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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Uniqa Versicherungen (Judgment) French Text [2022] EUECJ C-18/21 (15 September 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C1821.html Cite as: ECLI:EU:C:2022:682, [2022] EUECJ C-18/21, [2022] WLR(D) 374, EU:C:2022:682, [2022] 4 WLR 97 |
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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
15 septembre 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Procédure européenne d’injonction de payer – Règlement no 1896/2006 – Article 16, paragraphe 2 – Délai de trente jours pour former opposition à l’injonction de payer européenne – Article 20 – Procédure de réexamen – Article 26 – Application du droit national pour les questions procédurales non expressément réglées par ce règlement – Pandémie de COVID-19 – Réglementation nationale ayant prévu une interruption de quelques semaines des délais procéduraux en matière civile »
Dans l’affaire C‑18/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 27 novembre 2020, parvenue à la Cour le 12 janvier 2021, dans la procédure
Uniqa Versicherungen AG
contre
VU,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan et N. Piçarra, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 janvier 2022,
considérant les observations présentées :
– pour Uniqa Versicherungen AG, par Me S. Holter, Rechtsanwalt, et M. S. Pechlof, Prozessbevollmächtigter,
– pour VU, par Me M. Brandt, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes E. Samoilova, U. Scheuer et J. Schmoll, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes S. Charitaki, V. Karra et A. Magrippi, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 mars 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20 et 26, lus en combinaison avec l’article 16, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO 2006, L 399, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 1) (ci-après le « règlement no 1896/2006 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Uniqa Versicherungen AG, une société d’assurances autrichienne, à VU, un ressortissant allemand, au sujet de l’exécution d’une injonction de payer européenne qui a été notifiée à ce dernier.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 8, 9, 18 et 24 du règlement no 1896/2006 sont ainsi libellés :
« (8) Les entraves à l’accès à une justice efficace qui en résultent dans les litiges transfrontaliers, ainsi que les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur causées par l’inégale efficacité des outils procéduraux mis à la disposition des créanciers dans les différents États membres, rendent nécessaire la mise en place d’une législation communautaire garantissant des conditions identiques aux créanciers et débiteurs dans l’ensemble de l’Union européenne.
(9) Le présent règlement a pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de procédure dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer, et d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.
[...]
(18) L’injonction de payer européenne devrait informer le défendeur qu’il peut payer au demandeur le montant fixé, ou former opposition dans un délai de trente jours s’il entend contester la créance. Outre qu’il devrait recevoir des informations complètes relatives à la créance fournies par le demandeur, le défendeur devrait être averti de l’importance en droit de l’injonction de payer européenne et, notamment, des conséquences qu’aurait le fait de ne pas contester la créance.
[...]
(24) Une opposition formée dans le délai imparti devrait mettre un terme à la procédure européenne d’injonction de payer et entraîner le passage automatique du litige à la procédure civile ordinaire, sauf si le demandeur a expressément demandé l’arrêt de la procédure dans cette éventualité. Aux fins du présent règlement, le concept de “procédure civile ordinaire” ne devrait pas nécessairement être interprété au sens du droit national. »
4 Aux termes de l’article 1er de ce règlement :
« 1. Le présent règlement a pour objet :
a) de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer ;
et
b) d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.
2. Le présent règlement n’empêche pas le demandeur de faire valoir une créance au sens de l’article 4 en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire. »
5 L’article 12, paragraphe 3, dudit règlement dispose :
« Dans l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité :
a) de payer au demandeur le montant figurant dans l’injonction de payer ;
ou
b) de s’opposer à l’injonction de payer en formant opposition auprès de la juridiction d’origine, qui doit être envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction qui lui aura été faite. »
6 L’article 16 du même règlement, intitulé « Opposition à l’injonction de payer européenne », prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :
« 1. Le défendeur peut former opposition à l’injonction de payer européenne auprès de la juridiction d’origine au moyen du formulaire type F figurant dans l’annexe VI, qui lui est transmis en même temps que l’injonction de payer européenne.
2. L’opposition est envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction au défendeur.
3. Le défendeur indique dans l’opposition qu’il conteste la créance, sans être tenu de préciser les motifs de contestation. »
7 L’article 17 du règlement no 1896/2006, intitulé « Effets de l’opposition », dispose :
« 1. Si une opposition est formée dans le délai prévu à l’article 16, paragraphe 2, la procédure se poursuit devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine, sauf si le demandeur a expressément demandé qu’il soit mis un terme à la procédure dans ce cas. La procédure se poursuit conformément aux règles de :
a) la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue dans le règlement (CE) no 861/2007 [du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (JO 2007, L 199, p. 1)], le cas échéant ; ou
b) toute procédure civile nationale appropriée.
