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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Poland (Exoneration de l'accise sur l'alcool utilise pour la fabrication de medicaments) (Failure of a Member State to fulfil obligations - Excise duty on alcohol and alcoholic beverages - Judgment) French Text [2022] EUECJ C-166/21 (24 November 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C16621.html Cite as: [2022] EUECJ C-166/21, ECLI:EU:C:2022:922, EU:C:2022:922 |
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ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
24 novembre 2022 (*)
« Manquement d’État – Droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcooliques – Directive 92/83/CEE – Exonération de l’accise harmonisée – Alcool éthylique utilisé pour la fabrication de médicaments – Article 27, paragraphe 1, sous d) – Exonération conditionnée au placement de l’alcool sous un régime de suspension de droits – Impossibilité d’obtenir le remboursement de l’accise acquittée – Principe de proportionnalité »
Dans l’affaire C‑166/21,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 12 mars 2021,
Commission européenne, représentée initialement par Mmes C. Perrin et M. Siekierzyńska, puis par Mmes C. Perrin et A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par :
République tchèque, représentée par MM. O. Serdula, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LA COUR (septième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Wahl et J. Passer, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2022,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en privant de l’exonération du droit d’accise, de caractère obligatoire pour l’alcool éthylique utilisé pour la fabrication de médicaments, un importateur qui n’opte pas pour un régime de suspension de droits d’accise, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21), et du principe de proportionnalité.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 92/83
2 Les dix-huitième à vingtième, vingt-deuxième et vingt-troisième considérants de la directive 92/83 énoncent :
« considérant qu’il convient d’autoriser les États membres à rembourser le droit d’accise sur les boissons alcooliques qui sont devenues impropres à la consommation ;
considérant qu’il est nécessaire de définir au niveau communautaire les exonérations qui s’appliquent aux marchandises qui sont transportées entre États membres ;
considérant, cependant, qu’il convient d’autoriser les États membres à appliquer des exonérations en fonction des utilisations finales sur leur territoire ;
[...]
considérant qu’il convient que les États membres disposent de moyens permettant d’éviter la fraude, l’évasion ou les abus éventuels dans le domaine des exonérations ;
considérant qu’il convient d’autoriser les États membres à appliquer les exonérations prévues par la présente directive par voie de remboursement. »
3 L’article 25 de cette directive prévoit :
« Les États membres peuvent rembourser l’accise acquittée sur les boissons alcooliques retirées du marché parce que leur état ou leur âge les rend impropres à la consommation humaine. »
4 L’article 27, paragraphe 1, sous d), et paragraphe 6, de ladite directive dispose :
« 1. Les États membres exonèrent les produits couverts par la présente directive de l’accise harmonisée dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et directe de ces exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus, lorsqu’ils sont :
[...]
d) utilisés pour la fabrication de médicaments tels que définis par la directive 65/65/CEE [du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369)] ;
[...]
6. Les États membres peuvent donner effet aux mesures d’exonération mentionnées ci-dessus par un remboursement de l’accise acquittée. »
La directive 2008/118/CE
5 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12), est libellé comme suit :
« La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” » :
[...]
b) l’alcool et les boissons alcoolisées relevant [de la directive 92/83] ;
[...] »
6 L’article 2 de cette directive prévoit :
« Les produits soumis à accise sont soumis aux droits d’accise au moment :
a) de leur production, y compris, le cas échéant, de leur extraction, sur le territoire de la Communauté ;
b) de leur importation sur le territoire de la Communauté. »
7 L’article 4 de ladite directive dispose :
« Aux fins de la présente directive et de ses modalités d’application, on entend par :
[...]
7) “régime de suspension de droits”, un régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention ou à la circulation de produits soumis à accise non couverts par une procédure douanière suspensive ou par un régime douanier suspensif, les droits d’accise étant suspendus ;
[...]
11) “entrepôt fiscal”, un lieu où les produits soumis à accise sont produits, transformés, détenus, reçus ou expédiés sous un régime de suspension de droits par un entrepositaire agréé dans l’exercice de sa profession dans certaines conditions fixées par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel se situe l’entrepôt fiscal. »
8 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la même directive est libellé comme suit :
« 1. Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.
