13 de ladite loi prévoyait :

« 1.      Les assemblées de juges des juridictions d’appel choisissent les représentants des assemblées de juges des juridictions d’appel parmi leurs membres pour un cinquième du nombre de juges d’une juridiction d’appel donnée.

2.      Les assemblées générales de juges des juridictions régionales choisissent les représentants des assemblées générales de juges des juridictions régionales parmi leurs membres pour 1/50e du nombre de juges d’une juridiction régionale.

3.      Le choix des représentants visés aux paragraphes 1 et 2 a lieu au plus tard le mois précédant l’expiration du mandat des membres du Conseil, choisis parmi les juges des juridictions de droit commun. Les représentants choisis le sont pour une durée de quatre ans.

[...] »

 La loi sur la KRS

20      La loi du 12 mai 2011 sur la KRS a été modifiée, notamment, par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sád ó w powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443) (ci-après la « loi sur la KRS »).

21      L’article 9 bis de la loi sur la KRS énonce :

« 1.      La Diète élit, parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres [de la KRS] pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

[...] »

22      L’article 37, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Si plusieurs candidats ont postulé pour un poste de juge, [la KRS] examine et évalue conjointement toutes les candidatures déposées. Dans cette situation, [la KRS] adopte une résolution comprenant ses décisions quant à la présentation d’une proposition de nomination au poste de juge, à l’égard de tous les candidats. »

23      L’article 44 de ladite loi prévoit :

« 1.      Un participant à la procédure peut former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en raison de l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des dispositions distinctes n’en disposent autrement. [...]

1 bis.            Dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], il est possible de former un recours devant le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)]. Dans ces affaires, il n’est pas possible de former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. Le recours devant le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)].

1 ter.            Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] et pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une proposition de nomination au poste de juge à cette même Cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.

2.      Le recours est déposé par l’intermédiaire du président [de la KRS], dans un délai de deux semaines à compter de la notification de la résolution assortie de sa motivation. [...]

[...]

4.      Dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], l’annulation, par le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], de la résolution de la KRS portant non-présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] équivaut à l’admission de la candidature du participant à la procédure qui a introduit le recours, pour un poste vacant de juge au sein du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], poste pour lequel, à la date du prononcé de la décision du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], la procédure devant la KRS n’a pas pris fin ou, en cas de défaut d’une telle procédure, pour le prochain poste vacant de juge au sein du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] faisant l’objet d’une publication. »

 La loi portant code civil

24      L’article 3851, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant introduction du code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964, no 16), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit :

« Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas le consommateur lorsqu’elles définissent les droits et les obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts (clauses illicites). La présente disposition ne concerne pas les clauses qui définissent les obligations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque. »

 Le code de procédure civile

25      Aux termes de l’article 367 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant introduction du code de procédure civile), du 17 novembre 1964, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile ») :

« 1.      Un jugement d’une juridiction de première instance peut faire l’objet d’un appel devant une juridiction de deuxième instance.

2.      Les appels dirigés contre un jugement d’un tribunal de district sont examinés par le tribunal régional, et les appels dirigés contre un jugement du tribunal régional rendu en première instance sont examinés par [le Sąd Apelacyjny (cour d’appel, Pologne)].

3.      Une juridiction de deuxième instance examine une affaire dans une formation de jugement à trois juges. À huis-clos, la juridiction statue dans une formation de jugement à un seul juge, sauf lorsqu’elle rend un arrêt. »

26      L’article 379 de ce code prévoit :

« La procédure est nulle :

[...]

4)      si la composition du tribunal saisi est contraire aux dispositions légales ou si un juge écarté de plein droit a participé à l’examen de l’affaire [...] »

27      L’article 3983 dudit code dispose :

« 1.      Une partie peut fonder un recours en cassation sur les bases suivantes :

[...]

2)      une violation des dispositions procédurales si ce vice a pu avoir une incidence réelle sur l’issue du litige. »

28      Conformément à l’article 39813, paragraphe 1, du code de procédure civile, « le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] examine le recours en cassation dans les limites du petitum et des moyens ; dans les limites du petitum, il prend toutefois d’office en considération la nullité de la procédure ».

29      L’article 39815 de ce code énonce :

« 1.      S’il accueille le pourvoi en cassation, le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] annule la totalité ou une partie de l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire aux fins d’un nouvel examen devant la juridiction qui a rendu l’arrêt ou à une autre juridiction de même rang. [...]

2.      En cas de renvoi de l’affaire aux fins d’un nouvel examen, la juridiction examine l’affaire dans une autre formation de jugement. »

30      L’article 401 du code de procédure civile précise :

« Il est possible de demander la réouverture de la procédure pour nullité :

1)      si a siégé dans la formation de jugement une personne non habilitée ou si un juge écarté de plein droit a statué et que la partie n’a pas pu faire valoir l’exclusion avant que l’arrêt acquière force de chose jugée.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

31      Par requête du 28 février 2017, déposée le 3 mars 2017 devant le Sąd Okręgowy w Świdnicy (tribunal régional de Świdnica, Pologne), BN, DM et EN ont demandé que Getin Noble Bank soit condamnée à leur verser solidairement la somme de 175 107,10 zloty polonais (PLN) (environ 39 485 euros), augmentée des intérêts de retard légaux, en arguant du caractère abusif du mécanisme d’indexation du crédit prévu dans un contrat de crédit hypothécaire indexé sur une monnaie étrangère, à savoir le franc suisse (CHF), ainsi que du caractère abusif de la clause d’assurance groupée en cas de refus de constituer une hypothèque au cours des trois premiers mois de ce crédit.

32      Par jugement du 21 août 2018, cette juridiction a condamné Getin Noble Bank à verser aux parties requérantes au principal la somme totale de 16 120,12 PLN (environ 3 634 euros), augmentée des intérêts de retard légaux, et a qualifié d’illicites les clauses contractuelles du contrat de crédit en cause au principal qui permettaient à cette banque de fixer le cours du franc suisse de manière arbitraire, au lieu de tenir compte du cours moyen fixé par la Narodowy Bank Polski (Banque nationale de Pologne), sans, toutefois, invalider le mécanisme d’indexation dans son ensemble.