2. Lorsque le demandeur n’a pas indiqué la procédure, parmi celles énumérées au paragraphe 1, points a) et b), qu’il souhaite voir appliquée à sa demande dans le cadre de la procédure qui y fait suite en cas d’opposition, ou lorsque le demandeur a demandé que la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue dans le règlement (CE) no 861/2007 soit appliquée à une demande qui ne relève pas du champ d’application dudit règlement, la procédure passe à la procédure civile nationale appropriée, sauf si le demandeur a expressément formulé son opposition à ce passage.
3. Lorsque le demandeur a fait valoir sa créance en recourant à la procédure européenne d’injonction de payer, aucune disposition du droit national ne porte atteinte à sa position lors de la procédure civile ultérieure.
4. Le passage à la procédure civile au sens du paragraphe 1, point a) et b), est régi par le droit de l’État membre d’origine.
5. Le demandeur est informé de toute opposition formée par le défendeur et de tout passage à la procédure civile au sens du paragraphe 1. »
8 L’article 20 du règlement no 1896/2006, intitulé « Réexamen dans des cas exceptionnels », énonce :
« 1. Après expiration du délai prévu à l’article 16, paragraphe 2, le défendeur a le droit de demander le réexamen de l’injonction de payer européenne devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine si :
a) i) l’injonction de payer a été signifiée ou notifiée selon l’un des modes prévus à l’article 14 ;
et
ii) la signification ou la notification n’est pas intervenue en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense, sans qu’il y ait faute de sa part,
ou
b) le défendeur a été empêché de contester la créance pour cause de force majeure ou en raison de circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait faute de sa part,
pour autant que, dans un cas comme dans l’autre, il agisse promptement.
2. Après expiration du délai prévu à l’article 16, paragraphe 2, le défendeur a également le droit de demander le réexamen de l’injonction de payer européenne devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine lorsqu’il est manifeste que l’injonction de payer a été délivrée à tort, au vu des exigences fixées par le présent règlement, ou en raison d’autres circonstances exceptionnelles.
3. Si la juridiction rejette la demande du défendeur au motif qu’aucune des conditions de réexamen énoncées aux paragraphes 1 et 2 n’est remplie, l’injonction de payer européenne reste valable.
Si la juridiction décide que le réexamen est justifié au motif que l’une des conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 est remplie, l’injonction de payer européenne est nulle et non avenue. »
9 Aux termes de l’article 26 de ce règlement, intitulé « Relation avec le droit procédural national » :
« Toute question procédurale non expressément réglée par le présent règlement est régie par le droit national. »
Le droit autrichien
10 L’article 1er, paragraphe 1, du COVID-19-Justiz-Begleitgesetz (loi nationale d’accompagnement de la justice sur les mesures liées à la COVID-19), du 21 mars 2020 (BGBl. I Nr 16/2020), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi autrichienne relative à la COVID‑19 »), a prévu que, dans les procédures judiciaires en matière civile, tous les délais procéduraux ayant commencé à courir après le 21 mars 2020 ou n’ayant pas encore expiré à cette date étaient interrompus jusqu’au 30 avril 2020 et recommençaient à courir le 1er mai 2020.
Le litige au principal et la question préjudicielle
11 Le 6 mars 2020, le Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal de district pour les affaires commerciales de Vienne, Autriche) a émis, à la demande d’Uniqa Versicherungen, une injonction de payer européenne qui a été notifiée, le 4 avril 2020, à VU, personne physique résidant en Allemagne. Celle-ci a formé opposition à cette injonction de payer par lettre postée le 18 mai 2020. Cette juridiction a rejeté l’opposition de VU au motif que celle-ci n’avait pas été formée dans le délai de trente jours fixé à l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006.
12 Le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche), juridiction d’appel, a annulé cette ordonnance sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi autrichienne relative à la COVID‑19.
13 Uniqa Versicherungen a formé un pourvoi en « Revision » contre la décision du Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), la juridiction de renvoi dans la présente affaire.
14 Cette juridiction souligne que l’article 1er, paragraphe 1, de la loi autrichienne relative à la COVID‑19 constitue une réponse à une situation dans laquelle, pour cause de maladie tant du personnel judiciaire que des auxiliaires de justice ou des parties, ou en raison des mesures prises, le respect des délais procéduraux n’était pas toujours possible.