2. Aux fins de la présente directive, on entend par “mise à la consommation” :
a) la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits ;
[...] »
9 L’article 11 de la directive 2008/118 prévoit :
« Outre les cas [...] prévus par les directives visées à l’article 1er, les droits d’accise applicables aux produits soumis à accise qui ont été mis à la consommation peuvent, à la demande d’un intéressé, faire l’objet d’un remboursement ou d’une remise par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel les produits concernés ont été mis à la consommation, dans les situations définies par les États membres et selon les conditions fixées par eux afin de prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus.
[...] »
Le droit polonais
10 Aux termes de l’article 30, paragraphe 9, point 4, de l’ustawa o podatku akcyzowym (loi relative aux droits d’accise), du 6 décembre 2008, dans sa version consolidée (Dz. U. de 2019, position 864) (ci-après la « loi relative aux droits d’accise »), « [e]st exonéré de l’accise l’alcool éthylique [...] contenu dans des médicaments au sens de la [prawo farmaceutyczne (loi relative à la réglementation pharmaceutique), du 6 septembre 2001] ».
11 L’article 32, paragraphes 1, 3 et 4, de la loi relative aux droits d’accise dispose :
« 1. Sont exonérés de l’accise en raison de leur destination les produits soumis à accise énumérés ci-après :
[...]
3. L’exonération de l’accise prévue au paragraphe 1 ne s’applique aux produits concernés que dans les cas suivants :
1) livraison à l’utilisateur à partir d’un entrepôt fiscal situé sur le territoire national ; ou
[...]
4) acquisition intracommunautaire par un destinataire enregistré, sauf si celui-ci dispose d’une autorisation d’acquisition ponctuelle de produits soumis à accise en tant que destinataire enregistré, en vue d’une utilisation par ledit destinataire en qualité d’utilisateur ; ou
[...]
8) utilisation par l’exploitant de l’entrepôt fiscal en qualité d’utilisateur ; ou
[...]
4. Sont aussi exonérés de l’accise en raison de leur destination :
[...]
3) les boissons alcooliques utilisées :
[...]
b) pour la fabrication des médicaments visés à l’article 30, paragraphe 9, point 4,
[...]
— uniquement dans les cas visés au paragraphe 3, points 1, 4 ou 8 [...] »
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
12 Le 8 décembre 2016, la Commission a adressé à la République de Pologne une lettre de mise en demeure, par laquelle elle mettait en cause la compatibilité de certaines dispositions de la loi relative aux droits d’accise, en particulier l’article 32, paragraphe 4, point 3, sous b), de celle-ci (ci-après la « législation polonaise en cause »), avec l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 et le principe de proportionnalité, en ce que la législation polonaise en cause prive l’importateur d’alcool éthylique utilisé pour la fabrication de médicaments de l’exonération des droits d’accise s’il n’opte pas pour un régime de suspension de droits.
13 Dans sa réponse du 7 février 2017, la République de Pologne a indiqué, en substance, que le système polonais d’exonération était administrativement plus avantageux qu’un système de remboursement et qu’il était nécessaire afin de garantir la bonne perception de l’accise et d’empêcher la fraude ou les abus fiscaux.
14 À l’occasion de la transmission d’informations complémentaires les 7 et 18 janvier 2019, la République de Pologne a soutenu que, à des fins de contrôle, il était justifié que l’alcool éthylique provenant d’autres États membres ou de pays tiers soit soumis à un régime de suspension de droits.
15 Le 7 juin 2019, la Commission a adressé un avis motivé à la République de Pologne, reçu le jour même, dans lequel elle maintenait les arguments exposés dans sa lettre de mise en demeure. Cette institution a invité la République de Pologne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
16 Par lettre du 31 juillet 2019, la République de Pologne a maintenu sa position et a fait valoir que la législation polonaise en cause mettait en œuvre l’obligation visée à l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 et était conforme au principe de proportionnalité.
17 N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a introduit, le 12 mars 2021, le présent recours en manquement.
18 Par décision du président de la Cour du 22 juillet 2021, la République tchèque a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.