33      Les parties requérantes au principal ont interjeté appel de ce jugement devant le Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław, Pologne). Par arrêt du 28 février 2019, cette juridiction a confirmé ledit jugement.

34      Les parties requérantes au principal ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, le Sąd Najwyższy  (Cour suprême), par lequel elles font valoir, en substance, que ledit arrêt viole l’article 3851 de la loi portant code civil, dans sa version applicable au litige au principal, en ce qu’il ne reconnaît pas que le caractère abusif de la clause d’indexation prévue dans le contrat en cause au principal rend l’ensemble du mécanisme d’indexation prévu à ce contrat inapplicable entre les parties.

35      Dans le cadre de l’examen de la recevabilité de ce pourvoi, la juridiction de renvoi, composée d’un juge de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), relève que, en vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13, les États membres doivent prévoir la possibilité d’introduire un recours, de nature administrative ou judiciaire, aux fins de déterminer si des clauses contractuelles sont abusives et que le droit polonais prévoit qu’un tel recours est de nature judiciaire. Par conséquent, la juridiction de renvoi estime que l’organisme national qui examine le caractère abusif de clauses contractuelles doit satisfaire toutes les conditions pour pouvoir être qualifié de « juridiction », au sens du droit de l’Union.

36      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la formation de jugement du Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław), qui a prononcé l’arrêt du 28 février 2019 faisant l’objet du pourvoi devant la juridiction de renvoi (ci-après l’« arrêt sous pourvoi »), était composée de trois juges, à savoir FO, GP et HK, dont l’indépendance pourrait être mise en doute, eu égard aux circonstances en lien avec leur nomination aux fonctions de juge.

37      La juridiction de renvoi indique tout d’abord que la première nomination de FO à un poste de juge résulte d’une résolution du 9 mars 1978 du Conseil d’État de la République populaire de Pologne, ensuite que ce magistrat a été nommé à un poste de juge dans un Sąd Wojewódzki (tribunal de voïvodie, Pologne) par une résolution du 18 avril 1984 du Conseil d’État de la République populaire de Pologne, et enfin qu’il a été nommé à un poste de juge au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) par une décision du président de la République de Pologne du 23 janvier 1998, adoptée sur proposition de la KRS. Quant à GP et à HK, ils auraient été nommés à un poste de juge au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel  de Wrocław) par des décisions du président de la République de Pologne, respectivement des 12 mars 2015 et 16 avril 2012.

38      La juridiction de renvoi relève que FO a donc été nommé à son premier poste de juge à une époque où la République populaire de Pologne (ci-après la « RPP ») était un État communiste et estime que sa nomination ultérieure à un poste de juge au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) a été la conséquence d’une décision antérieure prise par des organes non démocratiques et non impartiaux. En outre, après la fin du régime communiste de la RPP, il n’aurait été procédé à aucun contrôle du respect, au cours de la période durant laquelle ce régime était en place, par les juges ayant été nommés par ce même régime, du principe de l’indépendance de la justice.

39      La juridiction de renvoi indique également que, en 1998, lors de la nomination de FO au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław), non seulement les résolutions de la KRS n’avaient pas à être motivées, mais de plus elles n’étaient pas susceptibles de recours juridictionnel.

40      Par ailleurs, la juridiction de renvoi relève que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), dans un arrêt du 20 juin 2017, a constaté que, entre l’année 2000 et l’année 2018, la KRS ne fonctionnait pas de manière transparente et que la composition de ses formations était contraire à la Constitution. Or, selon la juridiction de renvoi, c’est au cours de cette période que GP et HK ont été nommés aux fonctions de juge au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław).

41      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si, afin de garantir le respect du droit à une protection juridictionnelle effective, elle est tenue d’examiner d’office si la formation de jugement du Sąd  Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) qui a rendu l’arrêt sous pourvoi respecte les exigences d’indépendance et d’impartialité, et ce en dépit des dispositions constitutionnelles polonaises garantissant l’inamovibilité des juges.

42      Selon la juridiction de renvoi, les éléments factuels et juridiques en lien avec la nomination d’un juge doivent faire l’objet, à chaque étape de la procédure judiciaire, d’un examen en vue de constater l’indépendance de la formation de jugement dont il relève. L’appréciation du respect des exigences d’indépendance et d’impartialité devrait, ainsi, être effectuée in concreto, à savoir en tenant compte de l’éventuelle incidence des modalités de nomination des juges sur l’affaire examinée.

43      En effet, selon la juridiction de renvoi, si l’indépendance d’un tribunal ou la régularité de la nomination d’un juge devait être appréciée in abstracto, à savoir sans que soit examinée l’existence d’une éventuelle incidence sur l’affaire examinée du processus de nomination du juge concerné, cela permettrait de contourner les règles relatives à l’inamovibilité des juges, lesquelles sont en principe établies dans des dispositions constitutionnelles. À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que la remise en cause de la nomination d’un juge est en principe impossible à la lumière de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle polonaise.

44      Ainsi, selon la juridiction de renvoi, seul un examen in concreto des « caractéristiques individuelles » d’un juge, comme sa position éthique, dans le cadre d’une appréciation de l’indépendance de celui-ci, permettrait de préserver la confiance des justiciables dans les institutions judiciaires.

45      Or, la juridiction de renvoi estime que, eu égard à l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), il ne pourrait être procédé qu’à une appréciation in abstracto de l’indépendance d’un tribunal ou de la régularité de la nomination d’un juge.

46      À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, par un arrêt du 5 décembre 2019, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a donné suite à cet arrêt de la Cour et a jugé, d’une part, que la KRS n’était pas un organe impartial et indépendant des pouvoirs législatif et exécutif, et, d’autre part, que la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) n’était pas une juridiction, au sens du droit de l’Union ou du droit national.

47      Le 23 janvier 2020, les chambres civile et pénale ainsi que la chambre du travail et de la sécurité sociale du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ont adopté, sans la participation du juge constituant la juridiction de renvoi, une résolution conjointe par laquelle a été confirmée la jurisprudence issue de l’arrêt du 5 décembre 2019 mentionné au point précédent.