15 Selon la juridiction de renvoi, des avis divergents ont été exprimés par la doctrine autrichienne sur le point de savoir si cette réglementation nationale peut être appliquée au délai pour former opposition à une injonction de payer européenne, qui est fixé à trente jours par l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, ou si l’article 20 de ce règlement exclut l’application de ladite réglementation nationale au délai pour former opposition.
16 Une partie de la doctrine autrichienne soutiendrait que l’article 20 dudit règlement prévoit une possibilité de réexamen de l’injonction de payer européenne susceptible de conduire à l’annulation de cette injonction, notamment dans les cas de force majeure ou de circonstances extraordinaires, tels que la crise liée à la COVID‑19. Selon cet avis, il ne serait pas permis de recourir au droit national pour tenir compte d’un tel cas, ce dernier étant régi de manière exhaustive par ce même règlement.
17 Selon un autre avis défendu en doctrine, l’article 20 du règlement no 1896/2006 n’empêcherait pas d’appliquer une réglementation nationale telle que l’article 1er, paragraphe 1, de la loi autrichienne relative à la COVID‑19. En effet, l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement régirait uniquement la durée du délai d’opposition, tandis que la question de l’interruption éventuelle de ce délai n’aurait pas été réglée par le droit de l’Union. Il conviendrait donc de faire application de l’article 26 dudit règlement, lequel renvoie au droit national pour toute question procédurale non expressément réglée par ce même règlement. Dans cette perspective, l’article 20 du règlement no 1896/2006 aurait seulement pour but de garantir l’équité dans des cas particuliers et ne comporterait pas de dispositions générales régissant une situation exceptionnelle telle que la crise de la COVID-19.
18 Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les articles 20 et 26 du [règlement no 1896/2006] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interruption du délai de 30 jours pour former opposition à une demande d’injonction de payer fixé à l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, telle que celle prévue à l’article 1er, paragraphe 1, de la [loi autrichienne relative à la COVID‑19], selon lequel, dans les procédures en matière civile, tous les délais procéduraux dont l’évènement déclencheur intervient après le 21 mars 2020 ou qui n’ont pas encore expiré à cette date, sont interrompus jusqu’au 30 avril 2020 et recommencent à courir à compter du 1er mai 2020 ? »
Sur la question préjudicielle
19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 16, 20 et 26 du règlement no 1896/2006 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une réglementation nationale, adoptée lors de la survenance de la pandémie de COVID‑19 et ayant interrompu durant cinq semaines environ les délais procéduraux en matière civile, au délai de trente jours imparti par l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement au défendeur pour former opposition à une injonction de payer européenne.
20 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, qu’il ressort du considérant 9 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), dudit règlement que celui-ci a notamment pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer.
21 Cette procédure simplifiée et uniforme n’est pas contradictoire. Le défendeur n’a connaissance de la délivrance de l’injonction de payer européenne qu’au moment où celle-ci lui est signifiée ou notifiée. Ainsi qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006, ce n’est qu’à ce moment qu’il est informé de ce qu’il a la possibilité soit de payer au demandeur le montant figurant dans celle-ci, soit de s’y opposer auprès de la juridiction d’origine (arrêt du 13 juin 2013, Goldbet Sportwetten, C‑144/12, EU:C:2013:393, point 29).
22 L’article 16, paragraphe 1, de ce règlement précise à cet égard que le défendeur peut former opposition à l’injonction de payer européenne auprès de la juridiction d’origine. Le paragraphe 2 de cet article ajoute que l’opposition est envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction au défendeur.
23 Ainsi, comme l’indique l’article 17 du règlement no 1896/2006, lu à la lumière du considérant 24 de ce règlement, le défendeur peut, en formant opposition dans le délai imparti, mettre un terme à la procédure européenne d’injonction de payer et entraîner le passage automatique du litige à la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue par le règlement no 861/2007 ou toute procédure civile nationale appropriée, sauf si le demandeur a expressément demandé l’arrêt de la procédure dans cette éventualité.