Sur le recours
Argumentation des parties
19 À l’appui de son recours, la Commission fait valoir un grief unique, tiré de ce que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 et du principe de proportionnalité en privant de l’exonération du droit d’accise, de caractère obligatoire pour l’alcool éthylique utilisé pour la fabrication de médicaments, un importateur qui n’opte pas pour un régime de suspension de droits.
20 La Commission rappelle que la faculté, reconnue aux États membres par cette disposition, de fixer des conditions à l’exonération ne saurait mettre en cause le caractère inconditionnel de l’obligation d’exonération prévue par celle-ci. Ainsi, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour, et plus particulièrement de l’arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752), que, dans le cadre de l’exercice de cette faculté, l’État membre concerné devrait invoquer des éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude, d’évasion ou d’abus et, en outre, les conditions fixées ne sauraient aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.
21 Cette institution estime que la République de Pologne n’a pas invoqué de tels éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un tel risque en cas de non-application du régime de suspension de droits à l’alcool destiné à la fabrication de médicaments et, plus particulièrement, si l’exonération prenait la forme d’un remboursement de l’accise après que celle-ci a été acquittée. Cet État membre se serait limité à évoquer la vulnérabilité particulière des produits soumis à accise à la fraude et aux irrégularités, sans apporter de preuve concrète.
22 La Commission indique que certains importateurs pourraient préférer de ne pas placer l’alcool importé sous un régime de suspension de droits et de payer l’accise, notamment pour éviter des coûts supplémentaires liés à l’accès à un entrepôt fiscal.
23 La Cour aurait déjà jugé, dans l’arrêt du 2 juin 2016, Polihim-SS (C‑355/14, EU:C:2016:403), que le refus d’exonération de l’accise au seul motif qu’un régime de suspension de droits n’a pas été appliqué, sans qu’il soit vérifié, sur la base des preuves apportées, si les exigences de fond requises pour que l’alcool soit utilisé à des fins ouvrant droit à exonération sont réunies au moment de la demande de remboursement de l’accise, irait au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer l’application correcte et claire des exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus.
24 La Commission affirme qu’il n’y a pas de risque de fraude lors de la circulation des marchandises après le paiement de la taxe, car les droits d’accise ont déjà été perçus. Dans une telle hypothèse, le seul risque de fraude serait lié à des demandes de remboursement portant sur de l’alcool qui n’aurait pas été utilisé pour la fabrication de médicaments. Le contrôle par l’administration fiscale pourrait donc se limiter à vérifier si l’alcool a été effectivement utilisé à cette fin, ce que l’opérateur économique devrait prouver au moyen de documents ou de certificats.
25 Ainsi, l’assujetti devrait être en mesure de démontrer que l’alcool importé et taxé a été effectivement utilisé pour la fabrication de médicaments et, dans un tel cas de figure, les autorités polonaises devraient accorder l’exonération au titre de l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 au moyen d’un remboursement de l’accise acquittée.
26 À cet égard, la Commission reconnaît que l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83 n’impose pas aux États membres d’appliquer l’exonération au moyen d’un remboursement. Cependant, eu égard au caractère inconditionnel de l’obligation d’exonération lorsque l’alcool a été utilisé pour la fabrication de médicaments, le refus d’exonération par voie de remboursement et la subordination de celle-ci au placement de l’alcool sous un régime de suspension de droits devraient être considérés comme injustifiés, dès lors qu’ils peuvent de facto priver l’assujetti de cette exonération.
27 Cette institution affirme qu’elle ne remet pas en question le régime de suspension de droits appliqué par la République de Pologne, à condition que celui-ci soit complété par un système parallèle de remboursement de l’accise.
28 La République de Pologne affirme que la seule limite que les États membres doivent respecter lorsqu’ils fixent les conditions d’application d’une exonération des droits d’accise est celle de garantir l’application correcte et directe de l’exonération et d’éviter toute fraude, évasion ou abus.
29 Selon cet État membre, si la directive 92/83 ne subordonne pas le bénéfice de l’exonération au recours à un régime de suspension de droits, elle ne l’interdit pas non plus. Un tel régime aurait été introduit dans la législation polonaise en cause afin de prévenir les fréquents abus, fraudes et irrégularités concernant les droits d’accise sur l’alcool.