48      Toutefois, cette résolution est, selon ce juge, incompatible avec une autre résolution, du 8 janvier 2020, qui a également force contraignante, rendue par la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la même juridiction. Il ressort de cette résolution, d’une part, que, lorsque le Sąd Najwyższy (Cour suprême) est saisi d’un recours dirigé contre une résolution de la KRS portant sur un candidat à un poste de juge, il doit examiner si la KRS est indépendante à la lumière de l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), et, d’autre part, que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) ne peut annuler une telle résolution de la KRS que dans deux circonstances, à savoir si le requérant démontre que la partialité de la KRS a eu un impact sur le contenu de ladite résolution ou, dans l’hypothèse où le juge en cause est déjà nommé et eu égard à l’interdiction constitutionnelle d’apprécier la validité d’un acte de nomination d’un juge, si le requérant démontre que la juridiction dans laquelle siège le juge concerné n’est pas impartiale et indépendante.

49      C’est dans ces conditions que le Sąd Najwyższy  (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, [premier et deuxième alinéas], de la [Charte] et avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte et l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens que constitue une juridiction indépendante et impartiale, de même qu’adéquatement qualifiée au sens du droit de l’Union, une instance dans laquelle siège une personne dont la première nomination à une fonction de juge, ou une nomination ultérieure à un tel poste (dans une juridiction supérieure), est le fait d’un organe politique d’un pouvoir exécutif d’un État totalitaire et non démocratique relevant d’un régime communiste (le “Conseil d’État de la République populaire de Pologne”), sur proposition du ministre de la Justice de cet État, compte tenu, notamment, [...] du caractère non transparent des critères de nomination, [...] de la possibilité de révoquer un juge à tout moment, [...] du fait que n’ont participé à la procédure de nomination ni un organe d’autorégulation judiciaire ni [...] des autorités publiques compétentes constituées lors d’élections démocratiques, situation qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique ?

2)      Est-il important pour la réponse à la [première question] que la nomination ultérieure à une fonction de juge (dans des juridictions supérieures) ait pu survenir au titre de la reconnaissance d’une période de travail (d’ancienneté) appropriée et sur la base d’une évaluation du travail effectué à un poste auquel cette personne avait été nommée, au moins pour la première fois, par les autorités politiques visées [à la première question] et sur la base de la procédure qui y est décrite, situation qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique ?

3)      Est-il important pour la réponse à la [première question] que la nomination ultérieure à une fonction de juge [dans des juridictions supérieures, à l’exception du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] n’ait pas été subordonnée à la condition de prêter le serment judiciaire de respecter les valeurs d’une société démocratique, et [...] que, lors de sa première nomination, la personne concernée ait juré de préserver le système politique de l’État communiste et ce qu’il est convenu d’appeler l’“État de droit populaire”, situation qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique ?

4)      L’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, [premier et deuxième alinéas], de la Charte et avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte et l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que constitue une juridiction indépendante et impartiale, de même qu’adéquatement qualifiée au sens du droit de l’Union, une instance dans laquelle siège une personne dont la première nomination à une fonction de juge, ou une nomination ultérieure (dans une juridiction supérieure), s’est faite en violation flagrante des règles constitutionnelles d’un État membre de l’Union européenne, au motif que l’organe ayant désigné cette personne comme candidate ensuite nommée à un poste de juge [à savoir la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature)] a été établi en contravention avec la constitution d’un État membre de l’Union [...], ainsi que l’a constaté la Cour constitutionnelle dudit État membre, situation qui est ainsi propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique ?

5)      L’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, [premier et deuxième alinéas], de la Charte et avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte et l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que constitue une juridiction indépendante et impartiale, de même qu’adéquatement qualifiée au sens du droit de l’Union, une instance dans laquelle siège une personne qui, ayant fait l’objet d’une première nomination à une fonction de juge ou d’une nomination ultérieure à un tel poste (dans une juridiction supérieure), a été sélectionnée comme candidate à une telle nomination dans le cadre d’une procédure devant un organe d’évaluation des candidats [la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature)], si ladite procédure ne répondait pas aux critères de publicité et de transparence des règles de sélection des candidats, situation qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique ?

6)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 6, paragraphe 3, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, [premier et deuxième alinéas], de la Charte et avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte et l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que, pour assurer une protection juridictionnelle effective en tant que moyen de faire cesser l’utilisation systématique des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel, une juridiction de dernière instance d’un État membre de l’Union européenne [le Sąd Najwyższy (Cour suprême)] est tenue d’apprécier d’office, à chaque stade de la procédure, si :

a)      la juridiction visée [aux première et quatrième questions] satisfait aux critères d’une juridiction indépendante et impartiale, de même qu’adéquatement qualifiée au sens du droit de l’Union, indépendamment de l’incidence de l’appréciation des critères énoncés auxdites questions sur le contenu de la décision relative au caractère abusif d’une clause contractuelle, et si, en outre,

b)      la procédure devant la juridiction visée [aux première et quatrième questions] est valable [?]

7)      L’article 2, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, [premier et deuxième alinéas], de la Charte et avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte et l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que les dispositions constitutionnelles d’un État membre de l’Union [...] qui sont relatives à l’organisation des juridictions ou à la nomination des juges et qui empêchent d’apprécier l’effectivité de la nomination d’un juge peuvent, conformément au droit de l’Union [...], faire obstacle à la constatation de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou de l’indépendance d’un juge qui y siège, en raison des circonstances visées aux [première à cinquième questions] ? »

 Sur la demande de procédure accélérée et le bénéfice du traitement prioritaire

50      La juridiction de renvoi a demandé à la Cour que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de cette demande, elle a fait valoir que le déclenchement d’une telle procédure se justifiait, en substance, non seulement en vue d’apprécier la régularité de l’arrêt sous pourvoi, mais également par la nécessité d’établir le caractère licite de la remise en cause, au regard du droit de l’Union, du statut constitutionnel de nombreux juges polonais, et, partant, par la nécessité d’établir la nature et les effets des décisions rendues par des formations de jugement composées de ces juges. En outre, une telle procédure se justifierait par le fait que l’arrêt de la Cour dans la présente affaire pourrait compléter l’interprétation du droit de l’Union afin d’éviter une contradiction entre la Constitution et le droit de l’Union, tel qu’il est interprété dans l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), et les décisions des juridictions polonaises rendues sur le fondement de cet arrêt.