24 Cette possibilité de former opposition vise à compenser le fait que le système instauré par le règlement no 1896/2006 ne prévoit pas la participation du défendeur à la procédure européenne d’injonction de payer, en lui permettant de contester la créance après la délivrance de cette injonction de payer européenne (arrêt du 13 juin 2013, Goldbet Sportwetten, C‑144/12, EU:C:2013:393, point 30). Cette phase de la procédure est donc essentielle pour garantir le respect des droits de la défense, consacrés à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
25 La procédure d’opposition est complétée par le droit du défendeur de demander un réexamen de l’injonction de payer européenne, une fois le délai pour former opposition écoulé. Ce réexamen ne peut cependant intervenir, ainsi que l’indique l’intitulé même de l’article 20 de ce règlement, que dans des « cas exceptionnels » (arrêt du 22 octobre 2015, Thomas Cook Belgium, C‑245/14, EU:C:2015:715, point 29).
26 S’agissant, plus particulièrement, de l’article 20, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1896/2006, celui-ci prévoit qu’il peut être procédé au réexamen d’une injonction de payer européenne lorsque le non-respect du délai d’opposition de trente jours, prévu à l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, résulte de l’existence d’un cas de force majeure ou de circonstances extraordinaires ayant empêché le défendeur de former opposition dans ce délai.
27 Comme il ressort du libellé de cet article 20, paragraphe 1, sous b), afin que le défendeur soit fondé à demander le réexamen de l’injonction de payer européenne en vertu de cette disposition, il est nécessaire que trois conditions cumulatives soient remplies, à savoir, premièrement, la présence de circonstances extraordinaires ou d’un cas de force majeure en raison desquelles ou duquel le défendeur a été empêché de contester la créance dans le délai prévu à cet effet, deuxièmement, l’absence de faute de la part du défendeur et, troisièmement, la condition que ce dernier agisse promptement (voir, en ce sens, ordonnance du 21 mars 2013, Novontech-Zala, C‑324/12, EU:C:2013:205, point 24).
28 D’autre part, s’agissant de l’économie du règlement no 1896/2006, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lu à la lumière de son considérant 9, que ledit règlement correspond à des « normes minimales » établies pour assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes. Ce même règlement met ainsi en place un instrument uniforme de recouvrement, garantissant des conditions identiques aux créanciers et aux débiteurs dans l’ensemble de l’Union, tout en prévoyant l’application du droit procédural des États membres à toute question de procédure non expressément réglée par ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2016, Flight Refund, C‑94/14, EU:C:2016:148, point 53).
29 C’est à la lumière de ces rappels qu’il convient de répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi.
30 En l’occurrence, cette juridiction se demande si l’article 26 du règlement no 1896/2006 permet l’application, au délai de trente jours prévu à l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement pour former opposition à une injonction de payer européenne, d’une réglementation nationale qui, en raison de la pandémie de COVID-19, a interrompu, pour une période de cinq semaines environ, les délais de procédure en matière civile ou si, au contraire, l’article 20, paragraphe 1, sous b), dudit règlement doit être interprété en ce sens qu’il régit de manière exhaustive les droits procéduraux du défendeur en cas de circonstances exceptionnelles, telles que celles liées à la pandémie de COVID‑19, de sorte que l’article 26 du même règlement ne serait pas applicable.
31 À cet égard, il est certes envisageable qu’un défendeur dans une procédure européenne d’injonction de payer ait été empêché de former opposition à cette injonction en raison de circonstances extraordinaires liées à la pandémie de COVID-19. Dans ce cas, il est en droit, dans le respect de l’ensemble des conditions énoncées à l’article 20, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1896/2006 et rappelées au point 27 du présent arrêt, de demander le réexamen de ladite injonction devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine.
32 Cela étant, la Cour a déjà jugé que, le législateur de l’Union ayant entendu limiter la procédure de réexamen à des situations exceptionnelles, cette disposition doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Thomas Cook Belgium, C‑245/14, EU:C:2015:715, point 31). Ainsi qu’il découle du libellé même de ladite disposition, en particulier de la condition, énoncée dans celle-ci, tenant à l’absence de faute de la part du défendeur, les circonstances extraordinaires visées par cette même disposition correspondent à des circonstances propres à la situation individuelle du défendeur concerné. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, tel est, par exemple, le cas d’une affection ou d’une hospitalisation de ce dernier, liée à ce coronavirus, qui l’aurait empêché d’exercer son droit d’opposition dans le délai prévu à cet effet.
33 L’article 20, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1896/2006 n’a, en revanche, pas vocation à s’appliquer à des circonstances extraordinaires de nature systémique, telles que celles liées à la survenance de la pandémie de COVID-19, ayant affecté, de manière généralisée, le fonctionnement et l’administration de la justice, dont la collaboration est pourtant indispensable, aux termes de l’article 12, paragraphe 3, sous b), et de l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement, pour permettre au défendeur d’exercer utilement son droit de former opposition, dans le délai prescrit, à l’injonction de payer européenne qui lui a été signifiée ou notifiée.