30 La République de Pologne fait état d’une estimation selon laquelle environ trois millions de litres d’éthanol pur à usage technique seraient illégalement vendus en tant que boissons alcooliques chaque année. Au cours des années 2019 et 2020, le Ministerstwo Finansów (ministère des Finances, Pologne) aurait fait procéder, respectivement, à 25 000 et à 20 000 contrôles relatifs à l’alcool éthylique dénaturé.
31 La possibilité de mettre sur le marché de l’alcool éthylique avec des droits d’accise acquittés perturberait le processus de contrôle de la commercialisation de l’alcool et aurait pour conséquence la légalisation, par les milieux criminels, de l’alcool éthylique dénaturé purifié.
32 En réponse à un argument de la Commission selon lequel les chiffres communiqués par la République de Pologne ne fourniraient aucune information quant à l’échelle de la fraude dans le cas concret de l’alcool utilisé pour la fabrication de médicaments, cet État membre précise avoir effectué le nombre suivant de contrôles sur l’utilisation de cet alcool : 165 entre le mois de septembre et le mois de décembre 2019, 545 au cours de l’année 2020 et 194 au cours de l’année 2021 (ce chiffre datant du mois d’août 2021). Des irrégularités n’auraient été constatées que dans deux cas, ce qui démontrerait l’efficacité du régime de suspension de droits pour prévenir la fraude.
33 La République de Pologne souligne aussi l’efficacité du régime de suspension de droits en ce qu’il fait appel au propriétaire d’entrepôt fiscal, qui fait l’objet de vérifications par les États membres et est soumis à une responsabilité objective, incluant le paiement de l’accise en cas d’irrégularités ou d’infractions au cours de la circulation des produits.
34 Par ailleurs, s’agissant de l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83, cet État membre souligne que cette disposition laisse aux États membres la liberté d’appliquer l’exonération en cause par un remboursement ou par une exonération directe. Dès lors que les États membres ne seraient pas obligés de donner effet à l’exonération par voie de remboursement, il ne saurait être exigé de ceux-ci qu’ils démontrent que le recours au régime de suspension de droits est nécessaire pour assurer l’application correcte et directe de l’exonération et pour éviter toute fraude, évasion ou abus.
35 La République tchèque relève que la circulation des produits en libre pratique fiscale s’effectue à l’aide de documents papier, susceptibles de modification ou de réutilisation. À l’inverse, le régime de suspension de droits utiliserait un système électronique permettant un contrôle en temps réel.
36 En outre, il conviendrait de distinguer la législation polonaise en cause des législations nationales que la Cour a considérées comme disproportionnées dans les arrêts du 19 avril 2007, Profisa (C‑63/06, EU:C:2007:233), du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752), dans l’ordonnance du 9 février 2015, Asprod (C‑313/14, non publiée, EU:C:2015:76), ainsi que dans l’arrêt du 15 octobre 2015, Biovet (C‑306/14, EU:C:2015:689). En effet, selon la République tchèque, les conditions posées par lesdites législations nationales excluaient a priori certains opérateurs de la possibilité de bénéficier des exonérations et n’avaient pas de lien réel avec la lutte contre la fraude. En revanche, s’agissant de la législation polonaise en cause, la suspension de droits pourrait être appliquée par tout importateur et contribuerait manifestement à éviter la fraude.
37 Cet État membre fait observer, enfin, que le mécanisme du remboursement des droits d’accise affecte l’importateur généralement de façon plus lourde que le régime de suspension de droits, étant donné qu’il exige le paiement préalable du montant, souvent important, des droits d’accise, ce qui affecterait de manière significative la trésorerie de l’importateur.
Appréciation de la Cour
38 À titre liminaire, il importe de rappeler, tout d’abord, que, conformément à son article 1er, paragraphe 1, la directive 2008/118 vise à établir le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits soumis à accise, au nombre desquels figurent l’alcool et les boissons alcooliques, ceux-ci relevant de la directive 92/83 (voir, par analogie, arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, point 38 et jurisprudence citée).