51      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

52      Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire. Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas approprié d’écourter la phase écrite de la procédure devant la Cour (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 103 ainsi que jurisprudence citée).

53      En l’occurrence, par décision du 8 mai 2020, le président de la Cour a, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, rejeté la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée. En effet, s’il n’existe pas, en principe, de corrélation entre le degré de difficulté d’une affaire et l’urgence qu’il y aurait à la juger, force est de constater que le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par la présente affaire se prête difficilement à l’application de la procédure accélérée (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2017, Weiss e.a., C‑493/17, non publiée, EU:C:2017:792, point 13). Par ailleurs, il importe de souligner que la décision de renvoi est parvenue à la Cour près de trois mois après son prononcé, ce qui indique que la présente affaire ne concerne pas une situation d’une urgence extraordinaire.

54      Cela étant, au vu des arguments invoqués par la juridiction de renvoi, le président de la Cour a décidé, le 8 mai 2020, de faire bénéficier la présente affaire d’un traitement prioritaire, en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

55      Par acte déposé au greffe de la Cour le 29 décembre 2021, le gouvernement polonais a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure.

56      À l’appui de cette demande, ce gouvernement a invoqué le fait que, par une décision du 13 décembre 2020, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a annulé une décision de cette même juridiction, mais rendue dans une autre formation de jugement, au motif, notamment, qu’il n’existait aucune garantie que cette dernière ait respecté le standard d’indépendance et d’impartialité exigé des juridictions. Selon ledit gouvernement, le contenu de cette décision et les conséquences qui en découlent renforcent les arguments qu’il a déjà présentés à la Cour dans la présente affaire et, par conséquent, méritent d’être examinés dans le cadre de celle-ci.

57      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.

58      En l’occurrence, la Cour considère, toutefois, l’avocat général entendu, qu’elle dispose, au terme de la phase écrite de la procédure et de l’audience qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle. Elle relève, par ailleurs, que la demande de réouverture de la phase orale de la procédure introduite par le gouvernement polonais ne révèle aucun fait nouveau de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est ainsi appelée à rendre.

59      En effet, le gouvernement polonais ne fait pas valoir que la décision du 13 décembre 2020 du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a une quelconque incidence sur la procédure au principal. Il soutient uniquement que les motifs exposés dans cette décision « renforcent les arguments » qu’il a déjà présentés à la Cour dans la présente affaire.

60      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

61      Le Rzecznik Praw Obywatelskich (Médiateur, Pologne) soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en raison des vices entachant la nomination du juge, constituant la juridiction de renvoi, au poste de juge et des doutes pouvant légitimement être nourris quant à son indépendance et à son impartialité.

62      À cet égard, le Médiateur fait valoir, en premier lieu, que, en l’occurrence, ce juge ne saurait être qualifié de « juridiction », au sens du droit de l’Union. La nature et la gravité des vices entachant la nomination du juge, constituant la juridiction de renvoi, au poste de juge auraient sapé l’effectivité du processus de nomination et, partant, auraient fait perdre à ce juge sa qualité de juridiction. En effet, ces vices seraient tels qu’ils ne permettraient pas de considérer que ledit juge est une juridiction valablement établie, satisfaisant au critère d’un tribunal « établi par la loi ».

63      En second lieu, le Médiateur fait valoir que l’appréciation de l’ensemble des circonstances juridiques et factuelles en lien avec le processus de nomination du juge constituant la juridiction de renvoi ne permet pas d’écarter tout doute légitime quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce juge.

64      Par conséquent, selon le Médiateur, le juge constituant la juridiction de renvoi ne remplit pas les deux critères essentiels pour posséder le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, à savoir le fait d’être établi par la loi et le fait d’être indépendant et impartial. Le non-respect de ces exigences, de façon cumulative ou individuelle, suffirait pour constater que la juridiction de renvoi n’est pas habilitée à poser des questions préjudicielles à la Cour dans le cadre de la procédure de coopération prévue à l’article 267 TFUE.

65      La Commission européenne, sans alléguer que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, fait observer que l’acte de nomination du juge constituant la juridiction de renvoi au Sąd Najwyższy (Cour suprême) était fondé sur une résolution de la KRS du 28 août 2018. Or, alors même que l’exécution de cette résolution a été suspendue par des ordonnances du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) des 27 septembre et 8 octobre 2018, le président de la République de Pologne aurait néanmoins nommé ce juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême). Dans ces conditions, la Commission estime que des doutes sont permis quant à la question de savoir si ledit juge satisfait à l’exigence de constituer un « tribunal établi préalablement par la loi », conformément à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la Charte.

66      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si l’organisme de renvoi en cause possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, et donc pour apprécier si la demande de décision préjudicielle est recevable, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que, entre autres, l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêts du 21 janvier 2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 42).

67      En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle a été introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui, devant se prononcer in limine litis sur la recevabilité du pourvoi visé au point 34 du présent arrêt, est tenu, sur le fondement du droit national, d’examiner à cette fin le caractère régulier de la composition de la formation de jugement qui a rendu l’arrêt sous pourvoi.

68      Il n’est pas contesté que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) en tant que tel répond aux exigences rappelées au point 66 du présent arrêt. Ce qui, en l’occurrence, est mis en cause par le Médiateur est la question de savoir si le juge concerné, siégeant en tant que juge unique dans la formation ayant adressé à la Cour la présente demande de décision préjudicielle, satisfait aux exigences auxquelles doit répondre un organe pour être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

69      Or, pour autant qu’une demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction nationale, il doit être présumé que celle-ci remplit ces exigences, rappelées au point 66 du présent arrêt, indépendamment de sa composition concrète.

70      En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’une procédure préjudicielle visée à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour, au vu de la répartition des fonctions entre elle et la juridiction nationale, de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit donc s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant qu’elle n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national (arrêts du 14 janvier 1982, Reina, 65/81, EU:C:1982:6, point 7, ainsi que du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 44).