34 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il a été souligné au point 28 du présent arrêt, le règlement no 1896/2006 ne procède pas à une harmonisation complète de tous les aspects de la procédure européenne d’injonction de payer. Il prévoit, en effet, conformément à son article 26, l’application du droit procédural des États membres à toute question de procédure non expressément réglée par ledit règlement.
35 Or, si les articles 16 et 20 de ce règlement consacrent le droit pour le défendeur de former opposition à l’injonction de payer européenne qui lui a été signifiée ou notifiée en harmonisant un certain nombre d’aspects de ce droit, tels que les formalités et le délai d’exercice dudit droit, le point de départ de ce délai ainsi que les cas exceptionnels dans lesquels, après l’expiration dudit délai, le défendeur peut demander le réexamen de cette injonction, ni ces articles ni aucune autre disposition dudit règlement ne régissent, en revanche, d’autres aspects tels que les causes d’interruption ou de suspension de ce même délai pendant l’écoulement de celui-ci. Partant, et conformément à l’article 26 du même règlement, les États membres sont en droit de réglementer ces derniers aspects et, ainsi, de compléter les aspects procéduraux qui ne sont pas régis par les articles 16 et 20 du règlement no 1896/2006.
36 Cela étant, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu de préciser que, si, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de les établir, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, cela ne vaut qu’à condition que ces règles procédurales ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 58 et jurisprudence citée).
37 S’agissant, en premier lieu, du respect du principe d’équivalence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’article 1er, paragraphe 1, de la loi autrichienne relative à la COVID‑19 s’applique indistinctement à tous les délais procéduraux dans les affaires civiles, et ce indépendamment de la base juridique de l’action en question. Partant, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une telle réglementation semble garantir un traitement égal des procédures d’injonction de payer fondées sur le droit national et de celles, similaires, fondées sur le règlement no 1896/2006.
38 S’agissant, en second lieu, du principe d’effectivité, une réglementation procédurale nationale doit être considérée comme étant conforme à ce principe si elle ne porte pas atteinte à l’équilibre que le règlement no 1896/2006 a institué entre les droits respectifs du demandeur et du défendeur dans le cadre d’une procédure européenne d’injonction de payer. En particulier, une réglementation nationale qui a pour effet d’interrompre le délai d’opposition à une telle injonction, fixé à l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, respecte ce principe lorsqu’elle apparaît justifiée par l’objectif consistant à garantir le respect des droits de la défense du défendeur sans rendre, en pratique, excessivement difficile le recouvrement rapide et efficace des créances en cause. À cette fin, la période pendant laquelle ce délai est interrompu doit être limitée au strict nécessaire.
39 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal n’a aucunement porté atteinte aux aspects, rappelés au point 35 du présent arrêt, qui ont fait l’objet d’une harmonisation par le règlement no 1896/2006. Elle a uniquement prévu une interruption d’une durée limitée à cinq semaines environ ayant correspondu, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience par le gouvernement autrichien, à la période pendant laquelle, en raison d’un confinement strict imposé sur le territoire national à cause de la pandémie de COVID-19, les activités juridictionnelles étaient fortement perturbées. Comme l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, cette réglementation n’a, en outre, pas fait revivre de délais d’opposition qui avaient expiré avant son entrée en vigueur.
40 Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, une telle réglementation procédurale nationale semble donc avoir permis de ne reporter que de quelques semaines le recouvrement des créances, tout en garantissant le maintien effectif du droit d’opposition, prévu à l’article 16 du règlement no 1896/2006, essentiel à l’équilibre recherché par le législateur de l’Union.
41 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question de la juridiction de renvoi que les articles 16, 20 et 26 du règlement no 1896/2006 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à l’application d’une réglementation nationale, adoptée lors de la survenance de la pandémie de COVID-19 et ayant interrompu durant cinq semaines environ les délais procéduraux en matière civile, au délai de trente jours imparti par l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement au défendeur pour former opposition à une injonction de payer européenne.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
Les articles 16, 20 et 26 du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer, tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à l’application d’une réglementation nationale, adoptée lors de la survenance de la pandémie de COVID-19 et ayant interrompu durant cinq semaines environ les délais procéduraux en matière civile, au délai de trente jours imparti par l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement au défendeur pour former opposition à une injonction de payer européenne.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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