39 Ensuite, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/118, les droits d’accise deviennent exigibles, notamment, au moment de la mise à la consommation des produits soumis à accise et dans l’État membre où celle-ci s’effectue. Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, sous a), de cette directive, cette notion englobe également toute sortie, y compris irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits, défini à l’article 4, point 7, de ladite directive (arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, point 40 et jurisprudence citée).
40 Un tel régime est caractérisé par le fait que les droits d’accise afférents aux produits qui en relèvent ne sont pas encore exigibles, bien que le fait générateur de l’imposition se soit déjà réalisé. Partant, en ce qui concerne les produits soumis à accise, ce régime opère le report de l’exigibilité de celle-ci jusqu’à ce qu’une condition d’exigibilité soit remplie (arrêt du 28 janvier 2016, BP Europa, C‑64/15, EU:C:2016:62, point 22 et jurisprudence citée).
41 Enfin, conformément à l’article 4, point 11, de la directive 2008/118, un entrepôt fiscal est un lieu où les produits soumis à accise sont produits, transformés, détenus, reçus ou expédiés sous un régime de suspension de droits par un entrepositaire agréé.
42 S’agissant de la directive 92/83, il convient de relever que l’article 27, paragraphe 1, sous d), de celle-ci prévoit une exonération de l’accise pour les produits utilisés pour la fabrication de médicaments. Cette exonération vise à neutraliser l’incidence de l’accise harmonisée sur l’alcool utilisé pour la fabrication de médicaments, que cet alcool entre dans la composition de ces médicaments ou qu’il soit seulement nécessaire à leur production sans pour autant entrer dans la composition de ceux–ci (arrêt du 15 octobre 2015, Biovet, C‑306/14, EU:C:2015:689, point 23).
43 De même, ledit article 27, paragraphe 1, lu en combinaison avec le vingt-deuxième considérant de la directive 92/83, prévoit que les États membres peuvent fixer des conditions en vue d’assurer l’application correcte et directe des exonérations prévues à cette disposition ainsi que d’éviter toute fraude, évasion ou abus (arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire, C‑163/09, EU:C:2010:752, point 50).
44 Dans ce contexte, la Cour a jugé, d’une part, que l’exonération des produits visés à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83 constitue le principe, le refus d’une telle exonération étant l’exception, et, d’autre part, que la faculté reconnue aux États membres par cette disposition de fixer des conditions ayant pour objectif « d’assurer l’application correcte et directe de ces exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus » ne saurait remettre en cause le caractère inconditionnel de l’obligation d’exonération prévue à ladite disposition (arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire, C‑163/09, EU:C:2010:752, point 51 et jurisprudence citée).
45 Il en résulte que, dans le cadre de l’exercice de cette faculté, il incombe à l’État membre concerné d’invoquer des éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude, d’évasion ou d’abus et que les conditions fixées par cet État membre au titre de la faculté qui lui est ainsi reconnue ne sauraient aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif (arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire, C‑163/09, EU:C:2010:752, point 52).
46 Par conséquent, les États membres ne sauraient subordonner l’application de l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 au respect de conditions dont il n’est pas établi, sur le fondement d’éléments concrets, objectifs et vérifiables, qu’elles sont nécessaires pour assurer l’application correcte et directe de ladite exonération ainsi que pour éviter des fraudes, des évasions ou des abus (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire, C‑163/09, EU:C:2010:752, point 53, et ordonnance du 9 février 2015, Asprod, C‑313/14, non publiée, EU:C:2015:76, point 22).
47 En l’espèce, la Commission, en prenant appui sur cette jurisprudence, affirme que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 dans la mesure où elle n’a pas fait état d’un ensemble d’éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude, d’évasion ou d’abus en cas de non-application du régime de suspension de droits à l’alcool éthylique destiné à la fabrication de médicaments prévu par la législation polonaise en cause et, plus particulièrement, si l’exonération prenait la forme d’un remboursement de l’accise après que celle-ci a été acquittée.