71      Par ailleurs, il importe de rappeler que la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 90 et jurisprudence citée].

72      La présomption exposée au point 69 du présent arrêt peut néanmoins être renversée lorsqu’une décision judiciaire définitive rendue par une juridiction nationale ou internationale conduirait à considérer que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

73      En l’occurrence, dès lors que la Cour n’avait pas connaissance, au moment de la clôture de la phase orale de la procédure, du fait que le juge constituant la juridiction de renvoi aurait fait l’objet d’une telle décision judiciaire définitive, les éventuels vices ayant pu entacher la procédure nationale de nomination de celui-ci ne sont pas susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité de la présente demande de décision préjudicielle.

74      Il importe de souligner que la présomption mentionnée au point 69 du présent arrêt s’impose aux seules fins de l’appréciation de la recevabilité de demandes de décision préjudicielle, dans le cadre de l’article 267 TFUE. Il ne saurait en être inféré que les conditions de nomination des juges composant la juridiction de renvoi permettent nécessairement de satisfaire aux garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ou de l’article 47 de la Charte.

75      Il convient enfin de préciser, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 77 de ses conclusions, qu’une appréciation différente de celle découlant des points 68 à 74 du présent arrêt pourrait s’imposer dans des circonstances dans lesquelles, au-delà de la situation personnelle du ou des juges qui présentent formellement une demande au titre de l’article 267 TFUE, d’autres éléments devaient avoir des répercussions sur le fonctionnement de la juridiction de renvoi dont ces juges relèvent et concourir ainsi à porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de ladite juridiction.

76      Il découle de tout ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première à cinquième questions

 Observations liminaires

77      Les première à cinquième questions préjudicielles portent sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 6, paragraphes 1 et 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte et l’article 267, troisième alinéa, TFUE, ainsi que de l’article 38 de la Charte et de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13.

78      Toutefois, il ressort des motifs de la décision de renvoi que ces questions portent, en substance, sur l’interprétation du principe d’indépendance et d’impartialité des tribunaux qui ressort de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. Par ailleurs, il convient d’observer que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 prévoit, en substance, que les consommateurs peuvent faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel notamment en saisissant les tribunaux compétents, et que l’affaire au principal porte, notamment, sur la reconnaissance du caractère abusif de clauses contractuelles.

79      Dans ces conditions, il n’y a lieu d’examiner les première à cinquième questions qu’au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 47 de la Charte ainsi que de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13.

 Sur les première à troisième questions

80      Par ses première à troisième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que soit qualifiée de tribunal indépendant et impartial une formation de jugement relevant d’une juridiction d’un État membre dans laquelle siège un juge dont la première nomination à un tel poste ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure résulte d’une décision adoptée par un organe d’un régime non démocratique qu’a connu cet État membre avant son adhésion à l’Union,  y compris lorsque les nominations de ce juge dans des juridictions après que ce régime a pris fin étaient fondées notamment sur l’ancienneté acquise par ledit juge au cours de la période durant laquelle ledit régime était en place ou lorsqu’il a prêté le serment judiciaire uniquement lors de sa première nomination en tant que juge par un organe de ce même régime.

81      Les première à troisième questions visent trois circonstances entourant la nomination de FO, qui est l’un des trois juges composant la formation de jugement ayant rendu l’arrêt sous pourvoi, que la juridiction de renvoi estime problématiques au regard des dispositions visées au point 80 du présent arrêt.

82      Premièrement, la juridiction de renvoi indique que FO a été nommé pour la première fois à un poste de juge par le Conseil d’État de la RPP, qui était un organe politique du pouvoir exécutif de la RPP, sur proposition du ministre de la Justice de l’époque et en vertu du décret-loi du 6 février 1928 sur l’organisation des juridictions de droit commun, sans que cette nomination ait été fondée sur des critères transparents, sans qu’un organe d’autorégulation judiciaire ou une autorité publique constituée à la suite d’élections démocratiques ait participé à la procédure de nomination de ce juge, et sans qu’ait été garantie l’inamovibilité de FO.

83      Deuxièmement, la juridiction de renvoi relève que FO a pu être nommé ultérieurement à un poste de juge dans des juridictions supérieures sur la base de son ancienneté acquise en tant que juge au cours d’une période où était en place en Pologne un régime communiste ainsi que d’une évaluation de ses fonctions de juge à un poste auquel il avait été nommé par ce même régime.

84      Troisièmement, la juridiction de renvoi indique que FO n’a pas prêté serment judiciaire après la fin du régime communiste de la RPP, mais a juré, lors de sa première nomination à un poste de juge par ce régime, notamment de protéger le système politique de l’État communiste.

85      À cet égard, il y a lieu, d’emblée, de relever que les questions posées portent sur des circonstances qui sont toutes intervenues avant le 1er mai 2004, date de l’adhésion de la République de Pologne à l’Union.

86      Or, il convient de rappeler que la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union uniquement pour ce qui concerne l’application de celui-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2006, Ynos, C‑302/04, EU:C:2006:9, point 36 et jurisprudence citée).

87      Il y a lieu, toutefois, de relever que la question que la juridiction de renvoi est, en l’occurrence, appelée à trancher in limine litis n’a pas pour objet une situation qui aurait produit tous ses effets avant l’adhésion de la République de Pologne à l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2014, X, C‑318/13, EU:C:2014:2133, point 23, ainsi que du 6 octobre 2016, Paoletti e.a., C‑218/15, EU:C:2016:748, point 41). En effet, il suffit de constater que, bien que nommé au poste de juge avant cette adhésion, FO a actuellement le statut de juge et exerce des fonctions correspondant à ce statut.

88      Cette constatation quant à la compétence de la Cour étant posée, il convient de rappeler que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 48).

89      Comme le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère ainsi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte. Cette dernière disposition doit, dès lors, être dûment prise en considération aux fins de l’interprétation dudit article 19, paragraphe 1, second alinéa [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 102 ainsi que jurisprudence citée].

90      Quant au champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 103 ainsi que jurisprudence citée].

91      En vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit ainsi notamment assurer que les instances relevant, en tant que « juridictions », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union et qui sont, partant, susceptibles de statuer, en cette qualité, sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 104 ainsi que jurisprudence citée].

92      En l’occurrence, il est constant qu’une juridiction de droit commun polonaise telle que le Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) qui, comme dans le contexte de l’affaire au principal, a été amenée à statuer sur des questions liées à l’application et à l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, à savoir celles de la directive 93/13, relève, en tant que « juridiction », au sens défini par ce droit, du système polonais de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte qu’elle doit satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective.

93      Pour garantir qu’une telle juridiction soit à même d’assurer la protection juridictionnelle effective ainsi requise en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la préservation de l’indépendance et de l’impartialité de celle-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif [arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 65 ainsi que jurisprudence citée].

94      Ainsi que l’a souligné la Cour à maintes reprises, cette exigence d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 66 ainsi que jurisprudence citée].

95      Aux termes d’une jurisprudence constante, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

96      À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance et leur impartialité. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction de juge doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit [arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 69 ainsi que jurisprudence citée].

97      Il est dès lors nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption de décisions de nomination de juges soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés nommés. Il importe notamment, à cette fin, que lesdites conditions et modalités soient conçues de manière à satisfaire aux exigences rappelées au point précédent du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 57 et jurisprudence citée).

98      Les exigences rappelées aux points 94 à 97 du présent arrêt s’appliquent en particulier à une juridiction investie par le droit d’un État membre de la compétence d’ordonner la cessation de l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel, en application de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13. En effet, cette dernière disposition réaffirme le droit à un recours effectif dont bénéficient les consommateurs s’estimant lésés par de telles clauses.

99      Du reste, dans le litige au principal, les parties requérantes sollicitent réparation pour le préjudice qu’elles allèguent avoir subi en raison du caractère selon elles abusif des clauses évoquées au point 31 du présent arrêt, au sens de cette directive. Ce litige correspond ainsi à une situation régie par le droit de l’Union, de telle sorte que ces mêmes parties requérantes sont fondées à se prévaloir du droit à une protection juridictionnelle effective que leur garantit l’article 47 de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 81].

100    Par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les circonstances antérieures à l’adhésion à l’Union de la République de Pologne, visées aux points 82 à 84 du présent arrêt, ont une incidence sur l’indépendance et l’impartialité d’un juge faisant actuellement partie de la composition d’une formation de jugement.

101    Or, une telle incidence ne pourrait être établie que si une relation était démontrée entre les règles nationales sous l’empire desquelles sont intervenues ces circonstances et l’émergence actuelle de doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du juge concerné.

102    La juridiction de renvoi fonde ses doutes à cet égard sur la seule considération que les juges nommés par des organes de l’ancien régime non démocratique polonais ne seraient pas « indépendants », au motif de leur nomination par ces organes, de l’acquisition d’une partie de leur ancienneté au cours de la période durant laquelle ce régime était en place et de la circonstance qu’ils ont prêté serment judiciaire uniquement pendant cette période.

103    Elle ajoute que, même si certaines mesures de lustration ont été mises en œuvre après la fin du régime communiste de la RPP, l’ordre constitutionnel démocratique qui a fait suite à ce régime communiste a admis que les juges nommés par les organes de ce dernier puissent, en principe, rester en fonctions, ce que le gouvernement polonais a confirmé lors de l’audience devant la Cour. Ainsi, les trois premières questions visent la situation de juges maintenus dans leur poste après la fin du régime non démocratique de la RPP.

104    À cet égard, il convient de rappeler que, pour pouvoir adhérer à l’Union, la République de Pologne a dû satisfaire à des critères à remplir par les États candidats à l’adhésion, tels qu’établis par le Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993. Ces critères requièrent notamment de l’État candidat « qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». De même, l’article 49 TUE, qui prévoit la possibilité pour tout État européen de demander à devenir membre de l’Union, précise que celle-ci regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes que contient l’article 2 TUE, au rang desquelles figure la valeur de l’État de droit, qui respectent ces valeurs et qui s’engagent à les promouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 61). Ainsi, au moment de l’adhésion de la République de Pologne à l’Union, il a été considéré que, en principe, le système judiciaire était conforme au droit de l’Union.

105    Or, dans le contexte rappelé aux points 103 et 104 du présent arrêt, la juridiction de renvoi ne fait valoir aucun élément indiquant pour quelle raison les conditions de la première nomination, intervenue avant la fin du régime non démocratique de la RPP, d’un juge maintenu en poste à la suite de celle-ci seraient de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce juge dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles.

106    En particulier, il ne ressort de la décision de renvoi aucune explication claire et concrète montrant en quoi ces conditions de première nomination d’un tel juge seraient susceptibles de permettre à une personne, à une institution ou à un organisme quelconque d’exercer actuellement une influence indue sur celui-ci.

107    Il découle de ces éléments que les circonstances entourant la première nomination d’un juge à de telles fonctions, intervenue au cours de la période durant laquelle le régime non démocratique de la RPP était en place, telles que celles identifiées aux points 82 à 84 du présent arrêt, ne sauraient être en soi considérées comme étant de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce juge, lors de l’exercice de ses fonctions juridictionnelles ultérieures.

108    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à troisième questions que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que la circonstance que la première nomination d’un juge dans un État membre à un tel poste ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure résulte d’une décision adoptée par un organe d’un régime non démocratique qu’a connu cet État membre avant son adhésion à l’Union, y compris lorsque les nominations de ce juge dans des juridictions après que ce régime a pris fin étaient fondées notamment sur l’ancienneté acquise par ledit juge au cours de la période durant laquelle ledit régime était en place ou lorsqu’il a prêté le serment judiciaire uniquement lors de sa première nomination en tant que juge par un organe de ce même régime, n’est pas en soi de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce même juge, ni, partant, à remettre en cause la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, d’une formation de jugement dans laquelle il siège.