48 À cet égard, il convient de relever que les motifs figurant aux points 52 et 53 de l’arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752), s’inscrivent dans le cadre d’une affaire dans laquelle, ainsi que cela ressort du point 54 de cet arrêt, les conditions pour pouvoir bénéficier d’une exonération au titre de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive, telles que prévues par la réglementation nationale en cause dans ladite affaire, à savoir une limitation des personnes autorisées à introduire une demande de remboursement, un délai de quatre mois pour présenter une telle demande et la fixation d’un montant minimal de remboursement, n’étaient pas nécessaires tant pour assurer l’application correcte et directe de l’exonération que pour éviter des fraudes, des évasions ou des abus.
49 De façon similaire, dans l’ordonnance du 9 février 2015, Asprod (C‑313/14, non publiée, EU:C:2015:76, point 26), la Cour a jugé que la condition prévue par la réglementation nationale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance pour pouvoir bénéficier d’une exonération au titre de ce même article 27, paragraphe 1, à savoir que l’opérateur concerné dispose d’une décision de l’administration fiscale fixant les limites maximales d’utilisation des produits exonérés en vertu de ladite disposition, n’apparaissait pas nécessaire pour assurer l’application correcte et directe de cette exonération ou pour éviter des fraudes, des évasions ou des abus.
50 En revanche, dans la présente affaire, et ainsi que la Commission l’admet elle-même, la condition, prévue par la législation polonaise en cause, en vertu de laquelle l’importateur doit avoir recours à un régime de suspension de droits, est, en tant que telle, conforme aux exigences visées à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83. Il s’ensuit que cette condition est de nature à assurer l’application correcte et directe de l’exonération prévue au point d) de cette disposition ainsi qu’à éviter des fraudes, des évasions ou des abus.
51 Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 32 de ses conclusions, la République de Pologne ne saurait être tenue de devoir justifier, sur le fondement d’éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude, d’évasion ou d’abus, le recours à une telle condition.
52 La Commission affirme que, si elle ne remet pas en question le régime de suspension de droits appliqué par la République de Pologne, cette dernière devrait cependant mettre en œuvre un système parallèle de remboursement de l’accise dans les cas où l’alcool éthylique a été utilisé pour la fabrication de médicaments.
53 Cela suppose que, selon cette institution, la République de Pologne serait tenue, afin de ne pas manquer aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27 de la directive 92/83, de prévoir, en tout état de cause, un système de remboursement de l’accise acquittée.
54 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 27, paragraphe 6, de cette directive que les États membres « peuvent » donner effet aux mesures d’exonération mentionnées dans les autres paragraphes de cet article par un remboursement de l’accise acquittée.
55 Il découle ainsi du libellé même de cette disposition que la directive 92/83 autorise, mais n’oblige pas, les États membres à appliquer ces exonérations par voie de remboursement.
56 Certes, selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, point 44 et jurisprudence citée).
57 Cela étant, le contexte et les objectifs de la directive 92/83 corroborent l’interprétation selon laquelle les États membres ne sont pas obligés de donner effet aux exonérations prévues par cette directive par voie de remboursement.
58 En effet, en ce qui concerne, d’une part, le contexte de l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83, il convient de rappeler que le vingt-troisième considérant de celle-ci énonce qu’il convient d’« autoriser » les États membres à appliquer les exonérations prévues par cette directive par voie de remboursement.
59 De façon similaire, aux termes du dix-huitième considérant de cette directive, il convient d’« autoriser » les États membres à rembourser le droit d’accise sur les boissons alcooliques qui sont devenues impropres à la consommation. Ce considérant se rapporte à l’article 25 de ladite directive, qui prévoit que les États membres « peuvent » rembourser l’accise acquittée sur les boissons alcooliques retirées du marché parce que leur état ou leur âge les rend impropres à la consommation humaine.
60 Par ailleurs, s’agissant de l’interprétation notamment de l’article 11 de la directive 2008/118, qui dispose que, outre les cas prévus en particulier par la directive 92/83, les droits d’accise applicables aux produits soumis à accise qui ont été mis à la consommation peuvent, à la demande d’un intéressé, faire l’objet d’un remboursement dans les situations définies par les États membres et selon les conditions fixées par eux afin de prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus, la Cour a jugé que cette disposition prévoit uniquement une faculté en ce qui concerne le remboursement des droits d’accise sur certaines catégories de produits, si bien qu’elle n’impose pas aux États membres de prévoir un tel remboursement (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, points 49 et 62).