 Sur les quatrième et cinquième questions

109    Par ses quatrième et cinquième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que soit qualifiée de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, une formation de jugement relevant d’une juridiction d’un État membre dans laquelle siège un juge dont la première nomination à un poste de juge ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure est intervenue soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe composé sur le fondement de dispositions législatives ultérieurement déclarées inconstitutionnelles par la juridiction constitutionnelle de cet État membre, soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe régulièrement composé mais au terme d’une procédure qui n’était ni transparente, ni publique, ni susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel.

110    En ce qui concerne la première circonstance, la juridiction de renvoi indique que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a constaté, dans un arrêt du 20 juin 2017, entre autres, la non-conformité à l’article 187, paragraphe 3, de la Constitution – qui prévoit que le mandat des membres élus de la KRS est de quatre ans – de l’article 13, paragraphe 3, de la loi du 12 mai 2011 sur la KRS, interprété en ce sens que le mandat des membres de la KRS sélectionnés parmi les juges des juridictions de droit commun a un caractère individuel. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si le fait que deux membres de la formation de jugement ayant rendu l’arrêt sous pourvoi ont été nommés à des fonctions de juge au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) sur la base de résolutions adoptées par la KRS dans une composition qui, pour une majorité des membres de cette dernière, résultait de dispositions législatives ultérieurement déclarées inconstitutionnelles par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a une incidence sur l’indépendance de ces juges.

111    En ce qui concerne la seconde circonstance, la juridiction de renvoi relève que, lors de la période qui a immédiatement suivi la fin du régime communiste de la RPP, les juges nommés par ce régime ont été nommés à des postes de juge dans des juridictions supérieures, à l’issue d’une procédure qui s’est déroulée devant la KRS nouvellement créée, laquelle procédure n’était toutefois ni transparente, ni publique, les résolutions de la KRS n’étant au demeurant, jusqu’en 2007, pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel. Au vu de ces éléments, la juridiction de renvoi se demande si le fait qu’un membre de la formation de jugement ayant rendu l’arrêt sous pourvoi a été nommé au Sąd Apelacyjny we Wrocławiu (cour d’appel de Wrocław) au cours de cette période est de nature à mettre en cause son indépendance.

112    À cet égard, il convient d’indiquer que la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 89 à 97 du présent arrêt est également pertinente en vue d’examiner les quatrième et cinquième questions.

113    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que les garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et préalablement établi par la loi, et notamment celles qui déterminent la notion tout comme la composition de celui-ci, représentent la pierre angulaire du droit au procès équitable. La vérification du point de savoir si, par sa composition, une instance constitue un tel tribunal, lorsque surgit sur ce point un doute sérieux, est nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

114    Ainsi, compte tenu des circonstances entourant la nomination des juges concernés, se pose la question de savoir si ces juges peuvent être considérés comme constituant un « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens du droit de l’Union ».

115    S’agissant de cette notion, il ressort de l’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte, lequel reflète, en substance et ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 89 du présent arrêt, le principe général du droit de l’Union de protection juridictionnelle effective auquel se réfère également l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 122].

116    Par ailleurs, dans la mesure où la Charte énonce des droits correspondant à ceux garantis par la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union. Selon les explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. La Cour doit, dès lors, veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 123].

117    À cet égard, la Cour EDH a notamment souligné que, si le droit à un « tribunal établi par la loi » garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH constitue un droit autonome, ce dernier n’en a pas moins des liens très étroits avec les garanties d’« indépendance » et d’« impartialité », au sens de cette disposition. Ainsi, dans l’arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande, CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 231 et 233), ladite juridiction a notamment jugé que, bien que les exigences institutionnelles de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH poursuivent chacune un but précis qui font d’elles des garanties spécifiques d’un procès équitable, elles ont ceci en commun qu’elles tendent au respect des principes fondamentaux que sont la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, en précisant, à cet égard, qu’à la base de chacune de ces exigences se trouve l’impératif de préserver la confiance que le pouvoir judiciaire se doit d’inspirer au justiciable et l’indépendance de ce pouvoir à l’égard des autres pouvoirs [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 124].

118    En particulier, conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 68 ainsi que jurisprudence citée].

119    Ainsi qu’il a été rappelé aux points 95 et 96 du présent arrêt, les exigences d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, parmi lesquelles, notamment, celles qui concernent la composition de l’instance et la nomination de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 128].

120    S’agissant, plus précisément, du processus de nomination des juges, la Cour EDH a également indiqué, dans son arrêt du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 227 et 232), que, eu égard aux conséquences fondamentales que ledit processus emporte pour le bon fonctionnement et la légitimité du pouvoir judiciaire dans un État démocratique régi par la prééminence du droit, un tel processus constitue nécessairement un élément inhérent à la notion de « tribunal établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tout en précisant que l’indépendance d’un tribunal, au sens de cette disposition, se mesure, notamment, à la manière dont ses membres ont été nommés [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 125].

121    Par ailleurs, au point 73 de l’arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232), la Cour a rappelé, en faisant écho, à cet égard, à la jurisprudence constante de la Cour EDH, que l’introduction de l’expression « établi par la loi » dans l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH a pour objet d’éviter que l’organisation du système judiciaire ne soit laissée à la discrétion de l’exécutif et de faire en sorte que cette matière soit régie par une loi adoptée par le pouvoir législatif d’une manière conforme aux règles encadrant l’exercice de sa compétence. Cette expression reflète, notamment, le principe de l’État de droit et concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire ainsi que toute autre disposition du droit interne dont le non-respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire, ce qui inclut, en particulier, des dispositions concernant l’indépendance et l’impartialité des membres de la juridiction visée [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 129].

122    La Cour a ainsi jugé qu’une irrégularité commise lors de la nomination des juges au sein du système judiciaire concerné emporte une violation de l’exigence qu’un tribunal soit établi par la loi, notamment lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et semant ainsi un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés, ce qui est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 130 ainsi que jurisprudence citée].

123    Il ressort de cette jurisprudence que toute erreur susceptible d’intervenir au cours de la procédure de nomination d’un juge n’est pas de nature à jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ce juge et, partant, sur la qualité de « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », au sens du droit de l’Union, d’une formation de jugement dans laquelle il siège.

124    En l’occurrence, comme il a été indiqué au point 112 du présent arrêt, la juridiction de renvoi exprime des doutes quant au point de savoir si la formation de jugement ayant rendu l’arrêt sous pourvoi peut, eu égard aux membres qui la composent, être considérée comme satisfaisant à la qualité de « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ».

125    En ce qui concerne la première situation évoquée par la juridiction de renvoi et visée au point 110 du présent arrêt, à savoir que certains membres de la juridiction d’un État membre ont été nommés dans cette juridiction sur la base de résolutions adoptées par un organe dont la composition résultait de dispositions législatives ultérieurement déclarées inconstitutionnelles par la juridiction constitutionnelle de cet État membre, il y a lieu de relever qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en l’occurrence, par l’arrêt du 20 juin 2017, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ne s’est pas prononcé sur l’indépendance de la KRS. Les dispositions législatives qui ont été déclarées inconstitutionnelles par ledit arrêt concernaient, en substance, le caractère individuel du mandat des membres de la KRS ainsi que les règles de répartition sur la base desquelles ces membres étaient sélectionnés au sein des juridictions polonaises.

126    Dans ces conditions, la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions législatives sur le fondement desquelles la KRS était alors composée, à laquelle il est fait référence au point 110 du présent arrêt, ne saurait, à elle seule, conduire à mettre en doute l’indépendance de cet organe ni, partant, faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes quant à l’indépendance des juges concernés, à l’égard d’éléments extérieurs.

127    C’est précisément cette circonstance qui distingue la présente affaire de celles ayant donné lieu aux arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), et du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596). En effet, à la différence des dispositions législatives sur le fondement desquelles était composée la KRS dont les résolutions ont conduit à la nomination des juges en cause au principal, la législation en cause dans les affaires ayant donné lieu à ces deux arrêts, sur le fondement de laquelle la composition de la KRS a été modifiée, a renforcé l’influence des pouvoirs législatif et exécutif sur la sélection des membres de la KRS d’une manière ayant pu susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, en ce qui concerne l’indépendance de la KRS en cause dans lesdites affaires et son rôle dans le processus de nomination des juges que ces affaires concernaient et, par voie de conséquence, l’indépendance de ces derniers et de la juridiction dans laquelle ils siègent.

128    Ce dernier constat a été confirmé par la Cour EDH, qui a jugé que la procédure de nomination des membres de l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême), sur proposition de la KRS composée sur le fondement de la législation en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts cités au point précédent, était indûment influencée par les pouvoirs législatif et exécutif, ce qui est, en soi, incompatible avec l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (voir, en ce sens, Cour EDH, 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne, CE:ECHR:2021:0722JUD004344719, § 276).

129    Au demeurant, la juridiction de renvoi n’a pas avancé d’éléments concrets de nature à étayer l’existence de doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité des juges concernés découlant du fait que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a déclaré inconstitutionnelles les dispositions législatives sur la base desquelles la KRS, qui a participé à la procédure conduisant à la nomination desdits juges, avait été composée.

130    La même conclusion s’impose en ce qui concerne la seconde situation évoquée par la juridiction de renvoi et visée au point 111 du présent arrêt, à savoir que l’un des membres d’une juridiction d’un État membre a été sélectionné comme candidat à un poste de juge par un organe considéré comme étant régulièrement composé, mais à l’issue d’une procédure qui n’était, à l’époque, ni transparente, ni publique, ni susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel. En effet, il ne ressort pas de la décision de renvoi que la KRS, telle qu’elle était composée après la fin du régime non démocratique de la RPP, manquait d’indépendance à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif.

131    Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que les circonstances visées par la juridiction de renvoi dans ses quatrième et cinquième questions préjudicielles, exposées aux points 110 et 111 du présent arrêt, sont de nature à établir une violation des règles fondamentales applicables en matière de nomination des juges, au sens de la jurisprudence rappelée au point 122 du présent arrêt.

132    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la Charte ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que soit qualifiée de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, une formation de jugement relevant d’une juridiction d’un État membre dans laquelle siège un juge dont la première nomination à un poste de juge ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure est intervenue soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe composé sur le fondement de dispositions législatives ultérieurement déclarées inconstitutionnelles par la juridiction constitutionnelle de cet État membre, soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe régulièrement composé mais au terme d’une procédure qui n’était ni transparente, ni publique, ni susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel, dès lors que de telles irrégularités ne sont pas d’une nature et d’une gravité telles qu’elles créent un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et semant ainsi, dans l’esprit des justiciables, des doutes sérieux et légitimes quant à l’indépendance et à l’impartialité du juge concerné.

 Sur les  sixième et septième questions

133    Compte tenu des réponses apportées aux première à cinquième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux sixième et septième questions.

 Sur les dépens

134    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que la circonstance que la première nomination d’un juge dans un État membre à un tel poste ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure résulte d’une décision adoptée par un organe d’un régime non démocratique qu’a connu cet État membre avant son adhésion à l’Union européenne, y compris lorsque les nominations de ce juge dans des juridictions après que ce régime a pris fin étaient fondées notamment sur l’ancienneté acquise par ledit juge au cours de la période durant laquelle ledit régime était en place ou lorsqu’il a prêté le serment judiciaire uniquement lors de sa première nomination en tant que juge par un organe de ce même régime, n’est pas en soi de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce même juge, ni, partant, à remettre en cause la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, d’une formation de jugement dans laquelle il siège.

2)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux ainsi que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que soit qualifiée de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, une formation de jugement relevant d’une juridiction d’un État membre dans laquelle siège un juge dont la première nomination à un poste de juge ou sa nomination ultérieure dans une juridiction supérieure est intervenue soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe composé sur le fondement de dispositions législatives ultérieurement déclarées inconstitutionnelles par la juridiction constitutionnelle de cet État membre, soit à la suite de sa sélection comme candidat au poste de juge par un organe régulièrement composé mais au terme d’une procédure qui n’était ni transparente, ni publique, ni susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel, dès lors que de telles irrégularités ne sont pas d’une nature et d’une gravité telles qu’elles créent un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et semant ainsi, dans l’esprit des justiciables, des doutes sérieux et légitimes quant à l’indépendance et à l’impartialité du juge concerné.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.

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