61 En ce qui concerne, d’autre part, les objectifs de la directive 92/83, il y a lieu de constater que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels dans le domaine des exonérations de l’accise harmonisée est un objectif poursuivi par cette directive, ainsi qu’il ressort de son article 27, paragraphe 1, lu en combinaison avec le vingt-deuxième considérant de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, point 55 et jurisprudence citée). La poursuite de cet objectif autorise dès lors les États membres à fixer des conditions à l’exonération telles que l’obligation, prévue en l’espèce, d’avoir recours à un régime de suspension de droits, pour autant qu’elles soient de nature à contribuer, notamment, à la réalisation dudit objectif. Les États membres ne sauraient donc être tenus de prévoir un système de remboursement de l’accise acquittée.
62 Dans ces conditions, l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83 doit être interprété en ce sens qu’il permet, mais n’impose pas, aux États membres de donner effet aux exonérations prévues par cette directive par voie de remboursement.
63 Enfin, la Commission soutient que la législation polonaise en cause méconnaît le principe de proportionnalité, en s’appuyant à cet effet sur le point 52 de l’arrêt du 9 décembre 2010, Repertoire Culinaire (C‑163/09, EU:C:2010:752), aux termes duquel la Cour a jugé que les conditions ayant pour objectif d’assurer l’application correcte et directe des exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus, fixées par un État membre au titre de la faculté qui lui est reconnue par l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83, ne sauraient aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.
64 Cette institution affirme que, lorsque de l’alcool éthylique circule après le paiement de l’accise, le seul risque de fraude, d’évasion ou d’abus est lié à des demandes de remboursement portant sur de l’alcool qui n’aurait pas été utilisé pour la fabrication de médicaments. Le contrôle par l’administration fiscale pourrait donc se limiter à vérifier si l’alcool a été effectivement utilisé à cette fin, ce que l’opérateur économique devrait prouver au moyen de documents ou de certificats. Cela constituerait une mesure moins contraignante que l’obligation d’avoir recours à un régime de suspension de droits.
65 Concernant le principe de proportionnalité, la jurisprudence de la Cour précise que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 13 janvier 2022, MONO, C‑326/20, EU:C:2022:7, point 35 et jurisprudence citée).
66 Il ressort de l’argumentation de la Commission que le caractère plus contraignant du régime de suspension de droits par rapport à un système de remboursement de l’accise découlerait du fait que ledit régime implique des coûts supplémentaires pour les opérateurs économiques, liés en particulier à l’accès à un entrepôt fiscal.
67 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission, qui a la charge d’établir l’existence du manquement allégué, d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque [arrêt du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation), C‑213/19, EU:C:2022:167, point 221 et jurisprudence citée].
68 Or, en ce qui concerne les coûts supplémentaires pour les opérateurs économiques qu’impliquerait le régime de suspension de droits, force est de constater que la Commission s’est limitée à formuler, dans ses écritures, des affirmations d’ordre général, sans étayer ces affirmations, ne serait-ce que par un commencement de preuve.
69 Qui plus est, lors de l’audience, la Commission a reconnu que, comme l’a fait observer la République tchèque dans ses écritures, le mécanisme du remboursement des droits d’accise peut également comporter des coûts importants notamment en termes de trésorerie. En effet, contrairement au régime de suspension de droits, ce mécanisme oblige l’importateur, dans un premier temps, à payer les droits d’accise avant de, dans un second temps, se les faire éventuellement rembourser.
70 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, il y a lieu de constater que la Commission n’a fourni à la Cour aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle un régime de suspension de droits comporte des coûts supplémentaires par rapport à un système de remboursement de l’accise.
71 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/83 et du principe de proportionnalité.
72 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le grief unique de la Commission comme étant non fondé et, par conséquent, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
73 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La République de Pologne ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
74 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la République tchèque supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République de Pologne.
3) La République tchèque supporte ses propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le polonais.
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